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18 octobre 2009
L’idée que l’exploitation serait étrangère à la relation unissant le salarié et son employeur est largement répandue aujourd’hui. L’exploitation serait d’une autre ère, celle de l’esclavage et du féodalisme. Si elle se perpétue de nos jours ce ne serait que de manière exceptionnelle et déviante dans certains pays émergents ou chez une poignée de patrons voyous employant dans des conditions lamentables pour des salaires de misère les populations les plus paupérisées (enfants, sans-papiers…). En Occident, fort heureusement, la grande majorité des salariés n’y serait pas sujets. Il s’agirait d’un contrat équitable : le salarié vend librement un certain nombre d’heures de travail à un employeur contre une somme de salaire équivalente.
Pour Marx, au contraire, l’exploitation n’est pas une exception mais la règle : elle est la condition sine qua non de tout profit. Une minorité, les capitalistes, réalise d’énormes profits en volant une partie de la valeur que crée le travail de l’immense majorité que sont les travailleurs. Selon lui, l’essence de l’exploitation dans le système capitaliste ne se joue donc pas au niveau du salaire ou des conditions de travail, bien que cela puisse contribuer à la renforcer, mais dans le salariat lui-même. Pour comprendre ce que Marx entendait par exploitation il est donc nécessaire de revenir sur ses analyses de la marchandise et de l’origine du profit.
Sous le capitalisme, les objets ne sont pas produits dans la perspective d’une consommation immédiate, comme ce fut le cas durant des millénaires, mais pour être vendus en tant que marchandises sur le marché. Les capitalistes tirent profit de ces transactions.
La première question que nous devons nous poser est donc la suivante : comment échanger des marchandises qui n’ont à priori rien de commun ? Autrement dit qu’est-ce qui détermine la valeur d’une marchandise ?
Pour pouvoir échanger des marchandises au moyen de l’argent il faut nécessairement qu’elles aient une commune mesure. Celle-ci ne peut pas reposer sur leurs propriétés naturelles puisqu’elles diffèrent du tout au tout en fonction des marchandises (les propriétés naturelles de la baguette de pain et du téléphone portable ne sont en rien comparables). Le seul dénominateur commun, c’est que toute marchandise est le fruit du travail humain. Marx en conclue que c’est cette valeur commune qui permet de mesurer leur valeur d’échange. Chaque marchandise cristallise une certaine quantité de temps de travail, le temps de travail moyen qui a été nécessaire à sa production. Les marchandises ne peuvent se distinguer entres elle que par le fait qu’elle représentent une plus ou moins grande quantité de travail : on emploie par exemple plus de quantité de travail pour produire un téléphone portable que pour produire une baguette. Les valeurs relatives des marchandises sont donc déterminées par les quantités de travail que la société doit dépenser pour les produire.
Pour Marx le profit constant des industries ne provient pas d’une majoration du prix des marchandises, c’est-à-dire du fait qu’elles seraient vendues à un prix considérablement au dessus de leur valeur réelle. Le prix réel d’une marchandise est certes toujours au-dessus ou au-dessous de sa valeur réelle mais en moyenne, sur une période donnée et si l’on tient compte de l’ensemble de l’industrie, les hausses et les baisses du prix des marchandises se compensent de sorte que les marchandises sont échangées entre elles conformément à leurs frais de production. Or les frais de production d’une marchandise ne sont rien d’autre que le temps de travail fixé en elle. En effet, ils se composent d’une part de produits industriels (matières premières et instruments) représentant eux-mêmes une certaine somme de temps de travail qui a été nécessaire à leur production et d’autre part, de travail immédiat, c’est-à-dire du temps de travail nécessaire à la production de la marchandise elle-même à partir de ces produits industriels. Par conséquent, on ne peut expliquer la nature générale du profit qu’en partant du principe qu’en moyenne les marchandises sont vendues à leur valeur réelle et que les profits proviennent du fait qu’on vend les marchandises à leur valeur, c’est-à-dire proportionnellement à la quantité de travail qu’elles cristallisent.
Mais si les marchandises sont vendues en fonction du temps de travail nécessaire à leur production, d’où viennent alors les profits ?
Pour Marx les profits proviennent de l’exploitation des travailleurs qui créent une quantité de valeur plus grande en travaillant que celle qu’ils reçoivent en échange sous forme de salaire. Car la quantité de travail fixée dans une marchandise et la rémunération de ce travail sont deux choses bien distinctes, le prix des marchandises n’est donc en rien réglé par les salaires et inversement.
Ceci nous amène à nous poser une autre question : Qu’est-ce que le salaire ? Comment est-il déterminé ?
Il semble acquis pour la plupart des salariés que le salaire c’est la somme d’argent qu’un patron paie pour un temps de travail déterminé ou pour effectuer un travail déterminé. Mais il n’en est ainsi qu’en apparence : ce que le salarié vend en réalité à l’employeur ce n’est pas son travail mais sa force de travail. Les capitalistes achètent la force de travail des travailleurs pour une durée déterminée. Ils acquièrent ainsi le droit d’en user comme n’importe quelle autre marchandise en faisant travailler le salarié le temps stipulé. Ils usent du travailleur en le faisant travailler comme ils usent de la machine en la faisant fonctionner. La force de travail est donc une marchandise au même titre que la machine ou n’importe quoi d’autre.
Leur marchandise, leur force de travail, les travailleurs l’échangent contre celle de leur patron, l’argent – le salaire – correspondant à toutes les marchandises qu’ils sont susceptibles d’acquérir avec lui. Contre une journée de travail c’est tant de viande, tant de vêtements, tant de lumière, etc. que leur donne leur patron à travers le salaire.
Et comme toutes les marchandises, la force de travail a un prix, celui du temps de travail nécessaire à sa production et à sa reproduction – ses frais de production. Ce sont les frais nécessaire pour conserver le travailleur en tant que travailleur et pour en faire un travailleur. Autrement dit, avec le salaire on obtient de quoi se loger, se nourrir, se vêtir, élever ses enfants et quelques autres choses encore pour être en mesure de se présenter de nouveau le lendemain à son poste de travail et participer à la reproduction de la classe des travailleurs. Bien que le minimum du salaire soit en moyenne déterminé par le coût des moyens de subsistances indispensables, ce coût diffère selon les pays et concerne la classe dans son ensemble et non l’ouvrier pris isolément qui peut très bien ne pas recevoir assez pour exister. Il ne s’agit donc pas d’un SMIC biologique mais de besoins historiquement et socialement déterminés.
Jusqu’ici il semblerait que le travailleur soit encore traité sur un pied d’égalité puisque, globalement, il est payé suffisamment pour vivre. Cependant, c’est là où la distinction entre travail et force de travail devient centrale. En effet, le coût du travail et le coût de la force de travail sont deux choses bien distinctes. La valeur de la force de travail, comme nous venons de le voir, est déterminée par la quantité de travail nécessaire à sa reproduction mais cette dernière ne limite en aucun cas la quantité de travail que peut exécuter le travailleur, l’usage de cette force de travail n’étant limité que par la force physique de celui-ci.
Prenons l’exemple d’un travailleur quelconque qui perçoit 50 euros de salaire pour une journée de travail. Mettons qu’il produise pour 50 euros de produits, soit l’équivalent de son salaire, en seulement 4 heures, cela ne le rend pas incapable de travailler 8 à 10 heures ou davantage. En payant la valeur journalière de la force de travail du travailleur, c’est-à-dire de quoi subsister durant cette journée, le capitaliste a acquis le droit d’user de celle-ci durant la journée entière. En plus des 4 heures qui lui sont nécessaires pour produire l’équivalent de son salaire, le travailleur devra donc travailler 4 autres heures. Ces 4 heures de surtravail seront pour le capitaliste du travail non payé. Ce travail non payé est la source de tout profit car il se réalisera en une plus-value et un surproduit. En effet, dans notre exemple, en déboursant la valeur dans laquelle sont cristallisées 4 heures de travail, le capitaliste recevra, en échange, une valeur dans laquelle sont cristallisées 8 heures de travail. 50 euros de produits en plus seront produit par le travailleur lors des 4 heures de surtravail. C’est la plus-value.
Sous le capitalisme, la valeur ou le prix de la force de travail semble être la valeur du travail lui-même. Bien qu’une partie seulement du travail journalier effectué par le travailleur soit rémunérée, tandis qu’une autre partie de son travail reste impayée et bien que la plus-value ou le profit provienne justement de ce travail non payé, l’ensemble du travail semble être du travail payé. Dans le cas de l’esclavage, c’est l’inverse qui se produit. L’ensemble du travail de l’esclave semble être du travail non payé, quand bien même une partie de son travail servait à compenser la valeur de son propre entretien. Puisque aucun marché n’a été conclu entre l’esclave et son maître, tout son travail semble avoir été cédé pour rien et l’exploitation saute aux yeux. Il en va de même pour le serf qui travaillait par exemple la moitié de son temps pour son propre compte sur le champ qui lui était alloué et l’autre gratuitement sur le domaine du seigneur. Le travail non payé et le travail payé étant visiblement séparés, l’exploitation ne peut être niée. Pourtant, que le serf travaille la moitié de son temps pour lui-même et l’autre pour son seigneur ou que le travailleur travaille la moitié de sa journée pour renouveler ses moyens de subsistance et l’autre pour son patron, cela revient au même. Avec le salariat, le travail payé et le travail non payé sont à tel point mêlés, que le travail non payé semble être effectué volontairement et non sous la contrainte comme sous le féodalisme et l’esclavage. L’exploitation est ici masquée par l’intervention du contrat et de la paye.
Tant qu’ils contrôlent les moyens de production, les capitalistes n’ont nul besoin de contrôles légaux sur les travailleurs comme ce fut le cas avec le féodalisme et l’esclavage. Il n’est pas nécessaire qu’ils possèdent de quelque manière que ce soit les travailleurs puisque ceux-ci n’ont pas d’autre choix que de travailler à leur service. Car aussi libre qu’il soit d’accepter ou non de travailler pour tel capitaliste, le travailleur, dont la seule ressource est la vente de sa force de travail, ne peut jamais se dérober à la classe toute entière des capitalistes sans renoncer à l’existence.
La théorie marxiste de la plus-value montre à quel point l’exploitation est au cœur du système capitaliste. Aucun travailleur ne peut s’y soustraire car il doit toujours travailler pour vivre. La seule alternative c’est les sommes misérables versées par les Assedic. Mais plus que cela, la théorie de la plus-value révèle aussi le conflit d’intérêts inconciliables qui divise la société en classes en guerre l’une contre l’autre. En effet, puisque les profits proviennent du travail non payé, le taux de la plus-value, autrement dit le taux de profits, dépendra donc de la proportion dans laquelle la journée de travail est prolongée au-delà du temps pendant lequel le travailleur ne fait que reproduire l’équivalent de son salaire en travaillant. Par conséquent, les capitalistes, poussés par la concurrence, chercheront toujours à étendre ce temps de travail non payé, tandis que les travailleurs, poussés par les besoins humains, chercheront à le réduire. De là, d’une part, les attaques contre le droit du travail, contre les 35 heures ou les baisses de salaires et de l’autre, les revendications salariales, les grèves et la lutte syndicale. L’exploitation capitaliste provoque donc une contradiction qui ne peut se résoudre que par son abolition, par l’appropriation collective des moyens de production et l’instauration d’une société sans classes.
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Pour aller plus loin, lire notamment :
Karl Marx, Travail salarié et capital, 1847, et Salaire prix et profit, 1865.
Site web du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA).
Revue indépendante d’analyse stratégique anticapitaliste.
Actualité politique internationale de la revue Inprecor sous reponsabilité de la Quatrième internationale.
International Socialism, Revue mensuelle théorique du Socialist Worker Party.
Le site web de la LCR Belge contient de nombreux articles de théorie marxiste très intéressants.
Base de données de référence pour les textes marxistes.
Le site de la commission nationale formation du NPA.