La libération inconnue, de Maurice Rajsfus

par Dominique Angelini

5 septembre 2009

Après l’indécence de Chirac, Bush et Poutine qui ont tenté d’apparaître le 5 juin dernier comme les défenseurs de la démocratie, pour la commémoration du débarquement en Normandie, l’hypocrisie a gagné Paris, où Delanoé a fêté à grand renfort de gros budget et de publicité les 60 ans de la Libération de Paris et cela risque de continuer jusqu’au mois de mai prochain. Pour contrebalancer tout le discours dominant, la lecture du livre de Maurice Rajfus La libération inconnue, ne peut qu’être salutaire.

En premier lieu, il est important d’oublier l’idée qu’il existait en France une résistance homogène qui se battait contre les nazis. Non seulement, les résistants sont peu nombreux avant la Libération (environ 200 000) mais en plus, ils ne poursuivent pas les mêmes objectifs. C’est Yvan Craipeau qui expose le mieux la situation : « Sous le drapeau tricolore des maquis, camouflé par le mot d’ordre de libération nationale, se mènent en réalité, trois guerres différentes », ainsi classifiées :

- Celle de la majorité des hommes du maquis, de la jeunesse, de nombre de militants du Parti communiste. Pour ceux-là, la Libération de la France sera en même temps une libération sociale qui purgera le pays des exploiteurs, et ouvrira la voie au socialisme, comme semble le promettre du reste, le programme du Conseil national de la résistance.

- Celle du BCRA, des généraux et de la bourgeoisie : le maquis est pour eux l’embryon de l’armée régulière, non seulement comme force d’intervention contre la révolution, c’est-à-dire contre les maquis révolutionnaires.

- Celle du Parti communiste : le maquis doit jouer un rôle essentiel dans l’insurrection nationale qui remettra en place les organismes nationaux mais, en même temps, permettre au Parti communiste d’y peser avec force.

De Gaulle, représentant de la bourgeoisie

Après la capitulation de Pétain, De Gaulle, depuis Londres lance l’appel du 18 juin. Celui-ci n’est pas un appel à résister. Il ne s’adresse d’ailleurs pas aux Français de l’intérieur, mais à ceux qui sont également en exil. Il s’agit pour De Gaulle, qui refuse de voir la France disparaître en tant que nation, d’un appel à reconstituer une armée. Il ne mentionne d’ailleurs jamais le nazisme en tant que tel, mais simplement la guerre contre l’Allemagne. Jusqu’à la libération, De Gaulle a pour but de prouver à la classe dominante aussi bien française qu’américaine qu’il est le seul apte à remettre un Etat en place. Pour cela, il crée à Londres le Bureau Central Renseignement et Action (BCRA) dans lequel il n’hésite pas à s’entourer d’ex-croix de feu et cagoulards. Il travaille avec les services secrets britanniques et agit comme un réseau de contre-espionnage. Il a peu d’influence en France, mais son rôle est d’éviter que se développe dans le pays, une résistance populaire, qui pourrait ne pas vouloir rentrer dans le rang, une fois la guerre terminée. C’est ainsi qu’en décembre 1941, Jean Moulin, ancien préfet, est parachuté en France. Sa mission est de convaincre toutes les instances de la résistance intérieure que De Gaulle est le représentant de l’Etat, et que l’heure venue, il lui appartiendra de reprendre les rênes.
Une des choses importantes est que les maquis soient tenus éloignés des villes et de la résistance urbaine. De même, les petits maquis sont fortement incités à rejoindre des unités plus grandes. En effet, les petits maquis fonctionnent souvent de manière spontanée, parfois même avec un esprit antimilitariste, et sont incontrôlables. En revanche, dans les grands, existe l’embryon d’une armée régulière, avec levée des couleurs, salut au drapeau etc. Cette politique à été menée alors même qu’elle a eu comme conséquence des massacres, comme dans le maquis du Vercors, où des milliers de résistants ont été assiégés et exécutés par les nazis sans être secourus, ni même recevoir des armes.
Lors de la Libération, De Gaulle a pour obsession la continuité de l’Etat. Malgré la collaboration avérée de la police, de l’armée et bien sûr de tous les hauts fonctionnaires de l’Etat, il est impossible de révoquer tout ce monde sans causer un renversement du système. C’est pourquoi, lorsqu’il arrive à Paris, il dédaigne les centaines de milliers de personnes qui l’attendent à l’Hôtel de ville et se rend à la Préfecture pour saluer la police parisienne.
Or, s’il est vrai que sentant le vent tourner, la police est rentrée en partie dans la lutte contre les Allemands le 19 août, elle a été avant cette date l’alliée des troupes nazies, n’hésitant pas à rafler les juifs et les résistants. Les groupes mobiles de réserve qui sont près de 11 000, sont 3 150 à être révoqués, alors que 63 % de leurs effectifs sont recyclés dans les CRS. Mais cela n’est pas vraiment étonnant lorsque l’on sait qu’une crapule comme Papon qui a envoyé des Juifs dans les camps de concentration est resté en activité des années après la fin de la guerre.

Le Rôle du PCF

Dans un premier temps le PCF a été paralysé par le pacte germano-soviétique. Ce n’est qu’en 1941, lorsque l’Allemagne a attaqué l’URSS, que le PCF a commencé à organiser la résistance. Cependant, dès le départ, certains militants communistes n’ont pas suivi les directives de Moscou. Les communistes ont été les principaux organisateurs de la résistance de l’intérieur et ils ont notamment fournis les rangs des FTP, les francs tireurs partisans. Mais comme l’explique Crépeau, le but du PCF n’était pas d’organiser une insurrection, mais bien de négocier des places dans les institutions. Et De Gaulle trouve un véritable allié en la personne de Thorez qui déclare « Une seule police, une seule armée, un seul État ». Parti pour Moscou dès le début de la guerre il était considéré comme un déserteur. Ce n’est pas seulement pour pouvoir rentrer en France que Thorez n’a pas appelé les militants à renverser le système. Il suivait surtout les directives de Staline. L’URSS et les États-unis s’étaient partagés l’Europe, et la France ne faisait pas partie des annexions soviétiques. Il n’était donc pas question de remettre cela en cause. Depuis 1937, le PCF a suivi une évolution liée à la doctrine stalinienne du socialisme dans un seul pays, qui était de plus en plus nationaliste. Alors qu’en 1935, Thorez proclamait, « des soviets partout », le même déclarait en 1936 « le parti a associé l’Internationale et la Marseillaise et a réconcilié le drapeau tricolore et le drapeau rouge ». En 1937, il franchissait un pas raciste en souhaitant «  la France aux Français » et en 1938, il défendait l’empire colonial. Après s’être redécouvert internationaliste au début de la guerre pour défendre l’URSS contre la France au temps du pacte, il redevient patriote, dès que l’URSS est attaquée. Et si pendant l’été 1940, L’Humanité prônait la fraternisation avec les soldats allemands, le ton avait bien changé en août 1944. Le 22 août la une était « Mort aux boches et aux traîtres », le 23, « Pas un boche ne doit sortir vivant de Paris insurgé » et le 24 « À chaque Parisien son Boche ! ».

La Libération a été une période propice pour les travailleurs. La bourgeoisie était complètement désavouée du fait de son rôle de collabo. Une armée populaire avait vu le jour, et une milice patriotique se développait dans les usines. Le PCF était en position de mener les travailleurs à l’insurrection. Mais cela ne correspondait pas aux plans de Staline. Et la direction du PCF a préféré négocier des places dans le gouvernement.


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