Leçons de Lénine

par Ian Birchall

29 octobre 2009

La contribution de Lénine à la façon dont les révolutionnaires s’organisent est aussi pertinente aujourd’hui qu’elle l’a toujours été. Ian Birchall examine l’héritage de Lénine, ses mérites et ses implications pratiques.

Que ce soit en soutenant les travailleurs de la poste, en luttant contre les fascistes, ou en faisant campagne contre la guerre en Afghanistan, les gens peuvent rencontrer des membres du Socialist Workers Party (SWP), qui interviennent dans ces luttes.

Ils peuvent aussi rencontrer des gens qui les mettent en garde contre tout ce qui concerne le SWP. Entre autres choses, on leur dira que c’est une organisation « léniniste ».
Mais les organisations léninistes ont joué un rôle important dans l’histoire de la lutte ouvrière.

En Octobre 1917, les travailleurs russes ont renversé le système capitaliste qui depuis des générations leur avait apporté la pauvreté, l’oppression et la guerre. Ce faisant, ils ont éveillé les espoirs des travailleurs partout dans le monde.

Pendant dix ans il y a eu des échos de 1917 en même temps que les opprimés et exploités dans d’autres pays essayaient de suivre l’exemple russe. Cela a été la tentative la plus proche de la réalisation d’ une alternative socialiste.

Ceux qui veulent nous faire oublier l’histoire veulent aussi nous faire oublier cette possibilité, cet espoir, cette inspiration.

Vladimir Lénine (1870-1924) a joué un rôle crucial dans la révolution russe. Les historiens modernes veulent éliminer le véritable Lénine de l’histoire, pour le présenter comme un tyran sanguinaire qui a imposé sa volonté à son parti et a préparé la voie à Joseph Staline.

Différent

Le vrai Lénine était un personnage assez différent. Il est vrai qu’il était très obsessionnel et peut-être pas le compagnon idéal pour passer une bonne soirée. Mais sa ténacité est venue de son profond engagement pour changer le monde – pour la destruction de « l’enfer répugnant » que le capitalisme a créé sur cette planète.

Un mot résume la principale contribution de Lénine au marxisme – le mot organisation.
Les ennemis de Lénine et certains de ses partisans parlent de quelque chose qui serait « le parti léniniste ». C’est une simplification trompeuse.

Le type de parti que Lénine préconisait a énormément varié au fil des ans, selon les circonstances. En période d’isolement et de répression, il voulait une organisation « stable, centralisée, militante de révolutionnaires ».

En période de lutte de masse, il voulait un parti beaucoup plus large, ouvert à tous ceux qui voulaient se battre.

Mais à tout moment Lénine voulait une forte organisation du parti. Il demandait pourquoi les idées bourgeoises dominaient dans la société, et répondait : « Pour la simple raison que l’idéologie bourgeoise (capitaliste), est beaucoup plus ancienne que l’idéologie socialiste, qu’elle est plus développée, et qu’elle a à sa disposition infiniment plus de moyens de diffusion ».

Lénine a écrit bien avant l’apparition de la télévision et de la presse Murdoch. Aujourd’hui, nous sommes constamment bombardés par les mythes et les mensonges qui défendent l’ordre existant. Les idées qui remettent en cause le consensus sont marginalisées et tournées en dérision.

Bien sûr, les militants du lieu de travail individuel, les écrivains et les médias peuvent présenter une alternative. Mais ils seraient bien plus puissants s’ils étaient unis dans un collectif, encourageant les efforts et apprenant les uns des autres.

Lénine a affirmé avec insistance qu’un parti doit être discipliné. Beaucoup de gens sont rebutés par cela, ayant eu assez de « discipline » à l’école ou au travail. Mais, sans discipline, même la plus simple des formes d’organisation est impossible. Il est inutile d’avoir un piquet de grève si les gens passent quand ils veulent.

Imaginez une manifestation pacifique attaquée par la police. Quelques manifestants lancent des pierres, d’autres tiennent bon tandis qu’un autre groupe décide un retrait tactique. Le résultat est un capharnaüm et de nombreuses arrestations.

Pire encore, aucune leçon tactique ne peut être apprise de l’action. Chaque groupe va prétendre que si tout le monde avait agi comme eux alors les choses seraient allées aux mieux. Aucun ne pourra jamais le prouver.

Une manifestation disciplinée aurait pu avoir une action cohérente et unanime. Si ceux qui conduisent la manifestation font des erreurs, ils peuvent être tenus de rendre des comptes plus tard. Mais, sans discipline, il n’existe pas de possibilité de mettre une politique à l’épreuve dans le monde réel.

La valeur de l’insistance de Lénine sur la construction du parti a été démontrée en 1917. La révolution de Février a éclaté spontanément, mais le Parti bolchevique de Lénine était en mesure d’y répondre. Il avait environ 25.000 membres - des militants expérimentés qui étaient capables de recruter rapidement.

En Juillet une grande manifestation des travailleurs de Petrograd, a exigé que les soviets - les conseils de travailleurs - prennent le pouvoir immédiatement. Les bolcheviks ont expliqué qu’un délai supplémentaire était nécessaire avant que la majorité des travailleurs ne soient prêts. Parce qu’ils étaient bien enracinés dans la classe ouvrière, ils ont pu empêcher un soulèvement prématuré.

En Octobre, les bolcheviks ont fait en sorte que la prise du pouvoir ait lieu de manière organisée, et, à Petrograd au moins, avec des pertes très limitées.
Victor Serge, un ancien anarchiste venu en Russie en 1919, a été très impressionné par la façon dont les bolcheviks opéraient. Il a écrit : « Le parti est le système nerveux de la classe ouvrière, son cerveau.  »

Comparons avec la situation en Allemagne. Là, il y avait une classe ouvrière beaucoup plus nombreuse et plus forte, mais le Parti communiste a été formé seulement après que le processus révolutionnaire ait commencé.

Sa direction a été instable, avec des changements constants de personnel. Il a fait des embardées à droite et à gauche pendant les années allant de 1919 à 1923, et des possibilités vitales ont été perdues.

Beaucoup prétendent que la révolution russe a conduit inévitablement aux horreurs de Staline. Il s’agit d’une approche paresseuse de l’histoire, une tentative de trouver en une seule phrase une explication pour un processus historique complexe.

Et elle ne parvient pas à expliquer pourquoi Staline a assassiné la plupart des meilleurs militants qui avaient construit le Parti bolchevik dans les années d’avant 1917.

Démocratie

Même les meilleurs partis font des erreurs. En Février 1917, les travailleuses de l’industrie textile se sont mises en grève. Quand elles ont demandé son avis au Parti bolchevique, il leur a dit de reprendre le travail.

Très sagement, elles ont ignoré les bolcheviks, et en quelques semaines la grève s’est étendue et le tsar a été renversé.

C’est pourquoi la démocratie est essentielle. En 1917, Lénine s’est trouvé en minorité dans son parti, et a dû se battre comme un tigre pour changer la stratégie.

Comme le révolutionnaire Léon Trotsky l’a rappelé, le Parti bolchevique était hautement démocratique. « La liberté de critique et de lutte intellectuelle était une composante essentielle de la démocratie », écrit-il.

Comment une organisation véritablement révolutionnaire, se donnant pour tâche de changer le monde et de réunir sous sa bannière les plus audacieux iconoclastes, combattants et insurgés, peut-elle vivre et se développer sans conflits intellectuels, sans regroupements et formations temporaires de factions ?

Mais le parti n’était qu’un moyen pour atteindre une fin. Lénine n’a jamais perdu de vue l’objectif socialiste. Son œuvre la plus importante, L’État et la Révolution, a été écrite à la veille de la Révolution d’Octobre.

Les adversaires du socialisme - et trop de ses partisans - ont souvent identifié le socialisme à la propriété de l’État. Lénine a contesté cela vigoureusement. Il a fait valoir que, dans une société divisée en classes, l’État est « un organe de l’oppression d’une classe par une autre  ».

« Tant que l’État existe, il n’y a pas de liberté », dit-il. « Quand il y aura la liberté, il n’y aura plus d’État. »

Lénine était d’accord avec Marx sur l’idée que « l’émancipation de la classe ouvrière doit être l’acte des travailleurs eux-mêmes. » Le parti ne se substitue pas à l’action de masse, mais cherche à l’encourager.

Après avoir pris le pouvoir, Lénine a écrit que la révolution doit « développer cette initiative indépendante des travailleurs ».

Il faut briser les vieux préjugés absurdes, barbares, méprisables et répugnants selon lesquels seule la soi-disant « classe supérieure », seuls les riches, et ceux qui sont passés par l’école des riches, sont capables d’administrer et de diriger l’État et le développement organisationnel de la société socialiste.

Comme Tony Cliff, le fondateur du SWP, écrivait :

On peut visualiser trois types de leadership, que nous appellerons celles de l’enseignant, du contremaître et du compagnon de lutte.
Le troisième type de leadership est semblable à celui qui existe entre un comité de grève et les travailleurs en grève, ou entre un délégué syndical et ses camarades de travail.
Le parti révolutionnaire doit mener un dialogue avec les travailleurs au dehors. Le parti, en conséquence, ne devrait pas inventer des tactiques à partir de rien, mais considérer comme son premier devoir d’apprendre de l’expérience du mouvement de masse, puis généraliser à partir d’elle.

Être membre d’un parti donne une vision beaucoup plus large sur la manière dont la lutte se développe. Comme le poète allemand Bertolt Brecht l’a écrit, « L’individu a deux yeux, le parti a mille yeux. »

Le SWP n’est pas parfait. Nous avons fait beaucoup d’erreurs. Mais vous avez besoin de nous, afin que vous puissiez participer collectivement au débat sur la stratégie et ensuite le mettre à l’épreuve. Et nous avons besoin de vous, de vos idées, de votre enthousiasme - et de vos critiques. Pourquoi ne pas nous rejoindre ?

P.-S.

Traduction par J.M Guerlin.

Voir en ligne : Traduction de « Lessons from Lenin », Socialist Worker, 24 octobre 2009

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