Italie : Quel avenir pour Sinistra Critica ?

Entretien avec Alexandre Gaudillière

par Dominique Angelini

24 septembre 2009

Propos recueillis par Dominique Angelini

Sur quelles bases et avec qui a été formée la plateforme Sinistra Critica ?

En 2003 le gouvernement Berlusconi a attaqué l’article 18, c’est-à-dire la loi qui contraint les entreprises de plus de 15 salariés à donner de l’argent aux travailleurs qu’ils licencient (en Italie, il n’y a pas d’allocations chômage). Les manifestations pour défendre l’article 18 ont constitué la plus grande mobilisation depuis des décennies dans le pays. Trois millions de personnes ont manifesté à Rome et l’article 18 a été sauvé. Rifondazione Comunista s’est alors faite promotrice d’un référendum pour élargir son application aux entreprises de moins de 15 salariés. Alors que les syndicats confédéraux se sont abstenus de la campagne pour ce référendum, que certains ont même appelé à l’abstention, 10 millions de personnes ont voté en faveur de l’extension (plus de 80 % des voix). Mais le quorum de 50 %, nécessaire à la validation de ce type de référendum, n’a pas été atteint : un quart seulement des électeurs ont participé. Le lendemain Bertinotti lançait la nouvelle ligne du parti : pour changer les choses, il s’agit avant tout de participer au gouvernement, il faut donc s’allier à la gauche libérale et à la droite qui s’oppose à Berlusconi et qu’on appelle bizarrement centre-gauche en Italie. Et c’est cette ligne qui a été validée un an et demi plus tard au congrès de Rifondazione.

Parce que cette ligne entrait en contradiction avec la capacité du parti à construire le mouvement contre la guerre et l’ensemble des mobilisations sociales, nous avons construit Sinistra Critica comme plateforme de congrès à partir de septembre 2004 (le congrès a eu lieu en mars 2005) essentiellement sur la base de l’ancienne ligne du parti : l’alternative se construit par en bas, à travers les mobilisations concrètes de dizaines de milliers de gens. C’est cette ligne là qui avait fait jouer à Rifondazione un rôle central aussi bien à Gênes contre le G8 que dans la construction des manifestations océaniques contre la guerre.
La majorité des camarades qui ont construit la plateforme venait donc de l’ancienne majorité du parti. En leur sein le principal courant politique organisé était celui des camarades de la quatrième internationale. Ces camarades ont joué un rôle central dans la construction de la plateforme. Mais Sinistra Critica a rassemblé bien au-delà de ce courant. Elle a rassemblé plus de 3 000 personnes au congrès (7 %).

Quels ont été les débats dans la plateforme au moment du vote au Sénat de la confiance au gouvernement, impliquant le vote des crédits de guerre en Afghanistan ?

Plus que dans les débats internes à la plateforme, les camarades de Sinistra Critica ont surtout été impliqués ces jours là dans la construction de l’opposition au refinancement et donc à la ligne de la majorité. C’est vrai en particulier des Giovani Comunisti qui étaient en plein dans les conférences locales qui précédaient la conférence nationale de l’organisation de jeunesse. La majorité de Rifondazione disait essentiellement deux choses :

  1. Comme nous ne pouvons pas casser la majorité sur laquelle tient le gouvernement nous devons voter le refinancement de la guerre en Afghanistan.
  1. Le refinancement doit être négocié et il est possible de participer à la guerre en faisant des dommages mineurs. Avec ces positions défendues par Rifondazione le mouvement contre la guerre a subi recul sur recul jusqu’à l’assemblée du 15 juillet qui a rassemblé l’opposition à la guerre, et qui s’appuyait sur l’appel de huit sénateurs (dont les 2 sénateurs de Sinistra Critica) opposés au refinancement. La construction de cette assemblée, le vote de centaines de motions de soutien à ces parlementaires opposés au refinancememt dans les conférences des Giovani Comunisti ont constitué notre principale activité dans les jours qui ont précédé le vote.

Mais c’est surtout la théorie du mal mineur qui a été battue en brèche dans ces initiatives. Le premier argument, celui sur la majorité qu’on ne peut casser a finalement pris le dessus quand Prodi a posé la question de confiance au Sénat (l’équivalent du 49.3). Ne voulant pas assumer la responsabilité de faire tomber le gouvernement à peine trois mois après les élections (au Sénat la majorité est de moins de 10 sièges), les sénateurs ont voté le refinancement avec un ultimatum, en disant que c’était la dernière fois qu’ils accordaient leur confiance sur cette question, ce qui en pratique veut dire que les troupes devront rentrer après 6 mois, lorque la mission devra à nouveau être refinancée. (À l’assemblée, où Prodi n’a pas posé la question de confiance, le député de Sinistra Critica a voté Non avec trois autres membres du parti alors que le reste de Rifondazione a voté Oui avec la majorité et l’opposition, fascistes compris.)

Tout cela s’est fait avec un débat interne qui a à peine dépassé les limites de la coordination nationale de Sinistra Critica. Quelques uns défendent justement que le « Non à la guerre sans mais et sans si » qui fut la base du mouvement depuis des années devait être maintenu et ne devait pas se transformer en un « mais si Prodi met la confiance... », et que si nous avions construit Sinistra Critica en pensant que la construction d’une gauche alternative était toujours à l’ordre du jour on ne pouvait pas accepter l’argument du maintien de la majorité lorsqu’il s’agit de faire la guerre. Beaucoup pensent malheureusement qu’il n’y avait rien d’autre à faire parce que ‘les gens’ sont à la fois contre la guerre et pour le maintien de ce gouvernement de peur de voir revenir Berlusconi.

Quels ont été les conséquences de ce vote sur l’électorat du PRC et sur le mouvement
anti-guerre ?

Les conséquences ont étés dramatiques. Cela a produit confusion, démoralisation et division. La confusion a commencé avant le vote. Les arguments de Rifondazione ont porté plusieurs personnes centrales dans le mouvement contre la guerre, et ce au-delà des limites du parti, à expliquer que la priorité était de maintenir ce gouvernement en place, même s’il continuait la même guerre en prétextant que dirigée par Berlusconi la guerre était encore pire. Des dirigeants du mouvement contre la guerre se sont mis à tenir des positions absolument dégoûtantes. Bertinotti lui-même a parlé de militaires italiens en mission de paix en Afghanistan. La démoralisation est venue avec le vote : au Sénat personne à gauche ne s’est opposé et le message reçu par des milliers de militants a été qu’il n’y avait rien d’autre à faire que de s’aligner derrière le gouvernement. La division a suivi, dans ce contexte ce sont les organisations les plus sectaires qui ont dominé la mobilisation pour la manifestation de fin septembre contre la guerre appelée par le forum social d’Athènes. 5 000 personnes y ont participé, vingt fois moins que le nombre que l’on était en droit d’attendre. À l’exception des syndicats de base, les organisations de gauche qui avaient été au cœur du mouvement des dernières années ont délaissé la manifestation, certaines parce qu’elles soutenaient l’envoi des troupes italiennes au Liban, d’autres parce qu’elles jugeaient la mobilisation dominée par des organisations sectaires comme un facteur de division supplémentaire du mouvement.

Penses-tu qu’en décembre lors du prochain vote sur la question, les positions seront différentes ?

Je pense que les parlementaires de Sinistra Critica ne voteront plus la confiance sur la guerre. J’espère qu’ils voteront contre. Mais je ne serais pas surpris de les voir se retirer du vote s’ils menacent la survie du gouvernement. Au jour d’aujourd’hui Sinistra Critica est au mieux divisée sur cette question, au pire en faveur de ne pas remettre en question la politique du gouvernement au prix d’assumer la responsabilité de sa chute. L’un des deux sénateurs a déjà démissioné le mois dernier pour faire entrer Haidi Giuliani au Sénat. Cela avait déjà été annoncé avant les élections et avant que Sinistra Critica se trouve dans cette situation parlementaire critique.

Les révolutionnaires ont-ils une indépendance au sein de la plateforme Sinistra Critica ? (presse, publications, réunion)

Au forum social de Florence (2002) Bertinotti disait que le réformisme était mort. Aujourd’hui Sinistra Critica se présente officiellement comme une association révolutionnaire. Peu de gens font une distinction entre les mots ‘anticapitaliste’ et ‘révolutionnaire’. Sinistra Critica est officiellement les deux, comme elle est officiellement féministe, écologiste, internationaliste, antiraciste.

Mais à l’intérieur de Sinistra Critica il y a des camarades qui proviennent de différentes traditions révolutionnaires et qui s’organisent autour de cette tradition. La principale de ces traditions est celle de la quatrième internationale. Elle ne regroupe pas la majorité des militants de Sinistra Critica mais elle y a une hégémonie politique certaine. Par exemple la revue Erre qui paraît depuis 2002 et était une revue de la quatrième internationale est devenue la revue de Sinistra Critica et est toujours largement alimentée par les contributions des camarades de la quatrième internationale du monde entier. Pour autant que je sache ces camarades n’ont pas d’autres publications mais il y a certainement une autonomie de la quatrième internationale vis-à-vis de Sinistra Critica.

Nous mêmes qui venions de l’International Socialist Tendency et avons participé dès le début à la construction de Sinistra Critica, avons publié un journal mensuel, Comunismo dal basso, jusqu’en décembre 2005 et avons tenu jusque là nos propres réunions. En 2006 nous avons décidé d’investir l’ensemble de notre énergie dans la construction de la plateforme. Pensant aujourd’hui que la tradition dont nous venions peut contribuer de façon déterminante au débat sur les idées révolutionnaires et au développement de l’alternative, nous sommes en train de reprendre une production indépendante à commencer par une publication en ligne.

Quelle est leur audience ?

Parce qu’il y a une ambiguïté sur les rapports entre les révolutionnaires et Sinistra Critica et parce que la situation critique de nos parlementaires au Sénat déforme complètement l’image des rapports de force réels, je ne sais pas vraiment répondre à cette question. Dans les cinq ou six semaines qui ont précédé le vote sur le refinancement des missions militaires Gigi Malabarba (Sénateur PRC et camarade de la quatrième internationale) avait de fait, tous les deux ou trois jours, une tribune dans les principaux journaux de la presse bourgeoise. Il y a quelques mois près de 50 personnes participaient à un débat « réforme ou révolution » dans le principal circolo (cellule locale) de Giovani Comunisti de Rome. L’ordre de grandeur de la diffusion de Erre est le millier d’exemplaires, il y a un an celui de Comunismo dal Basso la centaine. Mais il y a trois mois la majorité des camarades de Sinistra Critica pensaient qu’il n’y avait rien de mieux à faire que voter la confiance au gouvernement sur la question de la guerre (avec ultimatum).

Existe-t-il la perspective de constituer un parti révolutionnaire ? ou bien s’agit-il de construire un parti anticapitaliste large ?

Encore une fois, sur ces questions c’est l’ambiguïté qui domine. Certains camarades disent que la quatrième internationale et Sinistra Critica ont des parcours parallèles dont on espère qu’ils convergeront. Nous sommes un certain nombre à penser que ceux qui au dernier congrès de Rifondazione défendaient l’idée que le parti devait poursuivre sur sa ligne des dernières années pendant lesquelles il avait réllement construit les bases d’une gauche alternative sur l’échelle de dizaines de milliers de gens, avaient aujourd’hui la responsabilité de la reconstruire. Autrement dit que Sinistra Critica a maintenant la responsabilité de reconstruire l’alternative anticapitaliste que Rifondazione a pu représenter.

Beaucoup de camarades disent que nous sommes trop peu nombreux pour représenter une telle alternative. Je pense que si nous nous rectifions le tir après les erreurs faites au parlement, l’expérience militante emmagasinée à l’intérieur de Sinistra Critica est un excellent point de départ pour cela.


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