L’État capitaliste à l’ère du néolibéralisme

par Christakis Georgiou

20 octobre 2009

Au milieu des années 1970, le capitalisme mondial entra dans une crise économique profonde qui signifia la fin de la période des fameuses « trente glorieuses », des rapports sociaux qui s’étaient construits sur cette base-là et des idéologies qui avaient émergé – à gauche comme à droite – pour expliquer, justifier ou combattre le système capitaliste tel qu’il avait existé entre la fin de la seconde guerre mondiale et les années 1970.

Depuis, le système a connu des évolutions assez significatives à tous les niveaux : le dynamisme économique caractéristique des « trente glorieuses » (on dit souvent que ce fut la période de développement économique la plus spectaculaire dans l’histoire humaine) a cédé la place à des taux de croissance bien plus faibles, à des inégalités économiques et sociales croissantes, à du chômage de masse, à des salaires réels stagnants, à des faillites de grands groupes (les exemples relevant de la crise actuelle n’en sont que les derniers et certainement les plus spectaculaires avec des groupes bancaires et financiers américains faisant faillite) et à un retour du cycle économique des crises et des booms avec des crises importantes ayant lieu tous les cinq à dix ans [1]. Parallèlement, l’économie mondiale s’est internationalisée encore plus et les mouvements internationaux de marchandises et de capitaux se sont multipliés. Sur le plan des économies nationales, une vague de privatisations et de déréglementations a eu lieu. Au niveau idéologique, un courant qui était demeuré jusqu’alors marginal, les néolibéraux, ont acquis une place prédominante dans le débat public, dans les universités et dans les équipes de conseillers des gouvernements et des institutions financières internationales (le FMI, la Banque Mondiale etc.). Leur théorie repose sur une idée assez simple qui a été érigée en dogme absolu, à savoir que le libre fonctionnement du marché sur la base de ses lois fondamentales de l’offre et de la demande et de la concurrence non-entravée peut garantir un progrès économique capable d’élever le niveau de vie de tous les citoyens. Tout ce qui vient perturber ce libre fonctionnement est néfaste et doit être combattu. Cela englobe bien sûr les organisations syndicales qui faussent le fonctionnement normal du marché du travail – le chômage est dès lors dû à l’existence de ces organisations syndicales – ainsi que les structures étatiques et la pratique de l’interventionnisme étatique dans l’économie. Tout ce qui relève de nationalisations de secteurs industriels, de services publics, de contraintes imposées sur les flux de marchandises et de capitaux, de réglementations du marché du travail ou de pratiques fiscales redistributives doit être éliminé selon les néolibéraux. En même temps, les néolibéraux ont théorisé la nécessité de balayer les structures protectionnistes qui existent dans l’économie mondiale : barrières douanières, subventions étatiques et restrictions des flux de marchandises et de capitaux. Leurs théories concernant le fonctionnement de l’économie mondiale sont utilisées pour justifier la mondialisation et ses dégâts.

Pour ceux à gauche qui veulent continuer à s’opposer à l’ordre établi, l’analyse de ces évolutions du capitalisme a représenté (et représente toujours) un grand défi. Il y a globalement trois grandes questions qui se posent.

La première concerne la nature de ces évolutions que l’on a qualifiées de néolibéralisme. Le néolibéralisme est-il simplement un mode de gestion du capitalisme – que l’on pourrait opposer au keynésianisme, par exemple, et qui aurait dominé la gestion du système pendant les trente glorieuses selon la croyance dominante – ou bien ce terme désigne-t-il des changements qui sont intrinsèques au développement du capitalisme et par conséquent le néolibéralisme ne serait pas autre chose que la phase actuelle du développement capitaliste ? Cette question est cruciale puisque si l’on accepte la première réponse on peut penser, comme l’ont fait des organisations « alter mondialistes » ou « antilibérales », qu’un autre mode de gestion du capitalisme qui soit plus juste puisse émerger. Je laisse cette question de côté puisque cet article se concentrera sur l’évolution de l’état capitaliste.

La seconde grande question est celle du rôle réel de l’état capitaliste dans le néolibéralisme. Est-il vrai, comme préconisé par le dogme néolibéral, que les frontières de l’état ont été reculées à tel point que son rôle en est désormais fondamentalement différent ? Sommes-nous revenus à la situation du dix-neuvième siècle où l’état n’assumait que des fonctions régaliennes et que toute l’activité économique se menait dans le secteur privé ? Cet article essaiera de fournir des réponses à ces questions.

Enfin, la troisième question importante est celle de l’impérialisme. Le système interétatique basé sur les états nation existe-t-il toujours ou bien a-t-il cédé la place à des structures de gouvernance « supranationales » ? Quelle est la configuration exacte des liens entre les états capitalistes ? Les États-Unis sont-ils ultra puissant ou bien existe-t-il un rapport hiérarchisé entre les grands états capitalistes ? Ce débat rappelle par ailleurs un débat historique ayant eu lieu au sein de la deuxième internationale au moment de la première guerre mondiale et qui a opposé entre autres Lénine et Boukharine d’un côté et Kautsky de l’autre. Les deux premiers soutenaient l’idée que des rivalités entre blocs de capitaux structurés autour des états capitalistes existaient et que leur résolution signifierait l’éclatement des guerres mondiales (impérialistes) et Kautsky soutenait que ces rivalités s’étaient éclipsées pour donner la place à un super-impérialisme pacifique qui excluait l’éclatement de guerres [2].

L’écart entre la théorie néolibérale de l’État et la réalité

Tout d’abord, dans la théorie néolibérale elle-même il y a des contradictions qui non seulement pointent l’écart qui existe entre la théorie et la réalité mais qui démontrent l’impossibilité de l’application pure et dure du dogme néolibéral. En même temps que l’état est censé se tenir à l’écart du fonctionnement du marché, les théoriciens néolibéraux soutiennent que son rôle est de créer un environnement favorable aux affaires (un « probusiness climate » selon l’expression anglaise). Ils accordent donc à l’État un rôle économique et même un rôle actif puisque l’État doit agir afin de créer de bonnes conditions pour les entreprises.

Ensuite, les néolibéraux reconnaissent et théorisent une réalité du capitalisme contemporain impossible à ignorer, à savoir l’existence de secteurs où la concentration du capital est tellement importante que cela crée des situations de monopole ou d’oligopole (des secteurs comme l’énergie ou les activités extractives par exemple ; ce qui élimine pratiquement la concurrence des secteurs en question et du même coup la baguette magique néolibérale qui est censée résoudre tous les problèmes). Soit ils considèrent que ces situations monopolistiques sont les bienvenues puisqu’elles créent de l’efficacité (contredisant ainsi leur propre dogme de la suprématie absolue des mécanismes du marché et de la concurrence), soit ils considèrent qu’une certaine action étatique est inévitable à ce moment-là voire nécessaire pour créer les conditions de marché qui manquent. Dans les deux cas de figure, la théorie néolibérale reconnaît ses propres limites.

En survolant rapidement les grands traits empiriques de l’évolution de l’état durant les trente dernières décennies, on constate aisément l’énorme fossé entre la théorie néolibérale de l’état et la réalité. Selon les néolibéraux et nombreux de leurs opposants (même parmi ceux faisant partie de la gauche radicale) le néolibéralisme a fait reculer les contours de l’état par les privatisations, la destruction de l’état providence et la non-intervention de l’état lors de crises économiques. Dans son livre Impérialisme et Militarisme : Actualité du XXIe siècle [3], Claude Serfati reproduit des données de l’OCDE sur les dépenses des administrations publiques des pays les plus importants de l’OCDE. Les données concernent les Etats-Unis, la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la zone euro et l’ensemble des pays de l’OCDE. En 1989, les dépenses publiques représentaient pour l’ensemble de ces pays 39,2 % de leur PIB et la prévision pour 2004 était de 40,9 % (les données datent de 2004). Non seulement la place économique qu’occupe l’état n’a pas diminué, mais elle s’est même légèrement accrue. Pour le Royaume-Uni et les États-Unis, les deux pays pionniers dans l’application des règles néolibérales, l’évolution de ces dépenses est la suivante : 40,5 % en 1989 et une prévision de 42,2 % en 2004 pour le Royaume-Uni et 35,6 % en 1989 et une prévision de 35,8 % en 2004 pour les États-Unis. Lorsqu’on compare ces données avec celles concernant la France par exemple (50,4 % en 1989 et 54,1 % en 2004) on constate un écart dans le volume des dépenses publiques assez important. Cependant, les niveaux constatés aux États-Unis par exemple ne sont pas du tout négligeables et ne peuvent simplement être attribués aux dépenses militaires ou de gestion de l’état américain. Dans son article Theorising neoliberalism [4], Chris Harman reproduit des tableaux qui montrent l’évolution des dépenses relevant des fonctions « providentielles » (les aides sociales) dans les états capitalistes avancés. Aux États-Unis, ces dépenses représentaient en 1979 13,8 % du PIB alors qu’en 1995 elles représentaient 15,8 %. En France, elles se situaient en 1979 à 22,0 % et en 1995 à 29,1 % [5]. Dans tous les pays pour lesquels des données sont fournies (les pays du G7 plus la Suède) ces dépenses enregistrent une hausse entre 1979 (le début de l’émergence du néolibéralisme en tant que théorie économique dominante) et 1995. La comparaison entre la France et les États-Unis et plus généralement les pays capitalistes européens avancés et les pays anglo-saxons montre que l’état providence a un rôle plus important dans les pays européens (c’est la réalité qui sous-tend cette idée fausse selon laquelle le modèle « social » européen est qualitativement différent et de celui des pays anglo-saxons) mais aussi qu’il n’a pas du tout disparu dans les pays réputés être les pionniers de la contre révolution néolibérale.

Selon la théorie néolibérale, le bon fonctionnement du marché dépend aussi de la responsabilisation des « agents ou acteurs économiques », un terme qui regroupe les travailleurs, les entreprises mais aussi l’état comme s’ils étaient d’une même nature. La responsabilisation signifie que chaque agent économique doit assumer les risques des ses choix économiques. De cela, la théorie en déduit que l’interventionnisme étatique pour sauver des entreprises en faillite par exemple ou pour soutenir l’activité économique est exclu puisque cela déresponsabiliserait les agents économiques et fausserait par ce biais-là le bon fonctionnement du marché. Parallèlement à ce volet de la théorie néolibérale, l’idée selon laquelle l’état peut intervenir pour soutenir des entreprises nationales en difficulté (des subventions, des tarifs douaniers protectionnistes ou des plans de sauvetage par exemple) est considérée comme relevant de la théorie keynésienne. Or, la réalité des trente dernières années montre que dans ce domaine-là, ce sont plutôt les pratiques préconisées par le keynésianisme qui ont dominé. Les grands états capitalistes sont intervenus beaucoup plus souvent dans l’économie pour sauver des unités de capital en difficulté ou en passe de faire faillite. En 1979, l’état américain a sauvé Chrysler (le troisième constructeur automobile américain et l’un des plus grands dans le monde), au début des années 1980 le même état a mené à bien les négociations pour sauver les banques américaines menacées par la crise de la dette latino-américaine, en 1998 il a sauvé le fonds spéculatif Long Term Capital Management qui était menacé par les conséquences de la crise asiatique qui avait éclaté en 1997 et très récemment il a orchestré le sauvetage de plusieurs établissements financiers menacés par la crise des subprimes. Aussi bien lors de la crise de 2001 que lors de la crise actuelle, la Banque Centrale américaine (la Federal Reserve ou Fed) a suivi la théorie keynésienne de la relance de l’activité économique par le biais de réductions drastiques des taux d’intérêts, alors que la version monétariste du néolibéralisme [6] préconise dans un cas similaire le contraire [7]. En France, il y a plusieurs exemples de plans de sauvetage de groupes en difficulté. Le plus célèbre est peut-être celui d’Alstom en 2004 orchestré par le ministre des finances de l’époque, Nicolas Sarkozy, et qui avait provoqué des tensions entre la France et la Commission Européenne, bien plus dédiée au néolibéralisme que ne le sont les états européens qui composent l’Union Européenne.

Paradoxalement alors, l’époque « néolibérale » est bien plus « keynésienne » que l’époque précédente – les trente glorieuses – réputée être l’exemple type d’une gestion keynésienne du capitalisme. Il y a une explication très simple à cette réalité. C’est que pendant les trente glorieuses le capitalisme était dans une phase d’expansion et que par conséquent les difficultés économiques qui provoquent les faillites des grands groupes étaient quasi-inexistantes. Or, la crise économique de long terme dans laquelle le capitalisme est entré depuis les années 1970 signifie que les conditions qui provoquent des faillites existent désormais et que les états doivent définir une politique par rapport à cela.

L’évolution du rôle répressif de l’état capitaliste

Le rôle économique de l’état capitaliste ne se limite pas à ses interventions en soutien du capital lors des crises ou à ses fonctions « providentielles ». Comme le reconnaît même la théorie néolibérale, l’état doit assurer un bon environnement pour les affaires (un « pro-business climate »). L’expression anglaise rend peut-être mieux compte de ce que cela implique dans la réalité puisque elle pose les choses en termes positifs par rapport au « business » qu’il convient ici de traduire par « capital » pour dévoiler le sens de cette théorie. Essentiellement, cela signifie que l’état doit assumer et mener à bien l’adaptation du marché du travail aux besoins du capital. Cela signifie des attaques (même physiques) contre les travailleurs lorsqu’ils font grève ou manifestent et des restrictions des libertés d’organisation ouvrière. C’est ce qui constitue l’essentiel du rôle répressif de l’État. C’est un rôle que l’état a toujours assumé depuis l’émergence du capitalisme. Mais les évolutions dans le capitalisme mondial initiées dans les années 1970 ont eu un impact sur cet aspect de l’État capitaliste. Un examen de la réalité de cette évolution montre que les fonctions, les activités et les dispositifs répressifs de l’état se sont accrus depuis une trentaine d’années.

Une des principales raisons derrière cette évolution tient au processus d’internationalisation de l’économie – communément appelée « mondialisation ». Celle-ci n’implique pas seulement des flux accrus de capitaux et de marchandises mais aussi de travailleurs. Puisque la mondialisation provoque un changement de la configuration géographique des processus d’accumulation du capital (de nouveaux centres d’accumulation du capital émergent, d’autres périclitent et des centres existants se renforcent) cela provoque des flux migratoires, généralement des pays de la périphérie (le « tiers monde ») vers les vieux centres d’accumulation du capital qui se trouvent dans les métropoles impérialistes. Cela nécessite par conséquent un accroissement des capacités policières des états qui reçoivent les flux migratoires afin de gérer ces flux de manière qui leur soit avantageuse.

Ensuite, le néolibéralisme en tant que théorie économique préconise un mode de gouvernance économique qui repose sur des « experts » et des technocrates et non plus sur les représentants démocratiquement désignés par les citoyens. Cela est justifié par le caractère soi-disant scientifique que revêtiraient les décisions de politique économique et qui de fait échapperaient à l’intelligence commune. La réalité est différente. Elle tient au fait que les politiques préconisées par le néolibéralisme (les privatisations, les déréglementations, la diminution du pouvoir des syndicats et les politiques fiscales régressives) sont profondément impopulaires. Le cas le plus exemplaire de cette logique est celui des Banques Centrales. Les néolibéraux ont théorisé la nécessité de l’indépendance politique des Banques Centrales, ce qui signifie que leurs gouverneurs sont nommés par les gouvernements mais ne sont responsables auprès d’eux puisqu’ils ne peuvent pas être révoqués. C’est une théorie qui a été mise en pratique aux US, dans l’Eurozone avec la Banque Centrale Européenne (BCE) et au Royaume-Uni. La fonction réelle de cette mesure est de limiter l’influence de l’opinion publique sur les décisions de politique monétaire. Cela peut s’avérer nécessaire à des moments de crise lorsque les Banques Centrales préfèrent protéger la solidité de la monnaie nationale plutôt que l’emploi (comme dans l’exemple actuel de l’orientation de la BCE face à la crise financière).

À un autre niveau, les structures étatiques ont évolué dans le sens de la centralisation des pouvoirs, amoindrissant le rôle dévolu aux gouvernements locaux (municipalités, départements et régions). Ces changements ont réduit le caractère démocratique de l’état, ce qui a contribué au développement d’une crise de confiance de l’opinion publique vis-à-vis l’état et son autorité. John Rees, dans son livre Imperialism and Resistance [8] reproduit des données qui documentent cette crise dans le cas britannique. Le pourcentage des sondés qui avaient « beaucoup de confiance » au parlement est tombé de 54 % en 1983 à 10 % en 1996. La confiance aux administrations publiques enregistre en Grande Bretagne l’évolution suivante : 46 % durant les premières années du gouvernement Thatcher et 14 % en 1996.

Enfin, l’impopularité des politiques néolibérales provoque des résistances et des révoltes de différentes sortes. L’État, en tant qu’instrument de la domination politique de la bourgeoisie sur la classe ouvrière, doit s’adapter à cette résurgence de la contestation anticapitaliste (que celle-ci prenne la forme des grèves et manifestations, des occupations d’université ou des émeutes dans les banlieues). Cela signifie le renforcement de l’état pénal [9] et de l’État policier [10]. Dans ce contexte, la thématique de la menace terroriste est un prétexte parfait pour renforcer ces traits coercitifs de l’état. La conséquence de ces évolutions sur la vie de tous les jours de la majorité des gens est le recul des libertés publiques. Une série de lois ayant cet effet ont été adoptées durant les vingt dernières années, pour la plupart dans les pays anglo-saxons, les exemples les plus connus étant les Patriot Acts aux États-Unis.

Contrairement donc aux rêveries libertaires de la théorie néolibérale et aux analyses dominantes du recul de l’état, en réalité il n’en est rien. Le rôle économique qu’occupe l’état demeure qualitativement le même voire se retrouve renforcé puisque ses fonctions de sauveur du capital en temps de crise ont regagné en importance. De surcroît, non seulement l’état maintien son rôle économique, mais désormais celui-ci requiert un renforcement de ses fonctions coercitives. Toutes ces évolutions ont une racine et une logique commune. Elles ont été provoquées par la crise économique des années 1970 et la faible dynamique d’accumulation du capital qui s’en est suivie et tentent de fournir des solutions à la bourgeoisie tant face à ses difficultés économiques que face à la crise de sa domination sociale. La conséquence politique est de dévoiler à de plus en plus de gens la fausseté de l’idée de la supposée neutralité de classe de l’état. Cela repose donc la question de ce qu’il faut faire de l’état à une échelle bien plus importante que par le passé.

Au niveau idéologique, un courant qui était demeuré jusqu’alors marginal, les néolibéraux, ont acquis une place prédominante dans le débat public, dans les universités et dans les équipes de conseillers des gouvernements et des institutions financières internationales (le FMI, la Banque Mondiale etc.).

Pour ceux à gauche qui veulent continuer à s’opposer à l’ordre établi, l’analyse de ces évolutions du capitalisme a représenté (et représente toujours) un grand défi.

En survolant rapidement les grands traits empiriques de l’évolution de l’état durant les trente dernières décennies, on constate aisément l’énorme fossé entre la théorie néolibérale de l’état et la réalité.

Paradoxalement alors, l’époque « néolibérale » est bien plus « keynésienne » que l’époque précédente – les trente glorieuses – réputée être l’exemple type d’une gestion keynésienne du capitalisme.

Ces changements ont réduit le caractère démocratique de l’état, ce qui a contribué au développement d’une crise de confiance de l’opinion publique vis-à-vis l’état et son autorité.

L’état, en tant qu’instrument de la domination politique de la bourgeoisie sur la classe ouvrière, doit s’adapter à cette résurgence de la contestation anticapitaliste. Cela signifie le renforcement de l’état pénal et de l’état policier. La conséquence de ces évolutions sur la vie de tous les jours de la majorité des gens est le recul des libertés publiques.

La conséquence politique est de dévoiler à de plus en plus de gens la fausseté de l’idée de la supposée neutralité de classe de l’état. Cela repose donc la question de ce qu’il faut faire de l’état à une échelle bien plus importante que par le passé.

Notes

[1Cf. les articles de Vanina Giudicelli dans les n°2 et n°8 de Que faire  ? intitulés respectivement Une crise profonde et Crise : la voie impossible des réformes.

[2Cf. l’article sur Boukharine dans le n°6 de Que faire  ?. Ce débat a commencé à avoir lieu dans cette revue avec l’article d’Emmanuel Barot dans le n°5, mais il se poursuivra dans les prochains numéros.

[3Claude Serfati, Impérialisme et Militarisme : Actualité du XXIe siècle, Éditions Page deux, Lausanne, 2004, p. 173.

[4Paru dans l’International Socialism Journal 117. L’article est disponible sur l’adresse suivante : http://www.isj.org.uk/index.php4?id=399&issue=117

[5Par ailleurs, Harman reproduit aussi des données concernant l’évolution du salaire socialisé net (ce que reçoivent les travailleurs en aides sociales moins ce qu’ils paient en impôts). Ces données montrent une légère hausse entre les années 1970 et 1980. Pour les US, le salaire socialisé net était négatif (les travailleurs américains payaient plus en impôts que ce qu’ils recevaient en aides) durant les années 1960 et le début des années 1970 alors qu’il devient positif au milieu de la même décennie, exactement au moment de l’éclatement de la crise économique. L’évolution du salaire socialisé net est expliquée par la montée du chômage de masse qui augmente le volume d’aides sociales nécessaires en même temps qu’il réduit la masse salariale sur laquelle prélever des impôts.

[6Il s’agit de l’idée selon laquelle le rôle de l’état est de faire que la masse monétaire – l’argent en circulation ou déposé dans les établissements bancaires – n’augmente pas très vite en contrôlant les taux d’intérêts et que le principal objectif de la politique économique doit être le contrôle de l’inflation et non pas le plein emploi.

[7La raison pour laquelle l’état dans la période actuelle mène une politique de sauvetage des groupes capitalistes menacés par la crise économique tient au degré de concentration et de centralisation du capital à l’échelle mondiale. Ce dernier a atteint des proportions tellement importantes que la faillite d’une ou de quelques grandes unités de capital (les multinationales) risque d’agir comme un «  trou noir  », entraînant dans la faillite toute une série d’autres unités de capital qui sont liées par leurs activités aux unités ayant déjà fait faillite. Cette chaîne des faillites risquerait potentiellement d’être tellement importante qu’elle pourrait plonger l’économie mondiale dans une crise économique bien plus grave que celle des années trente. Les conséquences pour la civilisation humaine seraient énormes.

[8John Rees, Imperialism and Resistance, Routledge, London, 2006. Une traduction française est disponible sur le site de la revue Que Faire  ? : http://quefaire.lautre.net/ancien/archive/reesimperialismeresistance.html

[9Cela constitue l’un des volets de la politique populiste de Sarkozy avec les peines planchers, la construction d’établissements pénitenciers pour mineurs etc. et aussi la cause de la multiplication des établissements pénitenciers aux États-Unis.

[10Cf. toutes les mesures de type plan Vigipirate qui visent à introduire et à légitimer une présence policière permanente et quotidienne dans les lieux publics.

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