Daech et la contre-révolution : pour une analyse marxiste

par Anne Alexander

12 juin 2015

Quatre ans après les révolutions arabes de 2011, les espoirs qu’avaient fait naître les différents soulèvements semblent évanouis. La Libye, la Syrie et l’Irak présentent des variations sur le thème des « Etats faillis ».1 Pendant ce temps, une coalition des puissances occidentales sous direction américaine et de leurs alliés arabes est de retour sur le champ de bataille au nord de l’Irak et en Syrie, justifiant leur intervention par la même rhétorique « humanitaire » qui avait alimenté l’occupation catastrophique de l’Irak en 2003. En Égypte, la dictature renaît de ses cendres sous une forme encore plus violente et sanguinaire qu’aux pires jours de Moubarak, tuant plus de 1.000 partisans des Frères musulmans en un seul jour le 14 août 2014, incarcérant plus de 40.000 prisonniers politiques au cours de l’année suivante, et instituant un nouveau culte de la personnalité autour du maréchal Abdel-Fattah el-Sissi. Et l’étreinte d’acier de la répression au Bahreïn ne s’est pas relâchée depuis l’écrasement du soulèvement en 2011.

Ce qui émerge de tout cela, du moins dans la vision de la région qui est celle des médias occidentaux, est la montée de l’Etat Islamique d’Irak et de Syrie, connu également sous le nom d’État Islamique, ou simplement par son acronyme arabe, Daech. Ce groupe de djihadistes violents et fanatiques a pris le contrôle de Mossoul, la deuxième ville de l’Irak, y mettant en déroute l’armée irakienne au mois de juin 2014. Il a captivé les médias occidentaux avec des atrocités bien relayées comportant notamment la décapitation de citoyens britanniques et américains, et des brutalités systématiques envers les femmes, les minorités religieuses et les Musulmans d’autres traditions que la leur. Dans leur marche à travers l’ouest et le nord de l’Irak, les combattants de Daech ont procédé à toutes sortes de massacres et de nettoyages ethniques, parmi lesquels le meurtre de masse de fidèles de la religion yazidie, de prisonniers chi’ites dans les prisons irakiennes et d’hommes de la tribu d’Albou Nimr, pour ne citer que quelques exemples.2

Pourquoi Daech est-il aussi fascinant ? Il est tentant de réduire l’impact du groupe à la pornographie internet de sa violence et d’espérer qu’en regardant ailleurs on le laissera s’épuiser et se consumer de lui-même. Mais cela laisse trop de questions en suspens. S’agit-il d’un Etat néo-wahhabite bâti sur le modèle des émirats construits il y a deux siècles par les ancêtres de la famille régnante saoudienne et les prédicateurs islamistes à leur service ? D’une bande de mercenaires étrangers conduits par un seigneur de la guerre communautaire dévoré d’ambition ? Du ciment politique et militaire d’un nouvel alignement de l’ « élite sunnite » en Irak ? Ou d’un réseau transnational de djihadistes égarés ? Sa montée est-elle le reflet de la « ligne de fracture sunnites-chi’ites » ? Et que font les Kurdes ? Quel rôle les États-Unis, les pays du Golfe et l’Iran ont-ils joué dans son ascension ?

Cet article se veut un premier effort pour organiser un programme de réponses à ces questions. Il se concentre sur trois tâches préliminaires : d’abord, mettre en place un cadre théorique général à partir duquel analyser Daech selon une démarche marxiste, puis explorer le contexte spécifique de l’Irak, dans lequel Daech plonge ses racines, de façon plus détaillée, et poursuivre par une analyse de l’interaction entre la défaite de la Révolution Syrienne et la consolidation de l’autorité de Nouri al-Maliki en Irak après 2008. Le centrage sur l’Irak reflète le rôle-clé joué par la direction actuelle, irakienne, de Daech. Abou Bakr al-Baghdadi, qui dirige le groupe depuis 2010, serait originaire de Samarra, le creuset de la guerre civile religieuse de 2006-2007, même si à l’époque il était semble-t-il en détention entre les mains des Américains au Camp Bucca, dans le Sud de l’Irak, dont il n’aurait été relâché qu’en 2009.3

Enfin, cet article situe Daech dans le contexte de la crise des mouvements islamistes réformistes à la suite des révolutions de 2011. Les niveaux général et spécifique de cette analyse sont profondément connectés. La catastrophe qui s’est abattue sur l’Irak reflète des processus à l’œuvre aux niveaux tant mondial que régional, mais l’échelle de cette catastrophe a à son tour intensifié ces mêmes processus. L’affaiblissement de l’hégémonie US, en tant que produit concret de la défaite militaire en Irak, est la base sur laquelle repose l’ascension relative de puissances régionales comme l’Iran et l’Arabie saoudite, et elle a mis en mouvement un processus de fracture créant les conditions de la consolidation de proto-Etats nouveaux tels que l’entité kurde en Irak du Nord.4 Daech lui-même se situe-t-il dans ce schéma général ? Ses dirigeants ont fait un pari avec l’histoire selon lequel ils peuvent stabiliser non pas seulement un Etat nouveau, mais une espèce nouvelle d’État – le poste avancé d’un califat transnational. Il existe de nombreuses raisons pour remettre en question leur jugement, de même qu’il y a de nombreuses raisons de s’opposer à la stratégie adoptée par les USA et leurs alliés pour « régler le problème Daech » par des bombardements. Seul le retour de formes de lutte sociales et politiques reliant les pauvres et les opprimés de la région, indépendamment de leurs différences en termes de croyances religieuses, de langue ou de culture est en mesure de fournir une véritable alternative.

Néolibéralisme, fanatisme religieux et impérialisme

Le processus, mis en marche depuis une quarantaine d’années, d’adoption du néolibéralisme par les classes dirigeantes de la région est le point de référence auquel peuvent être reliés les autres phénomènes dont nous traitons ici. En même temps que l’exploration dans le détail du développement du néolibéralisme au Moyen-orient dépasse largement le cadre de cet article, trois points-clés d’une importance particulière figurent dans l’analyse proposée ici.5 D’abord, le néolibéralisme n’a pas impliqué le retrait de l’Etat de la sphère économique. Bien au contraire, comme le note Sameh Naguib, l’adoption de la politique néolibérale a créé « une relation encore plus intime entre l’Etat et le capital ».6 Des industries et des services étatiques prospères ont été voués à la privatisation pendant que d’autres étaient négligés et finalement fermés, mais ce processus a créé de nouveaux amalgames de capitaux d’État et privé, dans lesquels les « privatisations » ont bien souvent signifié le bradage de biens publics aux fils et aux filles de dignitaires du parti au pouvoir.7

Il y a eu aussi de véritables changements dans les services publics et la protection sociale, les politiques néolibérales transférant une plus grande proportion de leur coût sur les pauvres, tout en facilitant leur transformation en machines à faire du profit. Ceux qui ne pouvaient pas se permettre de payer les grandes entreprises pour la santé et l’éducation se sont tournés vers d’autres fournisseurs « privés » : les institutions religieuses et charitables. Ironiquement, les bénéficiaires politiques de ce processus ont souvent été les mouvements d’opposition islamistes qui combinaient la fourniture de services caritatifs aux pauvres et à la classe moyenne inférieure avec des appels à une plus grande piété personnelle et à une résistance culturelle à l’ « Etat laïc ».8

Aussi tentant qu’il soit de voir ce long mouvement de changement social comme créateur d’une transition en douceur vers un nouvel ordre économique et politique, dans la réalité ce processus a intensifié le développement inégal et combiné de la région. L’inégalité s’est accrue à la fois avec des économies au niveau national,9 et entre elles. Elle a aussi accentué les frictions causées par la combinaison de caractéristiques issues de phases différentes du développement capitaliste.10 Par manque d’espace, nous citerons seulement deux axes spécifiques d’inégalité qui se sont avérés particulièrement importants.

Le premier est la friction causée par le développement inégal au sein des économies nationales, certains zones et certains secteurs se trouvant plus rapidement intégrés que d’autres au marché mondial et aux flux d’investissement. Le progrès rapide de la révolution syrienne en 2011, dans les provinces les plus paupérisées et les faubourgs urbains où se retrouvaient les dizaines de milliers de personnes qui avaient abandonné les terres agricoles face à une sécheresse dévastatrice entre 2008 et 2010, en est un exemple.11 Les trois régions les plus pauvres du pays, Deir Ezzor, Hassaka et Raqqa,12 ont été le berceau de l’affermissement de Daech en Syrie.

Le second exemple, d’importance égale, est le poids croissant du capital du Golfe, au Moyen-Orient aussi bien qu’à l’échelle mondiale. Comme l’a démontré Adam Hanieh, des conglomérats embrassant des circuits d’accumulation du capital productif, commercial et financier ont commencé à jouer un rôle crucial dans la région au sens large, en investissant dans la production et les services, se servant de prêts, de la diplomatie et de la menace pour imposer une politique néolibérale destinée à ouvrir de nouveaux débouchés.13 Cette inégalité a fait des Emirats du Golfe des acteurs régionaux bien plus puissants que par le passé, capables de peser sur le destin de la révolution en Égypte et en Syrie en soutenant une contre-révolution dirigée par les militaires dans un cas, et en œuvrant pour l’hégémonie des fractions islamistes sur la lutte armée dans l’autre.

Le néolibéralisme n’a pas entièrement balayé les rapports politiques et sociaux de la phase précédente du capitalisme, les combinant plutôt dans des amalgames nouveaux et instables. Onze ans après l’invasion américaine, la Banque mondiale déplorait, dans son « estimation du climat de l’investissement irakien » de 2012 que l’économie de l’Irak soit encore dominée par l’Etat : « le secteur privé a aujourd’hui un rôle et une présence limités, et les incitations à son expansion sont inexistantes ».14 Cela ne signifie pas que l’application des principes néolibéraux à l’économie est sans effet : ils ont profondément remodelé la scène politique et la société irakiennes. Ce processus a d’abord évidé l’Etat derrière sa façade baasiste sous l’empire des sanctions dans les années 1990, puis l’a partiellement détruit et a reconstruit un nouveau système autoritaire dirigé par des partis religieux et des milices après 2003.

Le deuxième ancrage de notre analyse est l’approche de Marx dans la compréhension de l’origine des idées. Lorsque nous examinons les croyances religieuses en général, en particulier les idéologies liées à des cultes ou les perspectives politiques de mouvements islamistes spécifiques, l’analyse marxiste doit se défaire de la prémisse largement acceptée selon laquelle ces idées ont une vie propre, séparée de la réalité matérielle. Dans le cas du Moyen-orient, de nombreux analystes conventionnels vont encore plus loin, proclamant que les croyances religieuses des gens qui y vivent déterminent la réalité matérielle, de sorte que la région ne peut être comprise qu’à travers le prisme de ses « haines séculaires ».15 Ce n’est pas par accident que les idées exprimées par les combattants de Daech sont fréquemment décrites à l’aide de métaphores tirées de la biologie ou de l’épidémiologie. Alastair Crooke, dans un article très lu, présente Daech comme une « mutation » du « gène wahhabite », en d’autres termes de la transplantation de l’idéologie développée par Mohamed ibn Abd-al-Wahhab, le prédicateur arabe du 18ème siècle, et ses partisans au cours de la longue alliance de son mouvement avec la dynastie Al Saoud.16

Le problème de telles approches n’est pas qu’elles sont toujours fausses dans leur substance : Crooke a raison de dire que le « wahhabisme » répandu par la politique officielle saoudienne a été adopté par des groupes qui risquent de devenir une menace pour le régime saoudien lui-même. Mais en faisant des idées, plutôt que des actions humaines, la force motrice de l’histoire, elles obscurcissent la façon dont la société change. Comme l’expliquait Chris Harman, « Les humains ne peuvent agir indépendamment des circonstances dans lesquelles ils vivent. Mais cela ne signifie pas qu’ils doivent leur être réduits. Ils sont continuellement engagés dans une « négation » du monde matériel objectif qui les entoure, réagissant à ce monde d’une manière qui transforme à la fois le monde et eux-mêmes ».17

La véritable histoire de l’Irak est très différente de l’image simpliste présentée par les médias. Les communautés religieuses, linguistiques, ethniques et tribales ne sont pas, et n’ont jamais été, une simple mosaïque de pièces distinctes. En Irak, par exemple, les mariages entre Musulmans sunnites et chi’ites étaient relativement communs au milieu du 20ème siècle. L’Islam sunnite et chiite transcende les divisions linguistiques entre Kurdes, Arabes et Turkmènes, et il existe des confédérations tribales comportant des éléments chi’ites et sunnites.18 Au surplus, toutes ces « communautés » sont divisées en classes sociales – les propriétaires terriens, les hommes d’affaires et les hauts fonctionnaires qui prétendent représenter l’ensemble ont bien évidemment des intérêts très différents de ceux de la majorité.

Cela dit, même si ces clivages horizontaux, en particulier ceux qui sont basés sur les rapports sociaux formés dans le processus de production, donnent une image plus « vraie » de la société irakienne que les divisions verticales basées sur les croyances religieuses ou les affiliations tribales, vingt années de guerre, de sanctions et d’occupation ont créé une nouvelle base matérielle pour la conscience mystique. Les religieux qui peuvent accroître la séduction de leurs sermons en permettant aux familles d’avoir accès au générateur électrique de la mosquée, ou les chefs tribaux dont les relations avec les fonctionnaires publics fournissent à ceux qui les soutiennent des emplois et des protections, créent des rapports sociaux qui contribuent à tisser des liens entre des classes sociales différentes malgré leurs relations « réelles » contradictoires. La force ou la faiblesse de ces relations ne peut être mesurée isolément de la force ou de la faiblesse d’autres rapports sociaux. Dans une société pulvérisée par la guerre civile, où des millions d’êtres ont fui leurs foyers, l’offre d’un emploi de combattant pour un chef tribal ou une milice religieuse peut être une question de vie ou de mort pour des individus et leurs familles. Dans de tels contextes, il y aura peu d’occasions pour les travailleurs de mettre à l’épreuve dans la pratique la solidarité de classe.

De même, la compréhension des mouvements islamistes ne peut prendre pour point de départ les idées qu’ils expriment, mais bien plutôt leur contenu social : en d’autres termes, les rapports entre leurs membres et leurs dirigeants et les divisions de classe de la société. Les mouvements islamistes de masse, comme les Frères musulmans, recèlent habituellement dans leurs structures d’énormes contradictions sociales, les intérêts de classe des dirigeants étant souvent très différents des aspirations de la classe ouvrière, des pauvres urbains ou de la couche inférieure de la classe moyenne.19 Daech a toujours été un mouvement d’une autre espèce. C’est une organisation militaire élitiste, qui, comme nous le verrons plus loin dans le détail, tire ses racines de la concurrence entre factions religieuses armées dans l’Irak sous occupation américaine.

Cela ne signifie pas que cette organisation est incapable de bénéficier des aspirations contradictoires de gens issus de classes sociales différentes à un changement politique ou social, ou de la défaite ou de la marginalisation d’autres forces qui paraissaient porter ces espoirs. Par exemple, Daech s’est efforcé de se présenter comme offrant aux Sunnites d’Irak une protection contre l’oppression systématique dont ils sont l’objet de la part des partis religieux chi’ites aux commandes de l’Etat irakien. Cela dit, le programme entièrement religieux de Daech, combiné avec sa structure militaire et son rejet de tout agenda de changement politique ou social dont les gens ordinaires pourraient se saisir, signifie que les révolutionnaires ne peuvent avoir envers eux la même attitude que celle que nous avons envers le Hamas, le Hezbollah ou d’autres forces armées islamistes.20 A l’inverse de ces dernières, qui ont parfois fourni un canal, aussi dévié fût-il, à l’expression des véritables revendications politiques et sociales des gens ordinaires, la politique de Daech est une impasse.

Le troisième ancrage de notre schéma de travail est une analyse marxiste de l’impérialisme dans la région, et en particulier de l’impact catastrophique de l’intervention américaine en Irak. Comme Alex Callinicos l’a exposé de façon exhaustive dans ce journal et ailleurs, l’échec de ce « projet orgueilleux » a eu des conséquences profondes aux niveaux tant mondial que régional.21 Comme on l’a noté plus haut, l’exploitation impériale de l’Irak par les États-Unis, combinée avec les effets du néolibéralisme au niveau régional, a créé un processus de fracture allant du centre à la périphérie dans diverses dimensions. Le relâchement relatif de l’hégémonie américaine a donné davantage de marge de manœuvre aux puissances régionales pour agir les unes contre les autres, de même qu’il a créé des espaces dans lesquels des acteurs nouveaux et imprévisibles tels que Daech pouvaient se matérialiser. Mais de nouvelles interventions impérialistes destinées à « corriger » le problème créé par les interventions précédentes – que ce soit par des frappes aériennes ou le déploiement de « bottes au sol » - aboutiront soit à raffermir la position de Daech comme défenseur autoproclamé des peuples sous sa domination, soit à poser le cadre de la montée de mouvements candidats à sa succession. Même si nous n’avons pas ici l’espace suffisant pour examiner convenablement les rapports entre l’impérialisme au Moyen-orient et la montée du racisme et de l’islamophobie en Europe et aux États-Unis, ces processus sont intimement connectés, nourrissant à leur tour l’aliénation infligée à certaines recrues étrangères de Daech.

Le pivot final sur lequel repose notre analyse est une compréhension du rôle de l’activité humaine dans la détermination du résultat de « processus » de long terme impersonnels. En un sens, il s’agit de mettre en connexion différents niveaux d’analyse. L’un des points forts du marxisme révolutionnaire est sa capacité à relier l’action collective et individuelle à des abstractions qui nous permettent de mieux comprendre comment la société fonctionne. L’analyse marxiste offre une perspective unique parce qu’elle saisit la nature de l’élément qui peut fournir une véritable alternative à Daech : l’intervention active de la masse des gens ordinaires de toute la région dans leur lutte pour les revendications de pain, de liberté et de justice sociale, qui étaient devenus les mots d’ordre des révolutions de 2011.

L’Irak après 2003 : le « consociationalisme » et le néolibéralisme encastrent le sectarisme religieux dans la société

L’occupation américaine de l’Irak en 2003 a mis en mouvement des processus qui ont transformé l’Etat et la société irakiens, menant directement (même si ce n’était pas inévitable) à la résurgence de Daech en 2014. Les fonctionnaires américains se sont efforcés de créer une « démocratie consociationale » (« consociational democracy »), où le pouvoir serait partagé entre des représentants des différentes communautés religieuses et nationales selon un système de quotas. L’approche consociationale dans le gouvernement de l’Irak entrait alors en réaction avec le néolibéralisme extrême prôné par des personnalités comme Paul Bremer, nommé à la direction de l’Autorité Provisoire de Coalition mise en place à la suite de l’invasion, pour produire une combinaison hautement toxique dans une société complètement brisée par les sanctions, la guerre et l’occupation. Les fonctionnaires américains étaient confiants dans leur capacité à faire fonctionner en leur faveur les mécanismes mis en route en 2003, en rééquilibrant au coup par coup le rapport des forces religieuses dans la « bonne » direction chaque fois que ce serait nécessaire. En fait, le système qu’ils avaient créé échappa très vite à leur contrôle, ne pouvant être temporairement corrigé que par l’injection massive d’argent et de troupes pendant la « montée » de 2007-2008.

Il est important de situer les développements postérieurs à 2003 dans un contexte correct. La société irakienne antérieure à 2003 n’était certainement pas exempte de sectarisme religieux. Le régime baasiste, dans ses efforts pour se maintenir, encourageait depuis toujours le sectarisme et les conflits ethniques. Par exemple, sa propagande présentait tous les groupes d’opposition chi’ites comme une « cinquième colonne » au service de l’Iran voisin, et il installait des citoyens arabes dans les zones majoritairement kurdes de l’Irak du Nord pour affermir son contrôle sur les villes de Kirkouk et de Mossoul riches en pétrole. Cela dit, le tranchant du sectarisme religieux sur la société était émoussé par un certain nombre de facteurs, notamment la mixité religieuse dans la fonction publique. La capitale, Bagdad, comptait une important population kurde, même au plus fort de la guerre brutale de Saddam Hussein contre les insurgés kurdes du Nord,22 et, malgré les efforts déployés par certaines forces islamistes chi’ites pour les en persuader, la majorité des soldats irakiens chi’ites ne rompit pas les rangs pour passer dans le camp de leurs coreligionnaires iraniens au cours de la guerre Iran-Irak. De plus, l’héritage des grandes luttes politiques des années 1940 et 1960, dominées par la concurrence entre des courants laïques comme le Parti communiste et le Baas lui-même dans un contexte de haut niveau de grèves et de protestations sociales, gardait une grande influence dans la vieille génération d’activistes.23

Malgré tout, la défaite des forces irakiennes en 1991, et l’appauvrissement de la société résultant du régime de sanctions qui fut imposé immédiatement après créèrent un terrain incomparablement plus fertile pour l’enracinement du sectarisme religieux dans la société. Ébranlé par le soulèvement qui avait commencé dans le Sud, le régime baasiste recherchait désespérément des alliés capables d’exercer le pouvoir militaire et politique pour le compte de l’Etat. Saddam Hussein créa un Bureau des Affaires Tribales pour gérer les rapports avec les chefs tribaux qui avaient pris de l’importance du fait de l’affaiblissement du pouvoir central. Il se présenta également comme un grand leader sunnite, mobilisant des campagnes religieuses et courtisant la hiérarchie sunnite. En même temps, l’affaiblissement des institutions étatiques sous la pression écrasante des sanctions internationales créa un espace dans lequel les structures religieuses purent élargir leurs activités, fournissant des services de protection sociale, d’éducation et de santé à une population de plus en plus désespérée.24

Dès le début, avant même d’avoir pris pied dans Bagdad, les fonctionnaires américains avaient décidé de traiter l’Irak comme un pays composé de communautés distinctes et concurrentes. Cette vision de la société irakienne semble s’être fondée sur des estimations grossières des pourcentages d’Arabes chi’ites, de Kurdes sunnites et d’Arabes sunnites que reflétait une carte de l’Irak largement diffusée parmi les fonctionnaires américains en 2003.25 L’ « équilibre » religieux – et son corollaire, la concurrence religieuse – fut enchâssé dans l’Irak américain dès le départ.26

La pratique de la mouhassassa, ou l’utilisation d’un système de quotas religieux pour les nominations, fut mise en place par des partis politiques dont la survie était liée au renforcement du sectarisme. Comme l’explique Toby Dodge, c’est un système « qui a, en fait, privatisé l’Etat irakien. Ce système a permis à des membres de l’élite politique irakienne de s’emparer de biens de l’Etat tant à titre personnel que pour financer les partis qu’ils représentent ».27

Une des raisons essentielles pour lesquelles ce processus est rapidement devenu incontrôlable est son interaction avec l’offensive néolibérale sur ce qui restait des infrastructures irakiennes. Paul Bremer fit passer en urgence des lois forçant l’ouverture du secteur public, du système de protection sociale et de la santé à la privatisation.28 Cela dit, même si des compagnies américaines ont pu faire de l’argent rapide dans le processus contractuel, ce ne sont pas les investisseurs étrangers qui ont été les principaux bénéficiaires du démantèlement partiel de l’Etat irakien, mais des hommes forts locaux, des chefs de milices et de partis religieux qui ont pu transformer de nombreuses institutions en rackets de protection à haut niveau de profit.29

Les premiers vainqueurs politiques de ce processus ont été les partis islamistes chi’ites les plus proches des Américains, comme le Parti Daoua et son rival, le Conseil Suprême Islamique d’Irak (CSII). Ils ont poussé à mobiliser le soutien des chi’ites à l’occupation sur une base religieuse, dans une tentative pour neutraliser le succès d’autres forces chi’ites, telles que le mouvement de Moktada el-Sadr, opposées aux États-Unis Les alliés kurdes des Américains en bénéficièrent aussi, le chef de l’Union Patriotique du Kurdistan, Djalal Talabani, devenant président de l’Irak en 2005. En même temps, le PUK et l’autre faction kurde importante, le Parti Démocratique du Kurdistan (PDK) dirigé par Massoud Barzani, consolidaient leur emprise sur les régions à majorité kurde du Nord de l’Irak, qui avait obtenu une indépendance de facto dans les années 1990 sous la protection de la zone de survol interdit (no-fly zone) américaine.30

Les appels croissants à une solidarité communautaire chiite en provenance des partis islamistes chi’ites alliés aux États-Unis reflétaient le danger que représentait une insurrection combinée sunnite-chi’ite pour la nouvelle « classe politique ». Même si leurs attaques n’étaient pas coordonnées, le simple fait que l’occupation subissait un assaut combiné dans Falloudjah « la sunnite » , Sadr City « la chiite » et Nadjaf menaçait de rompre les mécanismes au moyen desquels les USA et leur alliés tentaient de gouverner l’Irak. Des sondages d’opinions commandés en mars et en mai 2004 par les principaux journaux américains, ainsi que par l’Autorité Provisoire de Coalition elle-même, montraient que 80% des Irakiens, tant dans les zones à majorité sunnite que chi’ites, considéraient les soldats américains comme des occupants, et que 81% souhaitaient leur départ, malgré le fait que c’étaient les zones sunnites qui avaient subi l’essentiel de la répression.31

C’était un problème militaire aussi bien que politique, démontré par le fait qu’en 2004 des soldats chi’ites avaient refusé d’obéir à l’ordre de marcher sur Falloudjah avec les américains pour y réduire la résistance.32 Mais les Américains et leurs alliés réussirent à faire dérailler l’amorce d’un alignement inter-religieux entre les insurgés des zones sunnites et chi’ites. Ils purent isoler et conquérir des régions importantes de l’Ouest de l’Irak qui étaient devenues des centres de résistance militaire, en particulier Falloudjah. A cela s’ajoutait une stratégie destinée à accréditer l’idée d’un intérêt commun « chiite » à se saisir du pouvoir dans les structures émergentes de l’Etat postbaassiste. L’intervention de l’ayatollah Ali al-Sistani, une personnalité centrale de la hiérarchie religieuse chiite, fut déterminante à cet égard. Al-Sistani s’exprima fermement en faveur de la participation aux élections législatives de 2005, rendant extrêmement difficile aux leaders chi’ites anti-US le soutien à des appels au boycott provenant des insurgés sunnites.33

La montée d’al-Qaida en Irak, la sahoua et le soulèvement

Dans le courant de 2004-2005, le potentiel de construction d’alliances politiques et militaires contre les États-Unis transcendant les barrières religieuses reflua. Un facteur essentiel en était la consolidation du consensus entre les principaux partis islamistes chi’ites, qui s’étaient plus ou moins mis d’accord sur le but de prendre le contrôle de l’appareil d’État (et l’incapacité des forces chi’ites anti-américaines comme l’Armée du Mahdi de Moktada el-Sadr à remettre en cause ce consensus). Un autre facteur important fut la stratégie américaine consistant à briser la résistance militaire par des assauts de grande ampleur sur Falloudjah et d’autres villes de la province d’Anbar. Combinés, ces événements créèrent l’espace dans lequel des groupes djihadistes sunnites, comme Al-Qaida en Irak (AQI), purent se développer. AQI a été fondée en 2004 par l’islamiste jordanien Abou-Moussab al-Zarkaoui à la suite d’une déclaration par laquelle son groupe faisait serment d’allégeance à l’organisation d’Ossama ben Laden. L’influence d’AQI en Irak de l’Ouest était fortement liée au fait que les combattants du groupe s’étaient forgé une réputation d’efficacité contre les soldats américains, mais malgré tout leurs dirigeants se concentrèrent sur le déclenchement d’une guerre civile religieuse en bombardant massivement les nécropoles et les lieux de pèlerinage chi’ites.34 En même temps, les ailes armées de diverses factions chi’ites, parmi lesquelles la Brigade Badr du CSII et l’Armée du Mahdi, frappaient comme escadrons de la mort anti-sunnites la police et les forces de sécurité, tuant et torturant chaque mois des centaines d’Irakiens.35 La destruction en février 2006 de la mosquée chiite al-Askari à Samarra déclencha une campagne systématique de nettoyage ethnique à Bagdad, transformant des quartiers jusque-là mixtes en enclaves de ségrégation et forçant à s’enfuir ceux qui étaient du « mauvais côté » de la fracture religieuse.36 Pour les Américains, l’alliance temporaire entre les groupes djihadistes et d’autres de leurs adversaires en Irak de l’Ouest représentait un gros problème militaire et politique. Le succès dans des batailles exemplaires telles que les assauts sur Falloudjah créèrent les conditions d’une révolte perpétuelle. En 2006, ils semblaient avoir progressé en brisant l’alliance tactique entre les forces djihadistes et d’autres groupes armés dans la province d’Anbar. Il est intéressant de considérer le « Réveil » (sahoua en arabe) dans certains de ses détails. Il avait commencé comme un partenariat militaire localisé entre les forces US et un certain nombre de chefs tribaux anbaris. Les Américains fournissaient l’entraînement, l’argent et les armes aux volontaires anbaris qui s’enrôlaient dans la lutte contre AQI.37 Cette alliance avait été au début encouragée par des chefs tribaux de troisième rang dont l’ascension pendant la sahoua avait éclipsé d’autres dirigeants plus importants partis en exil à cause de l’intensité des violences.38 Certaines sources suggèrent qu’AQI posait un défi social à l’autorité de ces chefs en attirant ceux qui étaient marginalisés au sein de la hiérarchie tribale.39

L’alignement entre AQI et d’autres groupes insurgés anbaris était en grande parti basé sur l’idée que les forces américaines représentaient la menace majeure pour la sécurité des locaux. L’expérience de l’occupation américaine par la ville de Falloudjah et le gouvernement irakien était extrêmement amère, la ville étant assiégée et prise d’assaut par les troupes US à deux reprises en 2004 :

L’offensive de 2004 a détruit 70% des infrastructures de la ville, notamment 36.000 bâtiments, 8.400 boutiques, trois conduites de purification de l’eau et deux centrales électriques. Lorsque les civils sont revenus, les soldats américains les ont encartés, prenant les empreintes digitales et des scans d’iris. Tout le monde devait montrer sa carte d’identité biométrique délivrée par les Américains pour entrer ou sortir de la ville.40

Mais AQI gaspilla rapidement sa crédibilité en lançant des campagnes brutales de meurtres et d’intimidation pour asseoir son autorité sur ses alliés et les zones sous son contrôle. Sa tactique sectaire provoqua aussi le rejet de nombreux Anbaris, qui tout en se sentant aliénés et marginalisés par le sectarisme religieux croissant de l’Etat irakien, n’étaient pas pour autant engagés dans une guerre civile religieuse systématique.41 Des récits provenant de l’histoire orale officielle du Réveil dans l’armée américaine attestent des efforts intenses déployés par les officiers US pour « gagner les cœurs et les esprits ». Une interview de « Miriam », l’épouse d’un policier irakien, décrit le travail d’une certaine « Captain Stephanie », l’officière américaine qui travaillait avec elle et d’autres femmes dans une ONG locale :

Stephanie distribue des produits. Nous l’appelons « Santa » ou « Mamma Claus » (« Mère Noël »). Stephanie aidait les gens à aimer la sécurité. Elles aidait les femmes à trouver du travail. Elle définissait des règles sur qui devait être embauché : cibler des diplômés d’université au chômage pour maximiser l’emploi... A l’époque, l’insurrection faisait rage. Il n’y avait pas de rations disponibles sinon par l’intermédiaire de Stephanie. Elle apportait un camion de nourriture et autres denrées – 1500 parts.42

Le programme des « Enfants de l’Irak » au delà d’Anbar était une tentative de transférer le Réveil à d’autres zones à majorité sunnite. Les forces américaines ont recruté des volontaires, parmi lesquels de nombreux Sunnites, les payant environ 300$ par mois. La sécurité s’améliorant, les commandants américains promirent que les volontaires de Sol se verraient finalement proposer des emplois dans les forces de sécurité régulières irakiennes ou dans la fonction publique. En 2009 le programme fut officiellement transmis au gouvernement irakien, malgré le fait que le régime de Nouri al-Malik « considérait des milliers de Sunnites en armes comme une menace stratégique », et s’empressa de licencier les unités de Sol, dans certains cas avec des exécutions sommaires et des bannissements.43

Les programmes du Réveil et des Enfants de l’Irak faisaient partie d’une stratégie américaine de « montée » (surge) de troupes qui porta le nombre des soldats US en Irak à 166.000 en 2007. Ce sont ces troupes au sol et l’engagement financier massif qui les accompagnait qui fit du Réveil une réussite temporaire. Comme l’admettait tacitement David Petraeus, le commandant américain pendant cette période, dans un article long et arrogant publié en octobre 2013, le changement décisif dans la tactique des forces américaines après 2007 a été essentiellement la reconquête de Bagdad quartier par quartier, établissant des petites bases locales pour des soldats qui avaient été auparavant concentrés dans des grandes bases loin des populations locales.44

Mais en regardant de plus près on comprend pourquoi ce succès, en fait superficiel, devait être de courte durée. Le Réveil n’était pas en lui-même une rupture avec la stratégie de diviser pour régner au plan religieux. Il représentait simplement les efforts américains pour rétablir l’équilibre religieux en faveur des élites sociales et politiques des Arabes sunnites en Irak de l’Ouest, lorsque les combattants de la région eurent démontré qu’ils ne pouvaient être soumis par d’autres moyens. Les facteurs de lubrification étaient l’argent, les emplois et les armes, pendant que les méthodes brutales d’AQI aidaient les Américains en rebutant ses partisans. Le Réveil ne fit rien pour remettre en cause la sectarisation de l’Etat : il contribua au contraire à une plus grande fragmentation en créant un nouveau corps d’hommes armés provenant presque exclusivement d’un groupe religieux spécifique.

L’ascension d’Al-Maliki et l’échec de l’Etat religieux

A de nombreux égards, les années qui ont suivi la « victoire » de la montée américaine en 2008 ont reproduit le schéma sinistrement familier de la période 2003-2006. L’élite politique sunnite de l’Ouest de l’Irak tenta de négocier des postes pour elle-même dans l’appareil d’État sectarianisé. Leurs espoirs avaient été nourris par la collaboration avec les Américains et ils abordaient leur rivalité avec des islamistes chi’ites comme Nouri al-Maliki avec une confiance renouvelée. Les élections législatives de 2010 parurent d’abord bien augurer d’un « rééquilibrage » des factions politiques et religieuses au sein de l’Etat : le bloc électoral Al-Iraqiyya remporta la plupart des sièges, le bloc Etat de Droit de Maliki arrivant en seconde position. Al-Iraqiyya était une alliance, dépassant les clivages religieux, de partis menés par l’ancien baasiste Iyad Allaoui, qui comportait un certain nombre de groupes fortement implantés dans les zones à majorité sunnite de l’Irak.

Maliki réagit alors à cette défaite électorale inattendue en annulant les résultats et en imposant un gouvernement d’État de Droit sous sa présidence. Ses partisans dans la hiérarchie judiciaire édictèrent des règles qui réduisaient à néant les prétentions d’Al-Iraqiyya à former un gouvernement. En décembre 2011, il fit arrêter les gardes du corps du vice-président sunnite, Tarik al-Achémi, et sur la base de leurs aveux fit passer Achémi en procès, l’accusant d’organisation terroriste et de formation d’escadrons de la mort religieux, ce qui aboutit à la condamnation à mort par contumace du principal politicien sunnite du pays. D’autres politiciens sunnites importants, comme le ministre des finances Rafi’a al-Assaoui, étaient visés. L’arrestation en décembre 2012 des gardes du corps de ce dernier, accusés de terrorisme, déclencha un large mouvement de protestation dans l’Ouest de l’Irak.

Pendant ce temps, en coulisse, Maliki continue sans relâche à raffermir son contrôle personnel sur les forces armées en expansion de l’Irak. Non content d’utiliser une méthode de nomination sectaire pour s’assurer que les officier chi’ites sont majoritaires dans les niveaux supérieurs de l’armée, Maliki a créé une structure de commandement complètement nouvelle répondant personnellement devant lui par l’intermédiaire du Bureau du Commandant en Chef (Office of Commander in ChiefOCINC). Finalement, il a encouragé la formation de milices religieuses chi’ites et d’escadrons de la mort, comme l’Asa’ib Ahl-al-Haq, un groupe séparatiste de l’Armée du Mahdi de Moktada el-Sadr, dont on pense qu’il opère au moins partiellement sous l’autorité de Maliki. Le contrôle de Maliki sur l’Armée Irakienne et son utilisation de groupes paramilitaires religieux se combinent dans l’OCINC, qui a révoqué des officiers qui étaient passé à l’action contre les milices chi’ites.45 Il est important de comprendre les caractéristiques spécifiques du régime de Maliki qui expliquent la soudaineté de l’effondrement de l’armée irakienne à Mossoul. Il a utilisé systématiquement une rhétorique religieuse pour raffermir son pouvoir personnel et éliminer ses rivaux, il a aussi organisé ou encouragé la violence et la discrimination sectaires. Mais le pouvoir de Maliki a également été fortement personnalisé, se reliant à des réseaux d’affidés dans l’armée et les institutions, y compris les chefs de l’armée irakienne qui apparemment avaient fui Mossoul avant même leurs soldats.46 Ainsi derrière une façade autoritaire imposante, ne tolérant aucune critique, rivalité ou désaccord, il était également fragile, incompétent et de plus en plus dysfonctionnel.

La réaction initiale des zones sunnites à l’offensive de Maliki n’a pas été, en fait, de relancer l’action militaire contre les forces du gouvernement central. Bien au contraire. La répression organisée par Maliki et ses attaques contre les politiciens sunnites a déclenché un important mouvement de protestation populaire qui a expérimenté des tactiques rappelant les manifestations et les occupations des révolutions arabes de 2011. Le mouvement semble avoir mobilisé de larges couches sociales dans les villes de l’Irak de l’Ouest comme Ramadi et Falloudjah, prenant par surprise des politiciens bien établis. Dans sa première période, des dizaines de milliers de personnes y participaient ; leurs mots d’ordre exigeaient l’arrêt de la discrimination religieuse contre les Sunnites et contestaient l’utilisation par Maliki de la répression sous prétexte de « lutte contre le terrorisme ». Ils trouvèrent un écho au moins rhétorique chez d’autres personnalités politiques irakiennes, comme Moktada el-Sadr, qui fit plusieurs déclarations favorables mais refusa d’aller plus loin que le soutien verbal au mouvement. Le 23 avril 2013, une violente descente des forces de sécurité irakiennes sur un camp de protestataires à Hawidja, faisant 50 victimes, fut le tournant final qui devait mener à la rapide résurgence d’AQI, déclenchant en réaction une vague d’attentats à la bombe de nature sectaire.47

Ce cycle d’évènements se produisait cependant dans un monde qui avait changé de façon significative depuis 2007. Comme on l’a dit ci-dessus, la réaction contre-révolutionnaire aux soulèvements de 2011 comportait une inflation non négligeable de la rhétorique religieuse dans toute la région (les régimes du Golfe utilisant les ondes et les médias sociaux pour y déverser leur bile anti-chi’ite). La question du sectarisme au niveau régional ne se limita bien évidemment pas au discours, et prit dès 2012-2013 la forme de l’intervention des puissances régionales dans le conflit syrien, les forces islamistes sunnites étant armées par l’Arabie saoudite, le Qatar et d’autres Etats du Golfe dans une confrontation avec les chi’ites du Hezbollah soutenus par l’Iran aux côtés des troupes d’Assad. Le régime d’Assad avait auparavant pris la décision de mobiliser des milices religieuses, comme la chabiha, provenant essentiellement de membres de la secte alaouite de la famille dirigeante, mais ses efforts pour battre la révolution rencontrant des difficultés, sa stratégie se centra de plus en plus sur la transformation de la bataille en une guerre civile sectaire opposant l’élite alaouite et d’autres minorités à la majorité sunnite, et obtenant sur cette base un soutien régional de l’Iran. Ce processus devait finalement marginaliser et vaincre les factions armées révolutionnaires et les comités locaux qui avaient dirigé le soulèvement à ses débuts.

La transformation de la révolution syrienne en guerre civile eut aussi de profondes conséquences sur la réapparition d’AQI en Irak. Cela créa un nouvel espace où les djihadistes pouvaient opérer au-delà des limites des Etats et accéléra la dissolution de la frontière irako-syrienne en cours depuis plusieurs décennies. Ceci à son tour intensifia les interactions mutuelles entre groupes djihadistes en Syrie et en Irak. Les flux de combattants, armes, et expérience de combat allèrent en deux directions à travers cette région désormais de dimensions vastes, la Syrie fonctionnant comme un hinterland pour des djihadistes irakiens, qui furent capables à la fois de créer une présence militaire efficace à l’intérieur du conflit syrien et, par conséquent, de se relancer en Irak même.48

Mais de loin le changement le plus important concerna l’influence relative des États-Unis en tant qu’acteur dans les luttes autour de la carcasse de l’Etat irakien, et plus généralement autour des ressources du Moyen Orient. Après 2011, les États-Unis non seulement n’avaient plus les « bottes sur le terrain » qui avaient contribué à la « victoire » lors de la montée (surge), mais n’étaient plus en mesure de revenir en arrière et reconquérir l’Irak pour la troisième fois en l’espace d’une décennie. Ceci n’était pas simplement le résultat des échecs militaires et politiques décrits ci-dessus, mais le reflet de l’impact de la crise économique globale sur les États-Unis après 2008. L’occupation de l’Irak coûta selon les estimations mille milliards de dollars et les vies de 4 500 soldats américains.49 Dans un monde tourmenté par la plus importante crise économique depuis les années trente, les responsables américains n’avaient plus le chèque en blanc qu’on leur avait donné pour financer la victoire lorsque des rêves néo-conservateurs d’un « Nouveau Siècle Américain » paraissait être une perspective réaliste.


Des évasions de prison au pouvoir étatique ?

En 2010 AQI semblait avoir été écrasé. En l’espace de deux ans, cependant, l’organisation avait commencé à renaître, et en septembre 2013 l’Institute for the Study of War, un think-tank basé aux États-Unis, annonça qu’elle était « résurgente » : capable d’opérer à travers l’Irak pour déclencher une vague des attentats à la voiture piégées qui sont sa marque de fabrique et qui commençaient à faire remonter le nombre de victimes à des niveaux vus en temps de guerre atteints pour la dernière fois en 2008.50 Janvier 2014 vit AQI (désormais rebaptisée Daech après avoir annoncé une fusion avec la branche syrienne d’Al Qaeda) s’emparer du contrôle total d’une première ville, Raqqa dans le nord-est de la Syrie, après de lourds combats avec d’autres forces djihadistes, y compris sa propre organisation sœur d’autrefois en Syrie, Jabhat al-Nusra (JN).51 Six mois plus tard Daech paraissait irrésistible alors que Mosoul tomba à ses forces le 10 juin.


Cette courbe ascendante vertigineuse de succès militaires et politiques cache des transitions surprenantes et pose des défis qu’il est très improbable que Daech dans sa forme actuelle réussira à relever facilement, si jamais elle les relève tout court. Les plus sérieux de ces défis sont liés à la prétention de Daech de constituer une entité étatique. L’audace dont le groupe a fait preuve en imposant une gouvernance djihadiste sur des centres urbains majeurs en Syrie et en Irak nécessite que Daech se transforme de réseau menant une guérilla en armée conventionnelle. En même temps, elle doit assurer sa transition du racket – prélevant des « impôts » sur des commerçant apeurés – à la levée d’impôts réels et la fourniture de services de bases à des centaines de milliers de personnes. Il y a de nombreuses raisons de douter que ce sera facile à accomplir pour une petite organisation militaire, élitiste et dépendante sur des actes spectaculaires de violence pour s’assurer que l’on agisse en conformité avec sa volonté.


L’un des principaux contrastes entre Daech et d’autres mouvements islamistes armés ayant atteint un certain degré d’autorité étatique dans les régions sous leur contrôle, tels que le Hezbollah ou le Hamas, est illustré par les moyens à travers lesquels AQI commença à renaître en Irak durant l’année 2012. Au contraire du Hezbollah, qui accompagna sa lutte militaire contre Israël par l’organisation de services de sécurité sociale durant des décennies avant d’entrer dans un gouvernement de coalition, AQI semble s’être reconstruit en 2012 à travers une série coordonnée d’évasions de prison. La « Campagne Abattre les Murs » fit exactement ce que son nom indique : les combattants d’AQI abattirent des murs pour entrer dans des prisons à travers l’Irak pour récupérer des djihadistes expérimentés, ce qui culmina par une attaque contre la prison d’Abou Ghraib le 21 juillet 2013 qui permit de libérer 500 prisonniers ou plus.52


Entretemps, les combattants d’AQI opéraient aussi en Syrie aux côtés de Jabhat al-Nusra, la branche syrienne d’Al Qaeda. A nouveau, l’expérience militaire d’AQI fut cruciale dans la création d’opportunités pour que l’organisation crûsse en Syrie, où elle commença à concurrencer JN et, à terme, la direction globale d’Al Qaeda située en Afghanistan. Abu-Bakr al-Baghdadi, le dirigeant d’AQI depuis 2010, annonça la fusion de l’Etat Islamique en Irak (le nouveau nom qu’AQI se donna en 2006) avec Jabhat al-Nusra le 8 avril 2013.53 Cela provoqua une réponse furieuse de la part du dirigeant de JN, Abu Mohammed al-Jawlani, qui rejeta la fusion, et valut à al-Baghdadi une réprimande de la part du dirigeant d’Al Qaeda, le militant égyptien Ayman al-Zawahiri, qui ordonna les branches syrienne et irakienne de restreindre leurs activités à leurs Etats respectifs.54


Pourtant, des événements se déroulaient en Irak qui accéléreraient radicalement le développement de Daech, lui permettant d’éclipser son organisation mère. En l’espace de quelques jours de l’annonce par Baghdadi de la fusion avec JN, l’armée irakienne avait pris d’assaut un camp construit par des manifestants sunnites à Hawija, dans le gouvernorat de Kirkouk, en faisant des douzaines de victimes.55 Cette fin sanglante aux manifestations du « printemps sunnite » qui avaient ébranlé l’Irak occidentale durant des mois présagèrent la polarisation du mouvement entre ceux qui commencèrent à envisager des solutions armées et ceux qui étaient prêts à un compromis avec le gouvernement de Nouri al-Maliki à Bagdad. Le moment convenait à une intervention de Daech, qui lança une série d’attaques confessionnelles, alors que les forces gouvernementales irakiennes firent des descentes dans les quartiers sunnites, effectuant des arrestations de masse durant des opérations « anti-terroristes » dans les provinces d’Anbar et de Diyala.56


A ce stade Daech était encore un groupe de guérilla résurgent, évitant les agglomérations urbaines et gardant ses distances des camps de manifestations. Il est improbable que des combattants de Daech fussent impliqués dans le conflit avec l’armée irakienne à Hawija, puisque les forces militaires les plus étroitement alignées sur les revendications politiques des manifestations étaient le groupe néo-baasiste Jaysh Rijal al-Tariqa al-Naqshbandiya (JRTN).57 Ni Daech à ce stade ne paraissait avoir recouvré une crédibilité suffisante pour être en mesure de travailler avec des groupes armés locaux pour défendre ces régions. Ceci allait radicalement changer en l’espace de quelques mois à mesure que Daech commença à asseoir son contrôle formel sur des zones urbaines à la fois en Irak et en Syrie, et dans certains cas à tenter à construire ou faire fonctionner des institutions gouvernementales. Cette affirmation d’un contrôle formel ne signifie pas que Daech arriva dans les villes seulement pour les conquérir : la prise de Mosoul par le groupe fut précédée par une pénétration par Daech de la ville durant une période de plusieurs années.58


A Ramadi et à Fallujah en Irak, les combattants de Daech saisirent l’opportunité présentée par une nouvelle montée de protestation contre encore une arrestation provocatrice d’un politicien sunnite éminent, Ahmed al-Alwani, sur la base d’accusations de terrorisme par Nouri al-Maliki le 28 décembre 2013. Les manifestants se déversèrent dans les rues dans les deux villes. Les combattants de Daech se manifestèrent à leurs côtés, plantant leur drapeau noir sur des bâtiments municipaux à Fallujah ainsi qu’en encerclant Ramadi et en saisissant une partie de la principale autoroute allant à Bagdad.59 Ils firent face à des réponses différentes de la part des directions politiques et militaires locales dans les deux villes. Les dirigeants politiques de Ramadi, qui soutenaient dans une grande mesure le Parti Islamique Irakien et se préparaient à coopérer avec le gouvernement à Bagdad, rejetèrent Daech et appelèrent les résidents locaux à travailler avec les forces gouvernementales irakiennes pour les expulser. A Fallujah, cependant, les dirigeants politiques et militaires tentèrent de négocier un retrait de Daech à travers la médiation avec un conseil militaire mise en place récemment par eux, plutôt que de permettre à l’armée irakienne de bombarder et de tenter de capturer la ville à nouveau.60


Le gouvernement de Nouri al-Maliki ne fit rien pour dissiper les craintes des habitants de Fallujah que l’histoire des assauts de 2004 contre la ville ne se répète. Avec à l’horizon des élections, al-Maliki fit de l’appel à l’unité chiite derrière l’écrasement de la rébellion à Fallujah un élément clé de la campagne alors que l’armée irakienne augmenta le pilonnage de la ville assiégée. Le conseil militaire de la ville a ainsi été obligé de passer un « marché faustien » avec Daech, coopérant avec ce dernier contre l’armée irakienne, mais tentant de restreindre leur rôle dans la conduite des affaires de la ville désormais presque déserte.61


L’expérience que Daech tira en gouvernant Raqqa commença avec des groupes rebelles s’emparant de la ville alors que le contrôle exercé par le gouvernement syrien s’effondra en mars 2013 et que des dirigeants tribaux clés retirèrent leur allégeance au régime d’Assad.62 Daech en sortit victorieux alors d’une longue et sanglante lutte de pouvoir avec d’autres groupes djihadistes pour affirmer son autorité sur la ville en janvier 2014. Il y a des indications que Daech concentra ses actifs militaires en Syrie sur la bataille pour Raqqa afin de s’assurer le contrôle de la ville.63 Jusqu’à la prise de Mossoul en juin 2014, Raqqa représentait la tentative la plus aboutie de Daech de construire ou de gérer des institutions gouvernementales. Dans une étude détaillée, puisant largement dans des sources sur les réseaux sociaux, Gabriel Garroum Pla dresse la liste d’une série d’institutions étatiques à Raqqa que Daech revendique comme des institutions de son nouvel Etat, y compris des écoles, des boulangeries, des médias, et des tribunaux. Les comptes sur les réseaux sociaux de Daech affirmèrent qu’un bureau de la protection du consommateur vérifie les médicaments pour en éliminer les faux, le Département Awqaf (Dotations Religieuses) prélève l’impôt et des loyers pour les magasins, alors que le Bureau de la Collection Unifiée encaisse les paiements pour l’électricité, l’eau et les factures de téléphonie. Ces services étaient fournis dans le cadre d’un système de gouvernement qui comprend aussi des démonstrations spectaculaires de violence publique, telles que des exécutions publiques régulières et la crucifixion des corps des victimes, l’autodafé de matériel illicite comme l’alcool ou les cigarettes, et l’institution de checkpoints de la « Dignité » où les citoyens sont interrogés concernant leur observance personnelle de la version des rites sunnites à laquelle adhère Daech.64

Les témoignages émanant de Mossoul sont rares, mais des entretiens avec des habitants en octobre et en novembre 2014 suggèrent que Daech tentait d’implémenter un système de gouvernement similaire à celui institué à Raqqa. « Mays », un enseignant, parle de changement dans les programmes scolaires, avec des décrets de Daech proscrivant des sujets tels que l’art et l’éducation physique et imposant des codes vestimentaires stricts pour les élèves. « Fayçal » décrit des pénuries graves d’eau et d’électricité, alors que « Nizar » raconte comment les domiciles appartenant auparavant aux habitants chrétiens de la ville avaient été donnés à des membres de Daech.65 D’autres témoignages anonymes à travers les réseaux sociaux dépeignent une image similaire de pénuries aiguës dans une ville surpeuplée par des réfugiés venant d’ailleurs en Irak, des prix de l’essence grimpant en flèche, et une peur omniprésente de représailles de la part de Daech contre les dissidents.66


Le passage des opérations de guérilla à la gestion de la vie quotidienne dans des villes importantes peut potentiellement susciter des contradictions énormes pour Daech. Raqqa est la sixième plus grande ville de Syrie et avait une population de 220 000 habitants en 2004, alors que Mossoul est la deuxième plus grande ville d’Irak avec une population entre 1,5 et 2 millions. D’abord, les contradictions sociales grandissantes dans les villes sous son contrôle confronteront Daech aux mêmes dilemmes auxquels tout gouvernement doit faire face : comment trouver un équilibre entre coercition et consentement afin d’empêcher ceux qu’il dirige de découvrir leur pouvoir à renverser le système qui les opprime. C’est ici que la brutalité qui constitue la maque de fabrique de Daech peut s’avérer tout autant un handicap qu’un atout : la peur et l’horreur ont leurs usages dans le court terme mais sont difficiles à maintenir en place indéfiniment.


Au niveau militaire, la tentative de Daech d’établir des structures étatiques sous son contrôle pose également des défis sévères. La transition d’un réseau clandestin de guérilla à une force armée plus conventionnelle, ayant du territoire à perdre, nécessite de mettre en place un réseau de structures de commandement, de fournir diverses armes et de l’entraînement, et de maîtriser des tactiques de différents types. Les combattants de Daech ont jusqu’à présent semblé capables d’utiliser des équipements américains capturés,67 mais les succès rapides peuvent se défaire aussi rapidement à mesure que les lignes d’approvisionnement sont mises sous pression et que les combattants doivent détourner des ressources pour les consacrer à la gestion de populations rétives. Cependant, il n’y a aucune certitude quant à l’implosion du règne de Daech sous le poids de ses propres contradictions, comme cela a été le cas en Irak en 2006. Les autres facteurs qui rentrent en compte ici comprennent l’impact des interventions occidentales. A côté des informations à propos de la grogne et de la misère dans les territoires sous son contrôle, il y a aussi des témoignages fréquents concernant la façon dont les bombardements américains poussent d’autres groupes armés à s’allier avec Daech pour se protéger. Des comptes rendus indiquent que des combattants de l’Armée Syrienne Libre et des groupes islamistes en Syrie cherchaient des alliances avec Daech fin novembre à mesure que les bombardements américains s’intensifiaient.68


Contre-révolution et la crise de l’islamisme réformiste


Le dernier élément du contexte de l’émergence de Daech est la crise de l’islamisme réformiste dans la foulée des révolutions de 2011 et des contre-révolutions qui les suivirent. Les soulèvements populaires qui déferlèrent à travers la région au début de l’année 2011 étaient remplis de promesses et de risques pour les principales organisations islamistes telles qu’Ennahda en Tunisie ou les Frères Musulmans en Égypte et en Syrie. La réussite des manifestations de rue et des grèves à ébranler les structures du pouvoir parurent offrir une occasion historique à leurs dirigeants de négocier de nouvelles ouvertures pour eux-mêmes au sein de l’Etat, dépassant de loin les avancées modestes qu’ils avaient obtenu au moyen d’années de travail électoral patient. Pourtant, les principales organisations islamistes réformistes69 qui réussirent à gagner des élections et à former des gouvernements, en particulier les Frères Musulmans en Egypte, se retrouvèrent piégées entre d’un côté les mouvements toujours actifs par en bas et de l’autre les structures renaissantes de l’ancien régime. Incapables à endiguer les manifestations sociales et politiques toujours en cours et de restaurer la « normalité » que les investisseurs potentiels et des parties importantes des classes moyennes désiraient, et également incapables à affronter efficacement le cœur de la « machine militaro-bureaucratique » de l’Etat, elles vacillèrent du triomphe à la tragédie en l’espace d’une année. Le renversement du président issu des Frères Musulmans Mohammed Morsi par l’armée égyptienne le 3 juillet 2013 fut suivi par les assassinats de masse de ses partisans lors des sit-ins de protestation au Caire et à Giza et une offensive contre-révolutionnaire visa à effacer toute trace de la révolution de 2011. Cette offensive n’avait donc pas pour seule cible la Confrérie, mais plutôt l’ensemble de la large coalition de forces qui s’était réunie durant le soulèvement contre Moubarak : des militants de gauche et libéraux, des travailleurs en grève, des islamistes en dehors de la Confrérie qui se reconnaissaient dans les revendications de base de la révolution, à savoir le pain, la liberté et la justice sociale.


Au niveau régional, les principaux soutiens de la contre-révolution dirigée par Abdel-Fattah al-Sissi furent les Etats qui représentent les capitaux du Golfe. Ils choisirent de restaurer l’ancien ordre de Moubarak plutôt que de travailler avec des réformistes islamistes tels que les Frères Musulmans. Ici, le caractère inégal du développement régional agit en faveur de l’intensification de la contre-révolution. Sans la confiance que les ressources financières massives de l’Arabie Saoudite, des Emirats Arabes Unis (et plus récemment du Qatar) fussent derrière lui, Sissi aurait-t-il eu l’audace de commettre des crimes de la même ampleur ? A noter ici que les dirigeants wahhabites de l’Arabie Saoudite prirent des décisions uniquement en fonction de leur appréciation de qui serait la solution la plus sûre pour restaurer les conditions assurant la rentabilité de leurs investissements, et non pas en fonction de leur affinité idéologique présumée avec les courants islamistes.70 En Syrie, la contre-révolution provint de deux directions : un régime « laïc » autoritaire qui en réalité était en train de mener une guerre civile confessionnelle en tant que principale stratégie de survie, puis ensuite l’émergence graduelle de Daech lui-même qui vainquit les autres groupes opposés à Assad afin d’imposer son règne sur les régions tenues par les rebelles, comme décrit ci-dessus.


La défaite des courants islamistes réformistes par des régimes autoritaires renaissants, ou leur éclipse par d’autres forces, a toujours eu de fortes chances de mener à la résurgence d’alternatives spécifiquement djihadistes. L’histoire de l’islamise égyptien est parsemée d’exemples de ce mouvement de pendule. Sayyid Qutb, dont les idées concernant la permissibilité d’une rébellion contre la tyrannie ont inspiré des générations de djihadistes, fut un réformiste déçu qui se tourna vers le terrorisme avant-gardiste parce que la consolidation du pouvoir de Gamal Abdel Nasser en Egypte le convainquit que ni l’Etat existant ni un mouvement populaire par en bas n’étaient en mesure de déboucher sur le type de société qu’il appelait de ses vœux.


La défaite catastrophique des mouvements islamistes réformistes à l’échelle régionale s’est croisée avec la dynamique particulière de la société irakienne, élargissant l’audience de Daech et lui permettant de rivaliser avec la direction historique d’Al Qaeda pour l’allégeance de ceux qui étaient en quête d’organisations puissantes et victorieuses et apparaissant capables de défier l’impérialisme et la dictature. Daech est aussi attractif dans le contexte de cette défaite parce qu’il propose de fausses explications et construit de nouveaux récits de victimisation, fournissant d’autres cibles pour la colère et la déception de ces gens : les chiites, les chrétiens, les « femmes impudiques ». D’autres dynamiques de frustration et d’aliénation sont très probablement à l’œuvre pour ce qui concerne les recrues de Daech provenant d’Europe : la colère contre le racisme et l’islamophobie grandissants dans le contexte d’interventions impériales sans fin au Moyen-Orient.


Cela ne veut pas dire, cependant, que nous pouvons nous attendre à voir des spectacles de type Daech à travers le Moyen Orient. Comme cet article en a brossé le tableau, la dynamique particulière de l’Irak depuis 2003 a interagi avec la défaite de la révolution syrienne pour produire une zone de rivalité intense entre les puissances régionales, et de nouveaux acteurs politiques et militaires, tels que Daech lui-même, dans la région de Jazeera, située entre l’Irak, la Syrie, la Turquie et le Kurdistan, et dans son hinterland. Ces conditions ne sont pas présentes à travers la plus grande partie de la région, et de manière plus importante, une bonne partie du reste de la région a une expérience beaucoup plus riche des types de lutte par en bas qui sont la vraie alternative à Daech.


C’est pour cette raison qu’il est également crucial de saisir la portée de 2011 en tant que rupture avec le passé. La crise révolutionnaire était à la fois la détonation des tensions accumulées entre les aspects sociaux et politiques de la transition du capitalisme d’Etat au néolibéralisme (dans la mesure où nous pouvons utiliser de termes aussi lapidaires pour décrire une réalité compliquée et complexe) et la négation potentielle du processus dans son ensemble. Il est important ici de distinguer entre l’idée de 2011 comme étant à l’origine de la possibilité d’un renversement du néolibéralisme, autrement dit la restauration des régimes capitalistes d’Etat que la gauche nationaliste et stalinienne dans la région désire ardemment, et le potentiel pour ouvrir une route à un type de société entièrement différente.


Bien sûr, même durant les sommets étourdissants de la vague révolutionnaire, alors que les régimes à travers la région chancelaient sous le poids des plus importants soulèvements populaires que le monde ait connus depuis des décennies, il y aurait tout de même eu encore un long bout de chemin à parcourir avant que le potentiel ne devienne réalité. Pourtant, le point clé ici est que les révolutions de 2011 rendirent d’autres avenirs que le néolibéralisme possibles. De surcroît, et par dessus tout il s’agit là de la raison pour laquelle les révolutions constituaient une négation potentielle de la trajectoire des précédentes décennies, c’était d’abord l’entremise de millions de personnes ordinaires qui détona la crise révolutionnaire. Ils défilèrent dans les rues, firent grève, occupèrent leurs lieux de travail, organisèrent des comités populaires, forcèrent les chambres de torture du régime et prirent les armes à une échelle que peu de gens avaient pensé possible. Il n’y avait rien d’inévitable quant à l’explosion de la révolution en 2011. La rupture n’était pas simplement une conséquence naturelle de plaques tectoniques mouvantes ou du réalignement des astres : elle fut créée par les luttes par en bas.


Et il n’est aucunement accidentel que de telles luttes s’opposèrent radicalement, dès le début, aux conflits inter-confessionnels, à la fois par leur forme et par leur contenu. Des banderoles, slogans et chants contre le confessionnalisme dominèrent la place Tahrir en Egypte durant le soulèvement contre Moubarak, et furent les devises des étapes initiales des soulèvements bahreïni et syrien. La vague révolutionnaire déclencha aussi un mouvement de masse contre le confessionnalisme au Liban pour la première fois depuis des décennies. Cela ne fut pas une aberration temporaire, mais une expression du contenu de classe des révolutions : les vrais clivages horizontaux qui unissent les travailleurs et les pauvres à travers la région contre le néolibéralisme et l’impérialisme.

1Sameh Naguib, Phil Marfleet, John Rose et Alex Callinicos ont fait des commentaires très utiles sur la première version de cet article. Remerciements particuliers aux participant-es à la formation du SWP « Analyser l’EIIL » le 22 novembre 2014, l’article ayant été réécrit à la lumière de la discution intense et fertile qui y eut lieu.

2Martin Chulov, « ISIS Kills Hundreds of Iraqi Sunnis from Albu Nimr Tribe in Anbar Province », Guardian (30 octobre 2014), www.theguardian.com/world/2014/oct/30/mass-graves-hundreds-iraqi-sunnis-killed-isis-albu-nimr ; Human Rights Watch, « Iraq : ISIS Abducting, Killing, Expelling Minorities » (19 juillet 2014), www.hrw.org/news/2014/07/19/iraq-isis-abducting-killing-expelling-minorities ; Human Rights Watch, « Iraq : ISIS Executed Hundreds of Prison Inmates » (30 octobre 2014), www.hrw.org/news/2014/10/30/iraq-isis-executed-hundreds-prison-inmates

3Patrick Cockburn, The Jihadis Return : ISIS and the New Sunni Uprising (OR Books, 2014), pp 28-29

4L’émergence d’un mini-Etat kurde dans les provinces septentrionales de l’Irak a suivi un affaiblissement de l’Etat Baasiste au cours des années 1990, mais l’incapacité de l’occupation etasunienne à rétablir l’autorité de Bagdad sur la région a créé les conditions de sa consolidation.

5Voir chapitres 1 et 2 de Anne Alexander et Mostafa Bassiouny, Bread, Freedom, Social Justice : Workers and the Egyptian Revolution (Zed Books, 2014), pour une discussion plus détaillé du développement du néolibéralisme en Egypte.et Achcar, 2013, et Adam Hanieh, Lineages of Revolt : Issues of Contemporary Capitalism in the Middle East (Haymarket, 2013), pour un regard régionale sur le processus..

6Sameh Naguib, The Egyptian Revolution (Bookmarks, 2011), p. 5.

7Bassam Haddad, Business Networks in Syria : The Political Economy of Authoritarian Resilience (Stanford University Press, 2011).

8Chris Harman, « The Prophet and the Proletariat », International Socialism 64 (auttomne 1994), www.marxists.org/archive/harman/1994/xx/islam.htm

9Pour en savoir plus sur cette question, voir Anne Alexander et Mostafa Bassiouny, Bread, Freedom, Social Justice : Workers and the Egyptian Revolution (Zed Books, 2014), chapitre 2.

10Léon Trotsky, dans son analyse de l’économie russe au début du 20e siècle, défendait l’idée que la nature inégale et combinée de ce développement créet un « mélange explosif » de rapports sociaux et politiques contradictoires qui, une fois enflammé par les étincelles des manifestations et des grèves, entraînait un processus révolutionnaire beaucoup plus profond que ce qui avait pu être prévu par quiconque. La thèse de Trotsky était centré sur la combinaison des rapports sociaux et politiques à cheval sur deux modes de production distincts : le féodalisme et le capitalisme. En utilisant le terme ici nous faisons référence à la combinaison des rapports sociaux et politiques correspondant à différentes phases du capitalisme — Choonara, 2011.

11Jonathan Maunder, « The Syrian Crucible », International Socialism 135 (été 2012), www.isj.org.uk/ ?id=824

12http://www.ruralpovertyportal.org/country/home/tags/syria donne plus de détails sur la pauvreté rurale en Syrie avant la révolution.

13Adam Hanieh, Lineages of Revolt : Issues of Contemporary Capitalism in the Middle East (Haymarket, 2013).

14Anthony Cordesman et Sam Khazai, Iraq in Crisis (Center for Strategic and International Studies, 2014), http://csis.org/publication/iraq-crisis-1 , p. 227.

15Michael Burleigh, « The Ancient Muslim Hatreds Tearing Apart the Middle East », Daily Mail (13 juin 2014), http://tinyurl.com/kjqn6jy  ; Eve Conant, 2014, « Iraq Crisis : « Ancient Hatreds Turning Into Modern Realities », National Geographic (18 juin 2014), http://news.nationalgeographic.com/news/2014/06/140618-iraq-shiite-sunni-isis-militants-maliki-borders/

16Alistair Crooke, « Middle East Time Bomb : The Real Aim of ISIS Is to Replace the Saud Family as the New Emirs of Arabia », Huffington Post (2 septembre 2014), www.huffingtonpost.com/alastair-crooke/isis-aim-saudi-arabia_b_5748744.html . Voir Al-Rasheed, 2010, pp 13-68, pour un résumé du rôle joué par le wahhabisme dans le processus de formation de l’Etat en Arabie.

17Chris Harman, « Base and Superstructure », International Socialism 32 (été 1986) www.marxists.org/archive/harman/1986/xx/base-super.html, p. 11.

18 Hanna Batatu, The Old Social Classes and the Revolutionary Movements of Iraq : A Study of Iraq’s Old Landed and Commercial Classes and of Its Communists, Ba’thists, and Free Officers (Saqi, 2004) ; Haifa Zangana et Sami Ramadani, « Resistance and Sectarianism in Iraq : Interviews with Haifa Zangana and Sami Ramadani », International Socialism 109 (hiver 2006), www.isj.org.uk/?id=159 , p. 60.

19Chris Harman, « The Prophet and the Proletariat », International Socialism 64 (automne 1994), www.marxists.org/archive/harman/1994/xx/islam.htm ; Sameh Naguib, AlIkhwan alMuslimun : Ru’iya ishtarakiyya [Les Frères Musulmans : un point de vue socialiste] (Le Caire, Centre d’Etudes Socialistes, 2006)..

20Voir les articles par Philip Marfleet et Bassem Chit dans International Socialism pour en savoir plus sur le développement récent du Hamas et du Hezbollah, et Assaf, 2013b, et Chris Harman, « Hizbollah and the War Israel Lost », International Socialism 112 (automne 2006), www.isj.org.uk/ ?id=243 , pour le contexte.

21Alex Callinicos, « Nemesis in Iraq », International Socialism 143 (été 2014), www.isj.org.uk/ ?id=981 ; Alex Callinicos, « The Multiple Crises of Imperialism », International Socialism 144 (automne 2014), www.isj.org.uk/ ?id=1002 ; Alex Callinicos, Imperialism and Global Political Economy (Polity Press, 2009).

22Haifa Zangana et Sami Ramadani, « Resistance and Sectarianism in Iraq : Interviews with Haifa Zangana and Sami Ramadani », International Socialism 109 (hiver 2006), www.isj.org.uk/?id=159 .

23 Anne Alexander, « Daring for Victory : Iraq in Revolution 1946-1959 », International Socialism 99 (été 2003), http://pubs.socialistreviewindex.org.uk/isj99/alexander.htm , et Hanna Batatu, The Old Social Classes and the Revolutionary Movements of Iraq : A Study of Iraq’s Old Landed and Commercial Classes and of Its Communists, Ba’thists, and Free Officers (Saqi, 2004).

24 Anne Alexander et Simon Assaf, “Iraq : The Rise of the Resistance”, International Socialism 105 (hiver 2005), www.isj.org.uk/?id=52.

25International Crisis Group, « Make or Break : Iraq’s Sunnis and the State », Middle East Report, n° 144 (14 août 2013), www.crisisgroup.org/en/regions/middle-east-north-africa/iraq-iran-gulf/iraq/144-make-or-break-iraq-s-sunnis-and-the-state.aspx, p. 4.

26 Anne Alexander et Simon Assaf, “Iraq : The Rise of the Resistance”, International Socialism 105 (hiver 2005), www.isj.org.uk/?id=52, et Haifa Zangana et Sami Ramadani, « Resistance and Sectarianism in Iraq : Interviews with Haifa Zangana and Sami Ramadani », International Socialism 109 (hiver 2006), www.isj.org.uk/ ?id=159

27Toby Dodge, « Can Iraq Be Saved ? », Survival : Global Politics and Strategy (octobre/novembre 2014), p. 17.

28Voir Toby Dodge, « The Ideological Roots of Failure : The Application of Kinetic Neo-Liberalism to Iraq », International Affairs, volume 86, issue 6, 2010 ; Eric Herring et Glen Rangwala, Iraq in Fragments : The Occupation and Its Legacy (Hurst, 2006) , pp 222-236, à propos de ce processus.

29Voir Eric Herring et Glen Rangwala, Iraq in Fragments : The Occupation and Its Legacy (Hurst, 2006) , pp 236-241, sur le rôle des entreprises transnationales dans la « reconstruction » irakienne, et Toby Dodge, « Can Iraq Be Saved ? », Survival : Global Politics and Strategy (octobre/novembre 2014), pour son impact par la suite.

30Il n’y a pas la place ici pour traiter comme il se doit de l’impact de la question kurde en Irak. Pour une perspective historique sur la question kurde, voir David McDowall, A Modern History of the Kurds, 3e édition (I B Tauris, 2003), et pour le rôle des partis kurdes dans les développements après 2003 voir Eric Herring et Glen Rangwala, Iraq in Fragments : The Occupation and Its Legacy (Hurst, 2006).

31 Anne Alexander et Simon Assaf, “Iraq : The Rise of the Resistance”, International Socialism 105 (hiver 2005), www.isj.org.uk/ ?id=52 , p. 27.

32 Anne Alexander et Simon Assaf, “Iraq : The Rise of the Resistance”, International Socialism 105 (hiver 2005), www.isj.org.uk/ ?id=52

33Anne Alexander et Simon Assaf, “The Elections and the Resistance in Iraq”, International Socialism 106 (printemps 2005), www.isj.org.uk/ ?id=89 .

34Anne Alexander et Simon Assaf, “Iraq : The Rise of the Resistance”, International Socialism 105 (hiver 2005), www.isj.org.uk/ ?id=52 .

35Andrew Buncombe et Patrick Cockburn, “Iraq’s Death Squads : On the Brink of Civil War”, Independent (26 février 2006), www.independent.co.uk/news/world/middle-east/iraqs-death-squads-on-the-brink-of-civil-war-467784.html

36Mona Damluji, « « Securing Democracy in Iraq » : Sectarian Politics and Segregation in Baghdad, 2003-2007 », Traditional Dwellings and Settlements Review, volume 21, n° 2, 2010, pp 75-76.

37Colonel Gary Montgomery, et Adjudant-chef Timothy McWilliams (eds), Al–Anbar Awakening Volume II : Iraqi Perspectives (Marine Corps University Press, 2009), www.hqmc.marines.mil/Portals/61/Docs/Al-AnbarAwakeningVolII%5B1%5D.pdf .

38Najim Al-Jabouri et Sterling Jensen, « The Iraqi and AQI Roles in the Sunni Awakening », Prism, volume 2, n° 1, 2011, http://cco.dodlive.mil/files/2014/02/Prism_3-18_Al-Jabouri_Jensen.pdf.

39International Crisis Group, « Iraq : Falluja’s Faustian Bargain », Middle East Report, n°150 (28 avril 2014), www.crisisgroup.org/en/regions/middle-east-north-africa/iraq-iran-gulf/iraq/150-iraq-falluja-s-faustian-bargain.aspx

40Ibid., p. 9.

41Ibid.

42Colonel Gary Montgomery, et Adjudant-chef Timothy McWilliams (eds), Al–Anbar Awakening Volume II : Iraqi Perspectives (Marine Corps University Press, 2009), www.hqmc.marines.mil/Portals/61/Docs/Al-AnbarAwakeningVolII%5B1%5D.pdf , p. 43.

43Philip « PJ » Dermer, « The ‘Sons of Iraq,’ Abandoned by Their American Allies », Wall Street Journal (1 juillet 2014), http://online.wsj.com/articles/philip-dermer-the-sons-of-iraq-abandoned-by-their-american-allies-1404253303.

44David H. Petraeus, « How we Won in Iraq », Foreign Policy (29 octobre 2013), www.foreignpolicy.com/articles/2013/10/29/david_petraeus_how_we_won_the_surge_in_iraq .

45Marisa Sullivan, « Maliki’s Authoritarian Regime » Middle East Security Report, n° 14, Institute for the Study of War (avril 2013), www.understandingwar.org/report/malikis-authoritarian-regime

46Toby Dodge, « Can Iraq Be Saved ? », Survival : Global Politics and Strategy (octobre/novembre 2014) ; Marisa Sullivan, « Maliki’s Authoritarian Regime » Middle East Security Report, n° 14, Institute for the Study of War (avril 2013), www.understandingwar.org/report/malikis-authoritarian-regime

47International Crisis Group, « Make or Break : Iraq’s Sunnis and the State », Middle East Report, n° 144 (14 août 2013), www.crisisgroup.org/en/regions/middle-east-north-africa/iraq-iran-gulf/iraq/144-make-or-break-iraq-s-sunnis-and-the-state.aspx , et Simon Assaf, « Once again, Fallujah », Socialist Review (Février 2013), http://socialistreview.org.uk/377/once-again-fallujah

48Patrick Cockburn, The Jihadis Return : ISIS and the New Sunni Uprising (OR Books, 2014).

49Martin Chulov, Fazel Hawramy et Spencer Ackerman, « Iraq Army Capitulates to Isis Militants in Four Cities », Guardian (12 juin 2014), www.theguardian.com/world/2014/jun/11/mosul-isis-gunmen-middle-east-states .

50Jessica Lewis, « Al-Qaeda in Iraq Resurgent », Middle East Security Report, n°14, Institute for the Study of War (septembre 2013), www.understandingwar.org/report/al-qaeda-iraq-resurgent

51 Gabriel Garroum Pla, « Rebel Governance amid Civil War : A Black Flag in Raqqa » (dissertation inédite, MSc Politics, SOAS, 2014), p. 27.

52Jessica Lewis, « Al-Qaeda in Iraq Resurgent », Middle East Security Report, n°14, Institute for the Study of War (septembre 2013), www.understandingwar.org/report/al-qaeda-iraq-resurgent, p. 7.

53Jessica Lewis, « Al-Qaeda in Iraq Resurgent », Middle East Security Report, n°14, Institute for the Study of War (septembre 2013), www.understandingwar.org/report/al-qaeda-iraq-resurgent, p. 9.

54Basma Atassi, « Qaeda Chief Annuls Syrian-Iraqi Jihad Merger », Al–Jazeera Online (9 juin 2013), www.aljazeera.com/news/middleeast/2013/06/2013699425657882.html

55Human Rights Watch, « Iraq : Investigate Deadly Raid on Protest » (24 avril 2013), www.hrw.org/news/2013/04/24/iraq-investigate-deadly-raid-protest

56International Crisis Group, « Make or Break : Iraq’s Sunnis and the State », Middle East Report, n° 144 (14 août 2013), www.crisisgroup.org/en/regions/middle-east-north-africa/iraq-iran-gulf/iraq/144-make-or-break-iraq-s-sunnis-and-the-state.aspx , pi ; Jessica Lewis, « Al-Qaeda in Iraq Resurgent », Middle East Security Report, n°14, Institute for the Study of War (septembre 2013), www.understandingwar.org/report/al-qaeda-iraq-resurgent, p. 21.

57Jessica Lewis, « Al-Qaeda in Iraq Resurgent », Middle East Security Report, n°14, Institute for the Study of War (septembre 2013), www.understandingwar.org/report/al-qaeda-iraq-resurgent, p. 19.

59International Crisis Group, « Iraq : Falluja’s Faustian Bargain », Middle East Report, n°150 (28 avril 2014), www.crisisgroup.org/en/regions/middle-east-north-africa/iraq-iran-gulf/iraq/150-iraq-falluja-s-faustian-bargain.aspx, p. 6.

60Al-Jazeera, « Sitara ‘Al-Majlis Al-Askari Li-Thuwar Al-Asha’ir’ Fi Al-Falluja », 2014, www.youtube.com/watch ?v=CtpqPkMdcJ4&feature=youtube_gdata_player

61International Crisis Group, « Iraq : Falluja’s Faustian Bargain », Middle East Report, n°150 (28 avril 2014), www.crisisgroup.org/en/regions/middle-east-north-africa/iraq-iran-gulf/iraq/150-iraq-falluja-s-faustian-bargain.aspx ; Al-Hayat, « Al-Fallujah Bi-Wadar Naza’a Bayn Musalahi Al-Asha’ir Wa Da’ash ». Al–Hayat (3 mai 2014), http://alhayat.com/Articles/2110546/

62Joseph Holliday, « The Opposition Takeover in Al-Raqqa », Institute for the Study of War : Backgrounders (15 mars 2013), www.understandingwar.org/backgrounder/opposition-takeover-al-raqqa

63Jessica Lewis, « Al-Qaeda in Iraq Resurgent », Middle East Security Report, n°14, Institute for the Study of War (septembre 2013), www.understandingwar.org/report/al-qaeda-iraq-resurgent , p. 17.

64 Gabriel Garroum Pla, « Rebel Governance amid Civil War : A Black Flag in Raqqa » (dissertation inédite, MSc Politics, SOAS, 2014), p. 35 and pp 27-28.

65BBC News Online, « Islamic State : Diary of Life in Mosul » (28 novembre 2014), www.bbc.co.uk/news/world-middle-east-29600573

66Zack Beauchamp, « ’Water Is Available Two Hours a Day Only’ : What an ISIS-Run City Looks like », Vox (21 octobre 2014), www.vox.com/2014/10/21/7027487/mosul-isis-iraq .

67Martin Chulov et Paul Lewis, « Isis Jihadis Using Captured Arms and Troop Carriers from US and Saudis », Guardian (8 septembre 2014), www.theguardian.com/world/2014/sep/08/isis-jihadis-using-arms-troop-carriers-supplied-by-us-saudi-arabia

68Mona Mahmood, « US Air Strikes in Syria Driving Anti-Assad Groups to Support Isis », Guardian (23 novembre 2014), www.theguardian.com/world/2014/nov/23/us-air-strikes-syra-driving-anti-assad-groups-support-isis .

69Le mot « réformiste » est employé ici la place qu’occupe ces organisations dans un spectre large d’attitudes envers l’Etat de la part de courants islamistes qui vont de la guerilla visant le renversement du régime en place au retrait hors de la société afin de fonder une utopie conservatrice, et n’a pas pour intention de sous-entendre que ces organisations islamistes peuvent considérées comme des organisations sociales-démocrates. Voir Anne Alexander et Mostafa Bassiouny, 2014, Bread, Freedom, Social Justice : Workers and the Egyptian Revolution (Zed Books)., chapitre 1.

70Voir ma récension des livres récents de Gilbert Achcar et d’Adam Hanieh (Anne Alexander, « Capital and Resistance in the Middle East », International Socialism 143 (été 2014), www.isj.org.uk/ ?id=986 ).

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Voir en ligne : Texte original : ISIS and counter-revolution : towards a Marxist analysis

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