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6 octobre 2009
Quand les travailleurs se révoltent, ils peuvent forger leurs propres structures politiques, mais les institutions qu’ils créent ne répondent pas à des modèles préconçus.
Traduction de Dominique Angelini.
Les grands soulèvements révolutionnaires du XXe siècle ont été marqués par un modèle particulier. Les travailleurs ont organisé des grèves de masse qui ont été à l’origine ou ont développé des confrontations avec l’État. Pour rendre leur lutte plus efficace, les travailleurs commencèrent à créer leurs propres organisations. Ils devaient en finir avec les divisions existantes en créant des liens entre les différents métiers et secteurs industriels, en unissant les syndicalistes et les travailleurs non organisés et en reliant tous ceux dont les engagements politiques sont différents et ceux qui n’en ont pas.
Ces organisations de toute la classe devaient être basées sur les lieux de travail. La première version en ont été les soviets de travailleurs qui ont émergé à Saint-Pétersbourg pendant la révolution de 1905. Le soviet de Saint-Pétersbourg rassemblait des délégués d’usine de toute la ville.
Plus les organisations de travailleurs étaient efficaces plus elles pouvaient défier l’État. De manière plus ou moins ouverte, une situation que le grand révolutionnaire russe Vladimir Lénine a appelé « double pouvoir », s’est développée. Lénine décrivait ainsi la situation en février 1917 quand les travailleurs prirent Petrograd (Saint-Pétersbourg avait changé de nom), renversant le tsar :
Cette dualité du pouvoir se traduit par l’existence de deux gouvernements : le gouvernement principal, véritable, effectif, de la bourgeoisie, le « Gouvernement provisoire »… qui a en mains tous les organes du pouvoir, et un gouvernement à côté, complémentaire, un gouvernement « de contrôle », représenté par le Soviet des députés ouvriers et soldats de Pétrograd, qui n’a pas en main les organes du pouvoir d’Etat, mais s’appuie directement sur la majorité indéniable du peuple, sur les ouvriers et les soldats en armes.
Ce modèle – la coexistence de deux formes de pouvoir de classe dans le champ d’action d’un même État – a émergé dans une forme plus ou moins développée dans les grandes luttes des travailleurs du XXe siècle, depuis la Russie en 1905 jusqu’à la Pologne en 1980.
Le double pouvoir est une situation instable. Comme l’écrivait Lénine, « Il ne fait aucun doute que cet « enchevêtrement » ne peut durer longtemps. Il ne saurait exister deux pouvoirs dans un Etat. L’un des deux doit disparaître ».
Dans l’écrasante majorité des cas, le pouvoir capitaliste tire avantage des hésitations et des divisions du camp des travailleurs pour passer à l’offensive et détruire les conseils ouvriers et restaurer l’ordre bourgeois.
L’exception est venue de Russie en octobre 17. Là, le Parti bolchevik, s’appuyant sur les analyses de Lénine, emporta le débat dans les soviets, et les persuada de renverser le gouvernement provisoire pour prendre le pouvoir. C’est ce qui a fait de la révolution russe un modèle pour les socialistes révolutionnaires jusqu’à nos jours.
Mais comment ce modèle peut-il survivre au XXIe siècle ? Le soulèvement politique le plus important des vingt dernières années, les révolutions en Europe de l’Est en 1989, n’ont pas comporté d’expérience significative de double pouvoir.
Cela reflète le fait que la structure de base du pouvoir de classe dans ces sociétés, n’a pas été transformée par ces révolutions. Elles n’ont changé que le régime politique, en permettant au capitalisme de marché de l’Ouest de remplacer le capitalisme d’État de l’Est.
Aujourd’hui, cependant, c’est la vision dominante du capitalisme de marché qui est remise en cause, surtout par les mouvements de masse qui se sont développés en Amérique latine dans les dernières années.
C’est en Bolivie, en octobre 2003 et juin 2005, lorsque des blocages de masse de la capitale, La Paz, ont obligé plusieurs présidents libéraux à démissionner, qu’on s’est approché le plus près d’une situation de double pouvoir.
Les blocages ont été organisés depuis El Alto, sur les hauteurs de La Paz, où vit une population pauvre de 800 000 personnes. El Alto s’est développée ces deux dernières décennies par une migration massive depuis la campagne et les mines d’acier, largement détruites par la politique libérale.
À El Alto, les traditions militantes de la classe ouvrière développées pendant de nombreuses décennies par les mineurs ont rencontré d’autres traditions comme celles des peuples indigènes pour créer de nouvelles formes d’organisations de classe.
Raul Zibechi les décrivait dans Socialist Worker en avril 2006 :
Les syndicats classiques existent à peine. Il y a deux formes principales d’organisation. L’une d’elle est l’assemblée de quartier. Il en existe 550, une par quartier (barrio). Les assemblées sont rassemblées dans la Fédération des assemblées de quartier d’El Alto. Il s’agit de la plus importante organisation, à l’origine les soulèvements de 2003 et 2005. L’autre principale forme d’organisation est l’association syndicale des forains qui se regroupent dans les centre régionaux de travailleurs…
Ces organisations sont toutes basées sur des territoires, elles contrôlent une zone, un quartier ou un marché.
En octobre 2003 les gens se sont servis de ce contrôle territorial pour bloquer les routes et contrôler les autoroutes. Ils ont coupé les routes, empêchant ainsi le gaz et la nourriture d’atteindre La Paz.
Cette forme d’organisation est largement différente des soviets classiques qui mobilisent la force collective des travailleurs dans les entreprises pour défier le pouvoir politique de l’Etat capitaliste. Mais une forme d’organisation territoriale a un sens dans une ville comme El Alto, dominée par le petit commerce employant au plus quatre salariés. Ce modèle de dépendance de ce qu’on appelle le « secteur informel » du petit commerce et du travail temporaire est très courant dans les villes du Sud. Il est familier à ceux qui vivent dans les bidonvilles, estimés par les Nations unies à un milliard de personnes à travers le monde.
Ce type d’organisations a connu des précédents dans l’histoire. Karl Marx et Frédéric Engels caractérisèrent la Commune de Paris comme le premier État des travailleurs. Mais la Commune était organisée selon les quartiers et non les lieux de travail.
Cela a un sens dans un ville dominée économiquement par les petits commerces. En 1860, il y avait en moyenne trois travailleurs par entreprises dans la plus grande industrie c’est-à-dire les vêtements et le textile, sept par entreprises dans la sidérurgie et la mécanique, dix-neuf dans la construction et douze dans les équipements pour le transport.
Dans son livre Paris, capitale de la modernité, David Harvey explique « de nombreuses petites entreprises ne sont rien d’autre que des soustraitants de structures plus grosses. Elles fonctionnent donc plus comme un système redevable vis-à-vis des producteurs capitalistes et des marchands qui les contrôlent à distance ».
Quoi qu’il en soit, écrit Harvey, les ouvriers de Paris restent confiants au point d’être arrogants, butés, turbulents et incurablement indisciplinés. Ils continuent d’exercer une pression collective sur le marché du travail, notamment en restant dans leurs quartiers traditionnels (malgré la rénovation de la ville et l’augmentation des loyers). Si les industries ont besoin de leurs compétences, c’est à elles de se déplacer.
Il n’est pas surprenant que ces travailleurs confrontés à la guerre, et menant la révolution de 1871, se soient attachés à leurs traditions de militantisme dans les quartiers lorsqu’ils ont organisé la Commune.
Les soviets du XXe siècle, en revanche, ont émergé des usines géantes, de plus en plus basées sur les lignes de production, depuis l’usine Poutilov à Petrograd, le bastion des Bolcheviks en 1917, jusqu’au chantier naval Lénine de Gdansk d’où partit la rébellion des travailleurs polonais en août 1980.
À Petrograd en 1917, près de 68 % de la classe ouvrière était employée dans des entreprises comptant 1 000 travailleurs ou plus. Les usines étaient encore plus grandes dans la sidérurgie qui dominait la ville.
En comparaison, la Commune pourrait apparaître comme une étape antérieure de l’organisation de classe. Mais le capitalisme néolibéral a remis au goût du jour des formes d’organisation apparemment obsolètes.
Site web du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA).
Revue indépendante d’analyse stratégique anticapitaliste.
Actualité politique internationale de la revue Inprecor sous reponsabilité de la Quatrième internationale.
International Socialism, Revue mensuelle théorique du Socialist Worker Party.
Le site web de la LCR Belge contient de nombreux articles de théorie marxiste très intéressants.
Base de données de référence pour les textes marxistes.
Le site de la commission nationale formation du NPA.