Luttes politiques et luttes sociales

Les révolutionnaires et la question de l’unité

par Yvan Lemaître

16 janvier 2010

La question de l’unité est au cœur des discussions de bien des travailleurs et militants. Unité pour faire face aux attaques de la droite et du patronat, unité syndicale, unité autour des entreprises en lutte, unité sur le terrain politique y compris celui des élections, la question est diverse et complexe et ne peut recevoir de réponse toute faite.

Elle crée bien des désarrois dans une situation où la pression économique, sociale, politique des classes dirigeantes est extrêmement forte. Et où, aussi, les renoncements accumulés de la gauche antilibérale elle-même suscitent une légitime révolte sans laquelle il ne sera pas possible de construire un parti anticapitaliste et révolutionnaire dont le monde du travail a besoin. Mais cette révolte doit s’armer d’une politique vis-à-vis de l’ensemble des travailleurs pour aider au regroupement des forces. D’où l’importance des discussions actuelles qui participent d’une indispensable politisation.

Bien des révolutionnaires, tout en acceptant la légitimité du débat, la nécessité d’explorer les différentes possibilités de construire cette unité pour aider à la préparation d’une réelle riposte d’ensemble des travailleurs sur un programme de mesures d’urgence, craignent que la recherche d’une unité entre anticapitalistes et antilibéraux conduisent à des compromissions, voire des abdications.

Il y a là, me semble-t-il, un manque de confiance en nos propres idées, en nous. Notre politique ne peut se limiter à l’affirmation de notre propre programme sans chercher à convaincre, à entraîner en ayant une politique vis-à-vis des autres forces qui disent vouloir combattre les effets dévastateurs de la crise et défendre les intérêts des travailleurs et des classes populaires. Ces forces ne sont pas anticapitalistes, la belle évidence ! C’est bien pourquoi nous devons avoir une politique vis-à-vis d’elles. Cette dernière ne saurait se contenter de leur demander de reprendre notre propre programme, elle vise à définir ce que nous pourrions défendre ensemble malgré les divergences de fond qui nous séparent.

Front unique

Pour les militants qui se réfèrent à l’histoire du mouvement communiste révolutionnaire, au trotskisme, la recherche du front unique est un souci constant. Elle part de l’idée que la classe ouvrière est hétérogène tant socialement que politiquement et que pour s’adresser aux travailleurs influencés par les illusions réformistes il ne suffit pas de dénoncer ces illusions, il faut chercher, à chaque étape, les points de convergence, les terrains d’action communs à la fois pour entraîner, mobiliser et convaincre, travailler à l’émergence d’une conscience de classe à travers l’action et la confrontation politique. Cela, nous le faisons de fait quotidiennement en particulier dans la lutte syndicale, dans les associations… En permanence, dans l’activité quotidienne, nous faisons des « compromis » pour mobiliser, agir ensemble, développer les luttes à partir du niveau de conscience des travailleurs. À chaque étape, nous cherchons à aller le plus loin possible en participant au mieux à la prise de conscience des intérêts collectifs qui unissent les opprimés.

Est-ce que cette politique peut se mener aussi sur le terrain électoral ? La question ne saurait recevoir par avance de réponse négative ou positive. Elle mérite, là encore à chaque étape, d’être explorée concrètement en fonction des rapports de force.

C’est ce que le NPA a voulu faire. Pourquoi ?

La première et principale raison est qu’une telle politique nous a semblé indispensable pour œuvrer à la convergence des luttes. Il est clair que les premières tentatives de généralisation qui se sont faites et se font à partir des luttes contre les licenciements dans les entreprises des équipementiers de l’automobile se sont heurtées à des limites qui renvoient au niveau de conscience et d’organisation non seulement des travailleurs mais aussi, pour une part, des équipes militantes. Travailler à la préparation d’un mouvement d’ensemble ne saurait se limiter à un volontarisme politique mais passe par une agitation et une propagande la plus large possible autour des exigences des travailleurs et des classes populaires face à la crise. C’est une tâche politique. Utiliser la tribune des élections dans ce but est indispensable. Il serait erroné de flatter des préjugés a- ou antipolitiques qui existent parmi bien des militants ouvriers, aussi compréhensibles que soient ces préjugés. Nous combattons les préjugés réformistes qui séparent luttes syndicales et lutte politique, limitée au terrain institutionnel, mais nous ne sommes pas des « économistes », pour reprendre l’expression de Lénine, qui limiteraient la lutte des travailleurs au terrain de l’usine, au terrain social. La préparation d’un mouvement d’ensemble exige un travail… politique. La lutte politique dans le cadre électoral, y compris dans celui des institutions bourgeoises s’inscrit dans ce travail. Préparer un mouvement d’ensemble, c’est œuvrer à changer le rapport de force politique. Les luttes, la grève sont une arme déterminante mais pas unique.
La politique de front unique y participe en particulier dans les périodes de recul comme celle que nous connaissons.

Face à l’offensive politique de la droite et du patronat et aux capitulations de la gauche libérale, il était juste et nécessaire d’explorer les possibilités d’unir les forces qui disent vouloir résister à cette offensive, la combattre. Engager une telle politique implique d’être disponible à la constitution d’un front durable qui n’aurait pas pour seul but les élections mais qui explorerait les possibilités d’actions communes sur le terrain des luttes et des mobilisations. Nous n’avons aucune raison de le craindre si nous sommes capables de préserver notre indépendance politique, notre liberté de parole, en un mot d’agir pour l’unité en faisant vivre la démocratie. Trop longtemps le mouvement ouvrier a vécu sous la domination des appareils social démocrate et stalinien pour qu’aujourd’hui, alors que la crise de ces appareils ouvrent des possibilités de discussions, nous nous repliions sur nous-mêmes en tournant le dos à nos propres responsabilités : faire vivre la démocratie, la mettre en œuvre, contribuer à créer les conditions d’échanges.

Construire le parti

Est-ce que cela veut dire vouloir construire un parti du type Die Linke ? Non bien évidemment. Pour la grande majorité du NPA il n’en est pas question. La politique d’unité s’accompagne d’une pleine indépendance de notre parti. Le front unique suppose la pleine liberté de chaque composante pour défendre ses propres orientations, perspectives, objectifs. La campagne pour le Non au référendum de 2005 en a été une illustration. La LCR, à l’époque, avait su garder sa pleine indépendance malgré, au départ de la campagne, une certaine confusion.

Il est clair que les révolutionnaires seront impuissants à construire ne serait-ce que l’ébauche d’un parti si nous ne sommes pas capables de prendre les risques d’une telle politique. Les risques, oui, car bien sûr il y a des risques. Les risques de subir les pressions opportunistes qui plaident pour l’unité pour l’unité, les risques de tendances gauchistes qui se nourrissent des faiblesses et hésitations, des difficultés. Mais il n’y a pas d’autre réponse à ces risques que de s’investir dans la bataille, que d’avoir confiance dans les militants, les travailleurs pour ensemble faire l’expérience, mener la bataille, contribuer à ce que le parti lui-même gagne en force, en indépendance politique, en capacité d’intervention, en confiance.

Personne ne niera que dans cette politique le NPA a pu connaître des faiblesses, des hésitations mais faut-il encore savoir de quel point de vue on discute de ces faiblesses. Il n’y a pas de parti sorti tout armé de la cuisse du Jupiter de la révolution. Un parti se construit, s’aguerrit à tous les niveaux de responsabilité en s’engageant dans les batailles nécessaires, en étant capable à chaque étape de faire les bilans quand le temps des bilans est venu, de corriger le tir, de savoir sauvegarder son unité dans les moments les plus difficiles. Etre capable de cette solidarité démocratique n’est-ce pas la responsabilité des militants les plus conscients ?

Et quelles qu’aient pu être nos faiblesses, la majorité du NPA a gardé le cap sur l’essentiel, l’indépendance vis-à-vis du PS et des institutions, le refus de participer à une nouvelle mouture d’union de la gauche au niveau des régionales, le refus de brader les intérêts des classes populaires pour constituer des majorité de gestion de toute la gauche. Le Front de gauche a considéré ce refus comme un point de rupture. Dont acte.

Il aurait été possible de réaliser l’unité des antilibéraux et des anticapitalistes à condition que les premiers ne sacrifient pas ce qu’ils disent être leur programme à des combinaisons parlementaires. Cela n’a pas été le cas. C’était écrit dans le grand livre de l’histoire ? Non, rien n’est écrit par avance et fallait-il encore en faire la démonstration vis-à-vis de celles et ceux qui s’interrogent, qui hésitent, vis-à-vis des militantes et militants du NPA qui veulent sincèrement l’unité pour changer le rapport de force. Faut-il encore après l’échec que nous soyons capables de continuer d’œuvrer à l’unité pour les luttes par-delà les rivalités électorales, c’est-à-dire continuer à défendre les intérêts généraux du mouvement ouvrier.

Le processus de construction du parti dont le monde du travail a besoin connaît une nouvelle phase, difficile mais riche de possibilités si nous sommes capables de nous réunir sur l’essentiel. Cela ne veut pas dire taire les points de désaccords, ni marcher comme un seul homme, mais savoir mener nos débats pour unir notre propre parti, renforcer sa cohésion, sa conscience politique. Il s’agit de dégager ensemble les enseignements de la bataille que nous venons de mener pour collectivement renforcer notre cohésion autour des axes fondateurs du NPA en tant que parti des luttes sociales et politiques en rupture avec le social-libéralisme, parti pour la transformation révolutionnaire de la société. Il ne manque pas d’oiseaux de mauvais augures pour nous promettre isolement et échec. Bien au contraire, c’est en défendant une politique unitaire respectant notre indépendance de classe que nous pourrons nous enraciner au sein du monde du travail et créer les conditions d’une meilleure et plus large appropriation des idées du socialisme et du communisme révolutionnaire par les militantes et les militants du NPA.


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