Front National
par
24 septembre 2010
Tous ceux qui se battent contre la progression du Front National devraient se réjouir de la crise qui frappe notre ennemi. Mais il ne suffit pas de se réjouir, le FN n’est pas mort. Ne pas tirer avantage de la situation dans lequel il se trouve pourrait se retourner contre nous. Il nous faut comprendre d’où vient cette crise, ce qu’elle signifie pour en tirer les moyens de l’approfondir. Notre thèse est que la crise qui a explosé au sein du FN en décembre 1998 ne peut être comprise que comme la crise dans la construction d’un parti fasciste en France à la fin du XXe siècle.
Cet article est issu d’un supplément à Socialisme par en bas n°15, paru en janvier 1999.
Félix Morrow décrit ainsi le rôle du fascisme :
« Le fascisme, c’est la forme particulière de domination a laquelle la bourgeoisie finit par recourir quand la survie du capitalisme devient incompatible avec l’existence du prolétariat organisé. On en vient au fascisme, quand les concessions, qui résultent des activités des syndicats et des partis politiques ouvriers, deviennent un fardeau intolérable pour les dirigeants capitalistes, et donc incompatibles avec la survie même du capitalisme. » [1]
Daniel Guérin écrit à propos de l’Italie :
« Au cours de l’année 1920, un colonel est chargé par le ministère de la Guerre de créer des noyaux d’officiers et d’établir des liaisons. Après avoir parcouru à cette fin l’Italie, il publie un rapport, qui contient déjà, écrit Rossi, un plan précis « d’offensive antisocialiste ». Mais comme ces noyaux d’officiers ne suffiraient point le colonel suggère qu’on leur ajoute « pour en soutenir et mieux régler l’action, une milice d’idéalistes, formée par les plus experts, les plus courageux, les plus forts et les plus agressifs d’entre nous. » « Il faut que cette milice, ajoute-t-il, soit capable d’une action de résistance et, en même temps, d’une action politique [...] Des actions partielles, destinées à mater l’insolence des centres les plus subversifs, seront une excellente école pour nos milices et serviront en même temps a démoraliser et à briser l’ennemi ». » [2]
Excellente anticipation de ce que sera Ie rôle du parti fasciste de Mussolini. Pour que les fascistes arrivent au pouvoir deux conditions sont nécessaires :
L’aspect déterminant pour le fascisme est donc la construction d’un parti de masse de militants soudés par leur haine des étrangers, des homosexuels et des travailleurs, organisés et disciplinés, convaincus de leur force et de leur droit et prêts à l’usage de la terreur pour l’imposer. Ses premières troupes il les trouve dans les couches sociales écrasées entre les deux classes sociales principales, la classe dirigeante et la classe ouvrière. Les artisans, commerçants et petits patrons écrasés par l’exacerbation de la concurrence haïssent d’un même mouvement les gros capitalistes qui les mènent à la faillite et les organisations ouvrières qui réclament plus d’acquis pour leurs employés. Leur idéologie est celle d’un passé qui se délite sous leurs yeux. Ils détestent tout ce qu’ils assimilent au développement du système, l’internationalisation des échanges et l’essor technologique et défendent ce qu’ils assimilent à l’ordre ancien où ils avaient leur place, la nation, la famille, la culture régionale...
À la différence des capitalistes ces couches sociales n’ont aucun pouvoir réel sur l’économie et la politique. Ils ne dirigent pas les conseils d’administration des grosses entreprises, les groupes de presse et n’ont pas d’influence sur l’appareil d’État.
À la différence des travailleurs ils n’ont pas le pouvoir collectif de créer un rapport de forces, la cohésion que cela est susceptible de créer et les organisations syndicales qui y correspondent.
Ces couches sociales, incapables de jouer un rôle indépendant, le fascisme va les mettre au service de la classe dirigeante.
Elles formeront le noyau dur et l’encadrement du parti fasciste. Mais pour créer un parti de masse le fascisme va aussi recruter parmi les travailleurs. Ses cibles privilégiées seront les travailleurs les plus marginalisés, chômeurs, travailleurs précaires mais il bénéficie aussi de la démoralisation des travailleurs qui ne se sentent pas défendus par leurs organisations traditionnelles. Le fascisme bénéficie directement de la faiblesse voire de la trahison des directions du mouvement ouvrier.
Le parti fasciste n’a pas de cohésion interne autre que la haine des syndicats, des étrangers ou des homosexuels. Petits patrons ou commerçants sont autant en concurrence les uns avec les autres qu’avec les grands patrons. Quand ils s’opposent aux revendications syndicales, ils s’opposent aussi aux intérêts des chômeurs ou des travailleurs précaires. Léon Trotsky décrit ainsi les fascistes :
« L’habileté politique consistait à souder l’unité de la petite bourgeoisie au moyen de la haine pour le prolétariat. Que faut-il faire pour que ce soit encore mieux ? Avant tout écraser ceux qui sont en bas. Impuissante devant le grand capital, la petite bourgeoisie espère désormais reconquérir sa dignité sociale en écrasant les ouvriers. » [4]
Sa cohésion, le parti fasciste ne la trouve donc pas dans un programme précis mais dans l’attachement à des valeurs supposées universelles et en faillite - notamment celle d’un passé national fait de domination sur les autres peuples - et l’attachement quasi religieux à un chef.
Cette cohésion, il la construit dans toutes les manifestations d’appartenance a un parti fort. Le parti fasciste ne peut s’organiser sur la base d’un pouvoir collectif dans les entreprises, son arène c’est la rue. Hitler écrivait ainsi : « Les manifestations de masse doivent faire brûler dans l’âme des petites gens la conviction que, bien que petites larves, ils font corps avec un grand dragon. »
Au milieu des années 60, l’extrême-droite française est ghettoïsée, divisée en groupuscules ultra-violents adeptes de la nostalgie nazie.
L’évolution du capitalisme a modifié la nature des couches sociales intermédiaires. La petite bourgeoisie traditionnelle - artisans, commerçants - s’est rétrécie quantitativement. L’évolution de l’État a multiplié les fonctionnaires et en a fait des employés de plus en plus proches des autres travailleurs. Le développement des services fait que les couches intermédiaires sont majoritairement composées de salariés plus enclins à envisager la défense collective de leurs intérêts que ne Ie sont des petits patrons.
Les étudiants, qui représentaient une élite, avaient été une cible privilégiée pour les partis fascistes. Avec la massification de l’enseignement supérieur les étudiants sont issus de familles moins favorisées. Ils ont été amenés à partir des années 1960 à s’opposer régulièrement aux plans gouvernementaux et aux objectifs de la classe dirigeante. Ce sont les organisations réformistes ou révolutionnaires plutôt que les organisations fascistes qui ont trouvé un écho dans les universités.
Dans les années 1960, de plus, la prospérité éloigne du fascisme sa clientèle potentielle et, à part lors de crises ponctuelles, la classe dirigeante n’a pas besoin de troupes de chocs.
Ces difficultés vont mener certains des dirigeants fascistes à une remise en cause de la stratégie de construction d’un parti fasciste de masse.
Dés 1961 François Gaucher expliquait que si la flamme fasciste devait brûler à nouveau « elle ne pourrait brûler de la même manière parce que l’atmosphère a été profondément modifiée » [5]. En 1962, Dominique Venner écrit un texte qui deviendra une référence pour les fondateurs du Front National, Pour une critique positive. Pour Venner il faut à la fois réussir à rassembler les morceaux épars de l’extrême-droite et trouver le moyen de jeter des ponts entre les nationalistes révolutionnaires et la droite.
« Trois idées ressortent notamment de ce texte et d’un article paru en novembre 1962 dans Défense de l’Occident :
II revient à Francois Duprat alors dirigeant du groupe Ordre nouveau de concrétiser l’évolution de l’extrême-droite en termes de stratégie. Dans un texte intitulé Pour un ordre nouveau il indique que « ce n’est pas la forme d’activité mais le but qui caractérise une organisation révolutionnaire. Les moyens sont seulement dépendants des circonstances. » [7]. II défend l’idée que la violence et les attaques commandos contre la gauche doivent être évitées si l’extrême-droite veut rompre son isolement et étendre son influence.
« Caractérisant les élections comme un « excellent instrument de combat pour un parti révolutionnaire » il suggère que le temps est venu de construire un Front national ouvert à tous les groupes extrémistes qui se présenterait aux élections sur un programme dilué comme moyen de mettre les fascistes en contact avec des recrues potentielles, les éduquant et « les transformant à notre image ». » [8]
Le double-jeu est complet. En mars 1972 un article de l’hebdomadaire d’Ordre nouveau indique :
« La Révolution consiste à détruire totalement l’ancien régime et à réaliser intégralement l’Ordre nouveau. Nous sommes de vrais révolutionnaires car nous sommes décidés à aller jusqu’au bout de cette nécessité, quoiqu’il puisse en coûter. Renversant le régime décadent et ses valets, transformant de fond en comble une société écroulée sous ses défauts et sous ses vices, nous bâtirons un Monde nouveau. » [9]
En octobre 1972 le même journal déclare : « La voie électorale n’est pas un jeu. Ce n’est pas une voie facile mais c’est la seule qui offre l’espoir d’aboutir à quelque chose de sérieux, qui puisse donner à nos idées la possibilité d’influer sur la réalité. » [10]
Les dirigeants du Front National vont installer à sa tête Jean-Marie Le Pen qui présente l’avantage d’être une vieille connaissance de l’extrême-droite (notamment autour des combats pour l’Algérie française et des succès électoraux du populisme de Poujade dans les années 1950) sans être assimilé aux aventures des divers groupuscules néo-nazis.
Les piètres résultats du FN aux législatives de 1973 vont provoquer la première scission dans l’assemblage hétéroclite. De nombreux dirigeants d’Ordre nouveau créent les comités Faire Front qui seront à l’origine du Parti des Forces Nouvelles (PFN).
Mais c’est dans l’ombre que le FN se structure tandis qu’un autre groupe issu lui aussi de l’extrême-droite néo-nazie choisit, autour de Dominique Venner et de Alain de Besnoit, de refonder la base idéologique du fascisme moderne. C’est ce qu’on appellera la Nouvelle droite organisée autour du GRECE (Groupement de Recherches et d’Études pour la Civilisation Européenne) dont certains membres cherchent a créer des ponts avec les responsables de la droite classique via le Club de l’Horloge notamment (Jean-Yves Le Gallou et Yvan Blot). Un certain nombre d’entre eux rejoignent le FN au début des années 1980. Au milieu des années 1980 le Front national a réussi a rassembler derrière un chef indiscutable, Jean-Marie Le Pen, des représentants de toutes les familles de l’extrême-droite française, à se donner une caution intellectuelle et à établir des liens avec des fractions de la droite dite classique. Il est parvenu a se structurer et à se doter d’une stratégie à double-entrée, respectable au dehors tandis qu’il forge, au-dedans, un noyau, embryon d’un véritable parti fasciste.
Les éléments qui vont donner l’impulsion au Front national sont réunis à partir de 1981 : le développement de la crise, la déception engendrée par la politique menée par la gauche au gouvernement et la surenchère sur les thèmes de prédilection du FN notamment l’immigration. Dans ces circonstances Ia stratégie élaborée depuis Ie début des années 1970 par un noyau de dirigeants fascistes va fonctionner a plein tout en développant les causes de la crise actuelle du FN.
Toute l’histoire du Front national va être marquée par un double-jeu : l’orientation vers tout ce qui respectabilise le FN (la stratégie parlementaire, la présence dans les médias, l’alliance avec des fractions de la droite) pour élargir l’audience du FN et se construire une base de masse et les déclarations et actions ouvertement racistes voire fascistes pour fidéliser et développer numériquement un noyau idéologiquement de plus en plus proche du fascisme.
Le FN remporte ses premiers succès électoraux dés 1983 lors de municipales partielles et surtout lors des élections européennes de 1984 où la liste conduite par Le Pen obtient 11% des voix. À l’approche des élections de 1986 Ie FN renforce sa stratégie de respectabilisation quand Le Pen décide de notabiliser ses listes de candidats. Pascal Perrineau explique :
« Certes les vieux routiers de l ’extrême-droite restent dominants [...] Mais, à coté d’eux, les transfuges de la droite traditionnelle et les notables socio-économiques sont nombreux. [...] Enfin, de multiplex notables sociaux et économiques pèsent de tout leur poids : François Bachelot, transfuge du RPR mais aussi délégué général des Chambres de professions libérales,dans la Seine St-Denis, Pierre Descaves, vice-président du Syndicat national de la petite et moyenne industrie (SNPMI), dans l’Oise ; Guy Le Jaouen, syndicaliste de la FNSEA, dans la Loire ; Jacques Vaysse-Tempé, président du Rassemblement des Français rapatriés et réfugiés d’Afrique du Nordet d’outre-mer (RANFRAN-OM) et élu municipal, dans la Haute-Garonne ; Bruno Mégret [proche de Jean-Yves Le Gallou et de Yvan Blot du Club de l’Horloge - NDLA] ancien du RPR et dirigeant de la confédération des associations républicaines (CODAR). Cette stratégie de « notabilisation » tous azimuts entraîne d’ailleurs une réaction d’une partie de l’appareil militant qui fait scission pour créer, le 23 novembre 1985, le Front d’opposition nationale (FON). Le FN espère sans doute que les quelques pertes de militants de la première heure seront largement compensées par l’arrivée de nouveaux électeurs rassurés par le lifting de l’extrême droite. » [11]
C’est ce qui se passé puisque le FN confirme son implantation électorale et fait entrer 35 députés à l’Assemblée nationale tandis que, sous la direction de Jean-Claude Gaudin, la droite s’allie au FN pour les élections régionales dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur.
C’est alors que Le Pen va multiplier les « dérapages ». En février 1987, surfant sur la peur du SIDA, il déclare que les homosexuels, les toxicomanes, les Africains et les Israélites sont des populations à risque et il demande la création de centres de détention pour les séropositifs. En septembre de la même année, interrogé à RTL sur les thèses révisionnistes il déclare qu’il croit que les chambres à gaz sont « un point de détail de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale ». Cela suscite la démission d’un notable rallié pour la campagne de 1986, Olivier d’Ormesson. En 1988 la dénonciation par Le Pen de « Monsieur Durafour crématoire » entraîne des condamnations par l’unique députée restante du FN Yan Piat, par Francois Bachelot et Pascal Arrighi, ces deux derniers faisant aussi partie des notables de 1986. lis sont exclus du FN après avoir rempli leur fonction de respectabilisation de ce parti.
Ces dérapages servent à renforcer idéologiquement un parti dont la quête d’audience a comme tendance de renforcer l’hétérogénéité et de modérer la conviction idéologique. Un militant du FN qui commence a affirmer ouvertement son appartenance politique, à vendre la presse du FN à ses parents, amis et collègues doit, au lendemain des « dérapages » de Le Pen soit condamner ce parti et le quitter soit justifier les propos de son chef et ainsi franchir un nouveau pas vers l’idéologie fasciste. Les différents « dérapages » de Le Pen coûtent entre 2 et 6 points des côtes de popularité réalisées par les instituts de sondage et Ie délai de retour aux côtes de départ est de 5 à 7 mois [12]. L’effet de fidélisation est marquant, le plus élevé pour un parti politique. Ainsi sur 100 électeurs ayant voté FN aux législatives de 1993, 89 votent encore FN aux législatives de 1997 moins d’un an après ses propos sur l’inégalité des races.
Le contexte de crise du début des années 1990 et une atmosphère marquée par la profonde démoralisation dans les rangs de la gauche vont favoriser une radicalisation du discours du FN. « La crise du politique a rejoint la crise de société. L’extrême-droite est au pinacle. » [13]
Fin octobre 1990, Francois Brigneau écrit dans National-Hebdo :
« Est-ce à dire que la Troisième Guerre mondiale s’approche ? Ce n ’est pas impossible. Les émeutes qui ont ravagé la région lyonnaise et les flambées de violence qui s’allument ici et là sont les signes avant-coureurs d’événements graves. [...] Ce ne sera pas la guerre classique que nous avons connue, avec soldats en uniforme, avions et chars. Ce sera la guérilla totale et permanente, l’insécurité organisée, les rues et les quartiers ouverts aux égorgeurs, les maisons abandonnées aux incendiaires, le combat par derrière, obscur, acharné, dans la nuit. [...] Il n’y a plus de respect, de politesse, de discipline. Le fleuve de boue humaine roule sur les salles de classe, sous les tilleuls de la cour et le préau... Il va rejoindre celui qui se prépare dans les banlieues fétides déjà interdites aux hommes blancs. Gardez-vous, braves gens. La barbarie commence seulement. » [14]
Plutôt que le combattre, la droite comme la gauche crédibilisent le FN en reprenant l’antienne raciste. En juin 1991 Jacques Chirac parlant des conditions dans lesquelles vivent les familles immigrées explique : « Si vous ajoutez à cela le bruit et l’odeur, le travailleur français, sur le palier, il devient fou ». En juillet le premier ministre socialiste, Edith Cresson, parle de recours aux « charters » pour expulser les immigrés en situation irrégulière. En septembre Valéry Giscard d’Estaing, ancien président, déplore dans un article au Figaro Magazine « l’invasion » de la France et propose le recours au « droit du sang » pour l’acquisition de la nationalité française.
Aux élections présidentielles d’avril 1995 Le Pen, qui rassemble 15% des suffrages, atteint son plus haut niveau historique.
Pourtant l’année 1995 va marquer un tournant dans la situation politique nationale avec les grèves massives de décembre 1995. Ces grèves suivies par Ie début de mouvement des sans-papiers vont lancer une dynamique de mobilisations qui va ramener le balancier a gauche dans la société française. Début 1997 les lois racistes du ministre de l’intérieur Jean-Louis Debré suscitent des mobilisations massives tandis que la période est marquée par des mouvements de grève comme le conflit des routiers de décembre 1996 ou les manifestations contre la fermeture de l’usine Renault à Vilvoorde. Cette dynamique se traduit aussi, alors que Bruno Mégret gagne Ia mairie de Vitrolles, par une mobilisation de masse contre Ie congrès du FN à Strasbourg en mars 1997.
La poussée générale va être à l’origine de la victoire de la gauche aux élections législatives anticipées de 1997.
Alors que l’aspect le plus marquant de cette nouvelle donne est la crise interne à la droite elle porte en germe la crise du Front national qui a éclaté de façon spectaculaire en décembre 1998.
En effet le retour d’une résistance collective sur le terrain économique comme sur le terrain politique et l’élévation des attentes envers un gouvernement de gauche éloignent du Front national tout un public potentiel. Il est plus difficile pour un militant du Front national d’obtenir l’acquiescement de son entourage à ses discours anti-syndicaux et anti-gauche lorsque les mouvements dirigés par les syndicats sont populaires et que les espoirs envers la gauche au gouvernement restent élevés (ou que, lorsque celle-ci est contestée, c’est sur sa gauche). Si on ajoute à cela Ie harcèlement du Front national et de ceux qui choisissent de s’allier avec lui, la confiance du militant dans la force de son parti - élément déterminant dans la construction d’un parti fasciste comme on l’a vu - est susceptible de vaciller.
Cela a réveillé toutes les contradictions internes spécifiques au développement du Front national et notamment la contradiction entre stratégie parlementaire et volonté de construire un parti de militants activistes. Ces deux stratégies pouvaient cohabiter sans problèmes majeurs et assurer le développement du FN tant que Ie risque des pertes en voix provoqué par les dérapages de Le Pen était compensé par une fidélisation à terme de l’électorat, une confiance et une cohésion accrue des militants du parti.
En période plus difficile il est tentant pour une fraction du Front national d’assurer ses bastions électoraux et de compenser l’écho moindre parmi un électorat « populaire » par des alliances électorales avec la droite et une modération du discours. Cela est d’autant plus marqué chez ceux des membres du Front national que les réussites électorales ont notabilisé ou fait dépendre des positions obtenues. Il n’est pas étonnant de constater que Mégret, principal initiateur de la stratégie d’alliance avec la droite, obtient proportionnellement bien plus de soutien parmi les élus du parti et les membres de l’appareil liés aux municipalités frontistes que parmi les membres et sympathisants du FN. C’est ainsi que, lors du conseil national extraordinaire, organisé Ie 13 décembre par les partisans de Mégret, 181 élus du FN étaient présents sur les 339 que compte Ie conseil national du FN, soit plus de la moitié [15]. Au niveau des militants, l’appel à un congres lancé par la fraction mégrétiste du FN (qui ne traduit pas forcément un soutien a Bruno Mégret mais simplement Ie refus d’une scission et est donc plus large que Ie nombre de ses partisans au sein du parti) a recueilli un peu plus d’un tiers de signatures de militants du parti. Au niveau des sympathisants du FN (ceux qui envisagent de voter aux prochaines élections soit pour Le Pen soit pour Mégret) 69% déclarent qu’ils voteront pour Le Pen [16].
II ne s’agit pas ici de faire une quelconque hiérarchie dans les degrés de conviction fasciste entre Mégret et Le Pen mais d’analyser dans la situation présente ou se situe Ie danger de construction d’un parti fasciste pour savoir où et comment faire porter nos coups.
Toutes ses déclarations et actions montrent que Le Pen est resté fidèle à l’idée que la stratégie parlementaire n’était qu’un moyen pour assurer Ie développement d’un parti fasciste et que seul un parti de masse obéissant à son chef, déterminé à utiliser tous les moyens pour démoraliser Ie mouvement ouvrier voire Ie briser pouvait être en position de parvenir au pouvoir lors d’un approfondissement de la crise. Tous ses dérapages ont eu cette fonction ainsi que de rappeler cet objectif à des élus tentés par la notabilisation.
En juillet 1997 nous écrivions dans Ie 1er numéro d’Action (devenu en février 1998 Socialisme par en Bas) :
« Le Pen pense que l’évolution de la situation joue pour lui. Les crises économique et politique vont s ’approfondir, il ne s ’agit donc pas de courtiser le RPR et l’UDF mais de renforcer le parti idéologiquement et organisationnellement pour être un réel recours. Le 14 juin il déclare ainsi : « On ne s’allie pas avec des forces qui sont en décomposition, on attend d’en ramasser les débris ». C’est dans la lignée de « l’inégalité des races » qu’il a fait le coup de poing contre la candidate PS à Mantes-la-Jolie entre les deux tours, repris ses propos sur « le point de détail » à propos des chambres à gaz lors d’une conférence de presse le 21 mai ou présenté la tête de Catherine Trautmann sur un plateau lors de son meeting final. Tout cela a sans doute coûté des voix à court terme aux candidats du FN mais renforcé l’adhésion idéologique aux thèses dures de ceux des électeurs et des sympathisants qui ont, malgré tout, continuer d’apporter leur soutien au FN. »
Aujourd’hui, la passe difficile que traverse le FN n’est pas due aux conditions objectives - les crises économique et politique ont plutôt tendance a s’amplifier - mais aux conditions subjectives qui font que le balancier est à gauche. Pour Le Pen, la stratégie de Mégret - au-delà d’une banale querelle de chefs - porte le risque de faire passer au second plan le renforcement d’un embryon de parti fasciste au profil du développement d’un parti de notables plus intéressés à la défense de leurs sièges qu’à la préparation de la prise du pouvoir. Or c’est dans ces périodes difficiles que se trempe un parti d’activistes encore plus soudé autour de son chef, susceptible de tirer parti d’une nouvelle évolution de la situation.
Tout porte à croire que la réaction, extrêmement violente, de Le Pen à l’offensive de Mégret, incarne cette volonté de sélectionner ses troupes dans la difficulté. Alors que le camp des partisans de Mégret cherche à incarner la voie de la conciliation (quelles que soient les intentions tactiques sous-jacentes), Le Pen a choisi d’être celui qui tranche dans Ie vif. Cette position, sans compromis, est la plus appropriée pour donner confiance à des militants dont la caractéristique n’est pas de discuter et débattre pour élaborer collectivement les décisions du parti mais de faire confiance à un chef forcément sur de lui et conquérant.
Des crises du type de celle que traverse le Front national ont des précédents dans l’histoire du fascisme classique qu’il s’agisse du parti fasciste de Mussolini dans l’Italie des années 20 ou du parti nazi d’Hitler en Allemagne. Ces crises sont issues des contradictions entre la nécessité, pour les fascistes, de construire un parti de masse sur la base de couches sociales contestataires et hétérogènes, et d’en faire un outil de prise du pouvoir soutenu par la classe dirigeante. Revenir sur ces exemples permet d’en comprendre la logique mais surtout de comprendre que ces crises ne signifient pas, en soi, la mort de ces partis et que, la non-compréhension, par les principales forces de gauche de la nature de ces crises les a empêchées d’en tirer bénéfice pour briser ces partis.
« Sa chance historique, le fascisme l’a rencontrée au début de l’automne 1920, immédiatement après le reflux de la vague d’agitation ouvrière qui a fait trembler la classe dirigeante. Une fois écarté le danger révolutionnaire, la bourgeoisie songe en effet à empêcher un nouvel assaut contre ses positions. Pour cela elle cherche à s’assurer les services de groupes politiques qui, sachant manier la démagogie verbale, ont une chance d’attirer à eux la fraction de la classe ouvrière que la dérobade des maximalistes a déçue, et qui soient en même temps suffisamment hostiles aux organisations officielles du prolétariat pour vouloir les démanteler. Une véritable alliance tend ainsi à se constituer entre le premier fascisme - plébéien mais non prolétaire, contestataire plutôt que révolutionnaire, idéologiquement et sociologiquement lié à la petite et à la moyenne bourgeoisie - et les classes possédantes, contre leurs adversaires communs : socialistes et syndicalistes réformistes de la CGL. C’est le moment où les fonds qui avaient jusqu’alors manqué à Mussolini commencent à affluer dans les caisses des fasci, fournis par les dirigeants des grosses sociétés industrielles. » [17]
Dès lors Mussolini décide de combiner l’action violente - le squadrisme - contre les organisations de gauche et les grévistes avec l’action parlementaire. Dès 1920, les fascistes passent des accords électoraux avec la droite et, en 1921 la victoire du « bloc national » permet à Mussolini d’entrer avec 34 des siens au parlement italien.
Ce double aspect de la politique de Mussolini, légaliste et squadriste, va créer une crise au sein au sein du mouvement fasciste quelques semaines après la victoire électorale. La stratégie de Mussolini consiste en effet a encourager le squadrisme en sous-main tout en se donnant une façade plus légaliste. Elle impose aussi de structurer le mouvement fasciste, dominé par des chefs locaux, en un parti national discipliné derrière son chef se donnant comme perspective la prise du pouvoir par des moyens légaux. Des tensions se cristallisent entre la direction nationale du mouvement autour de Mussolini et les chefs fascistes locaux.
Ces tensions éclatent sous l’effet d’une contre-offensive ouvrière qui se développe marquée notamment par la création d’une milice ouvrière, les arditi del popolo qui décide de riposter aux campagnes de terreurs fascistes. L’occasion est la signature d’un accord de pure forme entre Mussolini et les dirigeants socialistes pour l’arrêt des violences. Cet accord, repoussé par les chefs fascistes locaux, va entrainer la démission de Mussolini de la Commission exécutive nationale.
Mussolini va utiliser cette crise du mouvement fasciste pour l’adapter à sa perspective de prise du pouvoir en le structurant en un parti national et en réorientant son programme de façon à le rendre plus acceptable par la classe dirigeante. En novembre 1921, lors du Congrès de Rome les 15 000 délégués présents, représentant environ 320 000 membres, approuvent la constitution du parti national fasciste et le programme de Mussolini.
« L’évolution entamée au lendemain des grèves institutionnelles de l’été 1920 s’achève ici avec la mise en place d’un grand parti de masse structuré et discipliné, qui est en même temps une organisation réactionnaire liée aux grands intérêts privés. » [18]
Un an plus tard, le 29 octobre, Mussolini arrive au pouvoir.
La responsabilité de la gauche dans ce désastre est flagrante. Ne raisonnant que sur la base de la démocratie parlementaire, les socialistes font appel en permanence aux institutions pour contrer les attaques fascistes. Matteoti, dirigeant socialiste donne le mot d’ordre suivant en mars 1921 : « Restez dans vos maisons ; ne répondez pas aux provocations. Même le silence, même la lâcheté sont parfois héroïques. » [19]
Les dirigeants communistes sous-estiment le danger fasciste en faisant des socialistes leurs principaux ennemis.
Pour suppléer à la carence de ces dirigeants, des militants de diverses tendances, syndicalistes révolutionnaires, socialistes de gauche, jeunes socialistes, communistes créent en 1921 des milices anti-fascistes, les arditi del popolo. Mais ce front unique embryonnaire n’est reconnu officiellement par aucune organisation tandis que les dirigeants communistes enjoignent à leurs militants de le quitter.
Pire, lorsque la crise commence à se développer dans le mouvement fasciste, notamment sous la pression des actions des arditi del popolo, le parti socialiste signe avec Mussolini un accord de non-agression à l’issue duquel il désavoue les arditi del popolo.
Cette politique désarmera au propre comme au figuré les militants de gauche attaqués par les fascistes dans les semaines et les mois qui suivent. Cependant, les rares fois ou les antifascistes opposent une résistance organisée au fascisme, ils prennent temporairement le dessus. C’est ainsi qu’à Parme, en août 1922, la population ouvrière, sous la direction des arditi del popolo fait échouer victorieusement une attaque fasciste, malgré la concentration de plusieurs milliers de squadristes.
« Le score modeste [obtenu aux élections] de 1928 ne rend pas compte de ce qui fait la force du NSDAP, laquelle consiste dans une organisation disciplinée, efficace et inconditionnellement soumise à son chef. Avec le parti communiste, le mouvement hitlérien est de toutes les formations politiques la seule qui, disposant de cadres nombreux et aguerris, soit capable à tout moment de prendre et de garder le pouvoir. La crise économique qui frappe l’Allemagne au début des années 30 lui en offre l’opportunité et cette fois Hitler ne la laissera pas échapper. » [20]
Pour construire cette position et ce parti Hitler est passé par plusieurs crises qu’il a utilisées pour modeler le parti nazi.
En 1919 Hitler adhère a une toute petite organisation d’une cinquantaine de membres, le Deutsche Arbeiter Partei (DAP), dirigée par un dénommé Drexler. En deux ans il va être l’élément moteur du développement du DAP. Mais la possibilité de développement de ce parti passe pour Hitler par sa structuration autour d’un chef incontesté et le refus de toute alliance avec la droite nationaliste que préconise alors Drexler. En 1920, le DAP se transforme en NSDAP (Parti National Socialiste Ouvrier Allemand). L’affrontement se développe alors avec Drexler sur la question des alliances et sur des points de programme. Alors que Dexler fait porter ses attaques sur les représentants du grand capital et les grands propriétaires fonciers, l’anticapitalisme d’Hitler prend la forme d’attaques violentes contre les juifs qu’il accompagne d’un anti-marxisme virulent. Mettant en avant la construction d’un parti d’activistes, Hitler s’oppose aux alliances avec la droite nationaliste que Drexler préconise.
L’affrontement culmine en juillet 1921 quand Hitler démissionne du parti tout en exigeant une explication publique devant une assemblée générale des militants du parti.
« Conscients que sans lui le NSDAP a toute chance de voir ses effectifs fondre et ses caisses se vider, les amis de Drexler capitulent à la fin juillet sur tous les points de l’ultimatum qui leur a été présenté :
Après son bref séjour en prison suite au putsch raté de 1923, Hitler va reprendre les rênes du parti nazi en s’affrontant à d’autres dirigeants. L’affrontement le plus virulent se développe avec Gregor Strasser dont les discours défendant un nationalisme socialisant heurte de front les représentants de la classe dirigeante. Un congrès des dirigeants du nord du parti nazi où Strasser propose d’exproprier sans indemnités les anciennes familles princières mène le bras droit de Strasser à demander l’exclusion de Hitler. Lors d’un congrès national qu’il convoque, Hitler rétablit sa situation et en profite pour développer son contrôle sur le parti et étouffer toute possibilité de contestation.
Hitler lui-même a expliqué en 1933 ce qui aurait pu briser le nazisme :
« Un seul danger pouvait briser notre développement : si l’adversaire en avait compris le principe et si, dès le premier jour, avec la plus extreme brutalité, il avait brisé le noyau de notre nouveau mouvement. » [22]
Mais en Allemagne, comme en Italie, la gauche va commettre les mêmes erreurs d’appréciation sur le fascisme tantôt Ie sous-estimant, tantôt cherchant dans les institutions le rempart à sa progression.
Nous devons retenir les leçons du passé. Il s’agit de comprendre la nature de la crise actuelle du Front national à la lumière de ce qu’est la dynamique du fascisme et plus précisément la dynamique de la construction d’un parti fasciste.
Cela permet de comprendre en quoi l’origine de cette crise ne repose pas simplement dans une querelle de chefs découplée de causes externes. Ce sont au contraire ces causes externes - et en premier lieu le développement actuel d’une résistance, sur des bases de classe, aux ravages du capitalisme - qui ont exacerbé les contradictions internes propres au développement d’un parti fasciste.
Mais cela permet aussi de comprendre qu’en l’absence d’une volonté de développer cette résistance et de la combiner avec des offensives concertées et unitaires contre le FN, celui-ci pourrait, à terme sortir renforcé de sa crise.
C’est pour cela qu’il faut dès aujourd’hui relever le gant. La surmédiatisation de la crise du FN s’est accompagné d’un silence quasi-total de la gauche sur la question. Il aurait fallu - il faut - dire en quoi cette crise est le produit de nos mobilisations, de nos combats, directement contre le FN ou pour gagner des droits et résister aux attaques de la classe dirigeante. En l’absence d’une telle campagne nous laissons le FN occuper le devant de la scène, gagner paradoxalement en respectabilité parce qu’il fait l’objet de l’attention générale plutôt que de montrer que nos luttes sont la meilleure arme contre le fascisme.
Il faut utiliser le déballage interne du FN pour dénoncer plus encore la véritable nature de ses dirigeants. De moins en moins condamné, dénoncé, le Front national a pu faire sauter les tabous qui empêchaient ses militants de faire sa propagande ouvertement et qui sapaient leur confiance.
Il faut se servir de cette crise pour expliquer ce qu’est vraiment un parti fasciste et ses objectifs et comment il peut devenir une arme entre les mains de la classe dirigeante contre tous les travailleurs et tous les opprimés.
La gauche est tentée aujourd’hui de voir dans la crise du FN la fin de Le Pen et l’émergence, avec Bruno Mégret, d’une contamination des idées d’extrême-droite au sein de la droite. Cette position est extrêmement dangereuse parce qu’elle réduit le combat contre le fascisme à une lutte morale qui aboutit à simplement tenter de convaincre les dirigeants de droite qu’ils ne doivent pas céder aux idées d’extrême-droite. Elle aboutit à faire concessions sur concessions a la droite pour éviter qu’elle ne soit attirée par l’extrême-droite. Comme hier, ces concessions, en démoralisant les travailleurs ne feront que le jeu de la classe dirigeante et, à terme, des fascistes. Elle aboutit à oublier que dans la dynamique de progression d’un parti fasciste c’est surtout le fascisme qui s’adapte de plus en plus aux intérêts de la classe dirigeante plutôt que Ie contraire.
Cette position est dangereuse parce qu’elle sous-estime les capacités de Le Pen à renforcer un parti fasciste qui, demain, pourrait utiliser la crise et la démoralisation de la gauche pour connaitre une progression fulgurante.
Dans les luttes menées par les travailleurs il est vital de considérer en permanence le rapport de forces pour déterminer les stratégies adaptées. Il est dramatique de passer à l’offensive lorsque le rapport de forces est défavorable. Cela ne peut générer que défaites et démoralisation. À l’inverse rester sur la défensive lorsque la situation est plus favorable revient à donner le temps à l’adversaire de reprendre des forces, se réorganiser pour nous écraser.
Il faut en tirer la conséquence, dire qu’aujourd’hui la gauche devrait passer à l’offensive tant dans la lutte pour le socialisme que dans la lutte contre le fascisme.
Le Front national n’est composé que de « poussière humaine » hétérogène qui n’est forte que lorsqu’on lui laisse développer l’illusion d’être un « grand dragon ». Développer l’espoir d’un autre type de société peut détacher du FN une masse de désespérés et harceler Ie dragon peut faire voler en éclat l’illusion.
Daniel Guérin achevait son livre Fascisme et Grand capital par les mots suivants que nous devons faire revivre aujourd’hui :
« De toutes façons, la leçon des drames italien et allemand est que le fascisme n’a aucun caractère de fatalité. Le socialisme eût pu et du l’exorciser s’il s’était arraché à son état de paralysie et d’impuissance ; s’il avait gagné de vitesse son adversaire ; s’il avait conquis, ou pour le moins neutralisé, avant lui, les classes moyennes paupérisées ; s’il s’était emparé, avant le fascisme, du pouvoir - non pour prolonger tant bien que mal le système capitaliste (comme l’ont fait trop de gouvernements portés au pouvoir par la classe ouvrière), mais pour mettre hors d’état de nuire les bailleurs de fonds du fascisme (magnats de l’industrie lourde et grands propriétaires fonciers) : en un mot, s’il avait procédé à la socialisation des industries-clés et à la confiscation des grands domaines. En conclusion, l’anti-fascisme est illusoire et fragile, qui se borne à la défensive et ne vise pas à abattre le capitalisme lui-même.
Mais telle n’est pas l’optique des « fronts populaires ». Leurs bonimenteurs se cramponnent à la planche pourrie de la « démocratie » bourgeoise et font risette aux groupes capitalistes les moins réactionnaires pour se préserver des plus réactionnaires. Ils attendent leur salut d’un Giolitti ou d’un Brüning qui, finalement, les livrera, pieds et poings liés, à un Mussolini ou à un Hitler.
S’ils ont le gout du suicide, c’est leur affaire. Entre fascisme et socialisme, les autres, ceux qui veulent vivre, ont fait leur choix. »
L’antifascisme ne triomphera que s’il cesse de trainer à la remorque de la démocratie bourgeoise. Défions-nous des formules « anti ». Elles sont toujours insuffisantes, parce que purement négatives. On ne peut vaincre un principe qu’en lui opposant un autre principe, un principe supérieur. Le monde d’aujourd’hui, au milieu de ses convulsions, ne recherche pas seulement une forme de propriété qui corresponde au caractère collectif et à l’échelle gigantesque de la production moderne ; il recherche aussi une forme de gouvernement capable de substituer un ordre rationnel au chaos, tout en libérant l’homme. Le parlementarisme bourgeois ne lui offre qu’une caricature de démocratie, de plus en plus impuissante et de plus en plus pourrie. Déçu et écoeuré, il risque de se tourner vers l’État fort, vers l’homme providentiel, vers le « principe du chef ».
Sur le plan des idées, l’éradication du fascisme ne sera totale et définitive que le jour où nous présenterons à l’humanité, et où nous ferons triompher par l’exemple, une forme nouvelle de gouvernement des hommes, une démocratie authentique, totale, directe, associant tous les producteurs a l’administration des choses. Ce type nouveau de démocratie n’est pas une chimère, une invention de l’esprit. Il existe. La grande Révolution française a fait entendre ses premiers balbutiements. La Commune de 1871 en a été la première tentative d’application, comme l’ont fait ressortir, de main de maître, Marx et Lénine. Les soviets russes de 1917 en ont proposé, de facon inoubliable, le modèle au monde. Depuis, la démocratie soviétique a connu, en Russie même, pour des raisons qu’il serait trop long de rappeler ici, une longue éclipse. Cette éclipse a coïncidé avec la montée du fascisme.
Aujourd’hui le fascisme à du plomb dans l’aile. Nous lui donnerons le coup de grâce en prouvant par nos actes que la démocratie vraie, la démocratie de type communal ou soviétique est viable et qu’elle est supérieure à tous les autres types de gouvernement des hommes. Tout le pouvoir aux soviets, disait Lénine. Mussolini à caricaturé ce mot d’ordre pour en faire le slogan de l’État totalitaire : « Tout le pouvoir au fascisme ».
L’État totalitaire est un monstre qui chancelle. Nous en serons a jamais délivré si nous faisons triompher son antithèse la république des conseils de travailleurs.
Daniel Guérin, préface à Fascisme et Grand Capital de mars 1945.
[1] Félix Morrow, Révolution et Contre-révolution en Espagne, épuisé
[2] Daniel Guérin, Fascisme et Grand Capital, petite collection Maspero, Paris 1983, p 103
[3] Léon Trotsky, Comment vaincre le fascisme, Les Éditions de la Passion, Paris 1993, p 43
[4] Ibid, p 227
[5] Cité dans Peter Fysh and Jim Wolfreys, The politics of racism in France, Macmillan Londres 1998, p 93
[6] Pierre Milza, Fascisme francais, Passé et Présent, Flammarion Paris 1987, p 319
[7] Cité dans Peter Fysh and Jim Wolfreys, op cit, p 96
[8] Ibid, p 96
[9] Pierre Milza, op cit, p 339
[10] Ordre Nouveau Hebdo, 18 octobre 1972
[11] Pascal Perrineau, Le symptôme Le Pen, Fayard Paris 1997, p43
[12] Tableau dans Pascal Perrineau, Ibid, p 190
[13] Pascal Perrineau, Ibid, p 65
[14] Cité dans Pascal Perrineau, Ibid, p 67-68
[15] Le Monde, 16 décembre 1998
[16] Sondage paru dans Libération, 28 décembre 1998
[17] Pierre Milza, Les fascismes, Éditions du seuil, Points histoire Paris 1991, p 101
[18] Ibid, p 109
[19] Cité dans Daniel Guérin, op cit, p 109
[20] Pierre Milza, Les fascismes, op cit, p 226
[21] Ibid, p212
[22] Cité dans Daniel Guérin, op cit, p 112
Site web du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA).
Revue indépendante d’analyse stratégique anticapitaliste.
Actualité politique internationale de la revue Inprecor sous reponsabilité de la Quatrième internationale.
International Socialism, Revue mensuelle théorique du Socialist Worker Party.
Le site web de la LCR Belge contient de nombreux articles de théorie marxiste très intéressants.
Base de données de référence pour les textes marxistes.
Le site de la commission nationale formation du NPA.