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4 octobre 2012
On ne s’attardera pas ici à démontrer la crise du NPA et à comparer la dynamique de départ avec la situation actuelle. Le constat d’échec est trop sévère pour s’attarder à l’argumenter. Nous avons échoué. Mais les raisons qui nous ont conduit à créer le NPA sont toujours là. C’est surtout parce qu’il faut recommencer qu’il faut comprendre pourquoi nous avons échoué.
Une des hypothèses développées dans ce texte est que le NPA n’est pas né. Mais cela ne signifie pas que rien n’a été fait. Cette expérience nous a mis en position de mieux comprendre les enjeux au niveau desquels nous n’avons pas réussi à nous situer. Et cette expérience a aussi contribué à modifier la situation dans laquelle nous devons opérer désormais.
C’est aussi parce que nous avons essayé, pour paraphraser Daniel Bensaïd, que nous avons gagné le droit de recommencer.
La tentation est toujours grande de relativiser nos responsabilités par des raisons externes : la période ou bien la création du Front de Gauche qui aurait limité notre « espace ». Il faut tordre le cou à ces mauvaises explications.
Comment peut-on faire d’une période qui — excusez du peu — a vu l’éclatement au grand jour de la crise systémique du capitalisme, quantitativement le plus grand mouvement de révolte sociale depuis 1968 en France (le mouvement des retraites), les révolutions arabes, le mouvement des Indignés en Espagne et en Grèce, le mouvement Occupy aux États-Unis, la raison de l’échec [1] d’un parti... anticapitaliste ? L’inverse est vrai : c’est l’incapacité du NPA à montrer son utilité dans cette période de crise du système et de révoltes de masse qui a été facteur de crise interne.
Les revers subis par les mouvements de lutte, la progression de forces réactionnaires – et en premier lieu celle des fascistes – n’invalident pas ce constat même s’ils peuvent contribuer à changer la situation dans laquelle nous opérons. Dans les périodes de crise profonde du système, l’élément subjectif devient déterminant. Les mêmes conditions peuvent bénéficier à des forces totalement opposées selon leur capacité à prendre l’initiative, à construire des réponses adaptées... ou selon la paralysie des forces adverses à le faire.
Les mois et les années à venir ne seront pas moins explosifs. Raison de plus de tirer les bons bilans.
Deuxième « mauvaise » explication, le Parti de Gauche et le Front de Gauche. L’espace pour le NPA a-t-il été soudain occupé par ces nouvelles réalités politiques ? Il faudrait sans doute préciser ce qu’on entend par espace [2]. Dans tous les cas cela n’a rien à voir avec une substance inerte et manipulable. On parle d’individus conscients dont nous pensons qu’ils et elles seront les acteurs et actrices de l’émancipation collective. La naissance du PG, puis celle du FdG ont été – légèrement – postérieures à celle du NPA. La vérité est encore inverse, ces forces ont – au moins en partie – bénéficié des faiblesses du NPA. L’incapacité à construire une force « utile » pour des dizaines de milliers de syndicalistes, militantEs associatifs, jeunes des quartiers, etc... ont conduit certainEs d’entre eux et elles à reporter leurs espoirs sur le FdG, au moins temporairement [3].
Les cristallisations électorales comme les cristallisations organisationnelles sont le produit – non mécanique – des processus en œuvre de polarisation politique, de radicalisation, d’expérimentation. Ceux-ci sont encore en cours. L’échec actuel du NPA n’est pas la fin de l’histoire.
Limite ou avantage, le mérite de l’initiative de fonder le NPA revient à la LCR qui est restée la seule organisation d’une taille conséquente dans le processus de fondation et a ainsi joué le rôle de force propulsive. Il n’était pas fatal que cela empêche la construction d’un nouveau parti [4]. Mais cela donnait une responsabilité centrale aux militantEs venuEs de la LCR pour « lâcher le ballon ».
Car toute structure, toute organisation, crée son propre conservatisme dans les raisonnements comme dans les pratiques. C’est ce qui donne à une organisation la stabilité nécessaire pour tenir dans des périodes difficiles et pour résister aux pressions de l’idéologie dominante. Mais ce conservatisme, qui comporte toujours des dangers, devient un réel obstacle lorsque la situation évolue et qu’il faut changer.
La décision, prise par une grande majorité de la LCR, d’impulser la création d’un nouveau parti n’était pas nécessairement un reniement de ses combats ou de ses idées. Mais elle signifiait que l’outil LCR tel qu’il avait existé n’était plus adapté aux tâches de la période.
À la différence de l’ancien, le nouveau n’est, par définition, pas déjà écrit. Il s’élabore, se teste, s’adapte, se construit. Pour être nouveau, apprendre à être utile dans une nouvelle période, le NPA ne pouvait se construire que selon un processus continu, avec des structures limitées au départ et les plus souples possibles, laissant une large place aux nouveaux et nouvelles, aux débats et expérimentations de toutes sortes [5].
Or la forme et les divergences à l’origine de l’éclatement actuel du NPA dessinent une évidence : la crise du NPA a toutes les apparences d’une crise de la LCR. Les divergences portent sur des questions (les alliances avec d’autres forces de gauche et le terrain électoral) qui déchiraient la LCR depuis plus d’une décennie. Tous les courants qui se sont constitués puis se sont séparés sont issus de la LCR : Gauche Unitaire puis Convergences et Alternatives et maintenant Gauche Anticapitaliste. Toutes les plate-formes qui se sont constituées depuis la naissance du NPA sur des modes hérités de la LCR ont été animées par des ancienNEs dirigeantEs de la LCR (à l’exception de la plate-forme 4).
Ce simple constat nous indique que ce qui a dominé le « nouveau » parti est « l’ancien ». La LCR a simplement ouvert les portes de sa maison. Avec générosité certes, et là n’est pas la question : on a mis la lumière, on a même offert le café. On a parfois déplacé quelques meubles. Mais c’était la maison de la LCR, celle que les membres de la LCR connaissaient, dont ils et elles connaissaient le fonctionnement. Les autres ne pouvaient qu’y être invitéEs. Et il s’est avéré que cette maison-là n’était effectivement pas adaptée aux tâches de la nouvelle période...
Il faut encore comprendre pourquoi il y a eu cette résistance au changement de la part d’une majorité des membres de la LCR. Il ne s’agissait pas de mauvaise foi. Une large majorité avait voté pour la création d’un nouveau parti. Beaucoup étaient enthousiasméEs par les débuts du processus.
Alors pourquoi ? Essentiellement parce que les raisons données – au sein de la LCR – à la nécessité de construire le NPA, ne prenaient pas en compte toute la radicalité de la nouveauté de la période.
Du coup la conscience réelle de la nécessité de laisser le nouveau s’exprimer restait superficielle. Le strabisme, un œil vers le nouveau et un œil vers l’ancien, est un lourd handicap lorsqu’il s’agit de s’orienter.
Dans les analyses dominantes de la LCR, ce qui ouvrait une période nouvelle c’était fondamentalement « l’effondrement de l’URSS et des pays de l’Est combiné à la globalisation capitaliste néo-libérale » [6] : la fin d’un cycle né en 1917. De la crise des partis communistes et l’évolution néo-libérale de la gauche social-démocrate qui en découlaient, l’analyse déduisait donc l’idée qu’un espace s’ouvrait « à occuper ».
Mais dans tout cela on restait dans la problématique (par ailleurs étrange même si la formule frappait l’imagination), de plus en plus énoncée dans la LCR, celle des « révolutionnaires sans révolution », c’est-à-dire « sans horizon révolutionnaire immédiat » [7].
Ainsi ce qui importait principalement dans la fondation du nouveau parti étaient les délimitations programmatiques devant simplement être un peu plus larges que l’ancien afin d’attirer une partie des orphelinEs des partis traditionnels tout en restant dans une radicalité permettant le maintien, pour l’avenir, de perspectives révolutionnaires.
Cette conception consistant à ouvrir un peu la LCR programmatiquement ne pouvait conduire parallèlement, pour la majorité des membres de la LCR qu’à ouvrir un peu la LCR organisationnellement.
Dans cette analyse de la nouveauté de la période deux éléments sont restés marginaux, la crise systémique du capitalisme et surtout le retour des luttes de masse et d’une conscience anticapitaliste.
La crise systémique du capitalisme induit que nous parlons bien d’une nouvelle période de développement, sur la durée, de toutes les contradictions internes au système. Celles-ci ne pourront se résoudre qu’au travers d’une succession de crises politiques et de confrontations de grande ampleur.
En quoi cela est-il important ?
C’est au travers des expériences concrètes faites dans ce processus de crise et de confrontation que notre classe (au sens large) peut, à une échelle de masse, acquérir les niveaux de conscience et d’organisation la rendant apte à une transformation révolutionnaire. Et c’est dans ces expériences que seront mises à l’épreuve les différentes stratégies « partisanes ».
Pour ne prendre qu’un exemple actuel [8], durant les premiers mois qui ont suivi la chute de Moubarak en Égypte, les quelques révolutionnaires qui osaient critiquer l’armée étaient totalement marginaliséEs sur cette question. Un an plus tard leur position sur ce point est plus largement reprise et leur audience s’est développée, notamment dans la jeunesse.
L’autre élément déterminant est le retour de luttes de masse, les grèves de l’hiver 1995 en France, les révoltes de masse en Indonésie et en Corée du Sud, Seattle en 1999 et l’émergence d’un mouvement altermondialiste, les contre-sommets et forums sociaux, le mouvement mondial contre la guerre en Irak (pour ne prendre que des exemples qui précèdent le lancement du NPA)...
Dans ce processus dynamique a resurgi une critique globale du système, la conscience, au moins embryonnaire, que dans toutes les luttes spécifiques se joue une logique d’ensemble, que c’est un système qu’il faut combattre. Cela s’est exprimé d’autant plus fortement que l’hégémonie idéologique du modèle néo-libéral s’est effondrée avec la crise. Et une génération de dizaines de milliers d’activistes s’est forgée depuis maintenant près de quinze ans sur la base de ces expériences.
Ce n’est donc pas un espace figé qu’il y aurait à combler. Ce sont des possibilités radicalement différentes qui s’ouvrent dans le combat pour une autre société.
Ce qui rend nécessaire et possible un nouveau parti, c’est la conjonction entre une période susceptible d’entraîner des millions d’individus dans l’action et l’émergence de dizaines de milliers d’activistes au sein de différents fronts du mouvement qui en sont la direction pratique, au jour le jour.
Sans eux et sans elle les centaines de conflits dans les entreprises chaque année seraient impossibles tout comme les mouvements généralisés, grèves et manifestations de masse (retraites, CPE, antiguerre...). Tout comme seraient impossibles le maintien héroïque de la lutte des sans-papiers, la mobilisation autour de la Palestine, les luttes contre le nucléaire ou des luttes locales comme celle menée contre l’aéroport de Notre Dame des Landes, la lutte dans les quartiers, etc...
C’est ce qui fonde l’objectif d’une force qui les regroupe et les coordonne pour élaborer une stratégie d’ensemble permettant au mouvement d’obtenir des victoires et donner une perspective d’émancipation collective.
Les militantEs révolutionnaires seraient bien entendu tout désignéEs pour jouer un rôle dans ce processus. Mais cela nécessite, de leur part, une véritable révolution « culturelle » pour se mettre à la hauteur de la tâche car il faut rompre avec des raisonnements et des manières de fonctionner cultivées pendant des décennies de marginalisation de l’extrême-gauche, de « révolutionnaires sans révolution ». Il faut passer de « l’arme de la critique à la critique des armes » et ne pas sous-estimer le bouleversement que cela induit, dans la pratique comme dans la théorie, arrêter de se cantonner au propagandisme, au culte du « bon » programme, à l’incantation « à la grève générale » et à la critique des directions traditionnelles comme seule politique possible.
C’est cette révolution culturelle que nous n’avons pas réussi à accomplir : passer de la propagande défendue en extériorité vis-à-vis du mouvement à la stratégie élaborée au sein du mouvement. Elle exige non seulement une conscience des enjeux mais aussi de s’appuyer sur les milliers d’activistes du mouvement pour commencer à créer une nouvelle culture révolutionnaire, élaborant progressivement sur la base de nos expériences communes tout comme des acquis de la tradition révolutionnaire une stratégie capable d’entraîner l’ensemble du mouvement, reposant et reformulant les grands débats et le projet d’émancipation.
Malgré ce qui était annoncé, le NPA n’a jamais été conçu comme un parti des luttes, un parti du mouvement. Sur la lancée des résultats électoraux obtenus par Olivier Besancenot, il a fonctionné essentiellement comme débouché électoral. Rappelons-nous que sa fondation a d’ailleurs été précipitée pour pouvoir présenter des candidatEs aux élections européennes comme premier acte public à l’échelle nationale.
Pour des débats et des déchirements incessants (et sans issue !) sur la tactique électorale et des ressources nationales principalement investies dans les campagnes électorales, combien de discussions sur notre intervention dans les syndicats, la construction d’un mouvement antiraciste ou d’un mouvement contre la dette, la défense des services publics, la solidarité concrète avec les révolutions arabes ? Combien de débats et d’échanges d’expériences sur le développement des luttes dans nos quartiers ? Combien de ressources mises dans la construction, par tout le parti, d’échéances comme les contre-sommets de Copenhague, de Strasbourg ou de Francfort, la marche des sans-papiers, des collectifs contre la dette, etc... Sans parler de thématiques comme la répression ou le Front national, des nouveaux modes de mobilisation... et de fonctionnement.
Cette orientation trouve ses racines dans une théorisation de l’autonomie du mouvement social non remise en cause et non discutée à la fondation du NPA. Dans la nouvelle période, cette théorie est devenue celle de la dépolitisation du mouvement.
Avec un mouvement en reflux dans les années 1980, dominé par des luttes défensives face aux profondes restructurations du capitalisme néo-libéral, les expériences concrètes des potentialités émancipatrices du mouvement de lutte se sont considérablement réduites. Cela a favorisé la séparation entre le terrain des luttes « sociales » et le terrain de la lutte « politique ». Cette séparation se concrétisera par l’apparition du terme de « mouvement social », englobant luttes et associations, opposé au champ politique réduit à l’affrontement entre partis, essentiellement sur le terrain électoral.
Cela aura des conséquences sur la LCR qui va revendiquer « l’autonomie du mouvement social ». Pour comprendre comment une telle conception a pu se développer il faut ajouter qu’elle a été nourrie et encouragée par une critique fondamentalement saine de la tradition développée par les partis traditionnels (et en premier lieu le Parti Communiste) d’une instrumentalisation du mouvement (syndical comme associatif) passant du statut de sujet de l’émancipation à celui d’objet des stratégies des partis.
Au nom de cette conception les membres de la LCR vont de plus en plus intervenir de manière individuelle au sein des mouvements y jouant parfois un rôle clef et les nourrissant de leurs conceptions générales. Mais la stratégie à y défendre sera de moins en moins discutée au sein du parti et testée collectivement. Progressivement les conséquences seront profondes sur le fonctionnement du parti lui-même : une séparation s’institue entre les membres les plus impliquéEs dans les mouvements et ceux et celles qui animent le parti, sélectionnant des dirigeantEs du parti peu liéEs à la pression du mouvement, aux questions qu’il soulève et à la nécessité d’élaboration stratégique qu’il impose. Inversement cela accentue la tendance « pragmatique » des militantEs fortement impliquéEs dans des mouvements largement défensifs et spécifiques.
Dernière conséquence pour le parti : délaissant de plus en plus les discussions sur les questions soulevées par le mouvement, son champ d’intervention devient de plus en plus celui du positionnement vis-à-vis des autres partis sur le programme. Cela se traduira par une importance de plus en plus centrale donnée aux élections.
Alors que le NPA naissait du développement de mouvements de masse, cette conception a, de fait, continué à dominer ses orientations et ses pratiques. Elle ne permet ni de répondre aux exigences de mouvements confrontés en permanence à la question de la logique d’ensemble du système ni de convaincre des activistes entraînéEs alors dans un champ extérieur à celui où ils et elles interviennent.
Oui à l’autonomie du mouvement mais il faut la penser jusqu’au bout : c’est le mouvement qui transforme la société, pas des individus élus ni des partis. Ou dit autrement : la transformation révolutionnaire de la société ne peut être l’œuvre que du mouvement de la majorité des exploitéEs et oppriméEs.
Cela ne signifie donc pas une autonomie du mouvement vis-à-vis de la politique mais que le mouvement lui-même évolue pour devenir politique. Politique au sens où il devient lui-même l’alternative [9], où il lutte pour le pouvoir, non en visant à substituer ses propres représentantEs à ceux et celles qui sont à la tête des institutions existantes, mais en visant à substituer ses propres formes collectives de pouvoir aux institutions existantes – en commençant à les construire dans les confrontations.
Cela ne signifie donc pas que le mouvement doit être séparé des partis mais que ceux-ci doivent prouver la validité de ce qu’ils défendent au sein du mouvement lui-même – et par ailleurs qu’ils ne pourront prouver cette validité qu’en comprenant et respectant les rythmes propres du mouvement et en élaborant une stratégie utile pour le mouvement.
Il en découle qu’une stratégie révolutionnaire est une stratégie qui apprend à défendre comment, au travers de toutes les expériences de la lutte de classe, sur tous les terrains (y compris électoral), le mouvement peut devenir politique – plutôt que théoriser une séparation entre mouvement social et mouvement politique.
D’où le fait que le parti n’invente pas cette stratégie de l’extérieur. Celle-ci devrait d’abord consister à favoriser la généralisation d’expériences et de dynamiques issues du mouvement lui-même : il suffit de regarder comment des exemples aussi différents que les Indignés, Occupy, les révolutions arabes, les occupations d’entreprises, les mouvements de refus de payer posent – au moins de manière embryonnaire – la question d’un autre pouvoir, d’une démocratie réelle et sont – en positif – l’expression de la défiance envers les institutions existantes telle qu’elle s’exprime aussi par l’abstention aux élections, le rejet des médias dominants ou les révoltes des quartiers qui cassent ce qui est identifié aux « institutions de la société ».
La conception qui a dominé le NPA c’est que le « bon » programme (et les bonnes revendications) peut être apporté de l’extérieur du mouvement par le parti. D’où l’importance donnée aux élections comme manière de s’adresser à une audience de masse. D’où l’importance accordée aux délimitations programmatiques permettant de différencier entre les vrais anticapitalistes et les directions « traîtres ».
Si un programme est nécessaire ce devrait être un programme qui combine objectifs et moyens de les atteindre, un guide pour l’action. Ce ne peut être un programme « parfait » et figé sortant de la tête de quelques révolutionnaires, il doit être modifié en fonction des expériences faites et des évolutions. Le développement d’un tel programme est donc indissociable du développement du mouvement lui-même et de débats sur les expériences faites et les questions soulevées.
De ce point de vue rien n’est sans doute plus révélateur de l’échec du NPA que le texte « Nos réponses à la crise » voté lors du premier congrès. Ce texte aurait pu ouvrir un débat sur ce que serait une stratégie anticapitaliste dans une période de crise profonde et de luttes de masse.
Mais la discussion est restée cantonnée à un contenu programmatique, une liste de revendications, pas assez radicales pour les uns et trop pour les autres tous et toutes obsédéEs par les délimitations à établir ou à ne pas établir avec le Front de Gauche.
Soyons clairs, la référence plus ou moins implicite pour beaucoup de camarades dans ce débat c’était le Programme de transition défendu par Trotsky en 1938 [10]. On ne discutera pas ici de la validité de cette référence. Ce qui frappe pourtant quand on reprend le programme de transition tel qu’il a été défendu par Trotsky c’est son côté programme d’action combinant à chaque revendication une forme d’organisation adaptée (renforcement et lutte au sein des syndicats + comités d’usine pour l’ouverture des comptes et le contrôle ouvrier, piquets de grève et milice ouvrières pour l’armement du prolétariat, conseils regroupant sur une base géographique les comités d’usine et les organisations de quartier pour le gouvernement ouvrier et paysan).
Cette articulation des revendications avec des formes d’organisation spécifiques du mouvement est exactement ce qui manque dans « Nos réponses à la crise ». Et si on a beaucoup discuté autour de la nature des revendications (réformistes ou révolutionnaires ?) il a été impossible de faire avancer la discussion sur les moyens par lesquels ces revendications pourraient être mises en œuvre par le mouvement.
L’absence de préoccupation stratégique – c’est-à-dire de répondre au « comment ? » – amène à une absence de préoccupation dans l’analyse concrète de la réalité. Cela a conduit à l’absence d’analyse d’un cycle long d’évolution (et donc de recomposition) de l’organisation capitaliste de la production, de la déstructuration de la classe ouvrière traditionnelle et de la reconstruction d’une nouvelle composition de classe.
C’est pourtant aussi la reconfiguration de la réalité de notre classe qui a mis en crise les organisations traditionnelles du mouvement ouvrier. Y-a-il un sujet révolutionnaire privilégié ? Doit-on encore raisonner sur l’existence de secteurs productifs stratégiques ?
À supposer que oui, sont-ils les mêmes qu’il y a vingt ou trente ans ? Faut-il raisonner l’organisation des luttes de travailleurs par profession, par entreprise ou par secteur géographique ? Le développement des migrations et la féminisation ne modifient-elles pas l’articulation entre luttes contre les discriminations et luttes au sein même des entreprises ? L’éclatement des unités de production et des statuts, le développement de la précarité et le développement des services ne doivent-ils pas conduire à une évolution sur le rôle et les modalités des luttes de quartier ? Ces interrogations – mais on pourrait en citer d’autres – ont été absentes dans la construction du NPA. Sans parler des évolutions de l’État ou de l’impérialisme, du rôle des médias, des réseaux sociaux...
Il s’agit bien de reconstruire un nouveau mouvement ouvrier capable de développer des stratégies et des formes d’organisation qui correspondent aux réalités nouvelles de la composition de classe. Cela doit se combiner aux résistances aux restructurations du capital de la part des anciens secteurs où les anciennes organisations sont toujours les plus implantées. C’est dans ces termes que devrait se poser l’articulation plutôt que dans l’alternative entre reconstruction et recomposition.
Un parti ne peut élaborer une stratégie si ses membres ne sont pas impliquéEs dans le mouvement de différentes manières. Cela marche aussi dans l’autre sens : c’est au travers des débats nécessaires à cette élaboration et des tests faits au sein du mouvement que se forge une « nouvelle » conscience révolutionnaire collective parmi les membres du parti, et que peuvent être modifiées, enrichies, critiquées les conceptions antérieures.
Cela nécessite de rompre avec une conception de la théorie révolutionnaire émergeant toute faite de la cuisse de Jupiter (ou de celle de dirigeantEs de plate-formes) et, en miroir, une conception erronée du réformisme comme simple « manipulation des consciences ». On ne peut réduire l’emprise du réformisme à la trahison de directions « traîtres » de masses débiles qui se laisseraient abuser et auxquelles il faudrait révéler la vérité.
Le réformisme est le produit d’une conscience contradictoire produite par une expérience contradictoire. D’un côté l’expérience incorporée de la domination (exploitation et oppressions) et de la concurrence qui favorise le sentiment d’impuissance et fait apparaître comme réaliste l’idée que seulEs des éluEs peuvent améliorer les choses. De l’autre l’expérience des résistances à cette domination qui non seulement brise le carcan du chacun pour soi, recrée des solidarités mais aussi remet en cause le pouvoir du patron et la neutralité de l’État.
Ceci signifie que le réformisme ne peut être combattu uniquement sur le plan de l’idéologie (de manière propagandiste). Le retour de mouvements de lutte de masse, leurs expériences, leurs avancées comme leurs échecs sont la base d’une évolution des consciences à une échelle de masse. À condition de comprendre que cette évolution est elle-même processus. Il n’y a pas de tout ou rien ni au niveau individuel ni au niveau collectif dans l’évolution d’une conscience réformiste à une conscience révolutionnaire.
Lutter contre l’emprise du réformisme et développer une conscience révolutionnaire sont des phénomènes joints qui ne peuvent avancer par des proclamations ou des procès d’intention mais par des démonstrations concrètes pour favoriser toutes les expériences qui démontrent pratiquement la force collective que nous pouvons avoir et la supériorité d’une stratégie qui repose sur celle-ci vis-à-vis des stratégies institutionnelles.
La tâche de construire est toujours devant nous. L’audience gagnée par le Front de Gauche a montré la disponibilité de centaines de milliers de jeunes et de travailleurs à une perspective politique et radicale. Pris dans le carcan d’un cartel d’organisations dont les principales n’ont pas comme objectif l’auto-organisation et le développement de contre-pouvoirs mais un débouché institutionnel, le Front de Gauche ne peut-être le creuset de la force à construire. En dehors de ces organisations, dans la jeunesse, dans les quartiers, des luttes se mènent, souvent fragmentées.
La nature de la période rend non seulement encore possible la construction d’une force anticapitaliste, elle la rend plus que jamais nécessaire. Hors de la coordination des activistes du mouvement et de l’élaboration progressive d’une stratégie anticapitaliste les victoires deviennent de plus en plus difficiles pour des luttes spécifiques comme l’ont démontré notamment le mouvement sur les retraites, la lutte antiraciste ou le mouvement antiguerre.
Lors du mouvement de défense des retraites, la stratégie des directions syndicales n’a pu l’emporter que par défaut parce qu’il n’existait pas une force rassemblant les dizaines de milliers de syndicalistes radicaux et radicales dans tous les secteurs et les régions, respectéEs par leurs collègues, ayant favorisé le développement de sections syndicales combatives voire la formation de comités de base, reliéEs à des jeunes dans la majorité des facs et des lycées, à des militantEs capables d’organiser le soutien des quartiers et proposant une stratégie alternative aux directions syndicales en généralisant les meilleures des expériences.
Dit autrement, des victoires, y compris partielles, exigent que soient proposées largement au mouvement des stratégies de confrontation avec la logique même du système et le développement de formes d’organisations de base et de contre-pouvoirs.
Mais c’est aussi à cause de la tendance générale actuelle du système qu’une force anticapitaliste est nécessaire. Hors d’une perspective de transformation globale, d’émancipation, triompheront des « solutions » réactionnaires. Nous devons donc réessayer.
Nous ne devons pas avoir honte de notre échec. Nous avons toutes et tous le mérite d’avoir essayé. Mais l’échec est là, il a démoralisé des milliers de militantEs et développé la défiance à une échelle encore plus grande.
Nous devons donc dire publiquement que nous avons échoué, c’est une des conditions nécessaires pour pouvoir être entendu dans notre volonté de réessayer. L’autre condition nécessaire est de dire que nous ne voulons pas rafistoler ce qui n’a pas marché mais que nous appelons à une refondation radicale du NPA.
Ces conditions, nécessaires pour être entenduEs, ne seront cependant pas suffisantes. Nous ne demandons pas à être cruEs sur parole. On nous jugera sur les actes. Et cela ne peut être différé.
Le nouveau parti ne se proclamera pas, ni dans son fonctionnement, ni dans son programme. Alors que les défections ont mis en difficulté les différentes structures du parti, des comités aux structures nationales (commissions, presse, CPN, CE...) nous devrions « profiter » de cette situation de relative vacance pour relancer un processus de fondation sur la base des comités locaux – les structures nationales se contentant, au moins temporairement, de « gérer » les affaires courantes.
De véritables comités de refondation devraient être autonomes – en ce qui concerne leur implication locale, leur type de fonctionnement, l’organisation de leurs débats – et coordonnés pour les campagnes nationales sur lesquelles ils s’accordent et les débats ayant trait à la refondation du parti. Ces comités devraient être des structures totalement ouvertes sur l’extérieur, favorisant notamment la participation aux réunions d’activistes du mouvement, même si ils et elles ne rejoignent pas le parti. À tous les niveaux nous devrions aussi favoriser des cadres de débats entre militantEs de différents partis de la gauche radicale.
De manière au moins transitoire le journal pourrait servir principalement d’organe de liaison entre les comités : échos des différentes expériences faites par les comités, agenda des mobilisations, réunions, événements militants, contributions au débat, etc...
Le pivot de ce processus devrait être l’implication dans le mouvement et l’élaboration de notre stratégie comme base des échanges d’expériences et base des débats, y compris théoriques. De ce point de vue, le développement des campagnes contre l’austérité et la dette – liées aussi bien au refus des plans de licenciements qu’à la solidarité internationale – et la lutte contre le développement du racisme et de l’extrême-droite devraient être des axes dominants de nos activités.
Rien ne serait sans doute pire que de faire du congrès du NPA qui s’annonce un faux semblant. Le processus qui mène à ce congrès doit déjà faire partie intégrante du processus plus général de refondation : en ne se limitant pas au débat interne mais en favorisant des débats ouverts avec l’extérieur sur tous les sujets et à tous niveaux, en lançant des chantiers prioritaires sur notre stratégie et notre fonctionnement sans exclure les débats plus théoriques (rôle du lien entre capital-travail, mouvement et institutions, oppression-exploitation...).
Ce processus sera vivant s’il prend comme base l’activité menée au sein des mouvements, les expérimentations faites par les différents comités et s’il ne prétend pas trancher à l’avance des débats ouverts.
En ce sens la préparation de ce congrès doit être conçue comme processus re-constituant à partir de contributions qui font des allers-retours dans les comités plutôt que de plate-formes constituées « au sommet » sur lesquelles devraient de positionner les membres du parti. Le congrès lui-même devra être conçu non comme une fin (de processus) mais une étape : le parti à construire devrait lui-même être conçu comme un parti-processus, un parti-expérimentation.
Enfin, dès ce congrès, la jeunesse doit être réintégrée au sein du parti, de ses comités, de ses expériences, de ses débats non comme corps séparé, mais comme cœur de son activité voire même comme moteur. C’est aussi la condition pour construire un parti d’avenir, un parti mouvement, un nouveau parti anticapitaliste. ■
[1] Il est vrai que des événements de telle ampleur peuvent être facteur de crises internes. En effet leur nouveauté et leur ampleur devraient créer de nombreux débats pour les analyser et élaborer des réponses à la hauteur dans toute organisation digne de ce nom. C’est même au travers de ces débats et des tentatives pour intervenir concrètement qu’un nouveau parti se forgera. Tout le monde conviendra que ce n’est pas de cela dont a souffert le NPA, hélas ! Nous parlons donc bien ici d’un échec.
[2] Pour plus de développements sur cette question « d’espace à occuper » voir ma réponse à un débat entre François Sabado et Alex Callinicos dès la fondation du NPA. Mais cette réponse elle-même est datée et montre ce qu’a apporté l’expérience du NPA, malgré l’échec : elle reste largement en deçà de la conscience des bouleversements à apporter dans l’approche de nos tâches. Cf les thèses suivantes.
[3] Et disons-le directement, le FdG a, sur le terrain électoral du moins, mieux saisi « l’air du temps » que le NPA : radicalité des discours de Mélenchon, appel à une campagne « participative » et reprise de modes de mobilisation comme les occupations de place... Mais, et ce sera un problème pour les camarades qui rejoignent le FdG, sa capacité à « capitaliser » l’audience électorale en force militante reste encore largement à prouver. Pour ma part je pense qu’il y a trop d’obstacles pour cela : force du PCF qui s’opposera à une « maison commune », focalisation sur les institutions, tensions entre les différentes forces...
[4] Cf Francis Sitel, « Nouveau Parti Anticapitaliste, espoirs et pièges » in Critique Communiste n°187, juin 2008. Pour Francis Sitel, qui connaissait bien la maison, la création d’un nouveau parti à partir uniquement de la LCR comme force organisée était dangereuse. Beaucoup de ses arguments sont intéressants. Le problème est qu’on ne part pas de ce qu’on rêverait d’avoir mais de ce qui est. Et que c’est à partir de cela qu’il faut trouver les solutions. À défaut on cherche des raccourcis. Francis Sitel a quitté le NPA dès sa fondation, avec la Gauche Unitaire. En rejoignant immédiatement le Front de Gauche elle a sûrement gagné des postes. Mais son évolution politique est telle que la Gauche Anticapitaliste l’oublie souvent dans les courants qui pourraient constituer un pôle anticapitaliste dans le FdG. Comme un avertissement pour la GA ?
[5] C’est ce qui me rend critique vis-à-vis des démarches axées principalement sur la critique du NPA en termes de fonctionnement et qui cherchent des solutions sur ce même terrain pour le relancer. Ces critiques sont importantes mais il me semble qu’elles manquent le principal et peuvent aboutir à des conséquences dangereuses : échanger des règles de fonctionnement contre d’autres, aussi figées, conduirait à court-circuiter la nature de processus, d’apprentissage, d’expérimentation... et donc ni à trouver les modes de fonctionnement adaptés ni à continuer d’impliquer de nouveaux et nouvelles activistes. À ce stade du moins, s’il devait y avoir une règle fondamentale ce devrait être la souplesse.
[6] Hélène Adam, Daniel Bensaïd, François Coustal, Léon Crémieux, Jacqueline Guillotin, Samuel Johsua, Alain Krivine, Olivier Martin, Christine Poupin, Pierre Rousset, François Sabado, Roseline Vachetta, De la LCR au NPA, http://www.preavis.org/breche-numerique/article1155.html
[7] Samy Johsua, « Mélanges stratégiques », Que faire ? n° 5 (première série). Il en déduit notamment : « Hors période révolutionnaire, il est impossible d’avoir un parti populaire de masse (ou quelque chose qui s’en rapproche un peu) sans base institutionnelle ».
[8] Tous les processus révolutionnaires de l’histoire sont fascinants à étudier de ce point de vue, de 1848 en France à la révolution des œillets au Portugal en passant par la révolution russe de 1917 ou la révolution iranienne de 1979. Les échecs sont bien plus liés à l’incapacité des processus révolutionnaires à disposer de partis à la hauteur des enjeux qu’au manque de détermination et de radicalité des mouvements. Mais il est vrai que dans l’analyse historique il est plus facile d’en déduire que les « masses » ne sont pas assez ceci ou assez cela. Première manière de se dégager des responsabilités. L’autre manière étant de faire porter le chapeau aux directions « traîtres » de la classe. Confortable certes... mais pas très efficace pour donner une perspective.
[9] Pour une idée de ce qu’on entend par mouvement politique cf « Qu’est-ce qu’on veut : Tout ! », Que Faire ? n°8.
[10] Léon Trotsky, Programme de transition
Site web du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA).
Revue indépendante d’analyse stratégique anticapitaliste.
Actualité politique internationale de la revue Inprecor sous reponsabilité de la Quatrième internationale.
International Socialism, Revue mensuelle théorique du Socialist Worker Party.
Le site web de la LCR Belge contient de nombreux articles de théorie marxiste très intéressants.
Base de données de référence pour les textes marxistes.
Le site de la commission nationale formation du NPA.