Le Zapatisme

Enjeux de la révolution dans le nouveau millénaire

par Mike Gonzalez

23 juin 2010

Il y a eu ceux qui disaient que la chute du mur de Berlin marquerait le début d’une ère nouvelle, dans laquelle un capitalisme arrivé à maturité, ayant la possibilité d’agir librement sur toute la planète, apporterait finalement la prospérité aux quatre coins de la terre. Le mythe vola en éclats sur la Route de Bassorah, lorsque la preuve des méthodes de l’expansion capitaliste fut administrée en direct par CNN pour les téléspectateurs du monde entier.

La croisée des chemins

Il y a eu ceux qui disaient que la chute du mur de Berlin marquerait le début d’une ère nouvelle, dans laquelle un capitalisme arrivé à maturité, ayant la possibilité d’agir librement sur toute la planète, apporterait finalement la prospérité aux quatre coins de la terre. Le mythe vola en éclats sur la Route de Bassorah, lorsque la preuve des méthodes de l’expansion capitaliste fut administrée en direct par CNN pour les téléspectateurs du monde entier. Dans la période qui suivit, l’abandon de l’Afrique, l’imposition brutale de stratégies économiques néolibérales et la désintégration de la Russie inaugurèrent une période d’agression qui s’est poursuivie dans la Guerre des Balkans (et aujourd’hui dans la soi-disant « croisade antiterroriste » NDLR).

Ce qui n’était pas clair dans ce début des années 90, c’était à quel endroit et sous quelles formes la résistance commencerait à s’exprimer. En fait, la lutte contre les dégâts du capitalisme ne s’était évidemment pas interrompue – l’Intifada palestinienne ne s’était pas ralentie du fait de la « fin de l’histoire », les sans terre et les sans logis du Brésil commençaient leurs occupations d’espaces vacants dans tout le pays, et l’Afrique du Sud célébrait le renversement de l’apartheid.

Et pourtant beaucoup, à gauche, semblaient convaincus que la révolution n’était plus possible – comme si la possibilité du renversement du capitalisme par les masses était inextricablement liée à ces bureaucraties brutales d’Europe de l’Est, qui se proclamaient les héritières de la révolution prolétarienne tout en réprimant sauvagement toute tentative de leurs propres travailleurs de s’organiser sur des bases de classe. Les luttes contre le capitalisme continuaient sans désemparer, mais elles étaient désormais décrites comme de « nouveaux mouvement sociaux », une désignation qui semblait les distancer de tout contenu de classe et de toute compréhension d’ordre général – ces « grandes narrations » tant moquées, qui recherchaient les lois dynamiques reliant et connectant des phénomènes apparemment disparates. Et il est vrai que superficiellement beaucoup de ces formes d’organisation paraissaient émerger de problèmes locaux, ou se faisaient vertu de ne pas avoir de programme de transformation sociale générale. Ils étaient écologistes, ethniques ou revendicatifs de droits, sans prescription pour la réorganisation de la société dans son ensemble.

Le Nouvel An 1994

Soudain, le 1er janvier 1994, juste après minuit, le local et le global coïncidèrent d’une façon dont il était impossible d’ignorer l’énorme puissance symbolique. Alors que les présidents du Mexique et des États-Unis, avec le Premier Ministre du Canada, s’apprêtaient à lancer l’Accord de Libre Echange Nord Américain (ALENA), un soulèvement de communautés indigènes dans une région éloignée du Sud du Mexique – l’État du Chiapas – fit les premières pages. L’EZLN – l’Armée Zapatiste de Libération Nationale – sortait son premier communiqué.

La célébration fut quasi immédiate. John Berger et Roger Burbach étaient parmi ceux qui qualifièrent l’événement de « première révolution postmoderne ». Qu’est-ce donc qui attirait tant, dans les zapatistes, les sections démoralisées de la vieille gauche ? Et pourquoi le Chiapas insurgé devait-il plus tard devenir un élément central du nouveau mouvement regroupé autour de la condamnation du capital global et de ses incursions destructives dans toutes les parties du monde ?

D’une part, l’histoire particulière du Chiapas illustrait à quel point le processus de mondialisation était envahissant et impitoyable ; d’autre part, cette même histoire exposait sous une lumière crue les conséquences réelles de ces programmes globaux d’intégration économique et de « rationalisation » dissimulés derrière des appellations anodines telles que « ajustement structurel ». Duncan Green cite The Economist, un journal auquel on peut généralement faire confiance pour dire la vérité à ses supporters dans la classe dirigeante : « La stabilisation et l’ajustement structurel ont procuré aux riches de magnifiques retours ». Ces retours, évidemment, représentaient une redistribution de la richesse à travers le monde. Dans le cas spécifique de l’Amérique latine, par exemple, « 60 millions de nouveaux noms étaient ajoutés à la liste de ceux qui vivaient dans la pauvreté en Amérique latine », selon les statistiques fournies par la Commission Economique pour l’Amérique Latine (CEPAL) entre 1990 et 1993. Dès 1997, ce chiffre s’était élevé au point que 36% des foyers vivaient en dessous des niveaux de pauvreté définis par l’UNESCO.

De façon générale, ces statistiques rigides se traduisaient par un schéma général de plus en plus répétitif. Les sociétés multinationales pénétraient de plus en plus dans des régions autrefois consacrées à l’agriculture de subsistance ou à la production de nourriture, les utilisant pour la culture tournée vers l’exportation et dotée de technologies avancées. En même temps, les importations de produits alimentaires bien moins chers en provenances des États-Unis – en particulier le maïs – mettaient en péril cette forme d’agriculture elle-même. Un exemple particulièrement poignant est celui du tournant de l’économie salvadorienne vers la production de fleurs aux dépens des terres productrices de nourriture. Le peu de terres restant consacrées aux produits alimentaires étaient de plus en plus polluées par les engrais hautement toxiques employés pour accélérer la croissance des fleurs. Le même processus était répété à une échelle bien plus large sur l’ensemble du continent.

Ceux qui, parmi ces travailleurs agricoles ou fermiers, étaient expulsés de la terre, se dirigèrent vers les bidonvilles urbains en expansion à la recherche d’un travail occasionnel, ce qui, le plus souvent, consistait à rejoindre les armées fantomatiques des « ambulantes » - marchands de rue vendant des produits de contrebande, du chewing gum ou des produits de consommation durables, cracheurs de feu, ou titubant devant des files de voitures aux feux rouges. Ou bien ils rejoignaient les gangs de jeunes pickpockets ou de trafiquants de drogue qui se mirent à hanter les rues de presque toutes les villes d’Amérique Centrale après 1990. A la campagne, le chômage s’accrut encore plus rapidement que dans les villes, et l’extrême pauvreté y fit sa réapparition. Un boom touristique apportant un nouveau marché pour le soleil et le sable, ainsi que les multiples aspects des « services » amenant les Latino-Américains à vendre un ou plusieurs de leurs attributs physiques en échange de l’indispensable dollar – indispensable parce que l’autre aspect de l’ajustement structurel était le démantèlement systématique des services publics, santé et éducation. En même temps que ceux-ci étaient privatisés, ils devenaient accessibles à une clientèle limitée nantie de dollars. Nul n’y échappait – même pas Cuba, en dépit de ses prétentions à avoir échappé aux lois impitoyables de la survie dans le marché global.

L’ALENA représentait à certains égards une deuxième étape de ce processus d’intégration et d’ajustement. C’était le « premier accord de commerce régional à avoir jamais été conclu entre économies du premier et du tiers monde » – même si le Mexique était l’une des plus importantes des économie non métropolitaines – « dans lequel la technologie de pointe, l’agriculture de subsistance, le capital financier global, un chômage massif et des systèmes légaux et politiques différents étaient mélangés pour la première fois ». Ce que l’ALENA garantissait était la suppression de toutes les barrières douanières et restrictions à l’investissement étranger, même pour les financements étatiques. Dans l’agriculture, tous les droits de douane devaient être supprimés sur 15 ans, ce qui signifiait la disparition pure et simple de toutes les entreprises petites et moyennes dans les secteurs du sucre, du maïs et des légumes. Même le secteur symboliquement sacré du Mexique – la production de pétrole – fut partiellement ouvert, et l’industrie financière avait déjà ouvert des zones importantes à l’investissement étranger – les assurances et le marché des actions, par exemple – avec la perspective de l’élimination de toutes les barrières financières à l’horizon 2007.

Le président d’alors, Carlos Salinas de Gortari, était un converti, tardif mais enthousiaste, à l’ALENA. La fortune personnelle énorme qu’il accumula, et son implication ténébreuse dans toutes sortes de coups fourrés, y compris l’élimination de ses concurrents et opposants politiques, peuvent expliquer cette conversion. De plus, il était le président du PRI, le Parti Révolutionnaire Institutionnel qui avait gouverné le Mexique sous une forme ou sous une autre depuis les années 20, et qui était en fait la machine politique de l’État. Il constituait, dans tous les sens du terme, une dictature bureaucratique dans laquelle l’élection tous les six ans d’un nouveau président n’indiquait qu’un transfert de pouvoir entre les diverses composantes de l’élite gouvernementale. Ainsi, lorsque Salinas annonça que « ce qui est le plus satisfaisant en fin de compte c’est que nous avons réalisé un équilibre qui est bon pour les trois pays », il avait toutes les raisons de penser qu’avec un tel degré de contrôle économique, les victimes du nouvel accord ne pourraient mettre en péril le lancement officiel, tant vanté, de l’ALENA.

Il était profondément dans l’erreur.

La montée des foulards rouges

Le mouvement armé qui s’empara de la ville de San Cristóbal de las Casas, capitale de l’État mexicain méridional du Chiapas, n’aurait pu constituer un contraste plus saisissant avec la clique de politiciens et d’hommes d’affaires internationaux aux costards impeccables (parmi lesquels Clinton et Salinas) qui s’était assemblée pour signer les documents de l’ALENA. C’était des indigènes, membres des quelque 21 groupes ethniques qui occupaient l’intérieur et les alentours de la forêt du Lacandón près de la frontière guatémaltèque. Ils parlaient toute une variété de langues. Leurs armes se limitaient à des fusils – et certains insurgés ne portaient que des imitations en bois. Leur costume était souvent fait à la main – des couvertures de fabrication locale, des sandales rustiques, des passe-montagne de laine pour dissimuler leurs visages. Qu’est-ce qui pouvait être plus éloigné du monde de biens de consommation et de flux financiers multinationaux qui était celui des signataires de l’ALENA – d’autant plus qu’ils parlaient tojolobal ou tzotzil ou k’iche plutôt que l’anglais du marché global ? Pourtant dans leur région apparemment éloignée les pourparlers conduits dans des bureaux confortables à l’air conditionné modelaient et frappaient leur vie quotidienne. La distance n’était qu’apparente. La serre d’acier du marché global tenait aussi leurs vies en son pouvoir.

Les ethnies auxquelles ils appartenaient constituaient quelques-uns des 10 et quelque millions d’indigènes du Mexique – des gens dont les conditions d’existence et le niveau de vie étaient parmi les plus bas sur le continent. Des 3 millions environ de résidents du Chiapas à cette époque, un tiers étaient illettrés – très majoritairement des indigènes. La moitié de la population vivait dans des maisons sans eau courante, encore une fois la plupart d’entre eux membres de minorités ethniques. Les maladies étaient omniprésentes, l’espérance de vie plus basse que dans n’importe quelle section de la population mexicaine (90 millions d’habitants), et 39% de la population gagnait moins que le salaire minimum, avec une mortalité infantile (près de 55 pour 1000) parmi les plus élevées du pays, sinon de la région. Comme le dit la Première Déclaration de la Forêt de Lacandón :

On nous a refusé l’éducation la plus élémentaire, pour nous utiliser comme de la chair à canon et pour piller la richesse de notre pays sans aucune considération pour le fait que nous mourons de faim et de maladies curables ; sans aucun souci pour le fait que nous n’avons rien, absolument rien ; pas de toit digne de ce nom, ni terre ni travail, pas de santé, de nourriture ou d’éducation ; sans droit d’élire nos autorités librement et démocratiquement ; sans indépendance des étrangers, sans paix ni justice pour nous ou pour nos enfants.

Aujourd’hui nous disons basta ! Ca suffit !

Pourtant le Chiapas produisait la moitié de l’énergie hydro-électrique du Mexique, était le plus important État producteur de café et produisait la deuxième quantité de pétrole après Veracruz. Il était aussi de plus en plus important dans la production de bétail. Le contraste parle de lui-même.

Les chiffres, cependant, dissimulent une expérience historique spécifique, qui se situe aux racines même du mouvement zapatiste et explique jusqu’à un certain point ses formes d’organisations caractéristiques et son langage symbolique.

Au milieu des années 30, sous la présidence populiste de Lazaro Cárdenas, l’une des revendications essentielles des révolutionnaires paysans dirigés par Emiliano Zapata commença à être satisfaite – l’expropriation des terres agricoles et leur redistribution sous la forme de parcelles communales appelées ejidos. Au cours des années 30, la redistribution continua, bien que les terres remises aux ejidos fussent plutôt des terres marginales, distantes des routes et des services d’infrastructure et souvent non cultivées auparavant, dans la Forêt du Lacandón et les bassins fluviaux. Les bénéficiaires en étaient essentiellement des communautés indigènes. En même temps que l’économie agricole du Chiapas connaissait une croissance dans les années 60 et 70, l’élevage du bétail devint le secteur d’activité le plus important – et alors que les ejidos élevaient du bétail celui-ci était essentiellement vendu à l’état de veaux aux grandes exploitations productrices de bétail pour le marché national et international. En fait, la terre des ejidos était elle-même de plus en plus sous-louée à de plus gros fermiers individuels ou aux grandes exploitations – même si c’était expressément interdit par la législation originale. Dans les années 70, de nombreux membres des ejidos se retrouvèrent dans la situation d’ouvriers agricoles sur la terre dont ils étaient en principe les propriétaires collectifs. Dans la même décennie la production de bétail doubla (de 2 millions à près de 4 millions de têtes), occupant de plus en plus de terres, et un boom pétrolier attira de plus en plus de main d’œuvre des campagnes vers les villes du nord-est du Chiapas. En même temps, une demande croissante d’électricité de la part d’une économie urbaine en expansion provoqua directement l’inondation de 100.000 hectares de bonnes terres arables.

Evidemment, il y avait une résistance. L’évêque Samuel Ruiz, nommé à son poste malgré la protestation véhémente de l’église conservatrice, avait déjà organisé une conférence de paysans en octobre 1974, dans laquelle 527 délégués représentaient 327 communautés indigènes. Les problèmes essentiels abordés par ce congrès concernaient les accaparements agressifs des grandes exploitations bovines sur les terres communales, la corruption des officiels gouvernementaux et leur complicité avec les grands propriétaires terriens, et l’absence de droit du travail pour les salariés des plantations. Les communautés indiennes et les fermiers décrivaient comment les fonctionnaires locaux contrôlaient l’accès aux marchés, d’une part, et le crédit, de l’autre, une exploitation renforcée par l’absence de droits culturels (fondamentalement le droit d’utiliser leur propre langue) et une étonnante absence des structures sanitaires les plus élémentaires. La réponse du gouvernement au congrès prit dans la pratique la forme du meurtre par l’armée de six paysans.

Les tensions furent exacerbées par la crise du début des années 80, qui commença avec la dévaluation de 1982. Le gouvernement de De la Madrid (1982-1988) franchit les premiers pas vers les politiques délibérées d’ajustement structurel introduites par le régime de Salinas. Ainsi, le sauvetage de l’économie mexicaine organisé par les institutions financières internationales et le capital privé américain comportait non seulement l’augmentation massive de la dette, mais aussi des conditions et des obligations que De la Madrid appliqua avec enthousiasme. Le résultat fut un effondrement des salaires réels de près de 40%, des réductions de dépenses sociales de plus de 40%, une augmentation du chômage de 15% (de 9 à 24% dans la population économiquement active) et un programme rampant de privatisations. Le résultat général faisait apparaître une redistribution dramatique de la richesse en direction des riches – la part du travail dans le PIB passant de 41 à 29%). Au Chiapas même, la situation générale connut des formes extrêmes : une augmentation de 400% de l’exportation de bétail entre 1982 et 1987, le nombre de troupeaux baissant de façon significative, et l’industrie de plus en plus concentrée dans un nombre de mains de plus en plus restreint. La suppression de l’agence étatique INMECAFE mit les petits producteurs de café à la merci des intermédiaires agissant pour le compte du marché international – avec pour résultat l’effondrement virtuel de la petite production caféière. Tout au long de cette période, les communautés résistèrent, s’organisèrent et répliquèrent. Le gouvernement, quant à lui, mit en place des réformes occasionnelles et des redistributions de terres. Mais aucune d’entre elles ne visait à modifier en profondeur les formes de propriété rurale ou de distribution des revenus. Comme à l’accoutumée, l’État et le PRI, son expression politique, utilisèrent l’octroi de terres et de subventions aux ejidos comme instrument de supervision et méthode de contrôle politique – avec la mise en place d’une direction locale cliente pour laquelle les subsides et les titres de propriété étaient des récompenses pour leur allégeance au PRI. Bien que tout ceci réussît souvent à troubler et diviser la résistance émergeant à la base, cela ne pouvait mettre un coup d’arrêt au développement d’organisations indépendantes telles que les zapatistes. En 1989-90 le gouverneur PRI du Chiapas, Paztrocinio Gonzalez Garrido, lui-même riche baron du bétail, mit en place une campagne répressive contre les organisations indigènes de résistance, tout en s’appropriant simultanément les terres communales et les petites exploitations pour les absorber dans les grands domaines agricoles. Les protestations paysannes furent brisées par des bandes armées, les droits communaux ignorés, les dirigeants du mouvement enlevés et emprisonnés. En 1991, un groupe de femmes d’Ecatepec organisa un sit-in de protestation au centre de Mexico, et l’année suivante la répression violente d’une réunion des organisations indigènes provoqua une marche pendant 6 semaines de 400 personnes de Palenque à Mexico, qui rompit finalement la conspiration du silence.

La montée irrésistible du zapatisme

Ceux qui pensaient que le mouvement zapatiste était une explosion virtuellement spontanée contre le néolibéralisme et ses stratégies étaient tout simplement dans l’erreur. L’EZLN était un mouvement dont la date de fondation suscite encore des controverses, mais qui s’était constitué à tout le moins cinq ans avant le soulèvement de 1994. Et ce qui est plus important, il intégrait 20 années de lutte pratiquement continue et déterminée de la part de tout un ensemble de communautés et d’organisations contre les dommages occasionnés non pas tant par des décisions tactiques spécifiques que par le développement du capitalisme mexicain lui-même. Le fait que la plupart de ceux qui étaient impliqués dans la résistance étaient attachés à des traditions culturelles indigènes et parlaient espagnol de façon imparfaite ne les mettait pas à l’abri des processus d’accumulation décidés et organisés, dans des cadres profondément différents, par des gens qui n’avaient rien de commun avec eux. Pas plus la technologie souvent sommaire qu’ils utilisaient dans un système de production habituellement basé sur le travail intensif, ou l’absence de la protection sociale la plus élémentaire, ne signifiaient qu’ils se situaient en dehors des cercles de la reproduction d’un système capitaliste international. Mais cela servait à montrer à quel point ils étaient éloignés de tout système de représentation – d’une voix politique, dont leurs langues ethniques multiples et peu comprises symbolisaient l’absence.

Pourtant 1992-94 marqua un changement qualitatif dans le caractère de l’organisation et de la lutte des paysans du Chiapas. Il est important de répéter que, en même temps qu’il peut satisfaire une mythologie essentiellement occidentale sur la façon dont les opprimés commencent à résister, il n’est tout simplement pas vrai que la transformation de la lutte indigène de la région a été spontanée ou instinctive. Elle ne confirme pas un modèle du soulèvement des innocents, une ultime défense de tranchée de formes de vie anciennes et perdurantes. Il y a là une population qui avait lutté pour fonctionner au sein d’une économie moderne et face aux assauts des représentants d’un capitalisme global agressif qui avait depuis longtemps pénétré les recoins les plus éloignés de la région du Chiapas.

Ce que 1992 a marqué, en tout état de cause, c’est un changement important dans les formes de lutte et dans l’idéologie de l’insurrection paysanne. Un élément clé fut la décision prise par Salinas de révoquer l’article 27 de la Constitution mexicaine ; c’était une décision à la résonance profonde et à la signification très large. L’article 27 faisait référence à la promesse d’une réforme agraire et au droit de propriété communale – sous l’empire de l’article réformé la terre pouvait désormais être vendue et achetée, et l’engagement de l’État dans le sens d’une réforme agraire officiellement abrogé. Il est vrai que l’article 27 avait été plus souvent violé que respecté – il n’en restait pas moins une expression de la définition de la nature idéale de l’État. Il était le drapeau de l’aile radicale de la révolution mexicaine de 1910-1917, dont le slogan Tierra y Libertad était personnifié par le dirigeant des insurgés ruraux, Emiliano Zapata.

La survie de l’État mexicain post-révolutionnaire, compromis entre la nouvelle classe politique née de la période de lutte militaire et des secteurs de l’ancienne oligarchie foncière, dépendait essentiellement de sa capacité à maintenir une hégémonie idéologique et un contrôle politique sur les travailleurs agricoles et la paysannerie, d’une part, et la classe ouvrière en formation, de l’autre. Le prélude à la formation du nouvel État fut le meurtre de Zapata lui-même, en 1919, parce qu’il n’aurait pas toléré un consensus faisant de lui un membre de la nouvelle élite dirigeante abandonnant à jamais l’engagement envers la socialisation des terres. On a prétendu que Zapata était un révolutionnaire paysan dont les buts se bornaient à une réforme agraire radicale, et qu’il était incapable de briser avec un tel cadre limité pour prendre en compte les connexions entre les secteurs séparés de la lutte des classes – et qu’en conséquence son mouvement n’était guère plus qu’une jacquerie, un soulèvement paysan. Adolfo Gilly, entre autres, fournit la preuve qu’au cours de la lutte armée la vision de Zapata avait évolué, s’était développée et profondément transformée. Mais les circonstances et le rythme de ce changement, et les asymétries entre les développements politiques en dehors et à l’intérieur du propre mouvement de Zapata fournissent la structure narrative de l’histoire de cette « révolution inachevée » et suggèrent des parallèles entre le vécu de Zapata lui-même et le mouvement qui devait prendre son nom quelque 80 ans plus tard.

La base de Zapata était l’État de Morelos, au sud du Mexique, et la province voisine de Puebla. Le Morelos était un centre de l’industrie sucrière en expansion dans le Mexique du début du 20èmesiècle ; la croissance des plantations s’était réalisée aux dépens des communautés rurales qui possédaient et travaillaient la terre, souvent de manière communale, pour produire essentiellement des cultures alimentaires. En même temps que les plantations connaissaient une expansion, leurs terres étaient envahies et volées avec le soutien actif de la célèbre guardia rural, les gardes ruraux armés, commandés et contrôlés par celui qui était depuis 30 ans le dictateur du Mexique, Porfirio Diaz. Le manifeste révolutionnaire que Zapata proclama en février 1911, le Plan de Ayala, exprimait les revendications de sa classe de petits fermiers et de leurs communautés – pour des droits fonciers communaux et la liberté politique. En forgeant une alliance avec la vieille classe des propriétaires fonciers, les dirigeants du nouvel État mexicain se tournèrent contre le mouvement rural.

Fin novembre 1914, Zapata et Pancho Villa entrèrent à Mexico, mettant fin à la tentative de Victoriano Huerta de restaurer l’ancien régime. Pendant un mois ou deux ils eurent le contrôle effectif du gouvernement. Mais aucun n’avait envisagé la conquête du pouvoir d’État – et ils se retirèrent sur leurs bases régionales. Il n’y avait aucun doute que leur présence dans la capitale avait effrayé la nouvelle bourgeoisie – ils avaient expulsé la menace contre-révolutionnaire de Huerta, mais, cela fait, devinrent eux-mêmes un obstacle à la constitution d’un nouvel État national. En l’espace d’un mois, Carranza, un riche propriétaire terrien qui avait été gouverneur d’État sous la dictature de Diaz, devint le dirigeant du nouveau Mexique. Son projet national fut clairement défini par un premier décret reconnaissant le droit à la propriété privée de la terre. Il était évident, dès lors, qu’il considérait comme sa tâche primordiale de mobiliser des forces contre Zapata et Villa, y incluant les tristement célèbres Bataillons Rouges engagés contre Zapata. Au fur et à mesure que l’offensive contre Zapata progressait, il fut de plus en plus repoussé dans sa place forte du Morelos où il était pratiquement assiégé.

En même temps, cependant, Zapata et ses conseillers mettaient en place une série de décrets et créaient un ensemble d’organisations à l’intérieur de la province assiégée, qui suggèrent que la pensée sociale et politique de Zapata s’orientait rapidement dans un sens de plus en plus radical. Assiégé par une armée nationale, Zapata commença à reconnaître la nécessité d’une alliance entre les paysans et les ouvriers, de la socialisation de la terre et de la propriété, et de formes démocratiques radicales. Il n’était d’aucune manière un paysan illettré – il avait été en contact avec les idées anarchistes dès son plus jeune âge. La méfiance envers la bourgeoisie qu’elles professaient et l’accent mis sur l’action de masse l’avaient convaincu, mais son refus de considérer les problèmes du pouvoir politique et du contrôle de l’État expliquent en grande partie la décision de Zapata de se retirer de Mexico (et de la bataille pour la conquête du pouvoir) au début de 1915. Sa reconsidération critique de cette expérience se produisait (tragiquement) dans les circonstances du siège, avec peu de possibilités de rentrer en contact avec le mouvement urbain de la classe ouvrière.

Cette expérience, cette histoire, est porteuse d’une incontestable leçon pour ceux qui, à la fin du siècle, ont endossé l’héritage de Zapata.

Un chemin moins fréquenté

L’action armée de ce jour de janvier à San Cristóbal fut limitée et très rapidement contenue – bien qu’il y eût d’autres actions simultanées contre des postes de police locaux et des casernes ailleurs dans la région connue comme Las Cañadas, en gros la forêt de Lacandón. En fait, ce n’était pas la première action armée de l’EZLN. La décision de passer à la lutte armée avait été prise lors d’une réunion des dirigeants des communautés indigènes en 1992. Le moment de cet accord correspondait à l’abandon crucial de l’article 27 de la constitution ; l’État ne pouvait plus être considéré comme un défenseur potentiel des droits fonciers des indigènes ; on ne pouvait pas davantage, comme l’avait montré en particulier l’expérience des quatre années de gouvernorat de González Garrido, faire confiance à ses représentants pour défendre les autres droits consacrés par la constitution.

Pourtant la guerre était restée presque complètement secrète jusqu’au 1erjanvier 1994 – malgré l’impact de la marche de protestation de 1992, qui avait porté pour la première fois la lutte rurale au cœur de la capitale. Ensuite, les actions armées limitées provoquèrent un écho extraordinaire et rapide en dehors du Chiapas, ce qui retint presque certainement Salinas de répliquer par la répression militaire que lui-même et les présidents précédents avaient utilisée comme instrument essentiel de règlement des problèmes des populations du Chiapas. Ce coup-ci, le gouvernement annonça, le 12 janvier 1994, un cessez-le-feu unilatéral. En six semaines, le 20 février, des pourparlers de paix commencèrent à San Cristóbal sous la présidence de l’évêque Samuel Ruiz. C’est à ce moment-là que la délégation de zapatistes, aux visages masqués de passe-montagne, portant des vêtements indigènes, devint un phénomène internationalement reconnu, et particulièrement leur porte-parole central, le sous-commandant Marcos, qui parlait un bon espagnol. Bien qu’il apparût comme le dirigeant du mouvement, il proclamait avec insistance qu’il parlait au nom d’un Comité Révolutionnaire Clandestin, dont les membres élus reflétaient le spectre des communautés et des ethnies qui constituaient l’Armée Zapatiste de Libération Nationale.

Alma Guillermoprieto attribue entièrement la réticence du gouvernement mexicain à agir contre les zapatistes à l’impact de Marcos :

L’afflux énorme et providentiel de soutiens en faveur d’un groupe qui était pratiquement inconnu deux semaines auparavant, et qui était partisan du renversement violent de l’État, était presque aussi étonnant que la rébellion elle-même. Il aurait été inconcevable sans les communiqués et les déclarations de l’homme qui à l’époque se présentait seulement comme le « porte-parole » de l’insurrection, le sous-commandant Marcos.

Le rôle de Marcos est sans aucun doute central, même si le débat autour de sa politique et de son rôle dans la lutte a généré plus de chaleur que de lumière. Mais Guillermoprieto elle-même exprime le genre de considération qui sera répété dans les mois suivant l’insurrection dans le monde entier, par exemple que le mouvement était « inconnu », par quoi elle voulait dire qu’il n’était pas connu en dehors du Chiapas – et la tentation est grande, dès lors, de supposer qu’il n’existait pas du tout avant que des supporters extérieurs multiples et variés ne se saisissent de la cause zapatiste. Comme j’ai essayé de le montrer plus haut, le zapatisme et les communautés qui le composent ont une longue histoire. Deuxièmement, elle prétend que l’EZLN « était partisan du renversement violent de l’État » ; pourtant d’autres supporters enthousiastes proclament que « à l’inverse de presque toutes les révolutions précédentes, la révolution zapatiste n’a pas pour but la conquête du pouvoir ». La contradiction est fondamentale.

Marcos s’est formé politiquement pendant le mouvement étudiant de 1968, qui s’est achevé dans une sauvage répression à la veille de l’ouverture des Jeux Olympiques de cette année, et qui a vu plus de 500 étudiants abattus de sang froid au cours d’une réunion publique sur la Place des Trois Cultures, Taletelolco, à Mexico le 2 octobre. Ceux des dirigeants qui n’avaient été ni tués ni emprisonnés et torturés entrèrent souvent dans la clandestinité pour échapper à leurs persécuteurs gouvernementaux. Le mouvement étudiant de 1968 était paralysé par la discussion politique. La nouvelle génération de dirigeants étudiants, à l’évidence influencée par certaines notions antistaliniennes en provenance d’Europe et des États-Unis, était profondément méfiante face aux régimes autoritaires corrompus personnifiés par le président mexicain d’alors, Diaz Ordaz. Le Parti Communiste, pour sa part, était compromis depuis longtemps par sa complicité avec des éléments du groupe dirigeant et sa collusion avec la direction syndicale mexicaine extraordinairement corrompue. La tradition socialiste révolutionnaire avait peu de partisans au Mexique. S’il y avait un flambeau d’espoir révolutionnaire c’était Cuba, espoir nourri au Mexique par une mythologie révolutionnaire nationale centrée par dessus tout sur Zapata – le symbole d’un idéal révolutionnaire sans tache.

Il était dès lors logique que le maoïsme prenne racine dans cette génération d’étudiants révolutionnaires à la recherche d’une idéologie internationale, inscrite dans une tradition nationaliste et adaptée au repli sur la campagne qui avait suivi la répression de 1968. Un document produit au milieu de 68, au cours du mouvement étudiant dans la capitale, faisait présager de la future orientation. Appelé « Hacia una Política Popular » (« vers une politique populaire »), il avait été écrit par Adolfo Orive, un assistant d’université à l’UNAM de Mexico qui était le dirigeant reconnu du groupe. Le « peuple » auquel il faisait référence reflétait une politique d’alliances basée sur un bloc de plusieurs classes définies par leur commune exclusion de l’État.

La « ligne de masse » de l’organisation était sévèrement critique des organisations existant à gauche, qu’elle voyait comme n’ayant que de faibles racines dans le mouvement de masse et bloquée dans une relation, antagoniste mais permanente, avec le PRI.

Après l’écrasement du mouvement étudiant, certains militants tentèrent – sans succès – de créer des groupes de guérilla dans le Chihuahua, au nord, et le Guerrero (où il existait déjà un mouvement local de résistance armée dirigé par Genaro Vásquez) au sud. Ceux qui étaient influencés par la PP (Política Popular), cependant, se tournèrent vers d’autres domaines, travaillant en particulier avec des groupes paysans, ou des groupes d’étudiants ou de squatters. Leur stratégie politique générale – la « ligne de masse » mentionnée plus haut – critiquait la lutte armée et manifestait un profond scepticisme quant à la conception léniniste du parti. Leur « política de dos caras » (politique sur deux fronts) était orientée vers une espèce d’organisation politique marginale, à l’abri de la répression étatique et immergée dans les mouvements de masse. La méthode d’organisation – dérivée en partie de l’expérience de 1968 – était appelée « una política asambleísta » - la démocratie directe au moyen de meetings de masse. René Gómez et Marta Orantes, par exemple, étaient deux jeunes agronomes maoïstes qui allèrent au Chiapas aux alentours de 1974 pour aider à préparer le Congrès des Indigènes organisé par l’évêque Ruiz. Quelque huit années plus tard, un autre militant issu de la même tradition politique devait arriver dans la région et commencer la construction de l’EZLN – Marcos.

L’alliance entre des militants maoïstes et des représentants de la théologie de la libération comme Samuel Ruiz peut à première vue sembler étrange. Je suis cependant convaincu que ces deux courants politiques disparates ont modelé la rhétorique politique qui devait devenir un tel objet de fascination pour les supporters du zapatisme à travers le monde. Ce que les deux perspectives avaient en commun était une insistance sur la démocratie directe et l’activité individuelle, et une claire réaction contre les variantes staliniennes du communisme, dont la triste histoire de compromis avec les dictatures et la bureaucratie étatique était, bien qu’elle fût un phénomène qui se répétait sur tout le continent, particulièrement frappante au Mexique. Cet antistalinisme s’exprimait sous la forme d’une hostilité profonde envers le concept de parti révolutionnaire, ou les caricatures du modèle léniniste qui avaient proliféré au cours de l’histoire la plus récente de l’Amérique latine. Pour les courants maoïstes, également, l’intégration de Cuba dans le bloc soviétique signifiait que ni Cuba elle-même, ni l’espèce de politique de guérilla qu’elle avait soutenu jusqu’en 1968 ne pouvaient offrir d’alternative. Cette méfiance envers l’autoritarisme, et l’accent mis sur l’activité individuelle, en même temps qu’un sentiment très fort de but moral, caractérisaient également les idées de la « théologie de la libération » - un courant de pensée qui avait émergé d’une sévère critique du rôle de l’église catholique dans la défense des dictatures et la légitimation de l’oppression. Exprimée à l’occasion de deux conférences épiscopales tenues à Medellin, en Colombie, en 1967, et à Puebla, au Mexique, en 1969, la nouvelle théologie était personnifiée par Camilo Torres, le jeune prêtre colombien qui avait opté pour « la lutte avec les pauvres », rejoint la guérilla, et avait été tué en 1965. Des prêtres apparaissaient désormais dans la direction d’organisations de lutte de masse dans toute l’Amérique latine – et soutenaient leur utilisation des armes là où la répression était la plus sévère, comme au Guatemala, au Salvador et en Colombie.

En fait, les luttes des années 80 produisirent tout une série de conflits internes entre les organisations et leurs directions. Au Chiapas, des factions maoïstes séparées s’accusaient mutuellement de factionnisme et d’autoritarisme. Marcos et l’EZLN avaient entrepris un entraînement militaire en vue de « l’auto-défense », dont de nombreux secteurs de l’église se méfiaient profondément. D’autre part, de façon paradoxale, c’étaient les prêtres de la libération qui se méfiaient le plus des contacts avec les agences officielles (pour le crédit, les négociations foncières, les services, etc.) dont beaucoup de cadres maoïstes étaient partisans – comme élément de leur stratégie de « politique sur deux fronts ». En même temps que les pressions et les tensions se développaient au cours des années 80, un nouveau facteur se trouva inclus dans l’équation. Un évangélisme protestant agressif se montrait particulièrement actif au Guatemala, où le dictateur militaire Rios Montt était un chrétien intégriste (born again), et au Nicaragua, où plus d’une centaine de sectes organisaient l’opposition aux sandinistes. Ils commencèrent à s’organiser au Chiapas pendant la même période, exploitant la méfiance vis-à-vis de l’église radicale parmi les paysans les plus aisés, posant les questions de discrimination sexuelle et particulièrement de contraception parmi des femmes qui avaient acquis de plus en plus de confiance en elles précisément à cause de leur rôle dans les luttes de cette période.

Pourtant, malgré l’influence croissante du fondamentalisme protestant et la méfiance profonde de la théologie de la libération vis-à-vis de l’État mexicain, d’une part, et la résistance à la lutte armée, d’autre part, en 1993 la majorité de la population indigène du Chiapas était prête à la guerre – et l’EZLN devait la mener en tant que manifestation de la détermination démocratique des communautés elles-mêmes.

Mais quel genre de guerre ?

Ce qui avait commencé comme une insurrection violente dans un région isolée se transforma en une « guerre électronique sociale » non-violente mais non moins efficace qui retenait l’attention des militants de partout et comportait des répercussions nationales et internationales pour le Mexique.

Le terme « guerre électronique sociale »  social netwar ») ne m’était certainement pas familier. Mais il désigne cet élément du zapatisme qui a tant fasciné hors du Mexique. Tout en portant des tenues indiennes et en se présentant au monde dans les langages multiples du Mexique indigène, les zapatistes – et Marcos en particulier – ont utilisé l’internet comme une libre avenue de communication. Le paradoxe est émouvant et curieusement beau. Les militaires américains qui ont créé cette autoroute d’information aux ramifications multiples pour faciliter les communications internes ne l’avaient certainement pas destinée à être utilisée pour générer la solidarité envers une lutte armée dans une forteresse isolée du Mexique méridional. Il y a quelque chose dans la nature des messages envoyés par Marcos qui saisit l’imagination. Le langage du zapatisme est un curieux mélange de registres ; il est à l’évidence familier avec les catégories du débat politique et de l’économie moderne, pourtant les communiqués sont aussi pleins d’un langage visionnaire habituellement plus associé avec la rhétorique religieuse, aussi bien que les mythes et les paraboles qui ont leur source dans les cultures orales de la région.

Par dessus tout, il était porteur d’une charge morale puissante. Nous avions là les plus pauvres en train de s’adresser directement aux plus riches et aux plus puissants. Les messages de Marcos pouvaient sauter par dessus les troupes assiégeantes (environ 12.000 soldats) que Salinas avait immédiatement envoyées au Chiapas. Si Salinas a accepté un cessez-le-feu juste 12 jours après le soulèvement, nous pouvons supposer qu’il a agi ainsi dans la conviction que les zapatistes, qui étaient retournés dans leurs communautés, pouvaient être assiégés, étranglés et finalement défaits. Le fait qu’ils ne l’aient pas été avait incontestablement à voir avec leur capacité à parler à un monde qui les écoutait et avec le mouvement de solidarité presque instantané qu’ils avaient généré, en particuliers parmi les étudiants et les salariés de Mexico.

Pour Salinas, avec la perspective des élections et le regard du monde braqué sur le Mexique, le Chiapas était une nuisance. Son candidat désigné, Colosio, fut assassiné en juin pour des raisons qui demeurent obscures. Le dirigeant du PRI, Ruiz Massieu, était mis à mort trois mois plus tard. Au Chiapas, les négociations de San Cristóbal, commencées le 21 février, retenaient massivement l’attention des médias et d’un flux croissant de touristes, curieux de voir ces « rebelles des collines ». L’industrie des effigies de Marcos et des souvenirs se mit en place très rapidement.

La confrontation armée entre les zapatistes et l’État mexicain avait déjà cessé. Au cours des quelque sept années écoulées depuis le soulèvement, le nombre de Mexicains en armes dans la région a quadruplé, l’encerclement des zapatistes est presque terminé, la zone qu’ils contrôlent a été réduite, des incursions continuelles dans leurs communautés ont fait beaucoup de victimes, et les survivants sont privés d’eau, d’électricité et d’accès matériel au monde extérieur. Pourtant il n’y a pas eu de retour de la guerre (autre que la « guerre électronique »).

Lorsque Marcos et les négociateurs sont revenus devant les communautés avec un traité de paix à la fin de mars 1994, les partisans de l’EZLN ont rejeté les accords. Le moment était très significatif, trois mois avant les élections présidentielles. Ernesto Zedillo, le candidat de Salinas pour remplacer Colosio assassiné, était le candidat du PRI – une garantie virtuelle, au moins jusque là, d’une victoire totale. Les autres candidats étaient Vicente Fox, homme d’affaires de droite et candidat du parti catholique PAN, et Cuauhtémoc Cárdenas, le fils du président qui avait distribué les terres pour la première fois, et candidat du PRD (Parti Révolutionnaire Démocratique), une organisation de coalition comportant des sociaux démocrates, des nationalistes de gauche, et un certain nombre d’anciens membres du PRI qui avaient suivi Cárdenas en 1987. Dans l’élection de 1988, Cárdenas était considéré comme le grand espoir de la gauche – un champion de la réforme, de la démocratisation et du changement. Bien que le candidat fût tout sauf charismatique dans ses apparitions publiques, il réussit à gagner le soutien de larges sections de la société mexicaine aspirant au changement ; si le système informatique de comptabilisation du scrutin n’avait pas inexplicablement fait naufrage au moment où les derniers votes étaient saisis, il aurait presque certainement gagné.

Dans les six années écoulées il avait perdu beaucoup de son importance symbolique. C’était un réformateur, peut-être, mais plutôt à l’intérieur du système. De façon répétée le PRD avait négocié avec Salinas plutôt que de s’opposer à lui, et le large éventail des luttes contre la politique économique de Salinas n’avait pas toujours pu compter sur son soutien. Pour Cárdenas, les zapatistes représentaient une opportunité en or de se refaire une virginité d’oppositionnel. Les élections approchant, le PRD s’identifiait de façon opportuniste avec le large soutien populaire pour les zapatistes à travers le pays. Du point de vue de l’enclave zapatiste assiégée dans le Chiapas, s’adressant au moyen des ondes à un public immense, mais déconnectée de lui sur le plan organisationnel, le PRD fournissait un réseau de contacts au-delà du Chiapas. En même temps, Marcos n’était pas aveugle au point de ne pas se rendre compte que le PRD utilisait le mouvement à des fins électorales, et il tenta de pousser Cárdenas à satisfaire dans les faits les 32 revendications que l’EZLN avait présentées au gouvernement lors des négociations de février. Finalement, Cárdenas perdit à nouveau les élections et se consacra à conquérir le poste puissant de maire de Mexico, qu’il gagna trois ans plus tard. Dès l’an 2000, son soutien avait décliné et Fox, candidat du PAN, remporta une élection largement démocratique.

On a beaucoup commenté la nature fréquemment paradoxale des interminables bulletins adressés par Marcos au monde. Souvent poétiques, personnels, analytiques et méthodiques en même temps, leur curieux langage lyrique a souvent été célébré comme le nouveau langage politique d’une révolution postmoderne. Les origines du mouvement marient un sens des réalités économiques et politiques de la mondialisation avec une qualité visionnaire de haut niveau moral qui fait écho aux métaphores du langage religieux. Les incursions occasionnelles de Marcos dans la fable ou le conte pour enfants sont charmantes, et souvent puissantes dans leur simplicité. Mais les paradoxes et les contradictions internes suggèrent aussi une vision pluraliste, une vision de l’espace politique et imaginatif dans laquelle différentes vues, perspectives et stratégies du changement coexistent sans résolution. Esthétiquement, c’est séduisant et complexe. Politiquement, c’est paralysant.

Les conceptions dérivées des luttes des précédentes décennies persistent – de façon centrale, dans l’évitement de la question du pouvoir. C’est un curieuse « qualité » pour une organisation révolutionnaire que de ne pas chercher à conquérir le pouvoir. Quelle est donc la nature de la révolution dont ils se font les avocats ? A un certain niveau, les revendications sont absolument claires et correspondent aux besoins et aux intérêts des nombreux individus et communautés de la région – particulièrement en ce qui concerne la terre et la reconnaissance des droits politiques et culturels des indigènes. En même temps, l’expérience de la dernière période les porte à une méfiance profonde envers les intentions et l’intégrité de l’État mexicain – un soupçon tout à fait fondé. Cela peut expliquer le rejet des accords de mars 1994 et de ceux qui leur ont succédé.

Mais s’il est une chose qui est incontestablement devenue claire, en tant que résultat, en partie, du soulèvement zapatiste lui même, c’est qu’il n’y a pas d’espace en dehors du système – la mondialisation ne tolère pas les territoires libres. Comme dans toute lutte d’importance, les origines du zapatisme sont enracinées dans des conditions locales spécifiques, mais le mouvement se revendique comme partie intégrante d’un processus global et d’une résistance globale. Si, dès le départ, dans l’espoir que Cárdenas soit élu président, l’EZLN avait adressé ses revendications à l’État mexicain, il y avait peu d’espoir qu’une présidence Zedillo poursuive des objectifs différents de ceux de ses prédécesseurs.

Il faut croire que c’est avec ceci à l’esprit que les zapatistes ont convoqué la Convention d’août 1994 dans la forêt de Lacandón. La réunion attira un grand nombre de supporters dans l’amphithéâtre de verdure construit spécialement pour l’occasion dans le territoire zapatiste. Pour beaucoup d’entre eux, la longue marche à travers la jungle en transportant leur assiette, fourchette et cuillère a dû être une expérience nouvelle. Elle éleva en même temps le profil national des zapatistes. Mais le mouvement était déjà, à de nombreux égards, dans l’impasse. Le PRD avait montré qu’il était une organisation électorale dont le seul souci était de gagner le scrutin. Son engagement aux côtés des zapatistes était sans principe. Il était également clair que la confrontation entre les zapatistes et l’État mexicain commençait déjà à virer à l’aigre. Le niveau de soutien populaire et de sympathie dont jouissait l’EZLN pouvait difficilement être plus élevé, pourtant elle était physiquement piégée à l’intérieur du Chiapas. Et, chose plus importante, elle était aussi idéologiquement bornée. Ses racines locales étaient fermes, sans représentativité incontestée et ses revendications justes à tout point de vue. Moralement, elle tenait le haut du pavé – en particulier face à un gouvernement, désormais dirigé par Zedillo, qui était aussi corrompu que ses prédécesseurs, et tout aussi engagé qu’eux dans un programme néolibéral de hausse du chômage, de chute du niveau de vie, de privatisations totales et rapides, de coupes dans les dépenses publiques et de domination du marché dans tous les domaines, y compris la terre.

Il n’est pas douteux que l’équilibre des éléments politiques au sein du message zapatiste commença à basculer à la fin de 1994 – l’accent mis sur les droits des indigènes se trouvait combiné avec la revendication de plus en plus centrale de l’autonomie. Comme dit George Collier, les zapatistes commençaient à négocier avec le gouvernement en tant que mouvement national parallèle.

Dans un certain sens, en même temps que l’encerclement du Chiapas se resserrait, les zapatistes se dirigeaient vers une conclusion contraire à celle que Zapata lui-même avait commencé à tirer pendant le siège du Morelos. Toute confrontation entre l’État mexicain, dont près de 50.000 soldats étaient stationnés au Chiapas, et l’enclave zapatiste serait absurdement inégale. Le souci de l’État n’était pas nécessairement les zapatistes eux-mêmes, mais l’écho qu’ils pouvaient avoir au-delà du Chiapas. En même temps que la politique économique de Zedillo commençait à sévir, il y avait une montée de la colère, et des poches de résistance farouche commençaient à émerger. Pourtant il y avait aussi un effondrement du nombre de travailleurs syndiqués – résultat d’une longue histoire de manipulation des syndicats par le PRI et la présidence. Les consultasrégulières – plébiscites populaires – organisées par les supporters des zapatistes confirmaient régulièrement le niveau de soutien énorme pour le Chiapas. Mais si, comme le suggère John Ross, l’appel original des zapatistes au PRD était destiné à s’adresser directement à ses partisans dans la classe ouvrière, cela n’avait manifestement pas réussi à développer quelque forme que ce soit d’organisation nationale.

Défini comme mouvement de classe, le zapatisme pouvait développer des actions de classe conjointes et coordonner les luttes. Défini comme mouvement national, de manière plus ou moins directe, il était contraint à faire appel à un soutien pour son action au moment même où un siège officiel violent lui rendait pratiquement tout mouvement impossible. Et des massacres comme celui d’Acteal, où 45 personnes furent massacrées par l’armée et/ou des militants paysans pro-gouvernementaux, étaient des signaux que l’armée pouvait investir les lieux quand elle voulait – même s’il était clair que le gouvernement était favorable à une campagne lente mais silencieuse d’usure, détournant ou polluant les ressources d’eau, rendant les mouvements dans les zones zapatistes virtuellement impossibles, coupant l’électricité, interrompant les services médicaux, etc. Le pouvoir symbolique des zapatistes n’était pas entamé, leur capacité réelle d’agir de plus en plus contenue.Dans le reste du pays les ajustements structurels et l’ALENA produisent exactement les résultats que leurs instigateurs anticipaient. En même temps que l’économie mexicaine croît et accueille des investisseurs étrangers en nombre croissant, 50% de la population vit dans la pauvreté et 15% en dessous du niveau d’extrême pauvreté. 40 millions de Mexicains sont sous-alimentés – 10 millions n’ont aucun accès à la santé.

Cela pointe directement sur le dilemme central de l’expérience zapatiste. Si, au départ, l’alliance avec le PRD suggérait un espoir de réforme de l’État, cet espoir est désormais en ruines. Comme le découvre le reste de l’Amérique latine, les sociaux-démocrates ou les révolutionnaires nationalistes qui se retrouvent en train d’administrer des programmes d’austérité et des ajustements structurels deviennent des néolibéraux à une vitesse supersonique. Zedillo, bien sûr, n’avait pas de telles traditions – mais Cárdenas a présenté sa candidature à l’élection de 2000 sur la base de sa capacité à mettre en place de tels programmes – d’où son désir initial de présenter une plateforme conjointe avec le candidat du PAN, Vicente Fox, ancien cadre exécutif de Coca Cola et candidat des secteurs industriels et manufacturiers. Fox a gagné l’élection et Cárdenas reste le leader d’une opposition loyale – proposant à l’occasion des projets communs.

Le langage des droits, qui domine de plus en plus la rhétorique zapatiste, suppose aussi l’existence d’un État intermédiaire ou d’agences neutres. Ce rôle a été rempli, au niveau du débat politique, par des ONG qui ont aussi tenté de boucher les trous laissés par l’abandon des services publics au moyen de nouvelles alliances entre l’État et le capital privé. Mais elles sont, par définition, incapables de proposer un projet alternatif pour l’État. Ainsi, tout le lobbying aboutit en fin de compte au point de savoir si ceux qui marchent main dans la main avec le capital global sont désireux, de temps à autre, d’offrir une miette ou deux de justice. Mais c’est une contradiction dans les termes que d’attendre une politique de redistribution ou de justice sociale de la part de gouvernements dont la survie même dépend de leur capacité à administrer des programmes destinés à accumuler une proportion croissante de la richesse entre les mains de puissants acteurs économiques internationaux.

Souhaits et espoirs

Le mouvement zapatiste a généré un élan de solidarité dans le monde entier. À un certain niveau, il s’est regroupé autour de la défense des opprimés – les victimes exemplaires du néolibéralisme et de la cupidité des multinationales. C’est leur pouvoir symbolique. Un de mes amis anarchiste me disait, après Seattle : « Tout ça c’est à cause des zapatistes ». Voulait-il parler de leur exemple ? C’est en partie ce qu’il voulait dire – mais au delà, il les voyait comme représentants d’une politique nouvelle. Le zapatisme ne recherche pas le pouvoir, seulement la justice ; le zapatisme ne reconnaît pas les dirigeants, mais il est démocratique à l’extrême ; le zapatisme n’est pas un parti, mais un mouvement vivant et changeant ; le zapatisme a utilisé internet pour créer une connexion internationale entre tous ceux qui rejettent un capitalisme sanguinaire.

L’autorité morale de Marcos est, à l’évidence, considérable. Mais elle a aussi des implications politiques. Où la solidarité avec le zapatisme mène-t-elle ses supporters politiquement ? Au Mexique, il existe aujourd’hui quelque 29 sites de lutte armée, avec l’État de Guerrero – aussi pauvre et brutalisé que son voisin du sud – en première place. La magnifique grève des étudiants de l’UNAM à Mexico (1999-2000) a fait durer près d’un an la lutte contre la destruction de l’éducation libre. Elle a lancé des slogans zapatistes dans ses fréquentes assemblées générales. Pourtant, à aucun moment il n’a été question, cette année-là, d’action coordonnée. La solidarité – la sympathie – a remplacé l’organisation.

Les « nouveaux mouvements sociaux » ont été définis comme des « mouvements populaires » qui considèrent les gens comme acteurs centraux, et ont des « revendications institutionnelles » à adresser aux pouvoirs en place. Cela peut très bien caractériser le zapatisme, mais il n’est pas moins clair que leurs revendications ont été ignorées. Alors que Vicente Fox se prépare à prendre le pouvoir comme premier président non-PRI en 60 ans, il est absolument clair qu’il ne changera d’aucune manière les plans politiques du Mexique – pas plus qu’il n’écoutera le Chiapas.

Pour l’EZLN et ses supporters, décembre sera le moment de vérité. C’est à ce moment-là que Fox rentrera en fonctions, et sa réponse évasive quand à ses intentions relatives au Chiapas ne marchera plus. Il a dit qu’il « résoudrait la question du Chiapas en quinze minutes » mais il reste à voir quel genre de solution il a en tête. Cela dit, ont peut sans craindre de se tromper deviner que son programme n’inclura pas la réforme agraire, une redistribution de la richesse en direction des pauvres, un accroissement des dépenses publiques, une solution aux problèmes des pauvres du Mexique, le plein emploi ou un État de droit.

Il est inconcevable qu’on demande aux communautés du Chiapas de continuer à résister à la silencieuse guerre d’usure à laquelle ils sont soumis depuis des années. Ils demeurent un exemple de résistance héroïque à l’oppression, qui a justement inspiré tous ceux qui s’unissent contre le capitalisme global. Ce dont il faut se rendre compte, malgré tout, c’est qu’ils ne sont pas en position de fournir une direction politique au mouvement qui a célébré leur exemple.

Le zapatisme a soulevé d’importantes questions qui doivent concerner la gauche. Le problème de la démocratie authentique et de la responsabilité des dirigeants devant ceux au nom desquels ils parlent est un principe qui a été au cœur du mouvement socialiste depuis la Commune de Paris et l’organisation des soviets en 1917. Que la démocratie prolétarienne ait été proclamée par des régimes qui ont mis en place sa caricature grotesque constitue une distorsion historique qu’il nous faut confronter et reconnaître, en expliquant patiemment pourquoi la dictature bureaucratique était le contraire absolu de tout ce pour quoi se battent les révolutionnaires. La méfiance vis-à-vis de l’organisation en parti provient de la même source – pourtant, sans une organisation coordonnée et disciplinée pour faire face à une classe capitaliste consciente d’elle-même et combattant simultanément sur tous les fronts, les producteurs ne pourront utiliser l’énorme pouvoir qu’ils possèdent collectivement. Par ce qu’en fin de compte, le problème c’est le pouvoir – le contrôle de la société par les producteurs. La renonciation à toute tentative de mener la société dans des directions nouvelles et différentes est entièrement une posture morale (sinon moraliste), qui ne rencontrera jamais une réponse symétrique de la part des classes dirigeantes du monde. Ce n’est pas un choix entre le pouvoir et son absence. La seule vraie question, c’est : quelle classe détient le pouvoir ?

La décennie qui a produit le zapatisme a démasqué le fonctionnement réel du système capitaliste. Elle a exposé les limites du nationalisme là où le capitalisme est résolu à agir globalement, et a rendu manifeste que le capitalisme, par sa nature même, n’est mû que par sa compulsion à accumuler. Sous la surface du langage politique des zapatistes se trouve une rhétorique des droits, mais elle est fondée sur la supposition qu’un État capitaliste est gouverné par des principes et des lois plutôt que par des intérêts de classe. Depuis 1990, l’Amérique latine a vu se succéder au pouvoir régime après régime, dirigés par des ex-révolutionnaires ou des sociaux-démocrates, brandissant un drapeau de promesses démocratiques, de justice sociale et de vérité. La décennie se termine et ces slogans n’ont toujours pas été suivis d’effets, les démocraties qui ont remplacé les régimes militaires sont compromises jusqu’au cou dans les impératifs du capitalisme. Il est temps de revisiter la théorie de la révolution permanente, qui affirme le caractère international de la lutte des classes, tout en reconnaissant qu’elle commence dans chaque cas dans des contextes locaux ou nationaux, et qui proclame que seul un prolétariat révolutionnaire peut remplir les tâches démocratiques et créer l’avenir égalitaire que Marcos décrit de façon si émouvante dans ses discours et dans ses histoires.

Voir en ligne : Traduit de l’anglais par JM Guerlin, originellement paru dans International Socialism Journal n°89, Hiver 2000

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