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30 décembre 2012
La période du pouvoir nazi (1933-1945) a été catastrophique pour la classe ouvrière allemande et pour celles des pays conquis durant la guerre. Des dizaines de millions sont morts, dans les combats, de privation, ou dans les camps de travail et d’extermination. Pour les survivants aussi, les conditions de vie s’étaient détériorées. En Allemagne même, la part des salaires dans le PIB est tombée de 57% en 1932 à 51,8% en 1939, les syndicats ont été détruits en même temps que tout système de convention collective, la semaine de travail a atteint 60 heures (et 72 heures dans l’industrie aéronautique) à la fin de la guerre.
Pendant ce temps les grandes entreprises allemandes – Krupp, Thyssen, IG Farben etc. – prospéraient. Ceci n’est pas étonnant : c’est le patronat allemand qui a permis à Hitler de prendre le pouvoir en 1933, c’est à dire à un parti qui a pris modèle sur le parti fasciste italien. Ce dernier avait réussi à écraser le mouvement ouvrier et à assurer d’amples profits au patronat italien.
En tant que parti fasciste, le parti nazi a poussé aux extrêmes les caractères essentiels du régime capitaliste, dans l’idéologie et dans la réalité : le nationalisme, le racisme, la compétition entre tous, la domination de la majorité par une minorité, le règne de l’autorité et de la raison d’État. Né de la grande peur causée par la période révolutionnaire de 1918-1923 [1], et alimenté par la rage réactionnaire de la petite bourgeoisie déclassée par la crise économique, un de ses éléments essentiels était l’écrasement des organisations et des revendications ouvrières.
Pourtant le parti nazi était loin d’être un parti bourgeois classique, à la façon des conservateurs britanniques, des partis républicains et démocrates étasuniens, ou de l’UMP aujourd’hui en France. Son nom complet était le Parti National Socialiste des Travailleurs Allemands. Pourquoi un parti antimarxiste, anti-syndicats ferait-il référence au « socialisme » et aux « travailleurs » ?
Une première réponse est que le mot « socialisme », dans le contexte dans lequel il a été adopté en 1919 en Allemagne, n’a pas le même sens que celui qu’il peut avoir aujourd’hui en France, et encore moins le sens que lui donnent les marxistes. Bismarck, le dictateur militaire qui a fondé l’état allemand moderne au 19e siècle, menait une politique anti-ouvrière, tout en accordant certaines concessions, et en donnant à l’État un rôle de stratège dans l’économie. Ceci fut appelé sa Sozialpolitik. D’autre part, divers auteurs réactionnaires allemands réagirent aux difficultés politiques et sociales de la guerre et de l’après guerre de 1914-1918 en développant l’idée d’un « socialisme » conçu comme l’union nationale étroite de toutes les classes et la dénonciation de la lutte des classes – tout en cherchant à préserver l’économie allemande des attaques du capital international d’autre part. L’utilisation du mot « socialisme » avec un sens bien éloigné de l’émancipation des travailleurs par eux-mêmes avait donc déjà une longue histoire [2], et avait l’intérêt de semer la confusion dans le champ politique.
En fait tous les partis bourgeois, tout en défendant les intérêts des capitalistes, cherchent à concilier au moins une partie de la classe ouvrière, dont elle a besoin à des fins électorales d’une part, pour pouvoir appliquer son programme avec le consentement actif d’une partie des travailleurs d’autre part. Elle peut parfois accorder des concessions, mais le plus souvent elle essaie d’obtenir ce soutien par le simple discours démagogique (Sarkozy en a donné de multiples exemples, depuis « travailler plus pour gagner plus » jusqu’à la « fête du vrai travail »). Le parti nazi a poussé à l’extrême l’idéologie et les contradictions des partis bourgeois, il a aussi poussé à l’extrême la démagogie la plus cynique.
Mais le parti nazi est allé bien au-delà. En poussant à l’extrême sa rhétorique nationaliste il promettait une utopie nationale solidaire, tout en y promettant une place prépondérante aux paysans, artisans et petits-bourgeois en général, tout en accusant la concurrence et la finance internationale, en préconisant un réarmement massif nécessairement appuyé sur la grande industrie. Ce programme pétri de contradictions aiguës aboutissait logiquement d’une part au délire raciste et quasi-mystique pour sa résolution dans le domaine idéologique, d’autre part au règne sans frein du grand capital dans le domaine économique. Pour parvenir au pouvoir, le nazisme s’est appuyé sur la petite-bourgeoisie et sur ses espérances illusoires de troisième voie entre capitalisme et révolution communiste, mais une fois au pouvoir, les nazis ont continué l’œuvre capitaliste de destruction de ces couches sociales encore plus rapidement.
La stratégie cynique du parti nazi peut se résumer au schéma suivant : « l’important est de parvenir au pouvoir, qu’importent les moyens, nous emploierons une stratégie de coup d’État ou bien une stratégie électorale suivant ce qui est le plus utile ». Dans les fait les deux stratégies furent utilisées de manière concurrente : intimidation des opposants dans la rue, avancées électorales avec assurance de respecter le cadre légal, et une fois que Hitler a été nommé chancelier d’un gouvernement de coalition, utilisation des pouvoirs gouvernementaux, de la police et des forces indépendantes nazies (SS, SA) pour obtenir l’écrasement de l’opposition et un État d’exception qui allait durer douze ans [3].
Très logiquement, c’est avant la prise du pouvoir que les tentatives les plus poussées de séduire la classe ouvrière ont été menées. Le parti nazi avait depuis son origine reposé sur les couches petites-bourgeoises et rurales – sa première implantation en Bavière au début des années 1920 reflétait cette base sociale. Mais la question de la conquête des villes était incontournable. Berlin en particulier présentait une difficulté particulière : capitale rêvée des nazis, c’était une ville ouvrière, et qui avait été le théâtre d’importants épisodes de la révolution allemande de 1918-1923. C’est là que fut proclamée la république en novembre 1918, qu’eurent lieu combats de rue en janvier 1919, grève contre le coup d’état d’extrême droite en 1920, grèves de masse en 1923... Durant les années 20, la ville était dominée par la gauche. Aux élections municipales de 1929 les sociaux-démocrates (SPD) obtenaient 28,4% des voix, et les communistes (KPD) 24,6 % [4]. Or, malgré le sectarisme extrême des deux formations et le légalisme du SPD, ce sont les organisations ouvrières qui formaient la résistance la plus importante au progrès du nazisme, que ce soit sous forme idéologique (presse, affiches) ou plus directe (affrontements avec les nazis).
Le responsable local du parti nazi était Joseph Goebbels, futur ministre de la propagande du pouvoir nazi, et qui allait à ce titre devenir le plus célèbre agent du mensonge officiel. Comme tous les cadres nazis, il avait été profondément traumatisé par la période révolutionnaire de 1918-1923. Les nazis y voyaient la manifestation de forces destructrices pour l’Allemagne, causes à la fois de la défaite militaire et du renversement de l’ordre social. En même temps il était clair pour Goebbels qu’il était nécessaire de gagner au nazisme une partie de la classe ouvrière, ne serait-ce que pour enfoncer un coin dans la gauche organisée. Comment rivaliser avec la gauche ? La solution adoptée par Goebbels fut de créer des syndicats nazis, qui furent rassemblés dans l’ « Organisation Nationale-Socialiste d’Entreprises » (NSBO). Le slogan « Hinein in die Betriebe ! » (« Allons dans les entreprises ! ») fut adopté comme priorité stratégique.
Quel type de travailleurs rejoignait la NSBO ? D’après Donny Gluckstein [5] :
« Les travailleurs de l’industrie qui ont rejoint Hitler étaient invariablement situés pour une raison ou pour une autre, en dehors du courant principal du développement organisationnel et idéologique ouvrier. Une petite aristocratie ouvrière de travailleurs qualifiés, d’artisans dépendants, et de travailleurs ayant des responsabilités, comme les contremaîtres, pouvaient aussi bien voter Hitler que ne pas le faire (...) Ils étaient rejoints par une autre catégorie de travailleurs qui vivaient dans des petites villes ou la campagne et qui, s’ils avaient un emploi, n’étaient pas sujets au contrôle d’un syndicat ou d’un autre groupe ouvrier. »
En 1931 la NSBO comptait 39 000 membres, en 1932 170 000, et au début 1933, 294 000. Cela peut paraître très impressionnant, mais il est important de se rappeler qu’à la même époque les syndicats sociaux-démocrates comptaient 4 millions de membres, les syndicats communistes 300000 et les syndicats chrétiens un peu plus d’un million.
Cet impact réduit dans la classe ouvrière était reflété dans les élections aux conseils d’entreprise (élections syndicales) : au moment où le parti nazi obtenait 18,3 % de voix aux élections législatives, il n’obtenait que 0,51 % dans les élections aux conseils d’entreprise.
Afin de pouvoir s’implanter, la NSBO était amenée à participer à des grèves. Entre avril 1932 et janvier 1933, elle déclare avoir participé à 117 grèves. Elle n’hésite pas non plus à tenir un langage radical. Lors du lockout des métallurgistes en Bavière en mars 1931, l’un des dirigeants de la NSBO déclare « Si nous les travailleurs allemands nous voulons voir nos efforts en tant que grévistes vraiment couronnés de succès, alors la seule solution est la grève générale ». [6]
Mais au même moment le dirigeant nazi Rudolf Hess faisait une tournée parmi les hommes d’affaires pour lever des fonds.
« Hess avait moins à dire qu’à montrer. Il tirait deux séries de photographies de sa poche : l’une montrait des scènes révolutionnaires turbulentes (des drapeaux rouges, des manifestations communistes) ; l’autre montrait des marches de SA, des SA attendant l’appel, des SS avec leur « matériel humain » dûment sélectionné – en bref, des formations de « discipline et d’ordre ».
(...)
Il dit tout au plus dix phrases, en substance : « Là, messieurs, vous avez les forces de la destruction, qui sont des menaces périlleuses pour vos bureaux, vos usines, toutes vos possessions. De l’autre côté, les forces de l’ordre sont en formation, avec une volonté fanatique d’éradiquer l’esprit d’agitation... Chacun de ceux qui possèdent doit donner, pour éviter de perdre en définitive tout ce qu’il a ! » »
Donny Gluckstein note :
« Le caractère superficiel de l’orientation pro-travailleurs des nazis est visible par la manière dont la NSBO était manipulée à des fins de propagande. Elle était mise en mouvement quand la direction nazie avait besoin de soutien de masse dans son effort pour être prise au sérieux par la clique d’Hindenburg [7], mais mise en veille quand les négociations pour qu’Hitler devienne chancelier ont commencé. » [8]
Une autre organisation nazie, les SA, ont attiré des membres de la classe ouvrière. À la différence de la NSBO il s’agissait plutôt de chômeurs, attirés par la promesse du gîte et du couvert, et par la vie exaltante du combattant de rue. Si la NSBO pouvait soutenir et participer à des grèves, les SA étaient clairement des briseurs de grève. Il est même arrivé que les uns se heurtent directement aux autres. Un patron d’une usine en grève a décrit ainsi le comportement de ses salariés nazis : « Un groupe se montrait plus radical que les communistes et étaient parfaitement préparés à détruire les machines – l’autre groupe au contraire agissait comme des briseurs de grèves. » [9]
En un sens, la NSBO a été un échec pour le parti nazi. Comme indiqué ci-dessus, elle n’a jamais réussi à organiser qu’une petite fraction de la classe ouvrière. Cependant son existence a pu aggraver les problèmes graves qui existaient au sein de la gauche allemande, et permettre ainsi d’affaiblir encore sa capacité à s’opposer à la montée nazie.
Du fait du légalisme et de la passivité du SPD, le KPD était la force la plus menaçante pour les nazis, car il organisait ses militants pour se confronter physiquement aux nazis, là où le SPD défendait la passivité et la foi en la légalité – mais le SPD possédait lui aussi une organisation antifasciste paramilitaire, la Reichsbanner, et une unité même partielle entre SPD et KPD aurait pu former un obstacle insurmontable pour les nazis.
Tactiquement, leur positionnement était de viser idéologiquement le marxisme dont se revendiquaient le SPD tout autant que le KPD, mais au niveau organisationnel de concentrer ses attaques sur le SPD, la force la plus importante. À certains égards, la NSBO a pris modèle sur la RGO, la confédération communiste, farouchement hostile à l’ADGB social-démocrate. La NSBO reprenait certaines des attaques de la RGO contre la bureaucratie syndicale, et contribuait ainsi à y semer la confusion. À la source de cette confusion était la théorie de la « troisième période » élaborée par le régime stalinien à Moscou et servilement suivie par la direction du KPD. Cette théorie était d’un sectarisme absolu, et désignait les sociaux-démocrates comme équivalents, voire pire que les fascistes. Il peut paraître incroyable que tant de militants aient suivi cette analyse délirante – mais les souvenirs étaient encore frais dans les rangs communistes de la répression par les corps-francs paramilitaires sous le gouvernement du SPD en 1918-1923.
D’autre part, la théorie stalinienne promouvait l’idée de l’Allemagne comme nation opprimée. Cela était encore compréhensible dans le cadre du Traité de Versailles, qui soumettait l’Allemagne aux grandes puissances alliées. Mais la conclusion en fut tirée que le nationalisme allemand comme pouvant jouer un rôle progressiste, à tel point que le KPD publia une lettre ouverte aux « Camarades Nationaux Ouvriers » du parti nazi et des SA, déclarant par exemple : « comme dignes combattants contre le système de la faim, les partisans prolétariens du NSDAP se sont rangés dans le front uni du prolétariat et ont fait leur devoir révolutionnaire dans les comités de chômeurs. » [10].
Donny Gluckstein commente :
« Ayant rejeté les syndicats et la plus grande organisation politique ouvrière, le SPD, comme fascistes, le KPD ne pouvait plus voir la différence entre la conscience de classe partielle qui s’exprime dans le réformisme et la rage sans racine, mortelle des voyous SA qui servaient la contre-révolution. »
L’exemple paradigmatique de l’erreur du KPD a été le référendum du 9 août 1931, appelé par les nazis le « référendum du peuple », et par le KPD le « référendum rouge ». Le référendum était appelé à l’initiative du parti nazi pour destituer le gouvernement SPD de Prusse. Le KPD décida de voter lui aussi pour la destitution du SPD, tout en prétendant pouvoir le faire sans solidarité de fait avec les nazis.
Trotsky s’écrie alors :
« L’essentiel (...) se réduit à cette idée qu’en somme il n’y a aucune différence entre la social-démocratie et les fascistes, c’est-à-dire qu’il n’y a aucune différence entre l’ennemi qui trompe les ouvriers et les trahit en exploitant leur longanimité, et l’ennemi qui veut tout simplement les égorger. Voyant toute l’ineptie d’une telle identification, les [dirigeants communistes] opèrent brusquement un tournant et présentent le référendum rouge comme « une application décisive de la politique du front unique par en bas (!) envers les ouvriers sociaux-démocrates, les ouvriers chrétiens et sans-parti ». Aucune tête prolétarienne ne pourra jamais comprendre pourquoi la participation au plébiscite aux côtés des fascistes contre les sociaux-démocrates et le parti du centre doit être considéré comme une politique de front unique envers les ouvriers sociaux-démocrates et chrétiens. » [11]
Le KPD, tout en continuant d’organiser la résistance aux nazis sous la forme de confrontations physiques dans les rues, mais déconnectées des organisations sur les lieux de travail, retomba dans cette politique lors d’une grève dans les transports à Berlin en novembre 1932, lancée par les syndicats communistes pour discréditer les représentants du syndicat majoritaire, et à laquelle s’est jointe la NSBO, dont quatre membres sur 22 furent élus au comité de grève. Le KPD se félicita de la grève, et la célébra comme « un véritable front unique dans lequel la RGO a réussi à rassembler des ouvriers communistes, social-démocrates, national-socialistes et sans parti ». La NSBO pour sa part voyait dans cette grève « des national-socialistes et des communistes luttant fraternellement, unis par la foi en leur propre pouvoir, inspirés par la volonté de sauver leur patrie et leur peuple sous la direction d’Adolf Hitler. » Dans son journal intime, Goebbels se réjouissait quant à lui : « Nous avons brisé la grève des transports de Berlin. » [12]
La politique nazie en direction de la classe ouvrière avait pour but d’en gagner une partie importante – en cela elle fut un échec. Les secteurs ouvriers continuèrent de voter massivement pour la gauche tant que cela était possible, c’est à dire y compris en mars 1933, après 3 mois de pouvoir et de terreur nazie. Ils formèrent aussi les secteurs les plus hostiles au pouvoir nazi tout au long de son règne [13].
Mais les erreurs du KPD et du SPD ont permis aux efforts nazis de porter beaucoup plus loin qu’ils n’auraient dû, en accentuant la désorientation des travailleurs communistes et sociaux-démocrates.
La preuve que la politique « anti-capitaliste » du NSDAP avant la prise de pouvoir était purement démagogique a été fournie de manière définitive par l’histoire. La NSBO, seul syndicat officiel entre 1933 et 1935, vit d’abord ses activités limités à la propagande, puis fut simplement incorporée au DAF, le Front Allemand du Travail, une organisation patronale dictatoriale.
Les SA, supprimés par le pouvoir nazi au cours de la « Nuit des Longs Couteaux » en 1934, sont parfois présentés comme une aile « gauche » du national-socialisme. Si leur chef Röhm a effectivement utilisé une rhétorique anti-bourgeoise dans son conflit avec Hitler, leur suppression rapide et relativement facile comparée à la défaite de la gauche, et aux efforts pour empêcher sa renaissance jusqu’en 1945, montre qu’il ne s’est toujours agi que d’une organisation réactionnaire, du reste employée essentiellement à briser le mouvement ouvrier, et dont les membres étaient absolument incapables de construire une alternative au régime en place. Alors que la Gestapo et les SS ont dû batailler constamment jusqu’en 1945 pour empêcher la réémergence du KPD et du SPD, les SA ne posaient plus aucun danger. Cependant, cette suppression représentait symboliquement un gage de stabilité et de respect de ses prérogatives pour le capitalisme allemand, comme Von Papen, représentant de la droite classique l’avait exprimé : « Aucune nation ne peut vivre dans un état de révolution continue. [...] L’Allemagne ne saurait vivre dans un état de troubles perpétuels, dont nul ne voit la fin ».
L’histoire ne se répète jamais mot à mot.
Dans la comparaison entre le Front National actuel et les partis fascistes des années 30, la tendance est aujourd’hui à la mise en relief des différences, voire à l’idée que le FN n’est pas ou plus un parti fasciste – pourtant les arguments donnés ne sont pas toujours solides. Souvent ils sont contradictoires : à gauche les mêmes militants sont par exemple susceptibles d’expliquer que le FN est devenu un parti bourgeois plus ou moins ordinaire, et qu’il est en même temps important de prendre des mesures de sécurité pour se préserver d’attaques physiques de la part de leurs membres !
Cela est dû à une compréhension trop pauvre de la nature du fascisme, ce qui mène à finalement prendre pour argent comptant les efforts du FN pour se donner une image respectable dans la période actuelle. Connaître un peu en détail le parcours du parti nazi ou d’autres partis fascistes aide à résister à ces tendances, et à comprendre que le FN est précisément un parti fasciste adapté à la période actuelle. [14]
Si l’on prend la question de son apparition publique, il n’est pas vrai par exemple que le parti nazi ait passé son temps avant 1933 à faire de la propagande antisémite et à défendre la destruction des organisations ouvrières. Le discours se voulait avant tout rassembleur, sur une base nationaliste, et dans ce cadre c’est un discours de conciliation entre les classes qui dominait – l’antisémitisme touchait moins largement et servait avant tout de ciment pour ceux qui étaient déjà membres ou très proches du parti. [15]
Comme le montre l’expérience de la NSBO, dans cet objectif d’apparaître comme un parti trans-classes, le parti nazi pouvait même aller jusqu’à créer sa propre organisation syndicale et à soutenir des grèves. Pour autant la nature profondément bourgeoise et anti-ouvrière du parti nazi était une constante, comme le montre son attitude auprès du patronat allemand. [16]
Le problème n’est pas telle ou telle prise de position d’un parti fasciste, toujours susceptible d’être contredite dès le lendemain au gré d’intérêts tactiques dictés par une stratégie cynique de prise du pouvoir. Le problème est sa nature profonde, violemment réactionnaire, ennemie de tous les intérêts de la classe ouvrière sous toutes ses formes : économique, démocratique, politique. C’est pourquoi la confrontation programme contre programme ne suffit pas, c’est pourquoi une opposition déterminée, militante, unifiant un maximum de travailleurs et de jeunes et capable d’empêcher les fascistes de recruter et de s’organiser doit être construite dès maintenant. ■
[1] Voir Chris Harman, « La révolution perdue ».
[2] On peut remonter plus loin – le troisième chapitre du Manifeste du parti communiste de Marx et Engels dénonce différents « socialismes » réactionnaires de leur époque.
[3] Une « loi des pleins pouvoirs » a été votée par le parlement allemand en mars 1933. Les nazis n’y disposaient normalement pas du nombre de sièges nécessaires, mais les députés communistes furent mis en prison, et les députés de la droite classique et du centre furent convaincus par un mélange de promesses et d’intimidation. Cette loi n’abroge pas la constitution de Weimar, mais permet au gouvernement nazi de promulguer des lois qui y dérogent. Il y a dans ce mélange de formalisme et de violence brute tout un résumé de la stratégie nazie de prise du pouvoir.
[5] The nazis, capitalism and the working class, p. 93
[6] Idem, p. 71
[7] Hindenburg était président de la République, de la droite bourgeoise classique.
[8] Gluckstein, p. 72
[9] Gluckstein, p.72.
[10] Die Rote Fahne 1er novembre 1931, cité in H.Weber, Der deutsche Kommunismus, 1963, p. 156.
[11] Trotsky, Les leçons du plébiscite « rouge ».
[12] Donny Gluckstein, opus cité, p. 116.
[13] Voir Donny Gluckstein, op. cit. chapitre 9.
[14] Voir « F comme Fascistes, N comme Nazis » de Cédric Piktoroff dans le n° 6 de Que faire ?.
[15] Voir le documentaire de Joachim Fest, Hitler, une carrière.
[16] Il est utile aussi de se rappeler qu’en 1996, en réaction au mouvement de décembre 1995, le Front National avait lancé plusieurs syndicats sous sa coupe – voir la page Wikipédia sur le sujet – au même moment où il développe sa milice, le DPS. Même si le FN est plus faible comme organisation qu’alors, le DPS existe toujours et une stratégie de débauchage de syndicalistes a été lancée médiatiquement en 2011.
Site web du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA).
Revue indépendante d’analyse stratégique anticapitaliste.
Actualité politique internationale de la revue Inprecor sous reponsabilité de la Quatrième internationale.
International Socialism, Revue mensuelle théorique du Socialist Worker Party.
Le site web de la LCR Belge contient de nombreux articles de théorie marxiste très intéressants.
Base de données de référence pour les textes marxistes.
Le site de la commission nationale formation du NPA.