L’appel et la pioche :

Jeunes, précaires et anticapitalistes

Entretien avec Leïla, membre fondatrice

11 septembre 2009

Propos recueillis par Rodolphe Juge

Que faire ? : Comment s’est monté le comité « l’appel et la pioche » ? À partir de militants du NPA, en dehors du NPA, un mélange des deux ?

Leïla : J’ai commencé à militer en 2001 à Toulouse. En arrivant à Paris il y a deux ans, j’ai commencé à militer dans des collectifs du type « Génération Précaire », « Jeudi Noir », des collectifs thématiques, non partisans. J’y ai trouvé mon compte dans la façon de militer. Mais nous nous sommes rendu compte qu’on arrivait face à un mur par rapport à ce que nous pouvions faire politiquement. Puis j’ai entendu l’appel qu’a fait la LCR lors de son université d’été pour créer un Nouveau Parti Anticapitaliste.

D’un côté je me disais que je ne mettrai jamais les pieds dans une organisation politique. C’était une façon de militer qui ne me branchait pas du tout à cause d’une sale expérience à Toulouse. En même temps, nous sommes dit que face à la logique globale de casse des acquis sociaux, les inégalités qui se creusent, une minorité qui gagne de plus en plus et la majorité qui en chie de plus en plus, il fallait faire quelque chose sur le terrain politique. J’ai vu le NPA comme une possibilité de proposer un projet de société globale, au-delà des thèmes sur lesquelles nous pouvons militer, logement, précarité, etc.

Abdel Mabrouki, de la CGT Pizza Hut avait monté les premières grèves de la restauration rapide et était aussi motivé par cette idée. Donc nous avons vu ça de loin, un peu méfiant vis-à-vis des organisations politiques, mais ce projet avait l’air sympa et c’est ça dont nous avions besoin à ce moment. Abdel avait participé à la campagne municipale dans le XXe arrondissement de Paris avec la liste 100% à gauche. Il était deuxième de liste, j’étais sur la liste aussi.

Nous avons lancé « l’appel et la pioche » parce que nous ne voulions pas nous rattacher à une section locale de la ligue pour construire le NPA. La première raison est que nous ne voulions pas créer une LCR bis avec les mêmes « guéguerres » idéologiques de chapelles, nous n’étions pas concernés par ça. Ce qui nous intéressait c’était comment on change de société en 2009 sur un programme anticapitaliste. Malgré la liberté de parole dans les sections, rejoindre des militants qui se connaissent depuis des années c’était risquer de se faire happer par un moule. La deuxième raison c’était faire un truc autour de la précarité, c’était un sujet qui nous touchait que ce soit chez Pizza Hut, dans les collectifs, Jeudi Noir, le mouvement des stagiaires.

Donc nous avons monté « l’appel et la pioche » sur cette base affinitaire, avec des gens motivés qui n’auraient pas rejoint le NPA sans ce comité, des gens qui aussi avaient peur de se « faire avoir » par « les marxistes, les trotskistes ». C’est un point de vue qui a changé depuis. Voila, nous nous sommes dit que c’était libre, c’est un nouveau parti qui se crée, alors pourquoi ne pas monter un comité sur d’autres bases que seulement géographiques, locales ou de branche ? C’est libre donc tout reste à faire.

QF ? : L’objectif du comité « l’appel et la pioche » est-il de rester au sein même du NPA ou de s’élargir en organisant les précaires dans un comité sympathisant du NPA ?

L. : Ce n’est pas un collectif de précaires. La précarité était la situation qui nous réunissait. On s’est d’abord appelé « comité des précaires pour un nouveau parti », mais c’était trop long. Alors nous avons choisi « l’appel et la pioche », petit clin d’œil à « la faucille et le marteau ». En fait, lors de la réunion nationale des comités, nous ne pensions pas être les seuls à avoir choisi une telle démarche. Le but était de mettre notre grain de sel dans la construction du NPA, qu’il s’imprègne des formes d’actions qui ne sont pas traditionnelles des partis. Mais nous nous considèreront vraiment comme un comité du NPA.

QF ? : Tu parlais de la précarité en ciblant différent thèmes : logement, travail, etc. Comment définis-tu la précarité ? Quelles sont tes analyses sur ses causes et conséquences ?

L. : Tout d’abord, je différencie la précarité de l’exclusion. Certains parlent des SDF comme des personnes en grande précarité. Etre précaire ce n’est pas être exclu mais c’est être « border-line », ne pas pouvoir se projeter dans l’avenir, être en dehors des cases classiques. C’est aussi pour cela que nous avons développé des modes d’actions en dehors des cases. Par cases classiques, j’entends travailler en entreprise, avoir un CDI, avoir son logement et une stabilité en fait. La précarisation retire cette stabilité. Ce n’est pas non plus la pauvreté mais c’est la débrouille perpétuelle. La précarité qui m’a le plus touchée c’est une nouvelle précarité. C’est toute une génération de personnes qui, il y a trente ans, aurait eu une situation stable. Pour prendre mon exemple, j’ai fait de longues études, il y a trente ans j’aurais eu un boulot en CDI, je serais très certainement syndiquée du coup. Aujourd’hui, je n’ai aucune idée où je bosserai dans six mois. Ce qui était la base est devenu un parcours du combattant.

La précarité s’est installée à travers tout un processus. C’est sur que c’est plus simple de précariser un jeune qui arrive sur le marché de l’emploi et qui n’a pas connu tous les anciens acquis. La précarité est un moyen pour tirer vers le bas l’ensemble des conditions de travail. En plus, c’est un moyen de mettre en concurrence les travailleurs entre eux, le stagiaire payé à 30 % du SMIC, le mec en CDD au SMIC, celui qui a un CDI, etc. Plus certains en viennent à devoir accepter des conditions de merde et plus c’est tout les système qui devient bancal. C’est pernicieux, ce ne sont pas des attaques frontales du genre « on baisse les salaires de tout le monde ». Ils déstabilisent en mettant un peu de CDD, un peu de contrat de mission, etc. Du coup ça déstabilise aussi la contestation.

QF ? : La naissance des contrats précaires, la mutation du système de production ont changé les rapports au sein du monde du travail comparés à il y a trente ans. Selon toi, la séparation en terme de classes sociales bien identifiées est-elle toujours d’actualité ?

L. : Il est vrai qu’avec toute cette instabilité, la multiplication des contrats, tout devient flou. J’ai découvert la notion de classe au NPA. Pour moi, ces notions, le marxisme, etc, c’étaient des « gros mots ». Aujourd’hui, je commence à me rendre compte que c’est une lecture pertinente pour analyser la société. Qui dit : précaires, dit que nous sommes disséminés. Nous ne sommes plus matérialisés comme la classe ouvrière d’avant. En même temps, ça revient au même. Le fait d’être salarié, c’est se faire avoir, se faire exploiter. Donc si ça s’appelle « classe », alors oui ! Même si nous ne sommes plus tous dans une même usine, éparpillés voire à domicile. Les lignes sont brouillées mais le fond est le même. Surtout en pleine crise du capitalisme.

QF ? : Tu disais que les précaires sont « en dehors des cases ». Forment-ils selon toi une classe ou une couche spécifique au sein de l’ensemble des salariés ?

L. : Dans le fond, nous sommes tous dans le même sac. Nous sommes tous ceux qui enrichissons la minorité de la population. Même si chez les précaires on va encore plus se regarder en chien de faïence, nous nous divisons en fonction du type contrat plus ou moins précaire. Du coup, les précaires forment une certaine couche spécifique. Surtout parce que nous ne pouvons pas nous organiser de la même façon.

De plus, il y a un grand débat dans le NPA, avec la Commission d’Intervention sur les Lieux de Travail, pour savoir si nous devons nous définir dans le cadre de notre rapport au travail. Chez les classiques, « ouvriéristes », tu te définis par ta place à l’usine, par ton rapport au travail, c’est ça qui fait que ton rapport de force au sein de la société existe. Quand tu es précaire, ce n’est pas possible ça. Quand tu changes de boite tout les mois, tu peux pas définir toute ton existence en tant que travailleur. Pourquoi ne pas se définir simplement parce qu’on existe dans la société ? Ça peut faire un peu baba cool, mais c’est une vrai question lorsqu’on voit la hausse du chômage.

QF ? : L’organe de lutte traditionnelle dans l’entreprise est le syndicat. A ton avis, quelle doit être le mode d’organisation des précaires au sein d’une boite pour casser cette concurrence entre les précaires et mener les revendications ?

L. : Le rapport salarial est complètement individualisé, les contrats sont différents. Du coup la solidarité est cassée. Par exemple, à l’endroit où je travaille, il y a les bénévoles, les stagiaires (non rémunérés en ne leur renouvelant que des stages de deux mois), les services volontaires, les contrats d’accompagnement à l’emploi (dont je fais parti) et un seul emploi tremplin à temps plein. On me dit bien que j’ai de la chance d’être en CAE comparé aux stagiaires. Alors que nous sommes tous dans la merde : il n’y a personne au dessus du SMIC. En individualisant, ils négocient cas par cas et tirent tout le monde vers le bas. Ces derniers jours, nous avons pris l’initiative de se rencontrer entre salariés de manière collective. Ça nous a été reproché, ils ont bondi au plafond.

C’est vrai que ça ne vient pas à l’idée de se syndiquer quand tu enchaînes les contrats de mission ou que tu travailles chez toi. Nous ne pouvons pas nous mobiliser dans ce cadre. Quand nous avons monté Génération Précaire, il y avait huit cents milles stagiaires dispersés dans plein d’entreprises différentes. Le stagiaire n’existant pas dans le code du travail, les syndicats n’en avaient rien à foutre, ça ne faisait pas partie de leur champ d’action. Via Internet, nous avons voulu matérialiser cette dissémination dans un rassemblement, masqués en blanc. Cette apparition publique, lors de la manif pour le pouvoir d’achat, symbolisait cette masse de travailleurs invisibles, sans contrat, sans salaire, sans droit. Nous n’avons pas les moyens d’appeler seul à une manif. Donc nous sommes obligés d’inventer autre chose. Dans cette société médiatique, on se rend bien compte que pour faire bouger les politiques et mettre à l’ordre du jour le sujet de la précarité il faut passer dans les médias. Par exemple pour Jeudi Noir, les actions étaient formatées pour les médias. Ça a marché au niveau de la sensibilisation, nous avons rencontré Boorlo le ministre du logement de l’époque. Mais après les effets d’annonce, il n’y a pas eu grand-chose de plus. C’est pour ça que je suis venue au NPA d’ailleurs.

QF ? : Les modes d’actions dont tu parles pour les stagiaires, le logement ou même les pic-nics en supermarché organisés par « l’appel et la pioche » sont surtout basés sur des happenings, du média, mettre au jour des revendications…

L. : C’est aussi parce que nous ne pouvons pas nous organiser sur nos lieux de travail. On ne peut pas débrayer lorsqu’on est isolé. Un intérimaire risque trop de ne plus être rappelé. Nous intervenons donc sur d’autres lieux. Le supermarché est aussi un lieu de confrontation avec le pouvoir. Tu as une opulence de richesses, un patron qui se fait des millions et des gens obligés de bouffer. Il y a une contradiction entre ceux qui se serrent la ceinture et le patron qui s’en met plein les poches. Tu as la même chose au niveau du logement avec le proprio/rentier qui vit sur le salaire du locataire. Du coup, les actions de Jeudi Noir servent à casser ce rapport individuel.

QF ? : Quelle peut être la jonction entre le mouvement des précaires et les autres salariés ?

L. : Déjà, ce n’est pas notre rôle de faire à la place des autres salariés. Et c’est sûr que nous n’allons pas attendre les syndicats pour faire quelque chose. La précarisation touche de plus en plus de salariés, donc c’est peut-être comme ça que se fera la jonction avec le mouvement traditionnel. Les syndicats se cantonnent à leur rôle de partenaires sociaux. Les modes d’actions que nous utilisons sont aussi ceux de la désobéissance civile. Les séquestrations de patrons rentrent là dedans aussi. Lorsqu’il y a épuisement des leviers traditionnels, c’est qu’il faut imaginer d’autres formes d’actions « en dehors des cases ». Les précaires ne pouvaient pas les utiliser et le reste du mouvement social est arrivé à l’épuisement de ces leviers. Les journées de grèves éclatées montrent bien que ça n’aboutit plus. Naissent alors d’autres formes comme les séquestrations, les Conti qui vont brûler des pneus dans Paris, etc. Ce sont des actions médiatiques mais aussi des moyens de pression.


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