Palestine : sortir de l’impasse de la solution à deux États

par John-Samuel McKay

6 août 2009

Depuis un mois de discussion à propos du soi-disant désaccord entre Benjamin Netanyahou et Barack Obama au sujet de la « solution à deux États », Netanyahou a finalement prononcé les mots « État palestinien » lors de son discours à Tel Aviv le 14 juin.

Ses conditions : « que les Palestiniens reconnaissent publiquement qu’Israël est un État juif [...] si nous avons des garanties de démilitarisation et si les Palestiniens reconnaissent Israël comme État du peuple juif, nous pourrons arriver à une solution basée sur un État palestinien démilitarisé à côté d’Israël [...]. Chaque État aura son propre drapeau. L’État palestinien n’aura pas d’armée, ne contrôlera pas l’espace aérien, ne pourra pas avoir d’armes ». Si cette position méprisante a été unanimement rejetée par les Palestiniens, y compris les dirigeants de l’Autorité Palestinienne (AP), la réaction de Washington approuvait cette position. Obama, deux semaines après son discours « d’ouverture » au Caire, a déclaré que le discours de Netanyahou était « un pas en avant important ».

« Solution à deux États » signifie des choses différentes selon qui parle. D’un point de vue du mouvement de solidarité avec la Palestine, j’entends ici par « solution à deux États » la création d’un État indépendant sur l’ensemble des territoires de Cisjordanie, Gaza et Jérusalem Est. Cela est évidemment une autre solution que celle proposée par Netanyahou ou Obama. Mais cette revendication est-elle encore valable ? Actuellement en Palestine, il y a un débat dans la presse, chez les intellectuels, et parmi les jeunes militants sur la pertinence de cette solution. De nouvelles réflexions se font sur la possibilité d’un État unique, laïque et démocratique. Pour apporter notre solidarité en tant que militants anticapitalistes, il s’agit avant tout d’affirmer notre soutien à l’autodétermination du peuple palestinien et à sa résistance. Quelque soit la solution proposée, elle sera le produit d’un rapport de force en faveur du peuple palestinien que nous aiderons à construire et ne sera pas accordée grâce à des négociations entre puissances impérialistes. De ce point de vue, nous devrons éviter que le débat dans le mouvement de solidarité sur un ou deux États soit une réflexion abstraite sur la « justesse » ou le « pragmatisme » de telle ou telle solution, mais sur les possibilités réelles offertes aux Palestiniens par chaque solution de vaincre la domination sioniste.

Il y a deux erreurs majeures qui nuisent à notre compréhension du problème et qui ont tendance à nous empêcher de voir au delà d’une vision de deux États. Ces erreurs sont souvent complémentaires :

  1. Un manque d’analyse du sionisme et de la nature de l’État d’Israël.
  2. Une vision du problème comme un conflit confiné aux territoires palestiniens, sans implication directe ailleurs dans la région.

Revenir sur Oslo : la tragédie d’un processus négocié de deux États

L’administration américaine a récemment discuté d’un rapport qui explique bien l’évolution de la logique du « processus de paix ». Ce document propose une solution applicable entre 6 à 12 mois, durée après laquelle il explique que la paix ne sera plus possible. L’accord proposé, « basé sur les principes acceptés par Israël et les Palestiniens depuis les accords d’Oslo » et « fondé sur les frontières de 1967 » devient ensuite assez compliqué. Les colonies juives en Cisjordanie seraient annexées à Israël, en échange de régions arabes d’Israël. L’État palestinien sera démilitarisé, avec le déploiement d’une force de « maintien de la paix » de l’OTAN [1]. On pourrait dire sans hésiter que « l’État » qui reste ne sera en effet qu’un réseau de cantons, une non solution pour les Palestiniens.

Il serait pourtant erroné de chercher l’évolution du consensus israélo américain dans un durcissement progressif de la politique israélienne, mais plutôt dans la compréhension même du processus de paix dès ses origines. La solution à deux États définie par les « frontières de 1967 » est le produit d’un contexte bien spécifique, le résultat d’un processus d’événements qui ont mené aux accords d’Oslo, signés en 1993 entre le chef de l’OLP Yasser Arafat et le premier ministre israélien Yitzhak Rabin. Ces accords, la première négociation entre dirigeants israéliens et palestiniens, ont été présentés dans les médias comme le début d’une paix juste et le triomphe de la diplomatie. Pour la direction de l’OLP, qui avait subi plus de vingt années de défaites consécutives, Oslo était un « compromis » avec l’État d’Israël, nécessaire à cause de la puissance de ce dernier et de la faiblesse du mouvement palestinien [2]. Les causes de cette faiblesse pourraient être le sujet d’un autre débat mais ce qui nous intéresse ici est le fait que c’était dans ce contexte de défaites que la politique de « l’État palestinien indépendant » prend forme.

Mais comme nous l’avons vu, les mots « État palestinien » sont des mots tactiques qui peuvent être utilisés ou pas selon les circonstances pour calmer la population opprimée. Effectivement, les accords d’Oslo n’ont jamais fait référence à un État palestinien comme aspiration légitime, mais simplement à l’OLP comme représentant légitime du peuple palestinien. Et cet oubli était bien conscient. Les palestiniens pourraient avoir un gouvernement, l’Autorité Palestinienne (AP), mais cela n’est pas égal à un État indépendant.

Le « compromis » de la direction de l’OLP en 1993 n’en était pas un pour Israël, mais faisait partie de l’adaptation d’une vielle stratégie de colonisation développée par le Général Ygal Allon à la fin des années 60. Le cœur du plan Allon était que, vue l’impossibilité d’annexer les territoires occupés en 1967, il faudrait s’emparer de ces terres à travers la colonisation juive progressive en même temps que se verrait construire des « zones arabes autonomes » qui pourraient éventuellement être rendues à la Jordanie [3]. Une fois suffisamment denses, les zones juives pourraient être annexées à Israël. En effet, pendant les dix ans suivant Oslo, les colonies ont doublé, rapprochées d’Israël par les autoroutes et séparées des « zones arabes autonomes » (en théorie sous contrôle des forces de sécurité palestiniennes) par les check points et le Mur.

Gilbert Achcar a expliqué que « l’accord d’Oslo est en fait la mise en oeuvre du plan Allon. Les zones n’ont pas été rendues à la Jordanie, mais mises sous le contrôle de l’OLP, qui a accepté de jouer le jeu, probablement avec certaines illusions. Car Arafat répétait constamment que cela ne représentait que la première étape vers un État palestinien indépendant et souverain. Peut-être croyait-il naïvement que la direction palestinienne pourrait parvenir à un tel résultat en s’appuyant sur la pression internationale et en s’insinuant dans les bonnes grâces de Washington » [4].

C’est justement cette dépendance de la pression internationale et les «  bonnes grâces de Washington » qui a voué Oslo à l’échec dès le début, alors que les Palestiniens sous occupation se mobilisaient en même temps pour prendre en main leur propre libération. Lors de la première Intifada, qui éclata indépendamment de l’OLP, il y avait un grand décalage entre les Palestiniens sous occupation et leur direction en exil qui ne pouvait pas diriger et contrôler le soulèvement populaire. Ce fut un autre symptôme de la faiblesse de cette direction. Mais pourquoi la direction de l’OLP a-t-elle acceptée naïvement Oslo comme étape vers un État indépendant ? Il y a deux raisons à cela : en premier lieu ce à quoi faisait référence Achcar, c’est-à-dire la dépendance de l’OLP sur la « communauté internationale » et en particulier les États-Unis pour faire pression sur l’État d’Israël qui compromettait sa capacité à mener la résistance. L’autre raison est qu’Arafat, qui perdait le soutien de la population dans les territoires occupés, devait apporter un semblant de victoire. « Par le passé, les Palestiniens s’opposaient toujours au Plan Allon, qui leur vole une grande partie de leur terre. Mais en 1993 Arafat était sur le point de perdre son contrôle sur la société palestinienne, avec beaucoup de protestations contre son mandat unique (" one man rule ") et la corruption de ses organisations. Une apparente victoire sensationnelle semblait la seule chose qui lui garderait le pouvoir ». [5]

Cette expérience avec les résultats tragiques qu’on connaît a-t-elle discréditée l’idée même d’une solution à deux États ? La tragédie d’Oslo nous a confirmé que le sionisme, tant que le rapport de force le permettra, continuera sa colonisation de manière prioritaire, au détriment d’un possible État palestinien. Il s’agira bien évidemment de reconstruire ce rapport de force, très largement en faveur d’Israël après Oslo. Mais si nous pensons que l’idée d’un État palestinien « indépendant » n’est pas une solution possible pour le peuple palestinien, c’est avant tout parce que l’État d’Israël a certaines caractéristiques structurelles qui empêchent tout simplement l’existence d’un véritable État à ses côtés. L’échec d’une solution à deux États est causé par la manière dont l’État sioniste a été fondé, la nature de ce dernier et le rôle qu’il a joué dans la région depuis lors.

Comprendre l’État d’Israël comme source d’instabilité régionale

Un projet colonial encore inachevé

Ce serait une erreur de penser qu’aujourd’hui les dirigeants sionistes aient abandonné, même en partie, leur projet initial de colonisation de l’ensemble de la Palestine par une quelconque modération ou « volonté de compromis ». Au contraire, l’État sioniste a besoin de ce projet colonial et raciste, conçu il y a plus de 100 ans par une petite minorité de Juifs européens, pour continuer à exister. Toute politique de tous les gouvernements israéliens découle d’une idéologie qui conçoit l’expansion comme nécessaire à leur existence.

Le Général Moshe Dayan, un proche du fondateur de l’État d’Israël, David Ben Gurion, dans un discours de 1973, a exprimé les bases de ce qui était et sera sa doctrine.

Lorsqu’un sioniste parle de l’intégralité de la Terre, cela signifie la colonisation par les Juifs de la Terre dans son ensemble. Du point de vue du sionisme la vraie question n’est pas à qui appartient tel bout de la Terre politiquement, ni même l’idée abstraite de l’intégralité de la Terre. Le but du sionisme est plutôt la mise en pratique de la colonisation par les Juifs de toute partie de la Terre d’Israël. [6]

L’importance de ces mots n’est pas seulement ce qui est dit - que le but des sionistes soit toujours de coloniser toute la Palestine - mais aussi ce qui est impliqué : tout compromis n’est que temporaire. Moshé Machover, un révolutionnaire israélien, explique : «  toute partition, ligne verte, accord, etc. qui bloque une partie quelconque de la « Terre d’Israël » à la colonisation juive est au mieux une accommodation acceptée pour des raisons tactiques ou pragmatiques, mais jamais conçue comme finale » [7]. C’est la loi de l’État d’Israël. La partition de 1948, tout comme la trêve après la Guerre de six jours ou encore les accords d’Oslo, sont des trêves temporaires signées dans l’intérêt d’Israël pour lui accorder le temps de se réorganiser pour mieux continuer l’expansion et lui donner une meilleure image afin de ne pas perdre son soutien international.

Néanmoins, la colonisation sioniste ne se fait pas toujours au même rythme. La Nakba fut un moment d’expansion rapide à l’aide d’expulsions forcées massives et après lesquelles les Arabes qui restèrent furent déshérités de leurs terres et mis sous surveillance constante. Par contre, la période qui suivit 1967 était celle d’une colonisation plus lente. Si le but du sionisme a toujours été le même - le plus de terres et le moins d’Arabes possible - les effets de son expansion sur les Palestiniens ont cependant changé. Dans leur large majorité, les Palestiniens de Cisjordanie, Gaza et Jérusalem Est sont restés lors de la Guerre des six jours. Israël, étant déclaré comme un « État juif et démocratique », ne pouvait pas annexer directement des terres densément peuplées d’Arabes (ce qui causerait un problème par rapport à son aspect « démocratique »). La seule possibilité pour Israël était une colonisation plus lente (le Plan Allon mentionné ci-dessus) qui dure jusqu’à présent.

Essentiellement nous comprendrons les spécificités de la colonisation sioniste et la nature structurelle de l’État qu’elle a fondé en regardant les bases économiques mises en place. La spécificité de la colonisation sioniste est l’exclusion des travailleurs arabes de l’économie et non pas leur surexploitation en tant que main d’oeuvre salariée. Les fondateurs du projet sioniste avaient bien conçu l’idée de nettoyage ethnique comme la seule manière de coloniser la Palestine. Pour cela, pendant les décennies avant 1948, les colons mettaient en place une économie parallèle basée sur le « travail juif ». Toute la situation depuis n’a pas dévié de ce schéma, y compris en ce qui concerne la structure économique israélienne. Les Palestiniens sous occupation, ne sont pas une main d’œuvre régulièrement exploitable par Israël, sauf à des exceptions. Au contraire, ils sont poussés à partir, n’étant pas nécessaires pour le fonctionnement de la société. Ces aspects ont des conséquences importantes sur la manière de lutter contre le sionisme.

Il est clair qu’un État fondé sur l’expulsion d’un peuple de sa terre n’est pas un État qui sera prêt à se désarmer et à permettre que les expulsés s’installent dans son arrière-cour. Israël a réussi à expulser des centaines de milliers de Palestiniens, mais des millions ne sont pas partis et sont une menace pour l’État d’Israël. La nature coloniale et raciste de l’État d’Israël n’explique qu’en partie en quoi cet État est une source d’instabilité régionale. L’autre facteur est le rôle important qu’il joue en lien avec l’impérialisme.

Base permanente pour l’impérialisme au Moyen Orient

Dans la période après 1948, l’impérialisme occidental au Moyen-Orient était face à une nouvelle conjoncture politique. Le Moyen-Orient avait émergé comme centre de production pétrolière mondiale et les États-Unis remplaçaient la Grande Bretagne et la France comme principale puissance impérialiste dans la région. Des mouvements nationalistes populaires remettaient en cause la domination occidentale des ressources. Les USA autant que les « vieux » impérialistes cherchaient le meilleur moyen de mater ces révoltes populaires.

Israël, bien conscient de la situation, s’est présenté comme le plus apte à venir en aide aux puissances occidentales. En 1953 le journal israélien Hareetz analysait : « L’Occident n’est pas content de ses relations avec les États au Moyen-Orient. Les régimes féodaux doivent désormais faire de telles concessions aux mouvements nationalistes... qu’ils hésitent avant d’accorder à la Grande Bretagne et aux États-Unis des ressources naturelles et des bases militaires... Donc le renforcement d’Israël aide les puissances occidentales à maintenir l’équilibre et la stabilité au Moyen-Orient. Israël sera le chien de garde... L’on peut se fier à Israël pour punir un ou plusieurs États voisins à qui l’impolitesse à l’égard de l’Occident dépasse les limites du permissible ». [8] C’était l’époque du coup d’État américain en Iran qui a renversé le président nationaliste Mossadegh pour installer le Shah.

Cette coopération avec l’Occident n’était pas un opportunisme soudain pour gagner la faveur des pays impérialistes mais faisait partie aussi intégrante du sionisme que le nettoyage ethnique. Theodor Herzl en 1882 déclara le futur État comme « rempart de l’Europe contre l’Asie, avant garde de la civilisation contre la barbarie ». Son existence dépendait de l’importance qu’il pouvait avoir pour l’impérialisme. Pendant la première colonisation les associations sionistes ont vendu leur projet à la Grande Bretagne, qui a répondu par la déclaration de Balfour [9]. Une fois fondé, l’État d’Israël avait également besoin de s’avérer chien de garde de la région pour trouver des financements, toujours de l’impérialisme dominant. Si avant 1960 la France était toujours son principal fournisseur d’armes (en échange du soutien israélien au colonialisme en Algérie et au Vietnam [10], les États-Unis sont devenus son patron unique surtout à partir de la Guerre des six jours en 1967.

La vitesse avec laquelle Israël vaincra les armées égyptiennes, syriennes et jordaniennes, portant un coup fatal au nationalisme arabe, montrera aux États-Unis qu’Israël sera le capital stratégique le plus important dans la région. Si avant 1967 Israël était un allié important des USA qui bénéficiait de financements importants, les dirigeants américains n’étaient pas encore convaincus de sa capacité d’agir comme sous-traitant privilégié de leur projet impérialiste. Israël faisait alors partie d’un réseau de régimes pro-occidentaux, avec la Turquie, l’Iran et les monarchies du Golfe. Après la guerre, Israël est devenu de loin le destinataire le plus important de financement et armement américain. Entre 1967 et 1972 l’aide totale donnée à l’État sioniste augmenta de $6,4 milliards à $9,2 milliards par an, pendant que le nombre de prêts pour acheter des armes américaines se multiplia par dix [11] et à certains moments, l’administration américaine donna même des armes à Israël. Aujourd’hui sans les financements américains, l’État sioniste ne pourrait pas exister.

Evidemment il est difficile d’imaginer l’existence d’Israël sans l’aide américaine étant donné son besoin structurel de financements de la part de pays impérialistes, mais Israël est aussi un appui pour les États-Unis. Le projet impérialiste au Moyen-Orient vise à contrôler les ressources pétrolières de la région, facilité par l’aide des régimes locaux souvent les plus autoritaires. Ce processus passe par les régimes directement producteurs de pétrole (Arabie Saoudite, Iran du Shah, Irak aujourd’hui), mais aussi des régimes réactionnaires locaux (la Jordanie, l’Egypte après Nasser) qui facilitent la coopération militaire. Mais Israël se différencie de ces autres régimes, détestés par leurs habitants, par la stabilité dont il jouit. Le sionisme fait que la majorité des Israéliens soutiennent leur régime, sont prêts à le défendre et identifient leur existence avec lui. Ce type de régime, agressivement expansionniste a pu être une base permanente pour les États-Unis [12]. Les rapports particuliers que l’État d’Israël maintient avec les États-Unis donnent à la lutte pour un État palestinien un caractère résolument anti-impérialiste et international.

L’erreur de chercher un« compromis » avec le sionisme

Un État « indépendant » soumis à Israël

En appliquant cette analyse de l’État d’Israël, il devient évident que le slogan « solution à deux États » ne signifie en rien la même chose pour Israël et pour le peuple palestinien. Pour l’État sioniste cela intègre une stratégie bien développée pour avancer rapidement dans son projet de colonisation. Pour le mouvement national palestinien, et par conséquent pour le mouvement de solidarité, c’est un slogan de compromis. Le mot d’ordre d’État palestinien indépendant était vu comme une revendication plus « pragmatique » et donc plus audible internationalement que celle de l’État unique. Si certains étaient prêts à abandonner tout simplement la bataille pour un seul État, d’autres voyaient l’État indépendant comme une étape « transitoire » qui avancerait vers un État unique.

Quelle nouvelle réalité produirait un État palestinien à côté d’Israël ? Imaginons une minute que, par une combinaison de renaissance du mouvement national, un fort mouvement de solidarité et la pression internationale sur Israël, un État palestinien indépendant, c’est-à-dire sans colonie, canton, check point, etc., voit le jour en Cisjordanie, Gaza et Jérusalem Est. Comment cet État aurait-il une vraie indépendance politique vis-à-vis d’Israël alors que l’État juif, bénéficiant toujours du soutien occidental, sera puissant économiquement, très militarisé et sensibilisé contre la « menace » de Palestiniens avec un État juste à côté ? Ce n’est pas de la spéculation de constater que cet État sera très vulnérable à des restrictions et possibles incursions militaires.

Un autre problème se pose, celui des réfugiés. Si les négociations qui ont débouché avec Oslo ne prennent pas en compte le droit au retour, celui-ci reste une question de première importance dans le mouvement national et le mouvement de solidarité. Aujourd’hui sur une population totale de 10 millions de Palestiniens, presque 7 millions sont des réfugiés.

Il n’est en rien crédible d’imaginer une telle population s’installer sur une terre d’une superficie d’à peine 6.000 km². Par contre, l’existence de cet État impliquerait que les dirigeants israéliens mettent la pression sur les Arabes de 1948 (« Arabes israéliens ») pour quitter l’État sioniste et s’installer dans l’État palestinien (les propositions d’Avigdor Lieberman vont déjà dans ce sens). Par là on revient de nouveau au souci de l’indépendance de l’État palestinien puisque des sujets comme le « problème démographique » - c’est-à-dire beaucoup plus de palestiniens dans le nouvel État que de juifs dans l’État d’Israël, si les réfugiés s’y installent ou pas - nourriraient des discours sur la sécurité et l’identité de l’État sioniste avec y compris des nouveaux projets d’expansion. Pour ceux qui croient à l’État indépendant comme étape nécessaire avant l’État unique, cette solution poussera plutôt dans le sens de la division et non vers l’unité nécessaire pour un État.

Toute solution au problème palestinien doit d’abord poser la question de l’avènement de l’État d’Israël. Tant que l’État d’Israël reste inchangé - avec la même structure et jouant le même rôle dans la région - cet État palestinien ne sera jamais indépendant. S’il s’agit du besoin de changer totalement la nature de l’État d’Israël, l’idée d’un État unique, laïque et démocratique, n’apparaît plus comme l’option la moins pragmatique.

Avoir une perspective qui mobilise

La réalité sur le terrain confirme la réalité de ce choix. Aujourd’hui accepter Israël comme État sioniste revient à abandonner même la perspective d’un État palestinien puisque cela ignore la réalité des nouvelles expansions et les nouvelles frontières depuis Oslo. Un projet de deux États qui, diraient certains, était concevable comme solution il y a vingt ans, est maintenant une abstraction qui n’a plus aucune réalité concrète. Les conclusions qui doivent être tirées pour le mouvement concernent en réalité les mêmes notions que mettent en avant ceux qui croient à l’État indépendant : pragmatisme, réalisme et audibilité internationale.

Aujourd’hui 500.000 colons israéliens résident en Cisjordanie. Ce nombre continue d’augmenter avec 75.000 nouveaux logements en construction [13]. Toujours soucieux du « problème démographique », la colonisation juive n’a pas donnée de signes de ralentissement. À peu près 50 % de la terre en Cisjordanie est désormais intégrée à l’infrastructure israélienne, dépendante de ce dernier pour les ressources élémentaires. L’autre moitié est divisée par des check points, autoroutes et le Mur. Face à ces conditions de vie en Palestine, parler d’un État palestinien en Cisjordanie, en plus de l’îlot de Gaza, est un discours abstrait [14].

Appeler à la création d’un État palestinien sur ces territoires ne serait pas aujourd’hui une revendication plus « pragmatique » que celle d’un État unique sur l’ensemble de la Palestine. La majorité des territoires de la Palestine, comme nous l’avons vu, font déjà partie intégrante de l’État d’lsraël. Exiger, au nom du « réalisme », que ce dernier les rende à un État palestinien revient à lui demander de renoncer à ce qui a été son projet depuis 40 ans - un « compromis » qu’il sera très difficilement prêt à faire (probablement seulement en dernier recours face à la menace d’un mouvement capable de renverser ses bases...).

Se battre pour une terre qui n’a aujourd’hui plus d’indépendance territoriale serait presque la même chose que de se battre avant 1967 pour la Cisjordanie, Gaza et une partie d’Israël où se concentrent des Arabes de 1948. Il s’agit en effet d’exiger qu’Israël abandonne son projet sioniste, la même exigence explicite dans la revendication d’un État laïque et démocratique sur toute la Palestine.

En ce qui concerne l’audibilité d’une revendication pour l’avenir de la Palestine, il s’agit de l’audibilité d’une revendication qui a une base matérielle et peut être utilisée comme point de départ pour un mouvement massif, et non pas son audibilité face à la communauté internationale. Il s’agira en grande partie de construire un nouveau mouvement national à partir de la compréhension de la nouvelle réalité et avec une perspective à laquelle peuvent s’identifier les masses palestiniennes. Le fait que la direction de l’AP d’Abu Mazen soit discréditée et que seulement 35% des Palestiniens des territoires soutiennent une solution à deux États [15], démontre en tout cas que le mouvement est obligé de réexaminer ses stratégies. Evidemment l’État unique est une revendication autour de laquelle peuvent se rallier les Palestiniens de 48 et les réfugiés. Il est urgent que le mouvement de solidarité fasse la même chose, en se battant pour une vraie solution.

Obama et Netanyahou peuvent utiliser un langage différent quand il s’agit de prononcer les mots État palestinien, mais ils convergent dans la reconnaissance qu’Israël doit rester «  État juif » et que la « solution » pour les Palestiniens ne passera pas par le démantèlement des colonies existantes. Le président américain reste attaché à un discours obsolète du processus d’Oslo mais en fait c’est Netanyahou qui est le plus réaliste. La réalité concrète des véritables frontières de l’État juif en expansion ne permet pas d’État palestinien. La lutte palestinienne ne pourra pas « faire avec » le projet sioniste, mais devra en finir avec lui.

Résolution dans un contexte régional

Un problème qui pèse sur le mouvement de solidarité est l’idée que le conflit est entre deux peuples sur la même terre. Cette abstraction mène certains militants sincères à la conclusion que la solution à deux États est la solution viable. Il devrait être clair qu’une solution en Palestine nécessite un renversement des rapports de force régionaux et internationaux. Aujourd’hui, Israël reçoit toujours le soutien total des États-Unis parce qu’il est toujours leur « chien de garde » dans le Moyen Orient. En même temps, nous savons que l’État d’Israël ne pourrait pas exister sans ses subventions occidentales et qu’une défaite pour l’impérialisme américain serait une défaite pour Israël.

Les manifestations de janvier dernier en solidarité avec Gaza à travers le monde arabe, ont pris pour cible le dictateur égyptien Hosni Moubarak, chef d’un régime autoritaire soutenu par les États-Unis qui a clairement montré sa complicité avec Israël. L’Égypte, la Jordanie et les pays du Golfe jouent ce rôle de client pro-occidental. Effectivement, l’importance stratégique du Moyen-Orient fait que les masses arabes ont été continuellement en conflit avec l’impérialisme tout au long du dernier siècle. Mais l’instabilité de l’Égypte et de la Jordanie a aussi une importance décisive pour le processus capable de renverser les rapports de force actuels. La résistance des Palestiniens pour renverser l’État d’Israël doit être coordonnée avec les mouvements des pays arabes, dont la lutte des classes sera la force motrice. [16]

Nous ne pourrons pas examiner ici le développement des différentes luttes dans la région, mais les liens entre celles-ci seront un enjeu pour la prochaine période. L’impérialisme américain, affaibli mais encore dominant, ne pourra à lui tout seul assurer la « stabilité » de la région. Cela implique une capacité d’intervention militaire diminuée et la continuité de son alliance avec Israël comme partenaire privilégié. Seuls des mouvements capables de renverser ces régimes clients, déjà instables, pourront détruire la base sur laquelle repose l’existence de l’État d’Israël, et poser les termes de la libération de la Palestine de manière beaucoup plus concrète.

Notes

[1Ali Abunimah, «  No hope or change from Obama-Netanyahu meeting  », consultable sur http://electronicintifada.net/v2/article10546.shtml.

[2La politique de solution à deux États était déjà acceptée implicitement par l’OLP en 1974 mais ne devint la politique officielle qu’à la fin des années 80.

[3Pour une analyse plus développée : Gilbert Achcar et Noam Chomsky, La Poudrière du Moyen Orient, Fayard, 2006.

[4Gilbert Achcar et Noam Chomsky, op. cit. (note 3), p. 256.

[5Entretien avec Tanya Reinhart, «  Israel/Palestine : How to End the War of 1948  », consultable sur http://www.zmag.org/znet/viewArticle/11426.

[6Cité par Moshé Machover dans «  Israelis and Palestinians : Conflict and Resolution  », International Socialist Review, n° 65.

[7Moshé Machover, op. cit. (note 6).

[8Cité par Lance Selfa, Israel : “Watchdog State” in The Struggle for Palestine, Haymarket Books, 2002.

[9La déclaration de Balfour fut le document par lequel la Grande Bretagne officialisa son soutien pour «  la fondation en Palestine d’une patrie pour le peuple juif  ».

[1010. Lance Selfa, op. cit.

[11Lance Selfa, op. cit.

[12Il y a bien entendu des contradictions dans les relations USA-Israël. Par exemple, les américains doivent parfois cacher leur soutien à Israël pour ne pas perdre leur crédibilité aux yeux des gouvernements arabes. Tel était le cas lors de la première Guerre du Golfe, où les États-Unis ont dû empêcher Israël d’entrer en guerre pour pouvoir former une coalition d’États arabes.

[13http://english.aljazeera.net/
news/middleeast/2009/06/
2009611115437425689.html.

[14Voir l’article de Julien Salingue, La fin du mythe de “l’État palestinien indépendant“, consultable sur http://juliensalingue.over-blog.com/article-19921618.html.

[15Ali Abunimah, One Voice : manufacturing consent for Israeli apartheid, consultable sur http://electronicintifada.net/
v2/article10497.shtml.

[16Pour une analyse des mouvements de grèves en Egypte voir l’article de Sellouma, «  Egypte, une clé pour comprendre et libérer le Moyen-Orient  », Que faire  ?, n°8, mai-juillet 2008.

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