Éditorial du numéro 9
par
4 avril 2012
« Mais venons-en au cœur de votre propos : la question politique. L’urgence de la crise interdit les raccourcis et l’exemple grec est là pour nous montrer l’étendue des problèmes. Les luttes, les grèves, les manifestations sont déterminantes dans les rapports de force mais ils ne suffisent pas à bloquer l’offensive capitaliste. Les formations grecques issues des PC et de la gauche radicale, qui n’ont participé ni à l’application des traités européens, ni aux purges d’austérité, réalisent plus de 40 % des intentions de vote…mais désunies, elles n’offrent pas de perspective politique d’ensemble sur le terrain politique ». [1]
En fait, l’exemple grec nous démontre exactement l’inverse. Il démontre qu’on ne peut pas séparer les luttes et la question politique, que le terrain politique ne se réduit pas à des intentions de vote, que la focalisation sur les élections devient un frein au développement des luttes elles-mêmes.
Déjà, les révolutions en Tunisie ou en Égypte ont démontré que la classe dirigeante savait utiliser les processus électoraux pour tenter de canaliser les processus révolutionnaires en cours. Déjà, les mouvements des IndignéEs dans différents pays ont révélé qu’une aspiration profonde s’exprime à une échelle de masse pour la démocratie réelle, celle de la rue, celle des assemblées organisées sur les places publiques, celle des décisions guidées par les intérêts des 99 %. Aujourd’hui, c’est le développement des évènements en Grèce qui nous démontre à quel point le mouvement venu d’en bas se pose comme une alternative potentielle et nécessaire aux institutions.
Or, il y a quelque chose de profondément révoltant dans la crise interne, aujourd’hui sans doute irréversible, que traverse le NPA. Plus que le goût amer d’un immense gâchis, la conviction que les débats internes nous enfoncent chaque jour un peu plus dans la démoralisation et les manœuvres fractionnelles. Le type de débats stratégiques que soulève l’exemple grec, le type d’activité de soutien à la lutte du peuple grec ont de moins en moins de place dans les débats dominants.
Bien sûr, on nous explique depuis des mois que le désaccord est politique, stratégique, et c’est sans doute vrai. Mais le terrain sur lequel ces désaccords se cristallisent, depuis sa fondation, tant dans les débats que dans la constitution des tendances internes, repose uniquement sur les questions d’alliances électorales. Pourtant, élaborer une stratégie anticapitaliste exige de raisonner sur des bases radicalement différentes.
L’exemple grec ne constitue pas un laboratoire uniquement du point de vue du niveau des attaques entreprises par la classe dirigeante. C’est vrai qu’en deux ans, la population grecque a subi un développement exponentiel de la misère : 25 000 SDF dans les rues d’Athènes, 30 % de la population sous le seuil de pauvreté, 1 million de chômeurs (50 % des jeunes de moins de 25 ans sont au chômage), un taux de suicide record, la recrudescence des maladies, l’augmentation de la prostitution. Les médicaments dans les hôpitaux et les livres scolaires dans les écoles deviennent une exception. 80 000 magasins ont fermé, 432 000 entreprises ont déposé le bilan. De nombreux salariés ne sont plus payés depuis plusieurs mois, un fonctionnaire qui touche aujourd’hui 1000 € net par mois gagnait 1700 il y a deux ans.
Mais la situation est exemplaire aussi parce que la Grèce est le pays européen dans lequel le mouvement ouvrier est le plus fort. Il révèle ce qui a profondément changé dans cette période : nous ne pouvons plus simplement commenter et dénoncer les attaques subies par notre camp social, nous devons débattre dans l’action et à une échelle de masse des stratégies pour riposter. L’erreur serait de croire qu’il y a un lien mécanique entre les attaques et la situation quasi-insurrectionnelle que l’on a pu vivre par vidéos interposées le 12 février, jour d’adoption en Grèce du nouveau plan d’austérité.
La majorité des dirigeants syndicaux sont liés au PASOK (équivalent du PS) qui dirige actuellement le pays et met en œuvre l’austérité. Alors que les directions signaient des accords avec le patronat en vue de geler les salaires, les journées de grèves générales ont été arrachées par une véritable fronde venue des militantEs syndicaux qui ont contraint dans plusieurs secteurs les directions intermédiaires à démissionner. Cette situation a été rendue possible parce que le mouvement syndical compte environ 1 million de membres (dans un pays de 11 millions d’habitants !) et a donc de fait un ancrage réel dans la population.
Ce potentiel collectif a pris forme dans la volonté de coordonner les syndicats de base et d’organiser des assemblées interprofessionnelles qui ont aujourd’hui un caractère de masse. De même, le mouvement des IndignéEs apparu en mai-juin 2010 a connu une efficacité qualitativement différente de celui d’autres pays comme l’Espagne grâce à la convergence, en plus de la jeunesse grecque, des salariés en lutte. La place Syntagma se remplissait ainsi chaque soir de 2000 à 3000 personnes venues débattre ensemble de la prochaine étape.
Début juillet 2011, une Assemblée générale de délégués de 48 assemblées populaires produit la déclaration suivante : « Nous sommes sur des places du pays parce que nous avons décidé de prendre nos vies entre nos mains, parce que nous n’attribuons plus ce droit à quiconque. Grâce à notre auto-organisation et à la démocratie directe des places, nous créons nos propres contre-institutions fondées sur la solidarité sociale, la mise en réseau, la camaraderie, l’esprit combatif ».
Depuis un an et demi, un mouvement, « Je ne paie pas » se développe et compte actuellement environ 25 000 membres. Il organise le refus collectif de payer l’impôt sur l’électricité, les péages, les taxes d’accès aux plages, les forfaits hospitaliers, les transports publics. Alors qu’un million de Grecs ne peuvent plus payer l’électricité, ce mouvement organise, en lien avec les syndicalistes de la DEI et les comités de quartier, le rétablissement du courant. Des patrouilles de chômeurs et de retraités s’organisent contre l’intervention des huissiers.
Depuis quelques semaines, les assemblées interprofessionnelles débattent de généraliser deux cas de reprise en main de l’outil de travail. Celui de l’hôpital de Kilkis : « Nous occupons l’hôpital et le plaçons sous notre contrôle direct et total. L’hôpital sera désormais auto-gouverné et le seul moyen légitime de prise de décision sera l’assemblée générale des travailleurs ». Et celui du deuxième quotidien grec, Eleftherotypa : « Les travailleurs de Eleftherotypa, voyant que le patron demande l’application de l’article 99 du code des mises en faillite en vue de se protéger de ses créanciers, en réalité ses salariés auxquels il doit 7 millions d’euros en salaires impayés, ont décidé parallèlement aux mobilisations et aux actions en justice de faire paraître leur propre journal ».
Enfin, plus récemment encore, le phénomène du « mouvement des patates », vente directe du producteur au consommateur, court-circuitant les intermédiaires, se propage dans différentes villes.
Ces mouvements portent en eux la réorganisation de la société sur d’autres bases. Les 40 % d’intention de vote pour la gauche du PASOK (Parti de la gauche démocratique, KKE et Syriza), et la crise politique profonde des partis institutionnels (le PASOK, lui, est crédité de 8 %) en sont le reflet et non la solution. S’il est exact que ces trois formations sont identifiées comme opposées aux plans d’austérité, cette audience à une échelle de masse a été rendue possible par les mobilisations de masse (et c’est bien cela qui fait peur à la Troïka, au point d’envisager d’empêcher la tenue de ces élections). Le point de départ d’une stratégie politique émancipatrice exige de penser le renforcement de cette dynamique, pas de la refléter. Or, le rapport de la gauche du PASOK à cette dernière n’est pas sans poser problème : alors que le KKE bloquait l’accès à la place du Parlement aux manifestantEs qui se confrontaient concrètement à une assemblée délégitimée, la coalition Syriza, en la personne de son dirigeant Tsipras déclarait le 9 février : « Le temps du peuple est venu. Le temps de l’Union patriotique et démocratique est arrivé. Nous appelons tous les Grecs à entrer ensemble en résistance. Nous appelons tous les vrais intellectuels, les sociétés spirituelles et scientifiques à prendre la tête de ce mouvement. Que ce mouvement social implacable mène à la démission du gouvernement de Papademos, au rejet de l’accord de prêt et à une nouvelle élection ».
La nécessité d’ancrer et de généraliser les mouvements de construction de contre-pouvoir à la base vient percuter le fonctionnement délégataire de la séquence électorale. Nier la nécessité d’opérer en tenant compte de cette contradiction, c’est nier de fait les tâches politiques du mouvement.
Nous ne sommes pas dans la situation grecque. Cependant, chaque front de mobilisation nous montre que la disponibilité pour l’action dépasse les forces militantes organisées : succès des initiatives publiques prises par les collectifs contre la dette, succès de celles prises pas la campagne « Printemps des quartiers », luttes successives des Fralib, Seafrance, Lejaby qui posent la question du contrôle de l’outil de travail, etc.
On nous rétorquera le succès de « la prise de la Bastille » organisée par le Front de Gauche. C’est indéniable. L’audience pour le Front de Gauche est la cristallisation d’une part d’une aspiration politique, d’une recherche de perspectives et de l’autre d’une conscience largement réformiste, y compris dans le mouvement.
Mais ces deux aspects sont des aspects en réalité contradictoires sur la durée : la campagne du Front de Gauche éloigne les aspirations qui s’y expriment du terrain de la construction d’une alternative au sein du mouvement lui-même. La veille du rassemblement à la Bastille le Front de Gauche était totalement absent de la manifestation contre le racisme et le colonialisme. Mais c’est aussi vrai de la construction d’un réel mouvement d’organisation des collectifs contre la dette.
Or, cette contradiction ne peut apparaître que sur la base du mouvement lui-même. Dans ces conditions la campagne électorale du NPA, elle, s’avère d’autant plus inopérante à ce stade que dans cette sphère, notre espace en est du coup très réduit. La dynamique pour le Front de Gauche favorise les pressions les plus conservatrices pour notre campagne conçue de façon propagandiste, en différenciation des autres formations politiques plutôt qu’en organisatrice de notre camp social. Bref elle est impuissante à commencer à dénouer la contradiction qui est au cœur de la campagne du Front de Gauche.
Alors que, même minoritaires, nous devrions, de fait, proposer, de manière fraternelle, à tous ceux et celles qui se tournent vers le Front de Gauche, une alternative, la proposition d’intervenir au sein du mouvement, de le construire, d’y construire nos propres formes de pouvoir, soient-elles limitées au départ, notre campagne sépare elle aussi le champ des mobilisations et la question politique, réduite à la sphère électorale.
Pour la construction des rapports de force et pour bloquer l’offensive capitaliste, combien de militantEs construisent actuellement les mobilisations ? Combien favorisent l’intervention de notre camp social sur le champ politique ? Combien proposent une stratégie dans le mouvement, pour le mouvement ? En réalité, nous n’en savons rien, car le NPA ne se pense pas de cette façon. L’a-t-il d’ailleurs déjà fait ?
Se lancer dans cette tâche, rassembler ceux et celles qui veulent aller dans ce sens pour être utiles au mouvement, pour développer et élargir toutes ses formes d’organisation et pour favoriser et généraliser toutes ses tentatives de « prise de pouvoir », voilà la base sur laquelle pourrait se relancer un Nouveau parti anticapitaliste. Cette tâche est toujours devant nous. Il faut nous y mettre vraiment. Maintenant.
[1] Pierre-François Grond, « Réponse aux « quatre » »
Site web du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA).
Revue indépendante d’analyse stratégique anticapitaliste.
Actualité politique internationale de la revue Inprecor sous reponsabilité de la Quatrième internationale.
International Socialism, Revue mensuelle théorique du Socialist Worker Party.
Le site web de la LCR Belge contient de nombreux articles de théorie marxiste très intéressants.
Base de données de référence pour les textes marxistes.
Le site de la commission nationale formation du NPA.