Lutter à la fois contre l’islamophobie et contre les intégrismes

par Catherine Samary

9 février 2011

« Le tournant du siècle » a été marqué par le 11 septembre 2001... Et en France le climat de peur irrationnelle (phobie) d’un danger islamiste a caractérisé le contexte de la loi du 15 mars 2004 contre le port du voile par les élèves de l’école publique [1]. Or cette phobie s’est notamment nourrie d’ une tendance à identifier toute affirmation “visible” de l’islam (et revendication de droits à cet égard) à de “l’islamisme” (au sens d’un projet politique subordonnant l’État et ses lois à l’islam). Cette tendance est au coeur de cinq aspects d’un même débat d’ensemble qui ont divisé la gauche radicale (et les féministes), notamment l’ex-LCR [2] puis le NPA.

1- Montée des intégrismes versus polarisations

Les divergences partent de la présentation de la "vague de fond réactionnaire" [3] se traduisant par une montée des intégrismes dans toutes les religions, à l’échelle mondiale. C’est elle qui "pousse dans le monde musulman de plus en plus de femmes à porter le voile, ou le voile intégral.". Une telle perception est aveugle aux polarisations et résistances traversant toutes les sociétés, notamment musulmanes. sans pour autant qu’il s’agisse d’une situation marquée par des rapports de force favorables aux luttes d’émancipation, analogue aux années 1970. Un facteur est omis dans cette interprétation d’ensemble unilatérale des dynamiques en cours : le nouvel ennemi “terroriste” qui a légitimé les guerres impérialistes après la fin de la guerre froide, et l’istrumentalisation de l’islamophobie, répandue après le 11 septembre.

Dans la société française post coloniale “un racisme à peine voilé” s’est exprimé envers les populations de la plus récente immigration (et massivement musulmanes) derrière l’hostilité à l’islam. Mais ceci s’est combiné avec plusieurs facteurs : la perception de tout affichage de différences comme contraire à l’universalisme républicain français ; une connaissance primitive de l’islam perméable à des présentation “savante” sur l’impossibilité de réconcilier islam et laïcité ; et la perception de toute acceptation du foulard comme contradictoire avec les libertés sexuelles et les droits des femmes acquis et toujours fragiles depuis 1968, voire comme une trahison de la nécessaire solidarité à l’égard des femmes résistant aux courants intégristes.

La critique de ces perceptions et éventuelles théorisations fausses ne signifie pas adhérer à une perception symétrique rejetant les préoccupations des premières... La minorité de la LCR qui dénonçait l’instrumentalisation raciste des causes féministes le faisait dans le cadre d’un engagement féministe, laïque et internationaliste militant, de longue date...

Il ne s’agissait donc pas de nier l’existence de courants intégristes et de se taire sur leurs violences : dans les collectifs que nous avons formés, nos nouveaux camarades, frérots et seurettes musulmanes nous aidaient au contraire à résoudre une difficulté majeure du combat contre l’islamophobie (dans une société où l’islam est une réalité nouvelle) : celle de discerner... un barbu d’un autre, une femme voilée, d’une autre, bref d’appliquer des grilles de lecture politiques, idéologiques aux musulmans comme au commun des mortels !

Si la montée du port du foulard islamique était effectivement en partie associée à l’offensive de courants dits “salafistes” (en France minoritaires mais très présents dans certains milieux et quartiers), il était essentiel de comprendre d’autres facteurs poussant à l’affirmation publique d’une “identité musulmane”.

Pour ne parler que de la France, d’une part, il faut souligner la croissance de cette population (passant de 1 à plus de 6 millions de personnes sur trois décennies) avec le regroupement familial après l’arrêt de l’immigration – ce qui, statistiquement augmentait le nombre de femmes voilées. Parallèlement, émergeaient trois causes d’affirmation identitaire “réactives” au potentiel progressiste et conflictuels avec les courants “salafistes” : alors que ces derniers poussaient au repli communautariste y inclus le port de la burqa, toute une nouvelle génération, née en France, aspirait à la réalisation des droits républicains proclamés. Le constat des discriminations au faciès et au prénom dans l’emploi, le logement, la vie quotidienne quelles qu’aient été les volontés de leurs parents d’être “discrets” comme musulmans les incitaient à assumer une “identité” à facettes multiples dans un “repli d’ouverture” pour l’égalité des droits. D’autre part, dans le contexte de l’après 11.09 on voyait aussi s’exprimer une affirmation identitaire musulmane (individuelle ou/et associative) à la fois critique des attentats d’AlQaida et de la montée d’une islamophobie arrogante légitimant les guerres impérialistes contre “le terrorisme”. Dans ce cadre, le refus d’une assimilation de la résistance palestinienne au “terrorisme” s’accompagnait d’une démarche politique : elle était (à nouveau) en conflit à la fois avec les courants visant “l’islamisation de la Palestine” et avec l’islamophobie rejetant la légitimité du Hamas comme composante de la résistance. Enfin la loi de 2004 a produit des polarisations : d’une part, des interprétations abusives de plus en plus restrictive de la “laïcité” au nom de laquelle des femmes voilées se faisaient agresser ou/et exclure de divers espaces publics ; ce qui poussait à l’extension réactive du port du foulard au nom des libertés laïques...

Or bien des analyses (se réclamant y compris du marxisme ou de l’anarchie) tendaient vers une vision « essentialiste » de la religion et surtout de l’islam. Elles ont renforcé la tendance à rejeter (comme islamistes) tout courant s’assumant explicitement comme musulman (donc les femmes voilées...) - même quand ceux-ci/celles-ci se rapprochaient de l’altermondialisme, voire, en France, se revendiquaient de la laïcité et de l’égalité des droits entre hommes et femmes, rejetant également les violences intégristes et “toute contrainte en islam”, notamment dans le port du voile...

Paradoxalement, des courants qui disent (à juste titre) qu’il ne faut pas établir de hiérarchie dans la lutte contre toutes les oppressisons se sont avéré avoir un grave défaut d’empathie en ne tolérant pas que des musulman-e-s veuillent se battre sur plusieurs fronts à la fois, et l’afficher ! En fait, derrière l’insistance sur féminisme et laïcité, on a assisté à une interprétation fort discutable du débat.

2- Ennemi principal versus lutte contre les oppressions croisées... en oubliant l’islamophobie ?

Les positions (au sein de la gauche radicale) en défense des femmes voilées ont été assimilées à une “thèse de l’ennemi principal” qui, au nom de l’antiracisme (ou de l’anti-impérialisme) sacrifierait le féminisme ou mettrait des bémols relativistes aux luttes contre l’homophobie pour gagner des alliés musulmans.

Ce débat existe. Mais outre qu’il est souvent caricaturé, cette thèse n’a jamais été exprimée dans les positions collectives de la minorité abusivement présentée commme “pro-voile” ni de l’ex-LCR ni du NPA [4]. Aucune “formule” ne remplace l’analyse concrète des situations concrètes – la France n’est pas le Pakistan : et s’il est légitime d’avancer un “ni impérialisme, ni Talibans” en Afghanistan ou au Pakistan, cela ne justifie certainement pas de défendre en France un “ni Loi de 2004, ni voile” hostile... aux femmes voilées, dans un contexte d’État post-colonial et de population musulmane largement discriminée !

Enfin, il faut distinguer le débat sur les fronts de lutte conjoncturels (et qui peuvent être ciblés) et l’enjeu des bases programmatiques durables de l’engagement dans un parti [5].

Mais on ne peut se taire – quand on se revendique de la lutte contre les oppressions croisées – sur la forme nouvelle que prend le racisme qui a fait basculer des intellectuels et courants se réclamant de”l’égalité homme-femme et (de) la république sociale” comme la revue “Riposte laïque” vers la plus sordide extrème-droite : le musulman y est stigmatisé avec les mêmes ressorts et images qu’hier le juif. Parallèlement, des alliances jusqu’alors taboues entre droite “classique” et Front national sont désormais envisagées : l’islamophobie est partout devenue un terrain de nouvelles convergences. Les causes homosexuelles et féministes se découvrent de nouveaux défenseurs quant il s’agit de diaboliser l’islam. La campagne sarkozyste sur “l’identité nationale” n’a pas évité ces “dérapages”.

En France des manifestations contre le racisme (réagissant à juste titre contre les expulsions de Roms) n’ont pas réussi pour l’instant à intégrer toutes les opérations de division et de boucs émissaires visant à détourner des luttes communes contre la casse sociale – notamment l’islamophobie. Mais ceci impose de clarifier l’enjeu féministe et laique.

3- Non banalisation du voile et rejet des femmes voilées versus luttes communes contre l’imposition du voile et contre son interdiction

La position “ni loi, ni voile” de l’ex-LCR s’est justifiée au nom de la “non banalisation” du voile et de sentiments légitimes : la solidarité avec les femmes auxquelles des régimes intégristes imposent de porter le voile ; la peur des pressions religieuses poussant à des régressions de droits et libertés acquis par les femmes...

Mais quasiment toutes les femmes victimes de violences qui ont bénéficié de campagnes les sortant de l’anonymat, avaient... un prénom musulman. C’est dire que s’il est juste de “ne jamais abandonner les Rayhana, Sadia, Hina, Fatima… », comme le rappelle Pierre Rousset [6], on doit aussi questionner la finalité de ce type de campagne sélective : c’est bel et bien l’association de victimes de tous bords dans ce type de campagne, qui seule, peut éviter les silences réactifs...

Mais surtout, la “non banalisation du voile” s’est traduite (dans la majorité de l’ex-LCR et chez beaucoup de féministes) par un rejet de tout militantisme avec des femmes voilées, indépendamment de la plateforme politique mise en avant, et de ce qu’elles avaient à dire : le foulard “parlait” pour elles – ou bien encore, les personnes “libérées” qui les rejetaient “savaient” quel sens avait le voile... Les femmes concernées sont en fait considérées soit comme mineures et soumises à un barbu, soit comme de dangereuses islamistes.

C’est l’effet désastreux d’une sorte de “fétichisme” du signe, ou d’une approche “essentialiste” du voile, comme de “la” religion, indépendante des contextes et des êtres humains impliqués dans la diversité de ce qui détermine leur “choix”...

Or le même vêtement peut être imposé aux femmes, ou “choisi”, sous pressions diverses, et éventuellement à contre-courant d’un interdit ! Et les vêtements sexués ne sont pas en eux mêmes signes d’oppression- pas plus que le pantalon n’est la fin de l’oppression...Certes, le voile musulman n’est pas un simple vêtement, mais un signe religieux. Et les courants les plus réactionnaires ou conservateurs l’imposent. Mais cela ne supprime pas davantage la diversité des dynamiques “sous” le voile et plus précisément au sein de l’islam aujourd’hui. Les doctrines et pratiques dominantes associent le voile à un rapport de contrôle et domination du mari sur la femme, et une division des rôles légitimée par des différences physiques “naturelles”. Mais outre que s’exprime aussi le rejet du traitement de la femme comme “objet sexuel”, l’islam reconnaît la sexualité féminine hors procréation. Mais surtout, l’exigence de contextualisation et interprétation, revendiquée comme “coranique” par les courants réformateurs non littéralistes, s’accompagne aujourd’hui de l’émergence et du développement international d’un “féminisme musulman” - un phénomène hétérogène et désormais de plus en plus étudié bien qu’encore ignoré par certaines féministes [7] ! Il est associé à la scolarisation massive des femmes et à leur accès croissant aux savoirs religieux. La remise en cause du monopole des hommes sur l’interprétation des sources est ainsi de plus en plus légitimée (comme en témoigne l’ouverture aux femmes des études islamiques de l’université Al-Azhar au Caire en Egypte). En même temps, des mouvements de lutte contre des violences et inégalités pratiquées au nom de l’islam sont contestés non seulement sur des bases séculières et laïques, mais de l’intérieur de la religion (cf. Sister in islam en Malaisie) ce qui ouvre l’espace de fronts de lutte recomposés (cf.la campagne “un million de signatures” en Iran qui réunit des femmes croyantes ou pas...). Le développement de mouvements gay musulmans ne manque pas de commencer à converger avec celui des féministes musulman-e-s dans un bouleversement des lectures du Coran où la prise en compte des savoirs acquis et de l’évolution des contextes est revendiqué comme une fidélité aux préceptes coraniques. Même les différences “naturelles” sont réinterprétées dans le cadre d’un concept de “genre” (socialement construit et analysé) – et débouche, parmi les croyants comme en dehors de la religion, sur une critique de rapports de domination sociaux patriarcaux, l’exigence d’aide mutuelle dans les tâches, la liberté du divorce (impliquant une autonomie financière et donc le droit de travailler)...

Mais tout cela est ignoré ou minimisé par des formules a-temporelles sur “les religions monothéistes” ou “le voile” disent... à l’arrière -plan de l’injonction de “ne pas banaliser le voile”. L’arbre de la burqa cache en outre aujourd’hui la forêt des voiles “non banalisés”. Or si la burqa implique une fermeture de l’action militante, tel n’est pas le cas du voile ouvert aussi bien au repli qu’à l’engagement associatif, professionnel et politique. Et, en pratique, la non banalisation du voile n’a de sens clair, mallheureusement, qu’exclusif (un traitement “à part” des femmes qui le porte, “le signe” l’emportant sur l’être humain). C’est pourquoi il faut définitivement remettre en cause ce type de formule. Mais non pas banaliser ... les violences, et les rapports sous-jacents à rattacher à l’ensemble des combats féministes.

Il faut donc mettre l’accent sur les droits universels, contre les violences et les rapports de domination – sous tous les cieux et régimes, exprimer haut et clair notre solidaité avec les femmes musulmanes victimes des intégrismes – sans avoir une approche sélective des violences et régimes.

C’est le sens des motions que je soutiens au sein du NPA, refusant une approche univoque et sélective du foulard...

“Nous dénonçons aussi toutes les idéologies et pratiques de contrôle par les pouvoirs patriarcaux, religieux ou athées, des choix vestimentaires des femmes.

Le voile a été utilisé sous diverses formes et à diverses époques par les trois monothéismes comme instrument de soumission des femmes et reste imposé aujourd’hui par certains régimes et courants intégristes. Nous dénonçons, avec toutes les femmes musulmanes qui revendiquent leur autonomie de choix et de jugement, y compris dans leurs pratiques religieuses, cette imposition du port du voile, avec la même vigueur que nous dénonçons le dévoilement forcé des femmes visant à donner une couleur « émancipatrice » à des politiques racistes ou néocoloniale.

Les résistances croisées à diverses oppressions subies par les femmes font que le port comme le retrait du voile sont des choix complexes pour chaque femme concernée, selon les contextes. On ne peut donc « désigner » globalement « le » sens du port du voile qui est, en dernier ressort, celui que les femmes lui donnent.”

4- Une laïcité islamophobe ou égale pour toutes les religions

« Les lois sur la laïcité (...) bien que votées par une majorité républicaine … colonialiste et hostile au droit de vote des femmes, à la fin du XIX et au début du XXe siècle (...) représentent pour nous un acquis fondamental » souligne le texte de F&L cité.

Il effectue ce faisant un saut périlleux jusqu’au rejet de la Loi sur la burqa, sans le moindre mot sur... la Loi de 2004, sa critique nécessaire, les vannes qu’elle a ouverte au racisme anti-musulman, et ses effets pour les jeunes filles concernées [8], leur possible rejet vers les écoles privées (financées par l’État !...).

Au-delà de ce bilan nécessaire, le texte omet de dire explicitement que le port du voile dans l’espace public n’est pas contradictoire avec la laïcité. Or c’est d’autant plus important que d’autres courants, notamment du NPA, estiment que la laïcité impose à la religion de rester « privée »...

Par contre, il n’y a pas de désaccord avec le regroupement F&L sur la nécessité de défendre la laïcité contre des attaques venant du Pape et de courants intégristes. On peut aussi partager l’opposition aux approches relativistes qui voudraient, sous couvert de défense des droits religieux, interdire la critique des religions – ou de leurs pratiques.

Mais notre tâche, comme défenseurs de la laïcité, est aussi de lutter pour l’application égale des droits laïcs à l’islam, devenue deuxième religion en France et principale religion des nouvelles populations immigrées depuis les années 1970. Le texte ne dit rien à ce sujet. Or, on présente comme anti-laïques et « islamistes » des revendications de longue date accordées aux autres cultes, et des droits de base (comme des lieux décents de prière ou des carrés musulmans dans les cimetières). De surcroît, l’ignorance de l’islam est exploitée par une « islamophobie savante » [9] qui s’inscrit dans la pseudo « guerre des civilisations » et présente la séparation de la religion et de la politique ou la démocratie comme incompatibles avec « l’essence » de l’islam ou produits de la seule « civilisation occidentale » [10]. Le travail (notamment pédagogique) de contestation de ces présentations se heurte évidemment à l’évidence médiatisée de comportements et régimes islamistes réels présentés comme « preuve » de la thèse essentialiste.

Mais rien ne remplacera l’apprentissage direct de « l’autre » par les rencontres et le militantisme...

5- Pour des mouvements socio-politiques laïques basés sur des droits égaux et des cheminements multiples vers l’émancipation

Le mouvement altermondialiste, la Marche mondiale des femmes, le syndicalisme, les partis anti-capitalistes doivent permettre des luttes communes pour des droits qui s’universalisent, à partir de cheminements différents – croyants agnostiques, athées... sans établir une police des consciences.

Il est légitime de traiter « en soi » la question du parti – dont les bases programmatiques sont plus délimitées que des fronts ad hoc. L’adhésion de femmes voilées au NPA est et sera un produit des transformations de la société et des polarisations qui la traversent. Si l’athéisme marxiste a été présenté initialement par certains membres comme faisant partie des bases nécessaires à l’engagement dans un parti anti-capitaliste, les approches de la religion sont différenciées, y compris parmi les marxistes [11], et ce point est dores et déjà dépassé : aucun courant du NPA ne veut interdire l’adhésion de croyants. Mais c’est la visibilité de la religion qui pose problème. Avec quels arguments  La religion » comme « le voile » sont identifiés, « par essence », aux courants les plus réactionnaires et conservateurs de l’ordre existant, aux doctrines religieuses dominantes, aux approches littéralistes (avec les tendances unilatérales et essentialistes évoquées) – et donc en contradiction avec un programme émancipateur. Même s’il est admis que les croyant-e-s peuvent, à titre individuels, se dissocier de ces courants et adhérer au NPA, c’est l’interprétation dominante qui l’emporte. D’où le refus de candidat-e du NPA affichant sa religion par un signe (disons, son voile)... et donc un statut à deux vitesses pour les membres : la religion doit rester privée et une croyance religieuse affichée est nécessairement un « prosélytisme » pour des doctrines religieuses rétrogrades. Le risque est de passer d’un scepticisme (contestable mais légitime) à des interdits aberrants, ce que permet l’ambivalence du verbe « pouvoir » : on ne « peut pas » être à la fois anti-capitaliste, féministe, laïque et voilée ? Et surtout, le défaut est de ne pas permettre une pleine intégration, visible, des croyant-e-s dans le combat pour des droits et libertés, assortis de luttes contre toutes les discriminations et inégalités, pour l’autonomie des choix des femmes...

Contre ces positions, le courant auquel je me rattache dans le NPA a affirmé un positionnement systématique “contre l’imposition du voile et contre son interdiction” qui ne place pas “le voile” ou “la religion” en dehors des contextes et des choix individuels des femmes. Certes, aucun choix n’est jamais “libre” de contraintes diverses. Mais ne pas distinguer choix vécu comme imposé ou vécu comme autonome, c’est juger à la place des femmes. Et ceci est aux antipodes d’une démarche féministe qui aboutit à l’ignorance des dynamiques progressistes à l’oeuvre “sous le voile” - et de ce pour quoi se battent concrètement les femmes concernées.

La remise en cause des dictatures, athées ou religieuses, l’affirmation du libre-arbitre individuel, la contestation des privilèges de savoirs, de pouvoir et d’argent, l’aspiration à une justice sociale qui éradique la pauvreté, les discriminations, les rapports d’oppression... ce sont là des motivations d’engagement militants qui peuvent être vécues comme fidélités à une foi religieuse.

Sur la base de buts communs, politiques, les droits doivent être égaux et le parti a tout à gagner à « montrer » sa diversité, dans la cohérence de son programme.

Voir en ligne : Cet article est une version synthétique d’un texte de contribution aux débats internes dans le NPA. Il est notamment une réponse au texte du regroupement “féministe & laïcité” (F&L) publié sur le même site (article 18354). aux débats internes

Notes

[1La loi et la jurisprudence concernant la laïcité en France (Loi de 1905) interdisent les signes religieux dans les institutions de l’État et imposent une obligation de “neutralité” vestimentaire pour les fonctionnaires – donc les enseignant-es. Mais ces mesures, qui concrétisent une volonté de séparation de l’État et de toute religion, s’accompagnent de la reconnaissance et protection par l’État des libertés religieuses, non seulement au plan individuel (privé), mais “sociétal” donc public (droit de faire des associations et partis se revendiquant d’une religion, libertés d’expression publique des convictions et pratiques religieuses pour les usagers/citoyen-nes). D’où une distinction souvent insuffisamment claire dans la présentation courante de la laïcité française, entre trois domaines (et non pas deux – privé/publique) : le privé, l’espace public (sociétal, démocratique) et les institutions publiques. La loi de 2004 interdisant les signes religieux des élèves est donc une restriction par rapport à cette conception. Elle ne s’applique néanmoins pas dans les écioles privées ni à l’université – encore moins dans le reste de l’espace publique. Un parti peut donc présenter des femmes voilées aux élections sans contredire la laïcité.

[2Lire “la laïcité n’est pas anti-religieuse” (sur mon site http://csamary.free.fr ou Europe-Solidaire / ou Viento Sur)

[3Cf. L’article cité en 1 du courant “Féminisme et laïcité” (F&L).

[4Le regroupement F&L n’a pu citer qu’un seul article favorable à cette thèse (signé à titre individuel par Hendrik Davi, que l’on peut retrouver sur le site Europe solidaire ainsi que ses critiques par Josette Trat ou Pierre Rousset.

[5Je partage sur ce plan l’approche de Gilbert Achcar dans “marxisme et religion, hier et aujourd’hui”, octobre 2004, reproduit sur le site Europe solidaire, article 258...

[7Outre le numéro spécial de Critique internationale (sciences Po) sur “Le féminisme islamique aujourd’hui”, n°46, 2010/1  ; lire l’article sur ce thème de Malika Hamidi, publié par Les Cahiers Marxiste en Belgique en novembre 2008, et que lo’n peut trouver sur le site du Gierfi (groupe de recherche international sur la femme en islam) http://www.gierfi.com/article-36801749.html

[8Lire Les filles voilées parlent, Ismahane Chouder, Malika Latrèche et Pierre Ténavian, La Fabrique, 2008

[9Lire Les Grecs, les Arabes et nous – enquête sur l’islamophobie savante, Arthène Fayard 2009

[10Lire notamment à ce sujet : Amartya Sen La démocratie des autres (traduit de Democracy and its global roots, 1999) ,Rivages poche/Petite bibliothèque 2006  ; Olivier Roy, La laïcité face à l’islam,Stock 2005  ; François Burgat, L’islamisme en face,La découverte/Syros, 2002  ; Jocelyne Cesari ,L’islam à l’épreuve de l’occident. La découverte 2004.

[11Lire notamment sur le marxisme d’Ernst Bloch Sociologies et religion- approches dissidentesMichael Löwy, Erwan Dianteill, Puf 2OO5

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