Crise : la voie impossible des réformes

Lecture critique des analyses d’Isaac Johsua et Michel Husson

par Vanina Giudicelli

8 octobre 2009

Isaac Johsua a écrit une série d’articles sur la crise actuelle, dont « Une grille de lecture de la crise financière » publié récemment dans Inprecor [1]. Au-delà des aspects conjoncturels et factuels qui offrent aux lecteurs une étude structurée et utile de la crise des subprimes, la mise en perspectives (temporelle et politique) de cette crise soulève de sérieuses questions qui méritent d’être discutées. Car analyser la crise, c’est à la fois comprendre la logique du capitalisme et les stratégies des classes dirigeantes. C’est donc mettre à jour les leviers permettant d’y mettre un terme.

La cause immédiate de la crise réside aux États-Unis, dans les prêts hypothécaires à taux variables. À la recherche de profits faciles, les financiers ont commencé à prêter de l’argent à des personnes qui auraient auparavant été considérées comme risquées car elles étaient pauvres, avaient des emplois précaires ou n’avaient pas remboursé leurs dettes passées. Les prix de l’immobilier ont augmenté et les institutions financières ont basé leur schéma sur le fait que si ces personnes ne pouvaient pas rembourser leurs échéances de prêts leurs maisons seraient saisies et revendues avec un profit substantiel. De tels prêts ont eu pour effet d’encourager la hausse du prix de l’immobilier sur lequel ces prêts reposaient, alimentant une bulle immobilière.

Les financiers qui ont prêté de l’argent l’ont eux-mêmes emprunté à d’autres, qui en ont fait autant. À chaque étape les petites différences d’intérêts sur de très nombreuses transactions ont eu pour résultat des profits énormes. Potentiellement toutes les banques importantes des deux côtés de l’Atlantique ont participé à cette opération, au travers de ce qui s’appelle des instruments financiers : la conversion des crédits hypothécaires en titres de créances revendables.

Les premiers signes de la crise sont apparus il y a un an et demi environ. En 2006, la plus grande entreprise américaine, WalMart, a annoncé une chute de ses bénéfices et de grandes entreprises américaines telles General Motors et Ford ont fait des pertes record. La croissance économique des États-Unis s’est ralentie, provoquant une augmentation significative du nombre d’emprunteurs qui ne pouvaient plus rembourser les intérêts et donc une augmentation significative des saisies de maisons, allant jusqu’à un million. Le prix de l’immobilier a baissé, empêchant les prêteurs de récupérer suffisamment des reventes pour rembourser l’argent qu’ils avaient eux-mêmes emprunté. Des banques ont dû faire face à des pertes de milliards de dollars. La banque d’affaires américaine Bear Stearns, au bord de la faillite, a dû être rachetée en catastrophe par JP Morgan qui, malgré le prix dérisoire, a de surcroît bénéficié d’une garantie à hauteur de 29 milliards de dollars de la banque centrale américaine, la FED. La situation générale a empiré car personne n’était en capacité de savoir exactement quelles étaient les difficultés de chaque banque en particulier du fait de la complexité des instruments financiers. Les institutions financières sont devenues réticentes à se prêter de l’argent par peur de ne pas récupérer leur mise. Le risque d’une chute en cascade des investisseurs institutionnels développe.

Au-delà de la crise financière, ce resserrement du crédit est très problématique pour le système : sans mécanisme de prêts et d’emprunts, ce sont également les mécanismes de la production qui sont touchés, conduisant à une paralysie de l’économie réelle. C’est la raison pour laquelle des gouvernements, si enclins habituellement à ne rien faire qui entraverait le libre marché, se sont rués pour le faire, déversant des milliards de dollars à des institutions privées. Ils espéraient ainsi que les mécanismes de prêts et d’emprunts repartiraient.

La seule conclusion qui est généralement tirée de cette affaire, est la nécessité de réguler la finance, permettant d’esquiver la question des origines du problème.

Des solutions à court terme

Or, il faut savoir que depuis la récession de 2001, la croissance économique aux États-Unis a été permise en grande partie par la croissance de la dette, à la fois de l’État et des ménages. La consommation des ménages représente 70 % du PIB. Sans cela, une grande partie de la production américaine n’aurait pu être vendue.

À chaque crise, que ce soit le crash boursier d’octobre 1987 ou la crise asiatique de 1997, la FED a réagi en baissant les taux d’intérêt afin d’encourager les prêts. La récession de 2000/2001 a été particulièrement menaçante pour les États-Unis. Le gouvernement américain y a répondu en abaissant les taxes des riches et en augmentant les dépenses d’armement, tandis que la FED a diminué de nouveau les taux d’intérêt afin d’encourager encore davantage les emprunts. Ces mesures ont permis de repousser la crise, mais elles ont également préparé le terrain de la crise actuelle.

Si les emprunts et la consommation diminuent, ce ne sont pas seulement les entreprises américaines qui en pâtiront, puisque les États-Unis ont été durant ces années un des moteurs de la croissance économique mondiale. L’autre moteur, la Chine, connaît une croissance alimentée par les centaines de milliards de dollars par an d’exportations vers les USA.

Pour ajouter aux difficultés, la majorité des prêts qui ont permis aux consommateurs américains d’emprunter afin d’acheter des produits chinois proviennent... de la Chine.

Environ 10 % des profits réalisés en Chine n’ont pas été réinvestis. Cet excédent a été utilisé dans des prêts aux États-Unis. D’autres pays du sud-est asiatique ainsi que les pays exportateurs de pétrole ont suivi la même tendance. Même l’industrie américaine a "épargné" plus qu’elle n’a investi, et a prêté cet excédent aux banques.

Le resserrement du crédit est en train de mettre fin à cela, les ventes dans l’immobilier ou dans l’automobile ont d’ores et déjà diminué. Même si les banques retrouvent la confiance pour se prêter les unes aux autres, elles ne recommenceront pas immédiatement à prêter à des personnes peu fiables. C’est la raison pour laquelle la perspective d’une récession est si élevée, et qu’elle aura un impact au-delà des États-Unis. La réponse des gouvernements actuels et de leur banque centrale est de tenter de maintenir le niveau d’emprunt en activant les mêmes moyens que ceux utilisés en 2001.

Mais ces remèdes ne sont encore une fois que des solutions à court terme, puisqu’elles ne règlent pas la contradiction fondamentale entre le fait d’augmenter les profits afin de relancer l’investissement, sans réduire les salaires qui permettent d’avoir une demande pour les biens produits. Preuve en est si nécessaire le Japon qui, malgré la réduction de ses taux d’intérêts à quasiment zéro dans les années 90, n’a toujours pas retrouvé le niveau économique précédent.

Aujourd’hui certains économistes contestent ces choix car ils craignent que ces mesures conduisent à une augmentation des prix sans être en mesure de stopper la récession économique, produisant une stagflation (combinaison de l’inflation et de la stagnation) similaire à celle des années 70. Aux États-Unis, cette peur est d’autant plus sérieuse que la valeur du dollar baisse.

Pourrait-il en être autrement ? Pour se faire une idée, il faut comprendre pourquoi l’économie est devenue si dépendante de la consommation américaine et regarder l’évolution de l’économie mondiale depuis les années 70. Or, les explications sont diverses. Revenons sur les analyses faites par I. Johsua. Il écrit dans plusieurs articles [2] que l’instabilité économique s’est accrue car les « garde-fous » qui opéraient après la crise de 1929 ont été remis en question durant les années 1980. Je n’adhère que très partiellement à cette grille de lecture :

- la remise en question de ces garde-fous s’est avérée un moyen pour la classe dirigeante de restaurer les taux de profits qui ont chuté dès la fin des années 60. Ce fait, I. Johsua le mentionne, mais n’en tire pas toutes les conclusions utiles lorsqu’il affirme que la crise de la « bulle Internet » en 2001 ou celle de la « bulle immobilière » actuelle auraient pu être évitées par le recours à des réglementations adéquates de l’État. [3]

- contrairement à ce qu’il laisse entendre, les garde-fous en question n’ont absolument pas été un moyen de réaliser la croissance durant la période précédente, celle des Trente Glorieuses, ils sont une conséquence de cette croissance. Il faut par conséquent de revenir sur l’analyse qu’il fait des Trente Glorieuses.

Nous allons traiter ces deux points.

Des causes profondes

Comme le but de la production capitaliste est le taux de profit, c’est donc l’élément clé pour comprendre l’économie (voir encadré plus bas). La dynamique du capitalisme depuis les années 1970 repose sur le fait que le taux de profit ont chuté dès la fin des années 1960 jusqu’à 1982, allant jusqu’à atteindre la moitié de ceux des deux décennies précédentes.
La profonde récession économique du milieu des années 70 jusqu’au du début des années 80 est une conséquence de cette chute. L’élément explicatif principal de cette réduction du taux de profit est l’augmentation du ratio capital sur travail, la composition organique du capital, validant ainsi la théorie de base de Marx.

La classe dirigeante a donc procédé à la mise en œuvre de moyens nécessaires pour restaurer le taux de profit. Elle y est parvenue, les taux de profits ont été partiellement rétablis au milieu des années 80 et 90, en augmentant la part des profits dans le revenu national au détriment des salaires, c’est-à-dire en augmentant le taux d’exploitation, comme un article de Michel Husson le démontre bien. [4]

Il est par conséquent réducteur d’affirmer, comme M. Husson ou I.Johsua le font, que la baisse de la part salariale correspond simplement à l’état des rapports de force entre les classes sociales. Cela revient à mettre de côté le fait que dans la période actuelle la classe dirigeante doit à tout prix renforcer le taux d’exploitation, alors que cette pression était moins forte durant la période des Trente Glorieuses. En cherchant à combattre les théories qui « cherchent une cause d’ordre strictement économique » à la tendance à la baisse de la part salariale, Husson en arrive à rendre la lutte de classes indépendante des phénomènes économiques.

En fait, la baisse des taux de profit conduit à un état de crise globale, aussi bien pour les capitalistes que pour les salariés. Dans ce type de période, les enjeux s’élèvent. Il faut prendre en considération le fait que la classe dirigeante doit attaquer plus durement pour essayer de restaurer son taux de profit, et que la classe ouvrière doit s’organiser davantage pour défendre ses intérêts. Il faut d’ailleurs également prendre en considération le fait que la fraternité opérante des exploiteurs contre les exploités se combine à une âpre lutte mutuelle des exploiteurs pour la survie de chacun.

Concrètement, partout dans le monde, cela a signifié une pression accrue pour que les salariés travaillent plus longtemps et de façon plus intensive, ainsi qu’une attaque sur les services publics comme la santé, l’éducation, qui correspondent à des revenus sociaux. Aux États-Unis, cela a même signifié une baisse des salaires réels depuis le début des années 70 malgré la hausse de la fin des années 1990. Pendant un moment, les entreprises ont été capables d’améliorer leur taux de profit en réduisant drastiquement leur main-d’oeuvre : 2,7 millions de salariés industriels (environ un salarié sur six) ont perdu leur emploi.

Mais les taux de profit n’ont jamais retrouvé leur niveau de la période des Trente Glorieuses, et leur hausse n’a pas été suffisante pour augmenter l’investissement. Le taux d’accumulation est à son plus bas niveau depuis 50 ans. L’article de M. Husson montre bien que la baisse de la part salariale n’a pas conduit à un redressement du taux d’accumulation qui fluctue à un niveau inférieur à celui d’avant la crise. Que sont devenus les profits non réinvestis ?

La crise de la fin des années 70 a conduit à la prolifération des circuits de la finance internationale. Face aux difficultés de réaliser les anciens taux de profit, le capital (pas seulement le capital financier, mais aussi le capital industriel) a parcouru le monde à la recherche de n’importe quelle occasion à but lucratif. Quand l’investissement productif semble offrir peu de bénéfices, la plus-value est davantage utilisée à toutes sortes de spéculations. L’importance croissante des circuits de la finance pour le système mondial n’est pas une réaction à la direction du capitalisme industriel, mais le produit des tendances de son développement. Les circuits de la finance dépendent fondamentalement des circuits de production industrielle, même s’ils les influencent. Et, puisque les profits spéculatifs dépendent en fin de compte de la valeur qui est créée dans la production, cela devait nécessairement, à long terme, se retransmettre dans l’économie réelle et l’endommager.

Par contre, la hausse des taux de profits, acquise au détriment des salaires, a réduit la capacité des salariés à acheter les biens produits. Or, pour que l’économie capitaliste fonctionne la richesse produite doit être vendue. Les salariés ne peuvent acheter qu’une portion de cette richesse, portion qui s’est encore réduite. Cela signifie donc que le reste doit être utilisé par les capitalistes. Si les profits ne sont pas intégralement réinvestis, il se forme un écart entre ce qui a été produit et ce qui est acheté. Certaines entreprises ne peuvent plus vendre et licencient afin de s’en sortir. Ce faisant, elles réduisent encore davantage le pouvoir d’achat, et une récession s’en suit.

Cela ne s’est pas produit durant des années car les prêts aux ménages américains ont permis d’absorber le supplément de production. D’où l’importance des emprunts, qui a augmenté jusqu’au niveau record de 9% de la production nationale.

Quelle alternative ?

La dynamique du capitalisme rend les crises inévitables. Pourtant, on trouve dans ces périodes des multitudes d’articles, pour expliquer que l’on aurait pu l’éviter ou que l’on peut en sortir.

Marx lui-même a listé ce qu’il appelle des facteurs « contrecarrants » qui pouvaient, parfois, repousser la tendance à la baisse du taux de profit. C’est au niveau de ces facteurs qu’il faut aller rechercher une explication aux possibilités de sortie de crise :

- renforcement du taux d’exploitation, qui permet d’augmenter le montant des profits

- crises et dévaluation du capital, impérialisme et guerres, consommation improductive, qui permettent de réduire la pression à la hausse de la composition organique du capital.

Ainsi, le rapport de la commission Attali, qui préconise d’accentuer le cours libéral des réformes, n’a rien d’insensé : la classe dirigeante cherche les moyens de rétablir ses taux de profits, ce qu’elle n’a pas encore réussi à faire totalement, par l’augmentation accrue du taux d’exploitation. Il s’agit de la fraternité opérante des exploiteurs.

Par contre, on trouve aussi, parallèlement à cela, trace à de leur âpre lutte mutuelle pour la survie. La restauration actuelle partielle du taux de profit trouve également une explication dans le ralentissement de la croissance de la composition organique du capital, au moins jusqu’au milieu des années 90. En fait, la crise a commencé à impliquer des faillites de grande échelle pour la première fois depuis l’entre-deux-guerres, ce qui a permis à d’autres de s’en sortir.

Marx a montré que, paradoxalement, les crises, en provoquant des faillites, peuvent permettre un rétablissement des profits pour les capitalistes qui peuvent du coup acheter des moyens de production ou des matières premières à des prix très avantageux, et payer les salariés moins chers du fait du chômage. La production devient alors plus rentable et l’accumulation peut reprendre pour les entreprises qui arrivent à se maintenir.
Pendant les années 1980 et 1990, des chiffres record de faillites de tous types ont été recensés. La crise de 2000/2001 a conduit au même phénomène, à une échelle plus grande encore, comme en témoignent les exemples d’Enron et de Worldcom, plus grosses faillites de l’histoire.

Mais la concentration et la centralisation du capital est aujourd’hui telle que ce type de faillites peut avoir un effet cumulatif, car elles touchent également les fournisseurs, les clients, les banques de ces entreprises.

Les États sont donc intervenus dans cette période pour parer la menace de grandes faillites, contrairement à ce que laisse entendre le discours néolibéral. Mais en faisant cela, ils ont empêché une restructuration suffisante du système qui permettrait de surmonter la pression à l’origine des menaces de faillites.

Parallèlement, la consommation improductive a repris une place importante dans l’économie. Ce type de dépenses (spéculation, dépenses de sécurité et militaires, etc.) a un effet paradoxal : il correspond à la fois à une ponction sur les profits, mais contribue à réduire la baisse sur la composition organique du capital, puisque les entreprises ont moins de ressources disponibles pour l’accumulation.

Si le système a pu repousser - ou surmonter à certains moments - la crise depuis les années 1970, c’est donc grâce à la levée des « garde-fous » dont parle Johsua. Ce qui signifie qu’un retour aux Trente Glorieuses est impossible.

Les Trente Glorieuses et la question de l’État

I. Johsua donne deux explications à la croissance économique et aux taux de profits élevés des Trente Glorieuses : la mise en place d’un nouveau mode de régulation de l’économie, le fordisme, et un phénomène de rattrapage basé sur l’énorme destruction de capital de la période précédente (deux guerres mondiales et une grande crise) et la stimulation consécutive des productivités du travail et du capital.

Le problème est qu’une hausse de la productivité en elle-même ne peut pas expliquer la hausse du taux de profit, puisque son effet, quand elle se généralise à toutes les entreprises, est de justement de réduire le taux de profit.

En fait, il faut rechercher l’explication dans le fait que, durant cette période, la composition organique du capital n’a pas augmenté. C’est ce phénomène qui a permis à la classe des capitalistes de réaliser des taux de profits élevés tout en acceptant « un compromis fordiste ».

L’étape du développement capitaliste du début des années 1930 au début des années 1970 a été caractérisée par le développement de monopoles et des degrés plus ou moins grands de fusion de leurs directions avec celles de l’État. Ce n’était pas une période bienveillante, comme les termes compromis fordiste - ou keynésien - semblent impliquer. Elle reposait sur la barbarie de la guerre mondiale et ensuite sur le détournement d’énormes masses de plus-values vers un secteur improductif, l’économie permanente d’armement (notamment nucléaire) de la Guerre froide (avec ses guerres terrifiantes en Corée, en Algérie et au Viêt-Nam). L’effet de rattrapage, en termes de destruction de capital durant la période précédente (estimées par certaines études à un tiers du stock de capital), a joué un rôle important, puisqu’au début de la période la composition organique du capital était faible. Mais pour expliquer son maintien à un niveau relativement bas durant trois décennies, l’effet de rattrapage ne suffit pas.

La compétition militaire a généré fortuitement le plein-emploi. Bien que ce dernier ait poussé, dans les pays les plus avancés, à des concessions à la classe ouvrière, il ne faut cependant pas oublier que dans de nombreux pays du Tiers-monde le prix de l’accumulation a été la dictature et la pauvreté pour les masses (Corée du Sud, Taïwan, Chine, Europe de l’Est, et de façon intermittente les principaux pays d’Amérique Latine).

En tout cas, cette stratégie a cessé de marcher vers le milieu des années 1970. Des pays avec de bas niveaux de dépenses d’armement (comme le Japon ou l’Allemagne) étaient capables d’investir proportionnellement plus que ceux avec de hauts niveaux. Ils ont profité de leurs marchés et se sont étendus plus rapidement qu’eux. La crise menaçait.

L’intervention de l’État dans l’économie est une arme à double-tranchant pour les capitalistes : elle empêche les premiers symptômes de la crise de se développer, mais elle entrave les possibilités pour certains capitaux de rétablir leurs taux de profit. Elle est un condensé de l’économie capitaliste.


Marx et la baisse tendancielle du taux de profit

Le capitalisme fonctionne sur la base de deux grandes séparations :

- division entre unités de production qui sont en concurrence. Sous le capitalisme, il n’y a pas de mécanisme collectif de répartition du travail. Les objets produits deviennent des marchandises car ils sont le produit de travaux privés, exécutés indépendamment les uns des autres. L’objectif est de les vendre sur un marché, pas de les consommer directement.

- division à l’intérieur de chaque unité de production entre les exploiteurs et les exploités. Les profits ont pour origine l’exploitation des salariés. Seuls les salariés (que Marx appelle le travail vivant) créent une nouvelle valeur, dont une partie revient aux salariés sous la forme de salaires, le reste étant empoché par les capitalistes sous forme de profits. Le travail mort (machines, bâtiments, etc) ne crée aucune valeur supplémentaire.

Marx montre qu’à travers le temps, la compétition entre les capitalistes le force à investir toujours davantage dans du travail mort, car cela leur permet d’augmenter la productivité du travail. Individuellement, chaque capitaliste peut ainsi augmenter ses profits en produisant des biens moins chers que ses concurrents. Mais lorsque la hausse de la productivité se généralise, cet avantage disparaît car le temps de travail socialement nécessaire pour produire diminue, ce qui pousse les prix à la baisse. Il faut alors recommencer. Sauf que la proportion des investissements en travail mort par rapport à la force de travail a augmenté, ratio que Marx appelle la « composition organique du capital ». Comme l’investissement (dans le travail mort) a augmenté plus rapidement que la source des profits (le travail vivant), le taux de profit a diminué.

Cette tendance à la baisse du taux de profit est considérée par Marx comme « en tous points la loi la plus importante de l’économie politique moderne ».

Il est vrai que cette théorie ne figure pas seule dans le Capital. Elle est complétée par un apport sur la façon dont les autres facteurs interagissent pour causer des crises périodiques – le rôle du crédit et de la monnaie, la disproportion entre les différents secteurs de production, le faible niveau de consommation de la masse des travailleurs.

Mais c’est la « baisse du taux de profit » qui a permis à Marx de conclure quele capitalisme est condamné par les forces de production qu’il a lui-même développé, qu’il y a un défaut fondamental, non réformable dans le capitalisme. C’est la tendance à la baisse du taux de profit qui « témoigne du caractère simplement historique, transitoire du mode de production capitaliste » et de la façon dont « à un certain stade il entre en conflit avec son propre développement futur ».

Si, comme l’argumente Marx, le taux de profit tend à baisser à mesure que le capitalisme se développe, alors cela nous aide à expliquer beaucoup des problèmes qui ont assailli le système durant les crises. Par exemple, cela explique pourquoi le système peut tolérer des augmentations des salaires réels à un certain stade de son développement mais les trouve trop élevées à un stade ultérieur : avec la diminution du taux de profit moyen, toute augmentation des salaires réels tend à pousser les firmes les moins efficientes à la banqueroute. De même avec les dépenses publiques : si le taux de profit chute, les taxes nécessaires deviennent un plus grand fardeau. Et les méthodes keynésiennes de gestion de l’économie, même si elles peuvent influer sur divers éléments qui contribuent au cycle des booms et récessions, n’ont aucun effet sur la baisse à long terme du taux de profit.

Notes

[1Isaac Johsua, «  Une grille de lecture de la crise financière  », Inprecor n° 534-535, Janvier-février 2008.

[2Voir par exemple Issac Johsua, Yvan Lemaître, Lundi noir, année rouge, Rouge n°2237, 31 janvier 2008.

[3Isaac Johsua, 1929  ?, L’Humanité, 12 avril 2008.

[4Michel Husson, La hausse tendancielle du taux d’exploitation, Inprecor n° 534-535, Janvier-février 2008.


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