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18 octobre 2009
Lancée sans partenaire constitué, portée de façon volontariste et jouissant d’un certain succès, la constitution du Nouveau parti anticapitaliste apporte un élément nouveau dans le paysage changeant de la gauche anticapitaliste européenne. D’autres formations connaissent ou ont connu des crises à des niveaux plus ou moins graves. Le Parti de la Refondation Communiste, en Italie, s’est rallié à un gouvernement social-libéral et a connu une évolution réformiste marquée. Le Scottish Socialist Party s’est scindé en deux après avoir sabordé son principal porte-parole. La coalition Respect en Angleterre et aux Pays de Galles s’est brisée en deux factions rivales après une rétraction de ses effectifs.
Les modalités de création de ces regroupements, et la difficulté d’intervention des révolutionnaires en leur sein ne sont pas les mêmes selon le contexte national et les rapports de force et de nombre. Le NPA s’est principalement constitué autour de la LCR, selon les préalables de radicalité et d’anticapitalisme posés par elle. Alors que s’épanouissent les cent fleurs des collectifs d’initiative, les délimitations qui se dessinent au fil des débats s’orientent vers un profil plus ramassé, caractérisé en particulier par le refus de participer à un gouvernement de collaboration de classe quel qu’il soit.
Une telle dynamique peut sembler une bouffée d’oxygène pour les militants révolutionnaires européens démoralisés par les crises qu’ont connues les regroupements dans leurs pays, et c’est fort bien. Mais cela ne doit pas les conduire à lâcher la proie pour l’ombre, considérant le NPA comme un modèle alternatif à des regroupements plus larges, mais plus ambigus, tendant vers le réformisme et influencés par la bureaucratie de leurs composantes.
D’une part la manière dont se construit le NPA se rapporte au contexte français, d’autre part son profil n’offre pas plus qu’un autre de garanties contre une éventuelle crise.
En France, ce sont d’abord les collectifs pour des candidatures unitaires antilibérales qui ont tenté de répondre à l’aspiration à une alternative politique au social-libéralisme. La tentative a échoué en grande par-lie du fait de la dépendance des appareils et personnalités de la gauche antilibérale, PCF compris, à leurs alliances avec le PS. Mais elle a révélé des attentes auxquelles la LCR ne pouvait rester sourde.
Forts de leurs succès électoraux et de la popularité de leur porte-parole, ce sont les révolutionnaires qui se sont retrouvés en capacité de prendre l’initiative d’un regroupement plus large.
Au plan européen, le parti allemand Die Linke représente probablement la configuration la plus éloignée du NPA où interviennent des militants révolutionnaires.
Le contexte de création de Die Linke présente des traits différents. L’extrême-gauche allemande est beaucoup plus faible, divisée et souvent marquée par le poids du stalinisme. L’initiative est venue de cadres intermédiaires des syndicats et d’éléments de gauche de la social-démocratie.
À partir de 2003, le gouvernement Schröder, censément de gauche, mena une politique très dure sous l’intitulé « Agenda 2010 ». Les chômeurs voient leurs indemnités baisser très rapidement et certains se voient contraints d’accepter des emplois payés un euro de l’heure, tandis que l’âge de la retraite est repoussé à 67 ans. Ces attaques s’accompagnent d’une politique managériale très agressive dans les entreprises.
En face, les directions syndicales ont capitulé. En 2003, le puissant syndicat IG-Metall a signé pour la première fois de son histoire la fin d’un grève massive sans obtenir la moindre contrepartie. Malgré cette défaite, la lutte contre les plans scélérats de Schröder se poursuivit à la base, avec des syndicalistes, des altermondialistes, des militants organisés et des individus isolés dans des manifestations hebdomadaires. Le 3 avril 2004, une manifestation mobilisa 500 000 personnes dans tout le pays. Les luttes sociales s’intensifièrent, combinant de longues grèves défensives dans les secteurs en crise et des luttes aux résultats rapides dans les branches les plus dynamiques.
L’idée d’une nouvelle force électorale se répandit dans l’ouest du pays, parmi des syndicalistes et des permanents de la métallurgie et des services, ainsi que chez des militants ayant rompu avec le SPD. Ce projet prit corps en 2004 sous le nom de WASG, avec près de 6 000 membres.
La question se posa rapidement d’une alliance avec le PDS, héritier de l’ancien parti unique de RDA, au profil réformiste radical mais surtout implanté en ex-Allemagne de l’Est.
Les adhérents affluent dans la nouvelle force. En dépit des allures de machine électorale, l’aile gauche portée par la dynamique de la lutte de classe et par la radicalisation politique y contrebalance l’aile droite qui contrôle l’appareil.
Die Linke est actuellement le troisième parti d’Allemagne avec 70 000 membres et des intentions de vote supérieures à 10 %. [1]
De nombreux dangers pèsent sur l’évolution politique de Die Linke : l’ambiguïté de ses relations avec le SPD (Die Linke participe à deux gouvernements locaux à Berlin et en Mecklenbourg-Poméranie), le poids des appareils et la politique réformiste de ses trois principales composantes (PDS, sociaux-démocrates de gauche regroupés dans la WASG, permanents syndicaux en opposition avec la direction de la DGB). Mais il est pertinent pour les militants révolutionnaires allemands de participer à ce regroupement et d’y intervenir politiquement tant il cristallise l’opposition aux politiques libérales.
Die Linke est le principal Bénéficiaire du mécontentement à rencontre du gouvernement de grande coalition (droite et sociaux-démocrates). Seul parti à soutenir la grève des conducteurs de trains, pourtant très populaire, Die Linke a ensuite grandement contribué à populariser les grèves sur le salaire minimum et à mettre le gouvernement sur la défensive sur cette question.
De nombreux fondateurs de Die Linke étant issus des syndicats, y compris de nombreux permanents, les syndicalistes qui veulent s’affranchir de la ligne sociale-libérale du SPD et de la direction de la DGB sont naturellement attirés par ce parti et en forment les gros bataillons.
Enfin, Die Linke investit la rue, comme l’a montré son importante contribution à la manifestation et aux blocages contre le G8 à Rostock en juin 2007. [2]
À l’inverse, toute intervention en-dehors de Die Linke ne pourrait aujourd’hui être que propagandiste, vouée à l’impuissance et à l’isolement.
Si les révolutionnaires ne choisissent pas les conditions dans lesquelles ils interviennent, ils peuvent profiter des points d’appui qu’offre un regroupement tel que Die Linke. Ainsi, la convention de Cottbus, qui s’est tenue en mai dernier, a confirmé les orientations du congrès de fondation de Die Linke, avec trois thèmes principaux : le combat contre la casse des retraites, la revendication d’un salaire minimum et le retrait des troupes allemandes d’Afghanistan. Cependant, l’aile gauche s’est montrée sur la défensive, les candidatures de syndicalistes combatifs à des postes de direction ont recueilli de mauvais scores, et le parti manque globalement d’une orientation de classe. Dans ce contexte, les révolutionnaires intervenant dans Die Linke militent pour que les intérêts des salariés, retraités et chômeurs restent au centre de la politique de Die Linke, et qu’en retour celle-ci s’ancre davantage dans les luttes [3]. Ils argumentent également contre les options réformistes et keynésiennes et pour une intervention accrue dans les syndicats. Ce faisant, ils gagnent une audience et des positions dans les milieux où ils interviennent comme organisateurs, notamment dans les universités.
Cette tactique porte ses fruits en termes d’influence, mais elle doit être appliquée sans illusion. Les militants organisés autour de la revue Marx21 anticipent d’ores et déjà la crise qui pourrait frapper Die Linke à l’échéance des prochaines élections. Ne pas compter sur la seule influence des luttes sociales dans Die Linke mais organiser un courant révolutionnaire structuré peut permettre de sortir d’une telle crise avec une influence et une cohésion renforcée. Cela signifie mener à la fois le combat sur les idées et mener une lutte politique dans le parti sur des positions précises. Cela peut s’avérer d’autant plus nécessaire lorsque le parti évolue vers la droite et que les opposants, minoritaires, sont tentés de baisser les bras ou de partir.
Die Linke constitue un exemple des regroupements qu’il est possible de constituer en Europe dans la période actuelle. Mais il ne constitue en aucun cas un modèle qu’il aurait été possible d’importer en France, par exemple.
Les regroupements de gauche radicale prennent leurs sources dans des tendances profondes qui sont communes aux pays européens. Mais ils se forment et évoluent dans des conditions qui sont propres à chacun d’entre eux. Il ne peut donc être envisagé de processus-types, abstraits, hors-sol, pour la création de ces regroupements.
Les révolutionnaires d’Europe qui militent dans Die Linke, construisent le NPA ou participent à d’autres regroupements dans d’autres pays appliquent au fond la même stratégie, mais dans des contextes différents. Participer à ces regroupements permet non seulement de lutter pour y donner une direction mais aussi rencontrer, organiser et entraîner avec soi des gens qui agissent et se radicalisent. Les expériences étrangères montrent la nécessité d’un souci constant du lien avec les mouvements de masse et de la lucidité quant à la pression exercée par l’évolution politique et sociale.
Etant donnée la radicalité initiale du NPA, les idées révolutionnaires y ont plus d’audience et le profil sera certainement plus combatif que celui des regroupements plus larges.
Cependant, la multiplication des délimitations et des déclarations programmatiques ne saurait être la seule garantie contre des crises, des tensions et des revirements futurs. L’homogénéité d’une organisation ne se décrète pas sur le papier mais s’acquiert au fil d’un processus de luttes, de discussions et également de différenciations et parfois de ruptures. Une expérience aussi passionnante ne saurait être un long fleuve tranquille.
[1] Stefan Bornost, Germany’s political earthquake, International Socialism n° 116, septembre 2007.
[2] Dirk Spöri, Chaque pas en avant du mouvement réel, Que faire ? n°6, septembre-novembre 2007.
[3] Christine Buchoïtz, Die Segel richtig setzen, Marx21, 3 juin 2008.
Site web du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA).
Revue indépendante d’analyse stratégique anticapitaliste.
Actualité politique internationale de la revue Inprecor sous reponsabilité de la Quatrième internationale.
International Socialism, Revue mensuelle théorique du Socialist Worker Party.
Le site web de la LCR Belge contient de nombreux articles de théorie marxiste très intéressants.
Base de données de référence pour les textes marxistes.
Le site de la commission nationale formation du NPA.