Karl Marx faisait-il du tri sélectif ?

Pourquoi le mouvement écologiste a besoin de Marx

par Colin Smith

10 juillet 2011

Il est difficile aujourd’hui de ne pas entendre parler des questions de changement climatique et d’écologie plus globalement. Dans les journaux, sur les chaînes de télé et dans les parlements elles sont quasiment toujours présentes. Des sommets internationaux aux petits dessins sur des cannettes mentionnant le tri sélectif, elles sont présentes partout. Et, de plus en plus, on voit des reportages sur des évènements météorologiques extrêmes, depuis l’ouragan Katrina jusqu’aux inondations au Brésil et en Australie. Presque tout le monde sait qu’il y a un problème. Mais quel est-il exactement ? Et comment le résoudre ? Il y a là des questions importantes pour l’extrême-gauche : quel rôle aujourd’hui pour les anticapitalistes et pour le marxisme face aux problèmes écologiques ?

Avant-propos : Cet article est le premier d’un cycle consacré au changement climatique. Le second est paru dans Que Faire ? n°8 avec le titre « Les politiques de changement climatique », le troisième et dernier dans Que Faire ? n°9 et s’intitule « Changeons le monde, pas le climat ».

Il est utile de rappeler brièvement les données du problème. Il y a une série de gaz, dont le plus important est le gaz carbonique (CO2), qui contribuent au réchauffement de la planète. Une certaine quantité de ces gaz dans l’atmosphère est essentielle pour la vie sur terre – sans ceux-ci la température planétaire serait trop basse pour permettre la continuation des formes de vie que nous connaissons (c’est l’effet de serre). Mais aujourd’hui ces gaz sont émis en quantités inédites, en premier lieu en raison de l’utilisation de combustibles fossiles, et la conséquence est que la température planétaire augmente rapidement. Des températures plus élevées signifient plus d’instabilité dans le climat, plus d’évènements météorologiques extrêmes et, à un niveau qui reste inconnu pour le moment, une augmentation de la température et de l’instabilité hors de tout contrôle, au moment où plusieurs des effets du réchauffement se renforcent mutuellement et conduisent à des changements rapides et extrêmes. En bref, il s’agit d’une menace pour l’existence de la majorité des formes de vie sur Terre.

Les « solutions » des dirigeants politiques de la planète sont, en fait, tout sauf des solutions. Les sommets de Copenhague et de Cancún ont révélé la réalité de notre monde – la classe capitaliste est plus concernée par la sauvegarde de son pouvoir et de ses profits, particulièrement en temps de crise, que par la survie des peuples du monde ou de la planète.

En même temps, les peuples du monde ont commencé à comprendre cette réalité et à agir. Parallèlement à l’échec des dominants, on a vu la croissance d’un mouvement pour « changer le système, pas le climat » - c’était le slogan le plus important des manifestations de Copenhague l’année dernière. Bien sûr, c’est un mouvement très hétérogène, avec beaucoup d’idées différentes sur la façon de changer le système, et ce que cela signifie. Néanmoins ce sont des développements très intéressants et très importants.

Et Marx et le marxisme dans tout ça ? Souvent, la réponse est que leur place n’est pas là - il existe une idée répandue selon laquelle le marxisme n’a pas de rôle à jouer dans les questions écologiques. Mais comme d’habitude avec le « sens commun », on a besoin d’aller au-delà de la surface afin de voir la réalité. Dans un prochain article nous examinerons les problèmes auxquels le mouvement contre le changement climatique est confronté après Copenhague et Cancún, et nous tâcherons de répondre à la question « que devons-nous faire ? ». Mais il nous faut d’abord examiner la question sous un angle théorique et historique, pour avoir un socle solide à partir duquel procéder. L’analyse marxiste est un point de départ essentiel. Plus que cela, elle est indispensable dans la période actuelle. Comme Chris Harman l’écrit dans son dernier livre, Zombie Capitalism :

« Nous devons nous attendre à être témoins de l’interaction de l’économique, de ­l’environnemental et du politique de façon répétée au cours du XXIe siècle, menant à des crises sociales et politiques récurrentes et très profondes qui constituent le cadre du choix entre catastrophe globale et changement révolutionnaire. » [1]

Karl Marx faisait-il du tri sélectif ?

Les problèmes écologiques de l’époque de Marx et Engels étaient très différents de ceux d’aujourd’hui. Il n’y avait pas de réchauffement climatique à cette époque, et on ne peut donc pas lire les textes classiques pour trouver des solutions exactes ou magiques pour notre situation. Le marxisme n’est pas un dogme – nous devons partir de principes généraux, mais aussi des situations actuelles (qui sont souvent nouvelles) afin d’arriver à une analyse juste.

Néanmoins, l’attention que Marx et Engels ont donnée aux questions écologiques n’était pas périphérique ou symbolique. Qu’il s’agisse de l’analyse d’exemples très ­spécifiques ou de questions théoriques globales, ces questions politiques sont présentes tout au long de leur œuvre.

Par exemple on trouve ce passage très important dans l’œuvre du jeune Marx, les Manuscrits Économiques et Philosophiques de 1844 :

« L’homme vit de la nature signifie : la nature est son corps avec lequel il doit main­te­nir un processus cons­tant pour ne pas mourir. Dire que la vie physique et intellectuelle de l’homme est indis­so­lu­blement liée à la nature ne signifie pas autre chose sinon que la nature est indissoluble­ment liée avec elle-même, car l’homme est une partie de la nature. » [2]

Et ces questions se retrouvent dans l’œuvre la plus importante de l’histoire de l’économie politique, Le Capital :

« Ni une nation, ni toutes les nations couvrant le globe ne sont propriétaires de la terre ; elles n’en sont que les possesseurs, les usufruitiers, ayant pour obligation, en bons pères de famille, de la transmettre améliorée aux générations futures. » [3]

Les idées de Marx et Engels sur l’écologie ne sont pas seulement importantes pour les questions écologiques. Elles sont un exemple important de la méthode marxiste en général, c’est-à-dire du matérialisme dialectique.

Dialectique de la nature

Ceux qui pensent que le marxisme n’a rien à dire sur l’écologie ou, pire encore, qu’en se déclarant pour le progrès de la civilisation humaine le marxisme est par conséquent contre l’environnement, peuvent méditer la phrase ci-dessous, tirée de la Dialectique de la nature d’Engels, qui est le point de départ de notre analyse :

« les faits nous rappellent à chaque pas que nous ne régnons nullement sur la nature comme un conquérant règne sur un peuple étranger, comme quelqu’un qui serait en dehors de la nature, mais que nous lui appartenons avec notre chair, notre sang, notre cerveau, que nous sommes en son sein. » [4]

Nous existons dans la nature, et nous sommes façonnés par la nature. Nos actions peuvent changer la nature, en même temps qu’elles nous changent nous-mêmes, et cette nature changée peut nous modifier à nouveau. Ceci n’est pas simplement vrai pour la totalité de la vie sous le capitalisme, mais pour toutes les sociétés humaines depuis que l’humanité existe.

De plus, cette interaction dialectique est à l’origine de l’humanité elle-même. Dans le même livre, dans une section qui s’appelle « Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme » [5], Engels a écrit sur la question de l’évolution des êtres humains. Cette question n’est pas simplement une question historique – il faut la comprendre pour bien comprendre les questions écologiques d’aujourd’hui.

Globalement, Marx et Engels ont été partisans des idées de Charles Darwin et de son œuvre révolutionnaire L’Origine des espèces - Engels a même comparé Marx et Darwin lors de l’enterrement de Marx. L’idée la plus importante de Darwin était l’évolution par la sélection naturelle : les espèces évoluent par mutations aléatoires, et les mutations qui donnent un avantage à un individu d’une espèce se généraliseront dans l’espèce, parce que les individus qui possèdent cet avantage ont plus de chance de survivre et de le transmettre à leur progéniture.

Engels a avancé l’idée selon laquelle le travail (et plus tard, le travail coopératif et collectif) est l’acte fondamental ayant influencé l’évolution des êtres humains et ayant mené ce processus de sélection naturelle. Il est utile d’examiner ces idées plus en détail.

À la différence de Darwin, Engels a postulé que la capacité des singes à marcher sur deux jambes précéda l’évolution du cerveau, est que c’était là un autre exemple de la sélection d’une caractéristique favorable à travers le processus de la sélection naturelle. On peut imaginer, par exemple, un évènement naturel qui détruisit une forêt (une tempête par exemple), et l’avantage que les singes qui marchaient sur deux jambes (à cause d’une mutation par hasard) purent en tirer. Les singes qui purent s’adapter plus facilement au nouvel environnement furent ceux qui eurent le plus de chances de survivre, et qui purent donc transmettre cette mutation à leurs enfants.

C’était la capacité de marcher debout qui libéra les mains des singes pour d’autres choses. Un processus très graduel et compliqué entre le développement du cerveau et l’interaction des singes avec la nature s’en suivit. La capacité d’utiliser ses mains pour porter et utiliser des objets nécessitait des mutations dans le cerveau – c’est-à-dire que ce n’est pas parce que les mains étaient libres que les singes avaient la capacité intellectuelle de les utiliser. Pour cela il fallait que d’autres changements surviennent, d’autres mutations aléatoires, dans le cerveau (par exemple, dans les régions qui contrôlent la motricité et la dextérité, mais aussi la capacité de planifier à l’avance, etc.).

Avec chaque mutation, les singes purent interagir avec leur monde d’une manière différente. Chaque interaction nouvelle changea le monde naturel mais aussi les singes, et ceux qui pouvaient utiliser les objets de manière nouvelle (ou utiliser de nouveaux objets), et plus tard ceux qui pouvaient fabriquer des outils, furent plus adaptés et adaptables à leur monde et avaient plus de chances de survivre et de passer ces traits aux jeunes singes.

À mesure que l’évolution se poursuivit, des qualités plus complexes se développèrent, par exemple celles qui donnèrent aux singes la capacité de raisonner plus abstraitement. Avec cette capacité, un singe pouvait non seulement utiliser l’objet dans sa main pour un résultat direct, mais aussi comprendre la possibilité d’utiliser cet objet avec un autre pour obtenir un outil plus complexe – il pouvait voir une possibilité future, il pouvait évaluer l’utilité de cet outil futur, et imaginer comment le réaliser.
En même temps et par le même processus de sélection naturelle, le langage évolua, ainsi que la capacité à travailler et à vivre collectivement et en coopération. La possibilité d’un travail de plus en plus complexe (qui donne plus facilement et plus efficacement la possibilité de vivre) était rendu possible par la coopération et la communication et, une fois de plus, la sélection des mutations permettait cette possibilité.

Après des millions d’années, on arrive à l’homo sapiens qui vit dans et qui vient du monde naturel mais qui a aussi une différence fondamentale avec les autres animaux. Cette caractéristique est la capacité non seulement de réagir au monde naturel, mais aussi d’être conscient de ce monde et d’agir, de planifier et de changer les choses à grande échelle.

Il y a beaucoup de débats passionnés dans le domaine de l’évolution, et cet article n’est pas le lieu pour les examiner en détail. Le résumé ci-dessus est bien sûr une simplification mais il est important de souligner que la découverte en 1974 d’un squelette avec une posture verticale mais avec un cerveau de la taille d’un singe normal a confirmé que l’hypothèse d’Engels contre Darwin était correcte – les singes avaient marché sur deux jambes (ce qui a conduit au développement décrit ci-dessus) avant que le cerveau ait évolué, au contraire de la notion plus idéaliste de Darwin selon laquelle certains changements dans le cerveau étaient à l’origine de l’évolution des êtres humains.

L’idée du travail comme la clé dans le processus de l’évolution est la plus importante dans tout cela. C’est le travail qui distingua les relations entre les singes et le monde naturel et qui fut le facteur de médiation dans le processus complexe et graduel de l’évolution.

Ce qui était vrai pour la naissance de notre espèce continua d’être vrai pendant toute notre histoire. Les relations entre les humains, ou plus spécifiquement les sociétés humaines, et la nature, sont régies par le travail, ou plus spécifiquement la façon dont ces sociétés organisent le travail.

Avant le capitalisme, il y a eu bien sûr des sociétés différentes avec des méthodes de production différentes. Ces méthodes de production étaient plus ou moins problématiques pour les relations de ces sociétés avec le monde naturel. On peut voir dans l’histoire des sociétés qui ont vécu dans une relation harmonieuse entre les êtres humains et la nature – on peut le dire des sociétés basiques de travail et d’habitation coopératif, les sociétés du communisme primitif. On peut voir aussi des sociétés qui ont eu une relation très destructrice avec la nature, et même catastrophique – par exemple les sociétés de l’Ile de Pâques, la civilisation Maya ou les Vikings au Groenland, qui ont détruit leur environnement et, à cause de cela, se sont détruits eux-mêmes. Mais, aussi graves fussent-ils, ces problèmes ont été très localisés.

Avec le capitalisme, on n’a pas simplement une organisation de la production qui signifie une relation très destructrice avec la nature, mais aussi une existence globale de cette organisation de la production. Cela signifie des problèmes environnementaux à une échelle jamais vue, et la possibilité de la destruction globale au sens fort du terme.

Le capitalisme : l’aliénation de la nature

Comme nous l’avons vu, la méthode d’organisation du travail d’une société est le facteur déterminant pour appréhender la relation entre cette société et le monde naturel. Par conséquent, afin de comprendre les problèmes écologiques actuels, nous avons besoin d’analyser la production et le travail sous le capitalisme. Là encore, Marx et Engels nous sont indispensables.

Le capitalisme est un système dans lequel le travail est aliéné. Qu’est-ce que cela veut dire ?

Sous le capitalisme la grande majorité de la population est séparée des moyens de production. De fait, la classe ouvrière est obligée de travailler pour la minorité qui possède ces moyens (la classe capitaliste) afin de recevoir l’argent dont elle a besoin pour survivre.

Cette relation est une relation d’exploitation. La source du profit des capitalistes réside dans le fait que l’argent qu’ils donnent aux travailleurs est d’une valeur inférieure que celle produite par ces mêmes travailleurs.

En même temps c’est une relation aliénante. La chose la plus fondamentale pour les êtres humains, qui nous différencie des autres animaux et qui, comme on l’a vu, est liée profondément à notre origine comme espèce, est notre travail. Mais sous le capitalisme, on ne possède pas notre travail ou ce qu’il produit.

Le produit de notre travail, l’incarnation physique de ce qui nous rend humain, n’est pas à nous – c’est la propriété des capitalistes. Qui plus est, plus nous travaillons, plus il y a une accumulation de produits (et de valeurs) issus de notre travail dans les mains des capitalistes, et plus forte est leur position et donc leur capacité à nous exploiter davantage.

Nous sommes donc aliénés du produit de notre travail. Et nous sommes aliénés de notre travail lui-même, c’est-à-dire du processus de production qui est contrôlé par les capitalistes. Ce n’est pas nous qui décidons comment nous travaillons ou quand nous travaillons.

De plus, nous sommes aliénés de nos frères et sœurs humains. L’organisation du travail et de la production sous le capitalisme veut dire, en premier lieu, que nous sommes liés par les interactions entre les produits aliénés de notre travail aliéné. En deuxième lieu les conditions de vie dans ce système nous poussent à la concurrence dans tous les domaines.

Nous sommes aliénés de notre travail, de ses produits, et de nous-mêmes. On peut dire, par conséquent, que nous sommes aliénés de notre nature humaine.
Enfin, parce que nous faisons partie de la nature, et parce que c’est notre travail qui détermine notre relation avec le monde naturel, la réalité du système capitaliste global (du travail aliéné) est aussi que nous sommes aliénés de la nature. Marx a appelé cette théorie de l’aliénation de la nature la « rupture du métabolisme ». Elle découle de son analyse politique générale du capitalisme, mais aussi de ses études spécifiques dans le domaine de l’écologie.

Une théorie qui a poussé du sol…

Comme mentionné plus haut, le changement climatique que nous connaissons aujourd’hui n’était pas un problème à l’époque de Marx et d’Engels. Mais il y avait d’autres problèmes qu’ils ont examinés, parmi lesquels le plus important était la fertilité du sol.

Marx a étudié et constaté l’effet de la société nouvelle du capitalisme sur l’agriculture. La priorité donnée dans le domaine de la production de la nourriture par les capitalistes était l’accumulation et les profits. Ils ont donc utilisé des techniques de plus en plus destructrices pour le sol. De plus en plus de cultures ont été plantées dans des espaces de toujours plus réduits, avec des intervalles de plus en plus courts entre la récolte et les semailles suivantes. En ce qui concerne les profits à court terme (et c’est cela qui influence les décisions de chaque capitaliste) cette méthode a initialement donné de bons résultats. Mais à long terme, cela a été catastrophique pour le sol – les nutriments ont été extraits du sol beaucoup plus rapidement qu’il n’était possible de les remplacer, et le sol finissait par devenir inutile.

Les progrès de l’époque dans les domaines de la chimie et de la biologie ont permis l’apparition des premiers engrais chimiques avec le potentiel de résoudre le problème. Mais la logique capitaliste a fait qu’ils ont été utilisés comme un moyen d’extraire encore plus du sol dans des temps encore plus courts. Cette pratique était meilleure pour les profits à court terme, mais pire encore pour le sol.

Ceci est un bon exemple dans un domaine particulier de la logique du système capitaliste et de ses contradictions. Les solutions profitables à court terme sont destructrices pour les personnes et pour la nature à long terme. Le potentiel des forces productives sous le capitalisme nous donne la possibilité d’une solution, mais celle-ci est utilisée pour augmenter les profits en même temps qu’elle aggrave les problèmes. Les contradictions deviennent donc plus profondes.

Marx a ajouté à son analyse du sol le fait que le capitalisme naissant a eu besoin de plus en plus de travailleurs qui habitent dans les centres de la production capitaliste – des villes en expansion rapide. Cela signifiait qu’en plus des méthodes nouvelles dans l’agriculture qui épuisaient les nutriments du sol, il y avait aussi le problème que les nutriments n’étaient pas remplacés de manière traditionnelle – la nourriture produite était consommée très loin de l’endroit de sa production, et même dans des pays différents. Par conséquent les déchets naturels sont devenus un problème nouveau pour les villes, au lieu d’être une méthode naturelle d’amélioration du sol d’où ils venaient.

Contre cette situation, Marx écrit dans le Manifeste du Parti Communiste qu’il faut demander la « combinaison du travail agricole et du travail industriel ; mesures tendant à faire graduellement disparaître la distinction entre la ville et la campagne. » [6]

Pour Marx tout cela était caractéristique de la folie complète du capitalisme. Il a combiné ses études détaillées sur la question de la fertilité du sol avec son analyse du capitalisme et l’aliénation afin de formuler sa théorie de la rupture du métabolisme. C’est la rupture entre le monde naturel et la société capitaliste, à cause de la méthode de production, qui détruit le monde naturel en même temps qu’elle détruit les personnes qui travaillent dans ce cadre.

C’est cette idée révolutionnaire qui est d’une importance capitale pour nous aujourd’hui – l’idée que l’antagonisme avec la nature n’est pas nouveau ou périphérique au capitalisme. En fait cet antagonisme existe au cœur même du système auquel il est inextricablement lié.

La rupture aujourd’hui – réforme ou révolution ?

Marx et Engels ont analysé le capitalisme à l’époque de son enfance. Aujourd’hui, le capitalisme est un grand et vieux monstre qui engloutit le monde. Les contradictions qui existent dans ce système actuel sont plus vieilles, plus profondes, et plus sérieuses qu’à l’époque de Marx et Engels – et il en est de même dans le domaine de la nature.
Même s’il est vrai que le problème de la fertilité du sol était grave, ce n’était pas une menace pour la base du capitalisme, que ce soit du point du vue de l’accumulation et des profits, ou comme provocation d’une réponse révolutionnaire de la part du peuple. Cette manifestation de la rupture du métabolisme entre la société et la nature a donc pu être contenue par le système, même si des problèmes de fertilité du sol persistent aujourd’hui.

La manifestation de la rupture du métabolisme la plus sérieuse aujourd’hui – le changement climatique – a les mêmes sources que le problème de la fertilité du sol : le mode de production, l’aliénation de la nature, et la recherche des profits. Mais cette manifestation de la rupture existe à une échelle beaucoup plus importante.

Depuis la naissance du capitalisme, l’utilisation des combustibles fossiles a été centrale pour le développement du système. À mesure que le système se développait, la dépendance envers ces combustibles est devenue de plus en plus grande – pour produire de l’électricité, pour les transports, pour le chauffage, etc. Aujourd’hui, les entreprises qui extraient, raffinent et gèrent les combustibles fossiles font partie des entreprises les plus puissantes au monde, un monde où le problème du contrôle des ressources des combustibles est un problème toujours présent, et où le taux de production de gaz carbonique (résultat de la combustion) augmente.

La production de gaz carbonique et par conséquent le changement climatique sont un sous-produit automatique de la manière dont le capitalisme fonctionne et produit ses profits aujourd’hui. C’est la base de la réaction d’une section importante de la bourgeoisie contre toute action tendant à combattre le changement climatique – faire quelque chose signifiierait que la « stabilité » de la situation actuelle serait perturbée et les profits en souffriraient. Les profits les plus menacés par l’action contre le changement climatique sont souvent ceux des entreprises les plus puissantes, qui ont la capacité de combattre ce changement.

Il faut ajouter que l’écosystème et l’atmosphère sont vraiment globaux. Malgré la nature internationale du capitalisme actuel, celui-ci reste un système composé de nombreux capitaux, chacun d’entre eux étant basé dans un État national. La tendance est donc pour chaque État de protéger les profits de ses capitaux nationaux afin qu’ils restent compétitifs. La logique qui en découle est de faire le minimum contre le changement climatique – pourquoi faire quelque chose pour l’atmosphère en tant qu’État capitaliste, alors que le coût est national, mais les résultats sont internationaux, en particulier si certains États ne font rien ?

Beaucoup de débats ont lieu autour de la question de la possibilité de résoudre le problème du changement climatique dans le cadre du système capitaliste. Il est impossible de donner une réponse exacte à cette question, parce que l’on parle des deux systèmes les plus complexes qui n’aient jamais existé sur la planète : l’écosystème global et le capitalisme.

Il est certain que cette manifestation de la rupture du métabolisme sera beaucoup plus difficile à résoudre dans un cadre capitaliste que le problème de la fertilité du sol. On peut dire aussi que les échecs des sommets internationaux soulignent l’incapacité de la bourgeoisie internationale à répondre à la crise climatique, puisqu’ils sont coincés entre une reconnaissance du problème et les besoins d’un système basé sur la chasse aux profits et l’accumulation.

En même temps, au moins théoriquement, on peut imaginer un capitalisme qui fonctionne sans les combustibles fossiles, sans une production de gaz carbonique moins importante et donc sans les problèmes du réchauffement global et du changement climatique.

Deux choses sont certaines. Ni une solution révolutionnaire, ni une solution dans le cadre capitaliste ne sont possibles sans un mouvement par en bas et, aspect crucial, venant de la classe ouvrière. Les solutions possibles et les tâches de ce mouvement seront le sujet du prochain article.

La deuxième chose qui est certaine est aussi la plus importante pour l’évaluation d’une analyse marxiste des questions écologiques. Même si on peut envisager une solution (bien sûr compliquée, difficile à gagner mais uniquement possible par un mouvement par en bas) au problème du changement climatique dans le cadre du capitalisme, c’est-à-dire une solution de cette manifestation de la rupture du métabolisme, on ne peut pas en dire autant de la rupture elle-même.

La rupture entre la société et la nature sera permanente tant que cette société sera capitaliste. L’antagonisme avec le monde naturel appartient au caractère même du capitalisme, exactement comme l’exploitation et l’oppression. C’est seulement quand la classe qui a le pouvoir de changer le monde, les travailleurs, mettra en place ce pouvoir révolutionnaire que l’on pourra éliminer cette rupture, et vivre de manière stable et durable.

Notes

[1Chris Harman, Zombie Capitalism : Global Crisis and the Relevance of Marx, Londres, Bookmarks, 2009, p323.

[3Marx, Le Capital, volume III, chapitre 46, http://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-III/kmcap3_45.htm.

[4Engels, Dialectique de la nature, disponible en ligne : http://www.marxists.org/francais/engels/works/1883/00/engels_dialectique_nature.pdf, p. 141.

[6Marx et Engels, Manifeste du parti communiste, disponible en ligne : http://www.marxists.org/francais/marx/works/1847/00/kmfe18470000b.htm. La traduction anglaise supervisée par Engels mentionne aussi une «  distribution plus égale de la population entre la ville et la campagne  ».

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