L’expérience allemande du « WASG »

Entretien avec Daniel Friedrich, membre de Linksruck

15 septembre 2009

QF : Peux-tu expliquer ce qui a amené la création du WASG (Alternative pour le travail et la justice sociale) et ce qui a changé depuis la création du WASG avec par exemple le rôle joué par Oskar Lafontaine ?

En 1998, le gouvernement de Gerard Schröder est élu sur un programme d’opposition à la politique du précédent gouvernement de droite d’Helmut Kohl. Il promet de revenir sur des ‘réformes’ comme la baisse du salaire lors d’un arrêt maladie, il promet d’instaurer une protection contre les licenciements, etc. Mais il applique ensuite au contraire une politique d’austérité, puis entre en guerre avec l’intervention au Kosovo !

Malgré une popularité en chute libre, il est sauvé aux élections de 2002 par la guerre en Irak et la non participation de l’Allemagne et de la France. Le gouvernement fait alors une campagne contre la guerre. C’est à ce moment, en mars 2003, juste après les élections, alors qu’il est de nouveau à l’apogée de sa popularité, que le gouvernement annonce l’’Agenda 2010’.

Cet Agenda 2010 est une série de ‘réformes’ qui appliquent la ‘stratégie de Lisbonne’ mise au point par les gouvernements de l’Union européenne au Conseil européen de mars 2000, et qui sont une attaque totale de l’Etat providence. Schröder a voulu faire en 2 ans en Allemagne ce que Thatcher a fait en 10 ans en Angleterre ! Ca a provoqué une énorme résistance interne au sein du SPD (le parti social-démocrate allemand), mais cette résistance a été étouffée par des mesures disciplinaires anti-démocratiques. Par exemple, une initiative pour un référendum interne au sein du SPD sur l’Agenda 2010 a été ignorée. A sa place, une série de conférences a été organisée de manière stalinienne autour des députés du parti en muselant l’opposition.

Au même moment commence un mouvement social contre l’Agenda 2010, principalement chez les militants de base ou ‘intermédiaires’, mais hors des directions syndicales. Lors de la journée de mobilisation du 1er novembre 2003, 100 000 personnes défilent dans les rues de Berlin en créant la surprise. Lors de la journée d’action du 3 avril, 500 000 personnes défilent dans les rues de Berlin, Cologne, Stuttgart, etc.

Juste avant cette deuxième journée de manifestations, des discussions ont commencé autour d’une initiative pour fonder un nouveau parti, au sein d’oppositionnels du SPD et dans certains syndicats (par exemple dans des syndicats de la fonction publique et des syndicats de services dans le secteur privé). Au départ, c’était seulement des discussions, mais une dynamique s’est enclenchée avec des débats dans les journaux et des sondages qui donnaient un potentiel de 20 % pour ce nouveau parti.

Le travail pour le fonder a alors démarré. D’abord on a créé une association en juillet 2004, qui comptait environ 6 000 membres à la fin de l’année. Puis un référendum interne fût organisé sur la question de savoir si cette association devait devenir un nouveau parti, et se présenter aux élections régionales du 22 mai 2005. Le ‘oui’ l’a emporté avec environ 60 % et nous avons fondé le WASG qui s’est présenté dans 107 régions. Ce 22 mai le SPD a été battu dans son fief historique en Westphalie et en Rhénanie du Nord.

La rumeur s’était mise à courir avant ces élections que d’autres pourraient quitter le SPD pour rejoindre le WASG, dont Oskar Lafontaine, ancien président du SPD, responsable de la campagne de 1998. Schröder avait été choisi comme candidat au poste de chancelier à la place de Lafontaine lors de cette campagne pour sa politique économique, qui donnait plus de garanties aux entreprises… Lafontaine était alors devenu très critique envers les politiques néolibérales et l’engagement dans la guerre et il avait quitté son poste de président du SPD. Après le 22 mai et le désastre électoral du SPD, Schröder annonce qu’il renonce à son poste de chancelier et provoque des élections législatives anticipées (pour élire le Parlement et un nouveau chancelier). Il sait que le SPD n’a aucune chance de l’emporter aux élections, mais veut juste empêcher un débat au sein du SPD sur la politique qu’il a menée et ne pas laisser le temps à la gauche de se regrouper.

Il avait sous-estimé la dynamique. Lafontaine déclare alors être prêt à se porter candidat sur un programme anti-néolibéral si c’est une candidature unitaire. Et des discussions commencent avec le PDS (l’ex-parti communiste) pour un accord électoral. Dans la dynamique de cette campagne commune, des listes communes et de la vague d’adhésions qui a suivi, la question s’est trouvée posée de former un nouveau parti ensemble.

QF : Quelle est la nature de l’alliance du WASG avec le PDS ?

Ce qui s’est passé n’est pas seulement un front unique, c’est une alliance pour représenter la gauche anti-libérale, mais qui a le projet de créer un parti pour toute la gauche anti-libérale. Oskar Lafontaine (membre du WASG) ainsi que les dirigeants syndicaux, les syndicalistes et les syndicats qui ont soutenu nos listes sont en rupture claire avec le SPD, même si certains ne sont pas officiellement membres du WASG ou du PDS. Le WASG représentait environ 5 000 membres avant les élections, et en a gagné environ 2 000 depuis. Le PDS représente environ 65 000 membres, avec des scores de 25% en ex-Allemagne de l’Est. C’est un parti de masse en ex-Allemagne de l’Est mais malgré des essais il reste peu implanté en ex-Allemagne de l’Ouest où ses scores électoraux étaient plus faibles que ceux du WASG lors des précédentes élections.

QF : Quelles sont les différentes composantes du WASG ?

Le gros des forces du WASG vient du SPD et de syndicats comme l’IGmetall. La majorité des ses militants est constituée d’anciens du SPD. Ce qui fait que nous sommes souvent présentés dans la presse comme des ‘sociaux-démocrates déçus’. Mais il y a aussi des socialistes révolutionnaires qui veulent aller plus loin et beaucoup d’ex-révolutionnaires des années 70. Les forces révolutionnaires organisées sont très faibles : Linksruck (400 militants) et un groupe de la IVe Internationale (quelques dizaines). Le parti compte aussi beaucoup de non organisés (entre un quart et la moitié).

QF : Sur le fonctionnement du WASG, les militants se considèrent-ils comme membres d’un parti ou plutôt d’une association ? Est-ce une organisation qui intervient dans les luttes ?

Les militants se considèrent comme membres d’un parti, même s’il n’y a pas de journal ou de revue. Nous éditons des tracts, et tenons des réunions mensuelles. Et nous tenons des réunions publiques ouvertes sur toute la gauche avec le PDS.

La première contribution du WASG aux luttes est de représenter une alternative politique. Mais pour obtenir ce qu’on veut obtenir, les élections et la représentation parlementaire ne suffisent pas. Le WASG a donc cherché dès le début à aider et soutenir les mouvements : par exemple contre la venue de Bush en Allemagne, contre les fascistes qui voulaient défiler à Berlin, pour la journée d’action à Bruxelles le 19 mars dernier en solidarité avec les syndicats. C’était donc un souci présent dès le début, mais la mise en pratique est encore à développer aujourd’hui. La nouvelle campagne électorale a cependant déclenché un activisme plus généralisé.

QF : Les débats sur la nécessité d’un nouveau parti se posent aussi dans la gauche française, en particulier depuis le succès de la campagne contre la constitution. Peux-tu nous dire sur quelle plate-forme politique a été créé le WASG, si elle était uniquement contre la politique du SPD ou plus élevée, et aussi comment elle a été élaborée ?

L’association a été créée de façon très démocratique, par des réunions régionales, sans aucun contrôle des militants qui voulaient adhérer. Cela a représenté des débats avec des milliers de personnes (peut-être 6000) sur l’alternative à créer. C’est lors de ce processus démocratique à la base qu’ont été élaborés le programme du parti et ses statuts. ça a pris beaucoup de temps (plusieurs mois), où on n’entendait plus parler de nous, mais où les réunions se poursuivaient au moins une fois par mois, et avec des congrès nationaux (ouverts à tous) de débats sur le programme.

QF : Sur quelle base politique a été constitué le WASG ?

Le point de départ a été la résistance contre l’agenda 2010, après la grande manifestation du 5 avril. Après cette manif un conférence a été organisée par les syndicats et par ATTAC, qui a pris la décision d’organiser une campagne à l’automne contre l’Agenda 2010, sur les 4 points suivants : 1) abolir les mesures Hartz IV contre les chômeurs, 2) taxer les riches, 3) moderniser et élargir l’Etat providence au lieu de le démanteler, 4) réduire le temps de travail. C’était en fait quasiment déjà le programme du WASG. Il y a eu des discussions très intéressantes à l’époque pour élaborer ce programme. Au final il ne dit pas explicitement qu’il faut dépasser le capitalisme, mais il peut être défendu par les révolutionnaires. Il n’était pas possible d’arriver à un consensus complet sur le projet et il fallait l’admettre, ce qui aboutit souvent à des formules vagues dès qu’on va au-delà des points fondamentaux, par exemple lorsqu’on parle de ‘démocratiser l’économie’, ‘sortir du système de maximisation des profits’, etc. Mais le programme contient des aspects flous d’un autre monde possible.

Il est important aussi de dire que même si le point de départ du programme étaient les revendications sociales, dès le début il était clair et visible que c’était aussi un programme politique de gauche : il contient des aspects anti-racistes, anti-sexistes, anti-guerre, sur l’écologie, etc.

QF : Dans la gauche révolutionnaire française la question de la participation gouvernementale est souvent posée comme un obstacle à l’idée d’une nouvelle force large, quelles discussions avez-vous eues là dessus ?

La question du gouvernement a été débattue dès le début. En principe tout le monde est d’accord pour ne pas participer à un gouvernement social-libéral. Mais le PDS gouverne (régionalement) à Berlin, qui est une zone ‘pilote’ dans la destruction de la fonction publique, ce qui a rendu ce débat encore plus actuel. Néanmoins je pense que ce serait une erreur de refuser de présenter une liste avec le PDS tant qu’il ne quitte pas le gouvernement régional de Berlin. Ce parti est divisé et traversé de débats, et les bons résultats aux élections législatives peuvent renforcer le courant anti-libéral en son sein. La dynamique autour de la création du nouveau parti peut aussi l’influencer. Il faut donner du temps à la constitution du nouveau parti, au mûrissement de la situation.

QF : Par rapport à Linksruck : selon vous, pourquoi et sur quels objectifs politiques les révolutionnaires doivent-ils participer à un regroupement plus large ? Quelle est votre pratique politique dans le WASG et qu’est-ce vous y défendez en tant que révolutionnaires ?

Nous participons à ce regroupement car son succès peut changer complètement le paysage politique. D’une part parce que l’idée qu’il n’y a pas d’alternative pèse très lourd sur tout projet qui veut changer profondément la société. Deuxièmement parce que la séparation entre mouvement social et politique est catastrophique. Par exemple le ‘mouvement du lundi’ contre les mesures Hartz IV a réuni jusqu’à 100 000 personnes en ex-Allemagne de l’Est mais n’a pas vraiment pris à l’Ouest du fait que les syndicats ont refusé de suivre, ce qui a découragé beaucoup de monde. La raison non avouée était de ne pas mettre en danger le gouvernement Schröder. Il faut donc créer une alternative à la social-démocratie. Troisièmement, dans ce processus il y a une dynamique vers la gauche incroyable (même le SPD est poussé vers la gauche, y compris dans son programme). Cette dynamique crée des possibilités pour avancer vers l’objectif politique d’une force anticapitaliste, même si le point de départ est l’antilibéralisme.

La responsabilité des forces impliquées dans le WASG est d’essayer de peser sur l’orientation. Par exemple Linksruck a défendu l’alliance avec le PDS. Mais il faut en même temps faire attention car cela amène la tentation de ne plus développer de perspectives révolutionnaires. Alors qu’au contraire il y a un besoin crucial de théorie anticapitaliste et internationaliste pour répondre aux questions clefs posées par le mouvement, par exemple sur le rôle des syndicats et de l’auto-organisation dans les luttes, ou sur l’analyse de la mondialisation et l’impossibilité de revenir aux Trente glorieuses dans le système actuel du fait que les marges de manœuvre par rapport à la concurrence internationale sont très faibles, ce qui impose de développer un alternative internationale. En résumé, il y a deux points clefs où il faut absolument une argumentation révolutionnaire : sur le but à atteindre c’est-à-dire l’alternative au capitalisme, et sur les moyens pour l’atteindre, et en particulier le fait que les luttes ne se jouent pas au niveau parlementaire.

Les mouvements sociaux sont en crise en Allemagne. Il y a des affrontements violents actuellement dans les élections mais ensuite c’est dans la rue et les entreprises que ça se joue. Mais il y a un lien entre ces luttes et les batailles électorales. Les idées pour résister qui sont débattues massivement dans le processus de création d’une alternative politique électorale sont ensuite un acquis dans les grèves et les mouvements. On peut dire paradoxalement qu’en Allemagne la construction de ce nouveau parti se fait aussi du fait de l’absence ou du manque de luttes. Et dans le but que ce processus de regroupement au niveau politique ait une influence en retour sur les luttes.


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