Histoire et programme des Comités d’Actions Lycéens (CAL) de Mai 68

À propos de « Les lycéens gardent la parole », 1968, Éditions du Seuil

par Kevin Vay

13 octobre 2009

Mai 1968 [ … ] c’est déjà un programme [1]

Au printemps 68, il régnait plus qu’une atmosphère de lutte, qu’un goût de révolte. Chacun, ouvrier, étudiant, lycéen, pouvait s’imprégner de cette même sensation de pouvoir tout changer. Détruire pour reconstruire, guérir ce malaise qui envahissait la jeunesse scolarisée et repenser un système, prendre la parole et la garder, telles étaient les revendications de toute une génération. À la lumière de l’ouvrage Les lycéens gardent la parole, nous nous proposons de revenir sur cette histoire.

Naissance des CAL

Au même titre que leurs aînés, les lycéens, en tant que travailleurs/étudiants en devenir, sont les victimes de l’oppression du système capitaliste, du régime Gaulliste et, en combattent ses manifestations. Dès 1966, avec les comités lycéens « Vietnam », se mettent en place un peu partout les premières structures d’organisation de la contestation politique. Le 13 Décembre 1967, certains établissement parisiens répondent par la grève et la manifestation à l’appel des syndicats salariés, sur la base d’une revendication alors très floue qu’est le retrait de la réforme de l’éducation « Fouchard ». L’année suivante se créent rapidement les premiers CAL. Puis vient le mois de Mai, l’explosion, les CAL se massifient et organisent la grève généralisée de leur milieu.

Peu importe la forme des revendications, c’est leur nature qui nous intéresse. Tout un système fut mis à mal et des commissions furent mises en place entre élèves et professeurs, voire même avec les ouvriers. Il en ressortira un travail étonnamment complet et profond que l’ouvrage en question recueille et synthétise. Mai 68 n’était pas qu’une révolte d’enfants bourgeois, mais bel et bien un projet de société, dans lequel les lycéens jouèrent pleinement leur rôle de futurs travailleurs intellectuels. Lutte des classes, université bourgeoise, exploitation des travailleurs, tout y passa et une page d’histoire s’écrivit sous la plume des très prolifiques CAL. Beaucoup de lycéens d’aujourd’hui diraient que cette histoire est une vieille histoire dont il faut refermer la page, mais ce legs étonnera par son intensité intellectuelle et son actualité frappante.

Spécificités des révoltes lycéennes

Cette histoire, ce livre, est celui de ceux qui ont lutté au sein de ces comités, véritables usines de réflexion et d’action, de leurs occupations de locaux, de leur rencontre dans un cadre nouveau avec les adultes qui les entourent. Loin de vouloir glorifier leur action ou leur capacité de révolte, rendons leur simplement leur du et apprenons d’eux, à l’heure où la révolte lycéenne s’accentue d’année en année.

Comme base de la société future, les élèves ont remplacé les professeurs, combattu les oppressions qui étaient les leurs mais pas seulement. La condition des lycéens est au confluent de tous les aspects du régime d’alors. Soumis à une oppression familiale qui freine ses aspirations de liberté politique, il s’en va le matin blasé de la cellule familiale et revient englué dans sa soumission à l’Etat et au professorat. Formaté par les tenues obligatoires, les tabous sexuels et la culture du passé, tenu prisonnier de l’ennui de ses cours et de sa situation sociale reproduite par l’école, le lycéen prend conscience à cette époque de sa condition d’exploité en devenir. Mais il y a également une conscience du tout qui se forge alors : plus qu’un chef d’établissement révoltant (souvent à juste titre) c’est au système qu’ils s’en prennent. Aux côtés des étudiants et des ouvriers, ils apprennent la lutte collective, face à la même oppression, face à la même milice. Chacun connaît la suite de l’histoire du « mouvement de Mai »…

Revendications en trois axes

Dès le 6 Mai débutent les premières occupations d’établissements, la massification des CAL (ou CAET dans l’enseignement technique) et le début du travail des commissions. Des programmes à l’administration, en passant par les méthodes pédagogiques, les rapports s’entassent, venus de Paris comme de province, et mettent en lumière trois points qui paraissent primordiales :

- Les rapports sociaux au lycée construits autour d’un professorat élitiste, d’une administration oppressive et d’élèves soumis. Sans se surestimer, les « jeunes nouveaux administrateurs » des lycées mettent sur pied tout un système où la classe devient un lieu de dialogue, construite autour de petits groupes et aux moyens technologiques novateurs. Le bahut devient autogéré ou cogéré (considérons le système fermé de l’époque : une cogestion ce n’était pas si mal) par ses occupants et des expériences a priori plutôt concluantes se déroulent ici et là.

- La finalité de l’enseignement, dans une optique bourgeoise et conformiste. A l’heure où les salariés décrient leurs conditions de travail et où les étudiants veulent transformer l’université, les lycéens réfléchissent sur ce qu’il y a avant, c’est à dire eux. Les programmes ne laissent pas de place à l’esprit critique et aux choix de réorientation volontaire. Les principes de notations et d’examens sont momentanément abolis pour voir pointer une éducation souple, libre.

- La liberté d’expression inexistante. Il ne s’agissait là que de revendiquer un état de fait existant : les jeunes veulent être des acteurs politiques et donc avoir des droits politiques. Que les CAL soient reconnus, que soit instauré une véritable « démocratie lycéenne », que les gazettes lycéennes entrent dans les cours de récrés… les idées fusent comme autant de colères contenues.

Et aujourd’hui ?

Des années plus tard, certaines de ces revendications seront mises en place, souvent dénaturés comme les élections de délégués, manquants de moyens comme pour une nouvelle pédagogie. Mais à y regarder de plus près, cette analyse faite à l’époque n’a pas vieilli. Les « lycées-prisons » sont toujours perçus comme tels. L’orientation est toujours une contrainte socialement organisée. L’élève n’est toujours qu’un âne à qui on tend la carotte du Bac. Les réformes se sont succédées, loin sans difficultés, car des mouvements sociaux se sont déclenchés, contre les mêmes politiques, pour ce même projet émancipateur. Ces quatre dernières années auront connu quatre mobilisations (réforme Fillon, CPE, LRU et la mobilisation actuelle) dans les lycées. À nouveau furent remises en cause les conditions d’études et la philosophie de notre éducation. Repenser ce contre quoi nous nous battons est une nécessité. Ce livre, à l’analyse et aux propositions étonnamment intemporelles, nous apporte plus qu’un témoignage historique. Il marque l’ouverture en 68 d’un chapitre qui, complété par 40 ans de luttes et d’espoirs, ne demande qu’à être enrichi une fois de plus. Ces pages se concluent ainsi « Mai 68, […], c’est déjà un programme » qui ne demande qu’à être appliqué. Pourquoi pas maintenant ?

Notes

[1«  Mai 68 […] c’est déjà un programme  » est la dernière phrase de Les lycéens gardent la parole.


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