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20 février 2011
Pilier de l’extrême droite française de par son influence dans l’électorat et de par l’importance numérique de sa base militante, le Front National a toujours maintenu une ambiguïté sur sa véritable nature politique. Dans la période de crise que le système capitaliste connait aujourd’hui, déterminer le caractère fasciste ou non de cette organisation est un véritable enjeu, car si la crise systémique actuelle peut conduire à poser la question de l’actualité de la révolution socialiste, elle soulève de la même manière celle de la révolution d’une petite bourgeoisie de plus en plus prolétarisée et refusant de se mettre sous la direction de la classe ouvrière.
Avant-propos : cet article fait partie d’une série sur le fascisme et la nature du FN (voire le précédent article de l’auteur en introduction), il a fait l’objet d’une réponse dans le numéro 6 de la revue : « F comme fascistes, N comme nazis ».
Si l’on se réfère à la définition du fascisme donné dans l’article « Des sources du fascisme » [1] de la précédente revue, on peut dire qu’il est l’expression hystérique de la détresse des classes moyennes cherchant une alternative révolutionnaire à la lutte de classe. Un des piliers idéologique du fascisme est de s’appuyer sur une notion racialiste et puritaine de l’idée de Nation et d’en faire le fondement révolutionnaire pour balayer l’État démocratique traditionnel et bâtir l’État nouveau, débarrassé d’un parlementarisme prétendu corrompu et libéré des prétendues castes dominantes (francs maçons, juifs, etc.), censées incarner le visage politique du grand capital. Un parti fasciste est donc caractérisé par un nationalisme raciste exacerbé, à vocation révolutionnaire. Chez les souverainistes traditionnels le patriotisme est considéré comme un moyen de consolider l’unité de la nation, autour par exemple de questions comme la défense de l’identité nationale, niant ainsi l’importance de l’identité sociale, et cela pour tenter de maintenir une paix relative entre opprimés et oppresseurs. Chez les fascistes, patriotisme est synonyme de guerre, non pas sociale, mais raciale et puritaine. L’histoire du XXe siècle nous a aussi appris que le fascisme, bien qu’officiellement hostile au pouvoir du grand capital est en réalité l’ultime recours de ce dernier pour sauver les profits et l’économie capitaliste en période de crise systémique profonde.
Partant de ce constat, nous pouvons à présent nous poser la question suivante : le Front National est il un parti fasciste ?
Dès sa création en 1972, le Front national avait un double objectif : d’une part rassembler en son sein les différentes sensibilités d’une extrême droite française hétérogène, des royalistes héritiers politiques de la vieille droite légitimiste anti républicaine aux nationalistes révolutionnaires s’inscrivant dans le combat traditionnel de la mouvance fasciste pour une Europe blanche débarrassée de l’immigration, du métissage et de la décadence morale. Unir ces différentes sensibilités était un véritable défi politique mais était nécessaire pour gagner l’hégémonie dans la droite radicale et sortir cette dernière des impasses groupusculaires. Aussi, le second objectif était, de bâtir un parti de masse composé de milliers de citoyens issus de la petite bourgeoisie et du monde du travail fondant son action sur un nationalisme et un populisme exacerbé. Le premier objectif fut dans un premier temps accompli si bien que le FN sut s’imposer comme la principale organisation d’extrême droite, la seule à même de conquérir le pouvoir. Aussi le FN réussit d’une part à gagner des dizaines de milliers de citoyens et d’une autre à se doter d’un solide socle électoral qui en 2002, l’amena tout près des portes du pouvoir. Le FN à particulièrement su s’imposer dans des bastions ouvriers historiquement acquis au parti communiste victime d’une désindustrialisation brutale, par exemple dans le nord de la France. Aussi la politique anti sociale du gouvernement Jospin et de ses alliés du PCF et Verts à directement eu pour conséquence de démoraliser l’électorat ouvrier et de les jeter dans les bras des populistes agitant le drapeau du ’ gauche droite tous pourris’, et ainsi propulsa le FN au second tour de l’élection présidentielle. Quand le PS, le PCF et leurs alliés tuèrent l’espoir à gauche, en ne menant pas une politique véritablement émancipatrice pour la classe ouvrière ils ne firent que servir les intérêts du FN, qui à l’image de l’extrême droite, ne s’est jamais aussi bien portée que lorsque le désespoir gangrène la classe des opprimés.
Si les fondateurs du FN issus d’Ordre Nouveau inscrivaient clairement leur combat dans le cadre d’une stratégie révolutionnaire nationaliste, donc fasciste, l’objectif consistant à rassembler les différents courants de l’extrême droite française supposait l’instauration d’un socle politique suffisamment large pour faire consensus entre les différentes factions de la droite radicale. Le Nationalisme et le populisme, ainsi que la haine des étrangers et la volonté de restaurer l’ordre moral soi-disant menacé allaient être ce socle. Ainsi, au fil du temps, le Front National, qui pourtant se construit comme un parti fasciste de masse traditionnel, en recrutant sa base militante ainsi que nombre de ses cadres dans les rangs de la petite bourgeoisie, et, en construisant son audience politique sur la question de la xénophobie, du racisme et sur le rejet du système démocratique actuel, n’affirma jamais quel sens il donnait à son nationalisme : ultra conservateur ou révolutionnaire ? Du moins, il persista à brouiller les pistes. Lors du discours de Le Pen à Valmy en septembre 2006, le FN se fit à la fois le défenseur du système républicain français en honorant la mémoire de la victoire de Valmy en 1792, tout en appelant à déclarer la guerre aux dirigeants qui depuis 30 ans auraient vendu le pays aux tenants de la mondialisation et de l’immigration de masse. Ce discours est caractéristique d’un FN avant tout défenseur d’une France éternelle mystifiée, s’autorisant un discours populiste et démagogique à l’égard des ’tartuffes de la République et fossoyeurs de la Nation’ et stigmatisant vis a vis des étrangers, dont la ligne politique est le combat pour la continuité d’une histoire nationale réécrite et la rupture avec un présent qui menacerait l’âme même de la Patrie. « Rupture » signifie t-il pour autant renversement du système démocratique républicain ?Deux hypothèses sur la nature du FN peuvent êtres posées : d’une part que le FN est un parti nationaliste populiste fasciste non abouti (ou fascisant) dans le sens ou il n’a pas encore affirmée clairement la portée révolutionnaire de son patriotisme et se contente de défendre la continuité d’une histoire nationale réécrite. D’autre part que le FN est un parti fasciste abouti posant la question de la rupture brutale avec l’ordre existant. L’ambiguïté qu’entretient le FN sur sa véritable nature résulte en partie de l’impossibilité morale d’assumer le bilan politique des fascismes d’État européens dans les années 30 et 40 vis à vis de la population, y compris de ses franges les plus réactionnaires. En effet, l’extermination de six millions de juifs, d’homosexuels, de tziganes, d’autres minorités ainsi que d’opposants politiques est encore très présente dans la mémoire collective des peuples d’Europe et a créé un profond traumatisme jusque dans une grande partie de l’électorat frontiste. L’extrême droite française dans sa grande majorité n’a jamais encore eu l’insolence de défendre publiquement la politique nazie de planification génocidaire, mais a tout de même fait émerger de son sein des théories fumeuses contestant la véracité historique de la Shoah, minimisant le nombre de victimes et mettant leur mort sur le compte du choléra et autres maladies liées aux conditions d’hygiène et de travail dans les camps de concentration. En France, Robert Faurisson est l’un des principaux penseurs révisionnistes, et Jean Marie Le Pen créa à de nombreuses reprises la polémique en faisant siennes les thèses de ce dernier, exprimant son doute sur le nombre de morts avancés par l’Histoire officielle ou encore réduisant l’Holocauste à « un point de détail ». Il faut comprendre que formuler des thèses révisionnistes est aujourd’hui la seule manière pour les nostalgiques du IIIe Reich et de Vichy d’exprimer une complaisance avec les politiques meurtrières et racistes des Hitler, Pétain et Mussolini. Il ne s’agit donc pas seulement d’une simple nostalgie à caractère sentimental, mais de l’expression d’une certaine proximité idéologique. Seulement, cette complaisance vis à vis des politiques nazies, s’ajoutant à une construction de la base et des cadres partisans dans les rangs petits bourgeois sur des thématiques nationalistes et xénophobes, suffit elle à faire du Front National une organisation fasciste ?
Quand le Parti Communiste, qui compte de nombreux ouvriers dans ses rangs, revendique encore aujourd’hui l’héritage politique de Lénine, est t-il pour autant marxiste révolutionnaire comme l’étaient les bolcheviks ? Non. Pour le FN, il en va de même : ne pas condamner la politique des nazis dans les années 30 et se construire dans la même couche sociale que ces derniers ne signifie pas que le parti frontiste est aujourd’hui un parti nazi. En effet, la spécificité d’un parti fasciste est de défendre, comme orientation, la nécessité d’une troisième voie alternative d’une part au socialisme révolutionnaire, expression politique du prolétariat organisé, et d’autre part au capitalisme libéral forme de domination du grand capital. La ligne politique du Front National est plus floue que celle-ci. Longtemps, le FN s’est construit sur la thématique du "Ni gauche ni droite", exprimant ainsi la volonté d’entraîner son camp social sur le chemin de la troisième voie, celle de la révolution petite bourgeoise. En même temps qu’il défendait cette orientation politique, le FN en développait une autre, celle de la construction ou plutôt de la reconstruction d’une véritable droite non soumise aux instances supranationales. L’engagement progressif de la droite française dans la construction de ces instances, notamment de l’Union européenne, eut pour conséquence directe d’affaiblir le souverainisme traditionnel et de laisser à la droite du RPR hier et de l’UMP aujourd’hui, tout un espace politique vacant, dans lequel subsistent actuellement quelques résidus gaullistes groupusculaires comme Debout la République de Dupont Aignant. Le Pen, qui depuis plusieurs années laisse entendre qu’en France il n’existerait pas de droite mais seulement une gauche et un centre mou, défend la nécessité pour son parti d’incarner la nouvelle droite à bâtir. Le choix de défendre la troisième voie comme perspective d’émancipation pour la petite bourgeoisie et celui d’occuper un espace politique laissé vacant par une frange de la droite traditionnelle sont deux orientations bien distinctes et relèvent bien plus que d’une simple volonté de brouiller les pistes, mais d’une réelle indécision stratégique du parti lepéniste à trancher entre nationalisme révolutionnaire et ultra conservatisme.
Même si aujourd’hui le FN peut ne pas être apparenté à un parti fasciste au sens historique et traditionnel du terme, il n’en demeure pas moins que, si la crise économique actuelle venait à se prolonger durablement, entraînant une paupérisation extrême des classes intermédiaires, et si le mouvement ouvrier était amené à subir de lourdes défaites sociales semant le désespoir dans ses rangs, le parti frontiste, de part sa composition sociale et son orientation politique profondément réactionnaire, pourrait plus qu’aucune autre organisation existante, servir de tremplin pour la création d’un authentique parti fasciste de masse. C’est bien pour cela qu’il faut non seulement lutter contre les thématiques racistes et réactionnaires abordées par le FN, mais bel et bien l’éradiquer de la scène sociale et politique, avant qu’il ne puisse un jour nous en éradiquer physiquement.
Lutter efficacement contre le Front National suppose d’agir sur deux plans :
Seulement, le combat antifasciste doit-il être essentiellement tourné contre les lepénistes ou doit-il également agir contre les nouvelles forces de la droite radicale ?
Cette question suppose que le FN ne serait plus aujourd’hui la seule organisation politique incarnant le péril brun et nécessite une analyse de l’état actuel des réseaux d’extrême droite en France.
Il est vrai que longtemps, l’hégémonie du Front National à la droite de la droite était incontestable. Comme nous le rappelions au début de l’article, depuis les années 70 ce parti avait su organiser autour de lui un tel éventail de familles populistes et nationalistes qu’aucun autre groupe fascisant n’osait contester sa suprématie. Aujourd’hui, bien que le FN soit toujours l’organisation d’extrême droite la plus puissante, de nouveaux groupes issus de la mouvance identitaire réussissent une percée historique dans certains pays européens, comme la Ligue du Nord en Italie qui aujourd’hui participe au pouvoir sans pour autant l’avoir encore entièrement conquit. Cette mouvance incarnée dans notre pays par le Bloc Identitaire et toutes ses branches régionales a pour particularité de ne pas porter une ligne de défense d’un nationalisme français comme le FN le fait depuis sa création, mais au contraire de porter des revendications régionalistes adressées contre l’État central. Aussi au delà d’un militantisme localiste, la mouvance identitaire, dans tous les pays où elle est présente défend un nationalisme continental, porteur du souhait de bâtir une civilisation européenne blanche fière de ses racines et fermée à toute forme de métissage ethnique et culturel. Au XXIe siècle, où à l’heure actuelle des fractions importantes du grand capital défendent l’idée de construction d’un front bourgeois européen pour faire face à la concurrence économique des États Unis et à la puissance montante de la Chine, l’option d’un fascisme non pas national mais européen pourrait être plus adapté à l’objectif de la grande bourgeoisie que celui porté traditionnellement par le Front National. Cependant, la mouvance identitaire, bien que grandissante dans certains États, reste marginale en France, bien qu’un développement soit à noter dans certaines régions. L’annonce d’une candidature du Bloc Identitaire, anciennement nommée Unité Radicale, à l’élection présidentielle de 2012 signifie que cette mouvance cherche à l’image de la Ligue du Nord italienne à peser comme la nouvelle force d’extrême droite et ainsi contester l’hégémonie du Front National en rompant avec un discours porteur de la défense d’une patrie française menacée par l’Europe supranationale, en développant au contraire un discours pro-européen et régionaliste brun adressé directement contre l’État central. Le combat antifasciste impose de porter une vigilance particulière contre cette famille politique qui pourrait bien un jour ou l’autre représenter le recours fasciste de la grande bourgeoisie. Le mouvement identitaire n’est pas le seul mouvement d’extrême droite à émerger indépendamment du Front National. A une échelle beaucoup plus petite, une vague brune porteuse d’une critique du système capitaliste mondialisé émerge en Occident sur la thématique de la théorie du complot accusant une caste obscure, les Illuminatis, composée de francs maçons et de sociétés secrètes comme le groupe Bildebearg accusé d’être aux sources des malheurs du monde et d’une manipulation mondiale s’exprimant par exemple dans les prétendus faux attentats des tours jumelles en septembre 2001. Cette mouvance bien que marginale en Europe, se développe aux États Unis autour de personnalités médiatique comme Alex Jones et en France autour de Pierre Hillard, tous deux proches, sinon membres de réseaux d’extrême droite.
La lecture volontairement erronée du fonctionnement du capitalisme mondialisé pourrait séduire des éléments proches de la mouvance altermondialiste en proposant des analyses simplistes, et porteuses de haine contre de prétendues castes obscures dirigeant le monde. Poser la question de la lutte contre les castes, niant ainsi le combat contre la bourgeoisie est typiquement l’argumentation fasciste qui conduit à la planification génocidaire nazie.
Noter la montée en puissance du mouvement identitaire, ainsi que l’émergence de nouveaux fascismes n’est pas nier le fait que le Front National demeure le principal visage du péril brun à l’heure actuelle mais seulement poser l’importance de rester vigilant quand au possible développement d’autres formes de mouvements fascistes ou fascisants. La lutte contre ces groupes ne pourrait être empêchée au prétexte que notre action aurait potentiellement l’impact d’une campagne publicitaire en leur faveur. Notre tache est de les écraser tant que la force est de notre côté, sans négliger l’importance de notre combat spécifique contre le parti frontiste.
En conclusion, si nous ne pouvons pas affirmer aujourd’hui le caractère fasciste ou fascisant du Front National, nous devons prendre acte qu’il est le principal parti politique qui pourrait servir de tremplin à la création d’un parti fasciste de masse assez puissant pour conquérir le pouvoir en France. Le considérer comme un simple parti réactionnaire serait une profonde erreur. La nécessité de développer une activité propre visant à son éradication de la scène sociale et politique est un devoir pour tout militant anticapitaliste attaché au combat pour l’émancipation de la classe ouvrière et désireux de la défaite de ses ennemis. L’Histoire des années 30 et 40 nous a appris la réalité de la politique fasciste à savoir la liquidation du mouvement ouvrier et l’extermination des minorités ethniques désignées comme ennemis intérieurs. Ecrasons le fascisme avant qu’il ne nous écrase, et tout en construisant l’unité du mouvement social soyons dans nos actes, porteurs d’une stratégie visant non pas seulement à balayer l’ennemi brun, mais à liquider la cause de son existence, à savoir le système capitaliste et son lot d’oppressions sociales.
[1] « Des sources du fascisme », Que Faire ? - n°04 - Août/Septembre 2010, Maxime Fourmage.
Site web du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA).
Revue indépendante d’analyse stratégique anticapitaliste.
Actualité politique internationale de la revue Inprecor sous reponsabilité de la Quatrième internationale.
International Socialism, Revue mensuelle théorique du Socialist Worker Party.
Le site web de la LCR Belge contient de nombreux articles de théorie marxiste très intéressants.
Base de données de référence pour les textes marxistes.
Le site de la commission nationale formation du NPA.