S’il ne s’agissait pas de la religion ?

par Denis Godard

21 mars 2010

Alors que, face à la crise, les capitalistes exigent une politique encore plus dure contre la majorité de la population, le gouvernement va aborder la période post-électorale en position affaiblie. Ceci dans un contexte où les appels à lutter se multiplient dans notre camp. C’est dans ces conditions, a priori favorables, que le NPA entame un débat marqué par la polémique autour de la candidature d’Ilham Moussaïd aux élections.

S’il existe un débat général sur les relations entre émancipation et religion, la question de la candidature d’Ilham (et plus généralement de la présence de camarades musulmanes portant un hijab au sein du NPA [1]) est en fait largement déterminée par deux débats plus généraux sur la nature du parti que nous construisons et sur l’analyse de la période que nous traversons.

Mener clairement ces débats est fondamental pour que d’une crise potentielle, le NPA tire l’occasion de se renforcer et d’éclairer ses perspectives dans une situation qui ne manquera pas d’opportunités.

NPA : partir du « dire » ou du « faire » ?

Dans le débat autour de la légitimité de la candidature d’Ilham deux conceptions sous- jacentes du NPA apparaissent sans recouper forcément les positions sur cette candidature.
Derrière la volonté de « légiférer » sur la légitimité « anticapitaliste » de camarades qui affichent leur croyance religieuse, se développe de manière plus ou moins consciente une conception où le NPA se définirait a priori par des délimitations programmatiques.

Définir plus précisément ces délimitations serait l’objet de débats (sur la religion mais aussi sur le rôle du travail, le rôle de l’état et des institutions...) visant à être tranchés au prochain congrès.

Le NPA qui aspirait à prendre « le meilleur des différentes traditions du mouvement ouvrier » serait ainsi amené, de fait, à devoir trancher entre ces différentes traditions « à froid » et selon des rapports de forces internes. Bref après une phase de lancement où le NPA avait suscité un large enthousiasme, nous serions désormais dans un processus de sélection des membres sur des bases programmatiques. Il va sans dire qu’une partie de cette sélection se fait et se fera de manière passive décourageant des camarades attirés par l’idée de participer à un parti qui commence à changer la donne. L’énergie collective du NPA s’orienterait plus vers des débats programmatiques généraux et un profil propagandiste que vers l’intervention pratique et politique dans le mouvement.

C’est une autre conception qu’il faut défendre, celle d’un NPA-processus visant au regroupement de tous ceux et celles qui ont tiré de leurs expériences individuelles et/ou collectives la nécessité de combattre le capitalisme comme système global et qui veulent construire une force capable de réinvestir collectivement cette conviction dans les différentes luttes. Ce parti ne devrait pas se construire, a priori, sur des délimitations programmatiques poussées mais sur des campagnes de confrontation à la logique du capitalisme. C’est sur cette base que son identité programmatique se construira progressivement au test de l’expérience et des débats qu’elle suscite. Bref il s’agirait de partir du « faire » plutôt que du « dire ».

Revendiquer nos divergences

Cela suppose trois choses :

  • Assumer publiquement les divergences quand elles apparaissent, et même les revendiquer de manière offensive. Le NPA est une tentative de réponse à une situation de recomposition/reconstruction de l’ensemble du mouvement ouvrier, d’une situation qui exige donc d’articuler l’ancien et le nouveau, la référence aux expériences passées et la nécessité d’élaborer. Nous découvrons combien le chemin est difficile mais les autres voies sont des impasses. Les leçons de marxisme dogmatique assénées au NPA sur la religion par tous les secteurs issus du « vieux » mouvement ouvrier (de LO au PS en passant par le PCF et le PG) ne sont pas seulement ridicules, elles sont, à cet égard, tout à fait révélatrices.
  • Organiser de manière ouverte les débats sur ces divergences à partir des expériences qui sont faites. Ces confrontations doivent être vues de manière positive comme des éléments du processus de construction plutôt que de penser que ces divergences pourraient être réglées a priori par référence à une tradition donnée soit-elle au départ majoritaire dans le parti.
  • Élaborer, et ce devrait être l’objectif principal du prochain congrès, une stratégie « minimum », une stratégie anticapitaliste, ce que dans le vocabulaire trotskyste nous appelons une stratégie transitoire (au sens d’une transition entre les luttes d’aujourd’hui et la perspective de renversement de l’État) qui donne une boussole commune à l’ensemble du parti à articuler selon les lieux d’intervention et les différents fronts de lutte. Ce que pour notre part nous appelons la revendication du contrôle (sur la production, sur le fonctionnement des services publics, sur la gestion de nos quartiers) qui se traduit par favoriser toutes les initiatives d’auto-organisation. Car sans pratique et boussole commune les divergences ne créeront pas une tension constructive mais destructrice.

La question du racisme

Dans un communiqué, des camarades opposés à la candidature d’Ilham présentent l’offensive raciste du gouvernement comme une diversion. Retournant le stigmate ils et elles en déduisent qu’en créant la polémique la candidature d’Ilham nous a empêché de mettre les questions sociales au cœur de la campagne.

Il s’agit là d’une réduction économiste qui influence toute la politique de notre parti. Car le racisme n’est pas une simple diversion.

Dans la période actuelle les capitalistes ne cherchent pas seulement à diviser les travailleurs pour affaiblir leurs capacités de résistance. Ils cherchent aussi à souder autour de leur classe et de l’État une fraction des couches populaires et des catégories intermédiaires.

Face à une crise majeure les pressions se développent pour une guerre sans merci entre capitalistes sur le marché mondial. C’est là l’origine d’une tendance à la fusion État-Capital, les capitaux devant se lier plus étroitement à leur État national pour la défense de leurs intérêts sur le marché mondial. La compétition entre Boeing et EADS s’est ainsi transformée en un conflit direct entre les gouvernements français et états-uniens, le premier accusant le second de protectionnisme.

Cette tendance à la fusion État-Capital a deux autres faces : pratiquement et juridiquement une militarisation de la société et idéologiquement une tentative de créer un bloc social autour de la classe dirigeante. Le développement du racisme est central dans ce dispositif qui articule la désignation de l’étranger/danger et la revendication d’une identité nationale. La récente campagne agressive de recrutement de l’armée est significative à plus d’un titre : devenir soi-même c’est devenir un soldat au service de l’État et du Capital.

L’islamophobie, qui agit autour du triptyque, guerre de civilisations/Islam/terrorisme est le vecteur permettant de désigner aussi bien l’ennemi extérieur (justifiant les guerres) que l’ennemi intérieur coupable d’atteinte aux intérêts de l’ensemble du pays (qui justifie le développement de la politique sécuritaire).

Antiracistes et Anticapitalistes !

Dans cette situation notre tâche n’est certainement pas de se plaindre que les polémiques sur le terrain du racisme nous détournent de notre tâche essentielle que serait la lutte sociale. Il s’agit de construire un bloc anti-national et d’infuser à ce bloc une conscience de classe et anticapitaliste. La Grande-Bretagne il y a un an et l’Allemagne aujourd’hui montrent les dangers de l’idéologie raciste et nationaliste, pour les luttes sociales elles-mêmes. En Grande-Bretagne, des grèves dans le bâtiment ont été menées avec pour slogan « des emplois britanniques pour les travailleurs britanniques ». En Allemagne une véritable campagne raciste est menée contre les travailleurs grecs accusés de profiter des aides allemandes. Ce qui motive les « sacrifices » demandés aux travailleurs, la compétitivité de l’économie nationale justifie aussi les attaques racistes contre les étrangers. C’est au nom de l’intérêt national que seront condamnés demain tous ceux et celles qui mènent des luttes qui « divisent la nation ».

Une de nos tâches essentielles aujourd’hui est donc de mener bataille pour que les tra- vailleurs comprennent la nécessité d’une solidarité active avec tous ceux et celles qui, dans leurs lieux de travail ou dans leurs quartiers, sont victimes du racisme. Elle est de mener bataille pour une solidarité active parmi les travailleurs « réguliers » avec les sans-papiers en grève, parmi la population blanche de nos quartiers contre les rafles policières au faciès. Elle est d’argumenter et de contruire une solidarité avec les travailleurs en lutte en Grèce et contre les guerres dites « de civilisation ». Ce devrait être une des tâches centrales du NPA d’empêcher que l’islamophobie et le nationalisme ne gangrènent notre classe.

Dans ces batailles ceux et celles qui, tout en se revendiquant de l’Islam, souhaitent s’organiser dans un parti anticapitaliste et font campagne aussi bien contre le racisme que contre les attaques sociales doivent être encouragé-e-s car ils et elles sont le symbole qu’une victoire est possible à la fois contre le développement du racisme dans les rangs de notre classe et contre le repli « religieux » que celui-ci favorise.

Notes

[1Car sans entrer dans le détail de débats qui auront lieu dans les cadres du NPA il faut quand même relever plusieurs aspects assez étranges de l’argumentation contre la candidature d’Ilham :

  • La question n’est pas seulement celle de la présence sur des listes électorales. La raison de la participation à un même parti est que cela permet collectivement d’être présents dans de nombreux lieux et luttes. Dans ces luttes tout-e camarade du NPA représente le NPA.
  • Le problème ne serait pas le fait que des camarades soient croyants mais le fait qu’ils (elles en l’occurrence) l’affichent  ! Il faut décider  ! Soit la croyance religieuse est totalement accessoire et n’a aucune influence sur la vision du monde de ceux et celles qui s’en revendiquent... et alors quel problème  ? Soit cette croyance a un impact et il est totalement hypocrite de demander aux camarades de s’en cacher.
  • En étant présente sur une liste du NPA Ilham donnerait au parti une identité «  musulmane  » alors que nos candidats doivent refléter le parti. Outre le réductionnisme que cela implique pour Ilham (réduite à l’identité unique de Musulmane, essentialisant par ailleurs LES Musulmans), c’est un argument à la portée générale assez étonnante : existe-t-il un-e militant-e reflétant l’ensemble du NPA  ? Le NPA n’est pas une négation des singularités mais un collectif qui unit ces singularités dans des combats communs. Nos listes, jusqu’à preuve du contraire, essaient de refléter plutôt notre diversité pour montrer que cette diversité n’est pas une raison de division. Il y a même pire : nous décidons parfois, politiquement, de mettre en avant des camarades au nom d’une diversité non suffisamment représentée dans le parti  !

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