La baisse tendancielle des taux de profit
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23 juin 2011
Au sein du NPA nous analysons le capitalisme comme un système économique qui produit inévitablement des crises. Mais comment le comprendre et l’expliquer ?
Pour commencer, le capitalisme fonctionne sur la base
de deux séparations essentielles :
De la concurrence entre les possesseurs des moyens de production naît le besoin d’accumuler toujours plus de capital. C’est au sein de ce processus d’accumulation qu’il existe une contradiction insolvable, motrice des crises du système capitaliste. Quelle est cette contradiction fondamentale et congénitale au capitalisme ?
Pour répondre à cette question, nous avons besoin de mobiliser une notion introduite par Karl Marx dans le tome III du Capital [1] : « la baisse tendancielle des taux de profit ».
L’article se décompose de la manière suivante : premièrement, exposé des fondamentaux autour de la théorie « valeur-travail » et de la formation de plus-value afin de comprendre la définition des taux de profit ; deuxièmement, explication de la tendance à la baisse de ces taux de profit avec comme conséquence des crises économiques qui, dans le temps, sont de de plus en plus profondes.
La définition précise du taux de profit est le rapport entre la plus-value et le capital total qui est la somme du capital variable et du capital constant. Qu’est ce que la plus-value ? Que sont le capital constant et le capital variable ? Pour le comprendre, il faut repartir de la théorie première du Capital, la théorie de la valeur-travail [2]. Marx dit que la valeur d’un produit correspond au temps de travail socialement nécessaire accumulé dans celui-ci. C’est le travail qui crée la valeur et la valeur n’est que du travail matérialisé. Le travail est le point commun entre tous les produits.
Sous le capitalisme, la valeur d’un produit n’est plus mesurée à partir de son
utilité (valeur d’usage) mais à partir de sa capacité d’échange (valeur d’échange). La valeur a donc un double caractère.
Elle à une grandeur mesurable à travers le temps de travail consacré à produire une marchandise, mais elle correspond aussi à une forme sociale entre les hommes. Elle possède un double aspect quantitatif et qualitatif. Isaac Roubine dit : « Ce n’est pas le travail en lui même qui donne de la valeur au produit, c’est seulement ce travail qui est organisé sous une forme sociale déterminée » [3].
Par exemple, une voiture coûte plus cher qu’un vélo car il y a plus de travail accumulé dans la première. L’argent n’est qu’une marchandise intermédiaire pour échanger ces produits. Ici la valeur est considérée par sa grandeur. Toutefois pour produire une voiture, il faut aujourd’hui un temps de travail défini par un niveau technologique et une organisation du travail situés dans le temps et l’espace. Si nous nous mettons à produire une voiture en deux ans en Europe, sa valeur d’échange ne sera pas plus importante que la même voiture construite en une semaine dans une usine européenne.
D’où le terme « socialement nécessaire » dans la définition de Marx.
La valeur d’échange est alors perpétuellement en évolution sous le capitalisme.
Le développement de la productivité du travail la modifie sans cesse. Ainsi Roubine peut dire : « La force motrice qui transforme l’ensemble des rapports de valeur a sa source dans le progrès matériel-technique de production » [4].
Une fois la théorie de la valeur travail définie, nous devons saisir ce qu’elle ouvre comme perspectives analytiques. En effet, elle permet de comprendre les rapports de production sociaux et leurs dynamiques techniques. Cela débouche sur une vision claire de ce qu’est la plus-value et par conséquent l’exploitation.
Sous le capitalisme, tous les produits prennent la forme de marchandises, c’est à dire qu’ils sont destinés à être vendus sur un marché. Le salarié est aussi une marchandise puisqu’il il se vend sur le marché du travail pour un prix : le salaire. Sa particularité est qu’il est le seul à pouvoir donner de la valeur à toutes les autres marchandises grâce à la valeur qu’il possède : le travail. Ainsi, pendant une journée de travail, le salarié va toucher une partie de sa richesse produite sous la forme de salaire et l’autre partie ira dans les poches du patron. Cette deuxième part qui revient au patron est la plus-value. Cette notion de plus-value, capitale pour comprendre la notion d’exploitation, n’est mobilisable que si nous avons compris que le travail est la source de valeur et que cette valeur est celle détenue par les travailleurs, dans une forme sociale de production particulière qui est le capitalisme.
Par exemple, si un ouvrier travaille 8 heures par jour, il recevra 4 heures de son travail en salaire et les autres 4 heures seront du sur-travail, c’est à dire une partie en plus qui reviendra au patron. Ce sur-travail est la base de la richesse des capitalistes. Les 4 heures que le patron s’octroie sont la plus-value. Dans toute l’histoire du capitalisme, une lutte acharnée existe entre les travailleurs pour garder un maximum de la valeur qu’ils ont crées et les capitalistes qui veulent en voler le plus possible ; ce sont les luttes autour des questions du salaire, des conditions de travail et du temps de travail. À partir de la plus-value et du salaire que touche le travailleur, nous pouvons mesurer le taux de plus-value ou taux d’exploitation.
Ce dernier est le rapport entre la plus-value et le coût de la main d’œuvre. Dans notre exemple, le taux de plus-value est de 100 % (4/4). Il mesure le degré d’exploitation des travailleurs.
Toutefois ce n’est pas le taux de plus-value qui intéresse le capitaliste, mais le taux de profit. En effet il a besoin de réaliser un retour maximum sur son investissement total et pas seulement sur ses dépenses en salaire. Les dépenses en salaire sont ce que Marx appelle le capital variable, c’est à dire le coût de la main d’œuvre. Mais une autre partie du capital existe : le capital dit constant, qui correspond aux moyens de productions. Ce sont les machines, les bâtiments, les outils, les matières premières...
Ainsi nous comprenons mieux la définition des taux de profit donnée au début de l’article : c’est le rapport entre la plus-value et le capital total qui est la somme du capital variable et du capital constant. En termes plus simples, le rapport entre la part de travail volée par le capitaliste aux travailleurs et l’investissement total du capitaliste (machines et salaires). Pour calculer son retour sur investissement, c’est à dire son taux de profit, le capitaliste doit additionner ses dépenses salariales et ses dépenses en machines.
Prenons un exemple donné par Alex Callinicos dans son livre Les idées révolutionnaires de Karl Marx [5] : Un patron part avec un capital de 100 000 €. Il emploie 100 travailleurs avec un salaire de 1 000 € par mois. Son coût salarial (ou capital variable) est alors de 100 000 € par mois. Si le taux de plus value est de 100 % (sur la journée de travail de 8 heures, quatre sont données au salarié et quatre sont prises par le patron), la plus-value produite sera également de 100 000 €. Les travailleurs ont simplement produit 200 000 € de richesses, 100 000 € leurs reviennent et 100 000 € vont au patron.
Le profit du capitaliste est alors de 100 000 € (la plus-value) et son capital à la fin du cycle est de 200 000 € (on ajoute les 100 000 € de départ). En partant avec 100 000 € de capital, le patron finit avec 200 000 € à la fin du mois. Mais si le capitaliste doit aussi payer des machines, disons pour 50 000 € (son capital constant), le capital investi total est alors de 150 000 € (100 000 € de salaires et 50 000 € de machines). Ainsi le taux de profit se résume à 100 000/150 000, soit 66 %.
Mais qu’est-ce qui explique que les taux de profit auraient tendance à baisser ?
La concurrence est la source de la baisse tendancielle des taux de profit. Chris Harman dit : « Les capitalistes se marchent les uns sur les autres pour produire toujours plus de marchandises » [6]. Afin de surpasser son concurrent, le capitaliste doit innover. Pour cela, il doit investir dans le capital constant qui ne crée pourtant pas de valeur. Le capital constant va croître plus vite que le capital variable. La concurrence modifie de manière permanente la composition organique du capital (le rapport entre
le capital constant et le capital variable) au profit du capital constant.
La conséquence de cette logique est la baisse de la valeur issue du travail par rapport à l’investissement (en proportion). Le capital constant croît plus vite que la plus-value. Dès lors, le taux de profit (à l’échelle du système) ne peut que baisser. Plus la productivité du travail progresse, plus les taux de profits chutent. Chris Harman tire une conclusion simple de cette loi : « Ce qui est bon pour le capitaliste individuel est mauvais pour le système capitaliste dans son ensemble » [7].
Prenons un exemple, en trois temps :
Pourtant, le choix du premier capitaliste qui utilise cette composition organique
du capital est rationnel, comme l’est celui de ses concurrents qui s’alignent sur lui. Ainsi Marx à pu dire : « La véritable barrière à la production capitaliste, c’est le capital lui même » [8]. Mais pourquoi et comment cette loi économique conduit-elle à des crises ?
La baisse des taux de profit accentue la concurrence entre les capitalistes. Cette concurrence accroit à son tour la pression sur les taux de profit. Alors, toute une partie du capital « nouvellement accumulé ne peut peut plus s’investir productivement aux conditions de rentabilité normalement escomptées ; elle est de plus en plus refoulée vers des activités spéculatives, hasardeuses, moins rentables » [9].
Les capitalistes ne veulent plus investir, faute de taux de profit élevés. Les banques développent le crédit pour soutenir leurs principaux clients afin qu’ils réinvestissent. Mais les entreprises se retrouvent fragilisées face à tout ajustement rapide des profits et des prix. La surchauffe est en marche.
Dès lors l’effet cumulatif à la baisse des taux de profit est celui de la surproduction. « La surproduction signifie toujours que le capitalisme a produit plus de marchandises qu’il n’y avait de pouvoir d’achat disponible pour les acheter aux prix de production, c’est-à-dire à des prix qui rapportent aux propriétaires de ces marchandises le profit moyen escompté » [10]. Dans les deux principaux départements de l’économie (biens de productio / biens de consommation) les marchandises produites ne peuvent plus être vendues suivant un taux de profit nécessaire pour maintenir celui qui existait lors de leur production.
« Brusquement, l’offre dépasse la demande solvable au point de provoquer massivement un recul des commandes et une réduction importante de la production courante. Ce sont cette mévente, ce déstockage et cette réduction de la production courante qui entraînent le mouvement cumulatif de la crise : réduction de l’emploi, des revenus, des investissements de la production, des commandes ; nouvelle spirale des réductions de l’emploi, des revenus, des investissements, de la production, etc. et ce, dans les deux départements fondamentaux de la production, celui des biens de production et celui des biens de consommation » [11].
Schématiquement, nous pouvons dire que le sur-investissement provoque une suraccumulation de capitaux qui à son tour provoque un sous-investissement et une surproduction. Au cœur de ce schéma se situe la baisse tendancielle des taux de profit, conséquence de la propriété privée des moyens de production et de leur concurrence acharnée au nom de la loi du profit.
Cependant les capitalistes ont su dans l’histoire se maintenir au pouvoir et éviter la « banqueroute totale ». Pour cela, ils ont su profiter des crises du système elles-mêmes. Chris Harman l’explique : « Les entreprises capitalistes survivent aux crises par le cannibalisme, en se dévorant les unes les autres. Les rescapées peuvent s’emparer de moyens de production à un prix bien plus bas que leur ancienne valeur. Ils ont ainsi l’opportunité d’augmenter leur production en utilisant le matériel le plus performant et sans avoir à en payer le prix. L’investissement peut croître en volume sans croître en coût. Ceci empêche que l’investissement ne croisse beaucoup plus vite que l’ensemble de la force de travail employée, soulageant par là même le taux de profit du poids qui s’exerce sur lui » [12]. Les capitalistes baissent alors considérablement leur composition organique du capital.
Ainsi, la crise peut être une solution de relance brutale et profonde de l’accumulation du capital. Mais une évolution se fait jour : avec le temps, ces crises sont de plus en plus profondes. La concentration du capital est de plus plus prononcée. La destruction de capitaux par la mise en faillite d’entreprises se heurte à l’interdépendance des capitaux entre eux. C’est le « too big to fail ». Les crises économiques du capitalisme ne sont pas une série mathématique répétitive, elles évoluent et ce dans un sens de plus en plus destructeur.
Par ailleurs le développement de la finance (sujet de nombreux débats) ne peut inverser la tendance. D’une part, dans un contexte où les taux de profit baissent fortement, les capitalistes sont à la recherche de profits rapides là où ce n’est plus possible dans le secteur productif. Mais le phénomène reste limité car la valeur est au final issue de l’économie réelle. D’autre part, le développement du crédit à permis de soutenir la consommation et d’éviter la banqueroute de nombreuses entreprises. Cependant ce phénomène est également limité car les travailleurs ne peuvent payer suffisamment de taux d’intérêt que si les salaires augmentent ; solution impossible pour les capitalistes car les profits seraient réduits pour l’ensemble du système ; et l’endettement des entreprises fragilise leur résistance à tout ajustement brusque de l’économie. La finance prend ses racines dans l’expansion de mode de production capitaliste. Elle peut masquer un temps donné la baisse tendancielle des taux de profit mais non l’inverser [13].
Pour conclure il nous suffit de retenir trois idées fortes :
Ces trois idées ne peuvent que nous amener à penser la loi du profit comme irrémédiablement incompatible avec la satisfaction de nos besoins sociaux. Cette incompatibilité doit être désormais placée au centre de la lutte des classes car plus que jamais le capitalisme est un colosse au pied d’argile.
[1] Karl Marx, Le Capital, Livre III, section III.
[2] Karl Marx, Le Capital, Livre I, section I.
[3] Isaac Roubine, Essais sur la théorie de la valeur de Marx, Paris, 2009, (http://www.marxists.org/francais/roubine/Chapitre2-8.html).
[4] Ibidem, (http://www.marxists.org/francais/
roubine/Chapitre2-8.html)
[5] Alex Callinicos, Les idées révolutionnaires de Karl Marx, Paris, 2008.
[6] Chris Harman, La folie du marché, les rouages du capitalisme aujourd’hui, Paris, 1995.
[7] Ibidem.
[8] Karl Marx, Le Capital, Livre III, chapitre XV.
[9] Ernest Mandel, La crise 1974-1982. Les Faits. Leur interprétation marxiste, Paris, 1982.
[10] Ibidem.
[11] Ibidem.
[12] Chris Harman, op. cit.
[13] Au sujet des facteurs antagonistes à la baisse des taux de profit (que nous ne traitons pas spécifiquement ici) nous pouvons nous référer à l’article de Chris Harman « Le taux de profit et le monde d’aujourd’hui » (http://quefaire.lautre.net/archives/article/le-taux-de-profit-et-le-monde-d), 2007. Par ailleurs cette question pourra faire l’objet d’un futur article dans un prochain numéro de la revue.
Site web du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA).
Revue indépendante d’analyse stratégique anticapitaliste.
Actualité politique internationale de la revue Inprecor sous reponsabilité de la Quatrième internationale.
International Socialism, Revue mensuelle théorique du Socialist Worker Party.
Le site web de la LCR Belge contient de nombreux articles de théorie marxiste très intéressants.
Base de données de référence pour les textes marxistes.
Le site de la commission nationale formation du NPA.