28 mai 2010
La déclaration d’indépendance du Kosovo a provoqué une crise grave au sein du gouvernement serbe. Le socialiste serbe Vladimir Unkowski-Korica [1] s’entretient avec le rédacteur de Marx21, Yaak Pabst, au sujet du Kosovo, de la politique des grandes puissances et des défis pour la gauche dans les Balkans.
Comment considères-tu la situation après la déclaration d’indépendance du Kosovo ?
La gauche dans les Balkans a des jours difficiles devant elle. Le soutien des USA au Kosovo et de la Russie à la Serbie conduisent à un durcissement des dispositions nationalistes. Serbes et Albanais se sentent encouragés à se tromper les uns les autres parce qu’ils jouissent du soutien de grandes puissances. La région est depuis longtemps le point chaud de la concurrence ente les USA et l’Union Européenne d’un côté, et la Russie de l’autre, la déclaration d’indépendance unilatérale du Kosovo marque une nouvelle étape de ces tensions.
Peux-tu expliquer cela plus précisément ?
Les USA et les puissances dirigeantes de l’UE, Royaume-Uni, France et Allemagne, ont été les forces motrices de l’indépendance du Kosovo. Elle voulaient faire reculer l’influence de la Russie dans la région. L’Ouest suit ce but depuis l’éclatement du Pacte de Varsovie. Un but plus lointain aussi, la sécurisation des conduites de gaz et de pétrole de l’Asie Centrale et la consolidation de l’indépendance énergétique par rapport à la Russie et à ses réserves.
Pour atteindre ces buts, les USA ont dit clairement dans le passé qu’ils étaient les seuls en mesure de rétablir l’ordre dans les Balkans après la guerre civile et assurer la sécurité à long terme. Les USA sont intervenus en Bosnie en 1995 et ont bombardé la Serbie pendant la « guerre du Kosovo ». Ils ont maintenant reconnu l’indépendance du Kosovo et rompu la promesse qu’ils avaient faite dans la Résolution de l’ONU après la fin de la guerre de 1999.
D’un autre côté, la Russie cherche à s’affirmer contre ces efforts. Le gouvernement russe pensait avoir de bonnes chances de renforcer son influence dans la région. Tout d’abord à cause de la religion semblable et de l’histoire. Mais surtout le mécontentement surgi chez les Serbes après l’intervention US dans la guerre de 1999. La Russie a utilisé ses considérables ressources énergétiques pour s’assurer une influence plus grande dans la région. Elle a conclu un traité sur un pipe-line avec la Grèce et la Bulgarie et a racheté en fait l’industrie pétrolière serbe. La déclaration d’indépendance du Kosovo était impensable sans le soutien occidental. C’est l’expression de la concurrence aggravée des grandes puissances.
De nombreux habitants du Kosovo nourrissaient de grands espoirs au sujet de l’indépendance du Kosovo. Le gouvernement allemand aussi a reconnu cette indépendance. Qu’en penses-tu ?
Après neuf ans de gouvernement de l’ONU au Kosovo, l’occupation par les troupes de l’OTAN et la crise économique profonde il était presque évident que les Albanais du Kosovo demanderaient à se gouverner eux-mêmes. Mais celui qui croit que les USA et l’UE ont abandonné tout contrôle sur le Kosovo se trompe. En 1999, les USA avaient pour ainsi dire confié le gouvernement de la province à l’ONU. Le pouvoir colonial de l’ONU va être transféré au pouvoir colonial de l’UE. Et finalement, le pouvoir suprême restera aux mains de l’ICR, le représentant civil nommé par l’UE. Ce dernier a le pouvoir d’annuler des décisions ou des lois du gouvernement et de limoger les hauts fonctionnaires. Le Kosovo ne sera indépendant en aucune façon.
La reconnaissance précipitée de l’indépendance devrait aussi servir à soutenir le gouvernement pro-occidental au Kosovo même. Car sous le gouvernement de l’ONU s’est formé un mouvement radical national de protestation, nommé Vetevendosje ! (en albanais : autodétermination) qui combat la domination étrangère par les puissances occidentales. Les USA ont décrit ce groupe comme « ennemi de l’avenir du Kosovo »
Tu pourrais nous en dire plus sur Vetevendosje ! ?
L’organisation s’est construite pendant les rassemblements pacifiques contre la répression serbe dans les années 99. Vetevendosje ! combat pour une indépendance totale vis à vis de la Serbie. Autrement, il parle de thèmes sociaux et s’est prononcé contre la privatisation des organismes de santé. Le thème central de l’organisation est l’opposition à ce qu’ils appellent, le gouvernement néo-colonial par les puissances étrangères. Vetevendosje ! a par exemple décrit la déclaration d’indépendance comme « un pas en avant-trois pas en arrière ». Dans leur explication, ils disent encore : « le Kosovo sera encore un pays gouverné par une mission non démocratique, choisie par l’étranger et non élue par lui ».
Bien que Vetevendosje ! n’ait organisé aucune opposition à l’intégration future dans l’UE, il a été combattu par l’administration de l’ONU. Son porte-parole principal Albin Kurti, est toujours en procès parce qu’il est considéré comme un risque pour l’ordre public alors que les policiers de l’ONU qui ont tué deux manifestants ont eu l’autorisation de quitter le Kosovo. Dans de telles conditions, ce n’est qu’une question de temps avant qu’un mouvement de base comme celui-ci ne pose ouvertement la question de l’impérialisme au Kosovo.
Quelle est l’ambiance en Serbie après la déclaration d’indépendance du Kosovo ?
Les dirigeants politiques serbes sont divisés sur la façon dont ils devraient réagir. La coalition qui gouverne est tombée trois semaines après que le Kosovo ait déclaré son indépendance et maintenant on annonce de nouvelles élections. Elles auront vraisemblablement lieu en Mai, pour coïncider avec les élections municipales. Il y a deux fractions au Parlement. Les deux sont certes en accord sur le fait que les Serbes ne devraient jamais reconnaître un Kosovo indépendant. Mais une violente polémique a éclaté sur le fait de savoir si la meilleure garantie des intérêts serbes au Kosovo réside dans une intégration plus rapide à l’UE ou dans des relations plus renforcées avec la Russie. L’aile pro-occidentale est dirigée par le parti Démocrate et l’aile pro-russe par le parti radical. Les candidats des deux partis se sont affrontés au deuxième tour des présidentielles début février 2008. Le candidat pro-occidental l’a emporté de moins de 3%. Mais la différence est que le parti du Premier Ministre sortant, resté neutre pendant les élections présidentielles, s’est prononcé contre l’UE. Sa position est que la Serbie ne doit pas devenir membre de l’UE sans que le Kosovo ne soit une partie de son territoire.
Les enquêtes d’opinion prévoient une course serrée. Elles montrent qu’une majorité préférerait une adhésion rapide à l’UE si la reconnaissance du Kosovo n’en était pas une condition. 60% sont toutefois en faveur de liens plus profonds avec la Russie et 68% sont contre une affiliation à l’OTAN. Il arrive aussi que les gens simples remarquent qu’ils ont de plus en plus à faire à plus d’ingérences étrangères et plus de privatisations. Cette politique a entraîné la Serbie dans la misère. Cela n’a rien d’extraordinaire que d’après les enquêtes 57% de la population soient mécontents de la situation dans leur pays.
Comment ont réagi la gauche et le mouvement ouvrier ?
Il y a peu d’enthousiasme pour les alternatives proposées par les partis parlementaires. Il n’y a malheureusement pas de vraie gauche parlementaire. Le Parti Socialiste de Serbie (SPS : le parti de l’ancien président défunt Milosevic) est complètement discrédité pour son rôle dans la guerre des années 90 et par son soutien au gouvernement minoritaire néo libéral de 2003 au Printemps 2007 C’est pourquoi la plupart des travailleurs votent pour le Parti Radical nationaliste pro-russe. Il se tourne vers les pauvres et les exclus et leur donne l’espoir d’une stabilité dans un monde chaotique.
La participation à la manifestation organisée par le gouvernement et soutenue par le Parti Radical contre l’indépendance du Kosovo a pourtant été faible. Il y a eu 200 000 participants, beaucoup moins qu’attendu. Il y a plus de 800 000 chômeurs en Serbie il est remarquable que seulement deux semaines après la déclaration d’indépendance une vague d’occupations d’usines et de protestations contre les privatisations aient éclaté dans la ville industrielle de Kragujevac. La Confédération des Syndicats a maintenant appelé à une manifestation pour l’emploi le 1er Mai. Cela se passe dans un contexte de situation explosive semblable dans la ville industrielle du Nord de Zrenjanin. Là-bas, les travailleuses et les travailleurs ont décidé de créer leur propre parti « égalité ». Le nouveau parti « égalité » devrait se présenter aux prochaines municipales. La question du Kosovo ne figure pas dans ses priorités, contrairement aux questions sociales.
Comment la gauche peut-elle combattre le nationalisme ?
Nous avons besoin d’un mouvement d’ensemble, qui affronte les classes dirigeantes locales des Balkans et leurs soutiens impérialistes. La gauche serbe doit comprendre que depuis la conquête du Kosovo pendant la guerre des Balkans en 1912-1913, la Serbie est vue par les albanais du Kosovo comme un oppresseur. Pour créer une véritable unité et la paix dans les Balkans, nous ne pouvons pas négliger la colère et le deuil causés par les événements du passé. En Serbie, il est important que la gauche explique clairement que la classe ouvrière de Serbie ne profite pas de la revendication du Kosovo. La gauche en Serbie doit se construire contre la politique néo-libérale de sa propre classe dirigeante et contre la résistance de la Russie. Ainsi pouvons nous construire en même temps un pont vers les albanais du Kosovo.. Mais cela ne veut pas dire que nous croyons qu’un Kosovo indépendant, réel ou seulement symbolique, puisse résoudre le problème des relations serbo-albanaises. La tentative de construire des états « ethniquement purs » dans les Balkans conduit inévitablement à la guerre et à l’épuration ethnique. Au lieu de cela, nous devons créer des réseaux de solidarité qui relieront les protestations sociales et anti-impérialistes partout dans les Balkans de la base vers le haut.
Tu peux nous donner un exemple ?
Le groupe de gauche dont je suis membre a par exemple, au moment de la lutte étudiante contre les frais d’inscription de 2006/2007,organisé une table ronde à l’université sur le thème du Kosovo. Notre but était, après la brutale répression des manifestations en février 2007 d’envoyer une lettre de solidarité à Vetevendosje !. Ainsi nous avons pu sensibiliser des étudiants serbes dans une perspective internationaliste. Mais nous avons aussi pu envoyer un signe de solidarité aux albanais du Kosovo , que les Serbes en général ne sont pas leurs ennemis, que nous pouvons résoudre nos propres problèmes dans les Balkans, sans être de simples pions sur l’échiquier de l’impérialisme, de l’Est ou de l’Ouest. Nous devons combattre toutes les formes d’oppression, et mettre en place une véritable autodétermination dans une fédération socialiste des pays des Balkans
Le gouvernement Merkel déclare : « la Bundeswehr doit aller au Kosovo aider les habitants ». Que penses tu de ça ?
Si cette aide ressemble même de très loin à l’ « aide » allemande à l’Afghanistan, je pense que les habitants du Kosovo seront assez avisés pour dire « Non merci ! ». l’espérance de vie en Afghanistan est passée depuis 2001 de 46 ans, ce qui est déjà faible, à 44 ans. Il doit être clair que la soit-disant intervention humanitaire n’ a pas été en mesure de résoudre même les problèmes les plus simples de l’Afghanistan. Ce n’est pas différent au Kosovo.. En plus cela fait longtemps que l’Allemagne est « engagée » au Kosovo et elle a contribué de façon certaine à la mauvaise situation là-bas. Deux diplomates de haut rang ont dirigé la mission civile de l’ONU au Kosovo, nommée UNMIK. Michael Steiner de 2002 à 2003 et Joachim Rücker depuis septembre 2006. Pourtant après neuf ans de gouvernement de l’ONU, le Kosovo est toujours le parent pauvre de l’Europe. En outre d’après l’organisation de droits de l’homme Freedom House : « plus de 250 000 Serbes, Roms, Bosniaques, Croates, Turcs, et juifs ont été forcés de fuir la province ». Et ceci sous les yeux des « forces de paix » de l’ONU (KFOR), envoyée là-bas avec mission de garantir un Kosovo multiethnique.
Le plus grand pogrom anti-sertbe après l’attause de la Serbie par l’OTAN en 1999 s’est déroulé en Mars 2004 quand la KFOR était sous les ordres du général allemand Holger Kammerhof. Angela Merkel peut toujours aider le habitants du Kosovo et de l’Afghanistan, si elle retire les troupes allemandes de ces pays.
[1] Vladimir Unkowski-Korica est socialiste et vit à Belgrade, la capitale serbe. Il est étudiant et membre du groupe « socijalni front ».
Site web du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA).
Revue indépendante d’analyse stratégique anticapitaliste.
Actualité politique internationale de la revue Inprecor sous reponsabilité de la Quatrième internationale.
International Socialism, Revue mensuelle théorique du Socialist Worker Party.
Le site web de la LCR Belge contient de nombreux articles de théorie marxiste très intéressants.
Base de données de référence pour les textes marxistes.
Le site de la commission nationale formation du NPA.