Vous avez dit basculements ?

par Alain Pojolat

28 mars 2011

Une bonne surprise !

Ce qu’il y a de jubilatoire et de formidable dans les insurrections populaires et les révolutions, c’est que la plupart du temps, elles surprennent tout le monde : gouvernants et citoyens, journalistes et militants. Quelques jours avant le mouvement de mai 68, un éditorial du monde titrait « La France s’ennuie ! » et les révolutionnaires d’alors n’imaginaient pas que les minoritaires qu’ils étaient dans la société gaulliste, vivraient bientôt pour beaucoup l’aventure politique de leur vie. Il en va de même aujourd’hui avec les révolutions en cours en Égypte et en Tunisie. Qui, il y a deux mois aurait parié un titre de l’emprunt russe sur la possibilité qu’éclate un processus révolutionnaire dans des pays verrouillés par des dictatures sanglantes, où les libertés de s’exprimer et de communiquer étaient réduites à leur plus simple expression ? Certes pas Alliot Marie, prise aujourd’hui la main dans le sac, qui, en toute insouciance continuait à faire du tourisme dans le jet privé d’un proche du dictateur, alors que la révolution avait commencé ! Certes pas le maire de Paris, révisant en quelques heures la liste de ses amis tunisiens encore fréquentables, pas plus que le président du FMI décoré par Ben Ali lui-même de l’ordre du mérite national en 2008 pour avoir vanté la politique économique de la dictature présentée comme un modèle... la liste n’est pas exhaustive. Mais laissons tous ces braves gens se dépêtrer des responsabilités écrasantes qui sont les leurs dans le soutien aux dictatures. Le temps de rendre des comptes est venu, et la ministre des affaires étrangères pourrait sans doute, et c’est le minimum, être contrainte à démissionner.

Un cataclysme !

Ne nous y trompons pas, il se joue aujourd’hui en Tunisie et en Égypte, bien plus que la chute de deux dictateurs soutenus par l’impérialisme, qui serait suivie de simples ravalements de façade. Nous assistons à un événement politique majeur dont personne ne peut encore sérieusement envisager les répercussions, mais tout juste énumérer ce qui est d’ores et déjà acquis :

  • Il n’y a pas d’inéluctabilité à la toute puissance des états, si policiers fussent-ils. On a toujours raison de se révolter, de lutter et de persévérer jusqu’à la chute des régimes tyranniques. « Là où s’abat le découragement, s’élève la victoire des persévérants » disait Thomas Sankara.
  • Le souffle de la révolution nous vient de deux pays arabes, mettant ainsi à mal tous les délires islamophobes entendus depuis le 11 septembre 2001. Singulièrement, on entend peu le Front National depuis que le processus révolutionnaire démocratique est en marche. Mais au delà du discours des fascistes, les leçons de démocratie que nous donne la jeunesse tunisienne et égyptienne devraient interroger à droite comme à gauche tous ceux qui depuis des années sont dans la stigmatisation.
  • La révolution technologique de l’information, via les réseaux sociaux a permis à des millions de jeunes et d’ouvriers, d’un bout à l’autre de la planète d’assister en direct à la chute de Ben Ali et aux manifestations du Caire. Le retentissement est énorme ! Des soulèvements férocement réprimés ont éclaté en Algérie, des manifestations, impensables il y a encore deux mois se sont tenues au Yémen, en Jordanie où le roi Abdallah a dû limoger son gouvernement dans la panique. Les dictatures sont ­démasquées, elles ne peuvent plus massacrer leurs opposants à huis clos.

Si les anticapitalistes doivent se réjouir des processus en cours, ils ne sauraient oublier ni sous-estimer la force de leurs ennemis. Car les exigences des manifestants de Tunis et du Caire dépassent largement le cadre de simples (mais essentielles) revendications démocratiques. Elles mettent en plein jour l’urgence d’une autre répartition des richesses, d’un nouvel ordre mondial débarrassé des critères du FMI ou de la Banque Mondiale. Ces insurrections sont l’expression éclatante que la seule réponse des exploités à la crise mondiale que traverse le capitalisme ne peut se formuler qu’en renversant l’ordre établi. De gouvernements d’unité nationale, en restauration partielle des anciens régimes à peine relookés, les propositions de fausses solutions vont faire florès. L’impérialisme veille toujours sur les intérêts de ses alliés dans la région, et l’avenir d’Israël dépend largement de celui des révolutions en cours ou en gestation.

La responsabilité des révolutionnaires de tous les pays, et en ce qui nous concerne, celle des anticapitalistes, ici en France, est énorme. Elle ne saurait se résumer à une solidarité contre la répression, ou en une exaltation mythique d’un événement désincarné, extérieur à notre vie militante quotidienne. Nous devons combattre aux côtés de nos camarades tunisiens pour exiger le gel des avoirs du clan Ben Ali en France, faire la lumière sur les liens financiers qu’entretient la classe politique française avec la dictature, dénoncer les entreprises tels Monoprix, ou Orange qui font fortune sur le dos des ­salariés tunisiens. Nous y reviendrons sans doute prochainement.

Nous avons donc bien assisté à un double basculement annoncé par la une du dernier numéro de la revue... mais là où on ne l’attendait pas.

En France : L’insurrection... qui tarde !

Écrit dans la foulée de l’important mouvement social de la contre-réforme des retraites que nous avons connu cet automne, le dernier éditorial de Que Faire ? ne pouvait prendre un recul suffisant ni prévoir quels en seraient les effets différés. Mon propos n’est pas ici de mettre en cause les aspects positifs largement développés par Denis, et que je ne reprendrai volontairement pas ici, mais de souligner certaines limites qui ont été sous-estimées dans le bilan à chaud qu’il a dressé.

D’abord, il faut être clair, sans faire pour autant de mauvaise équation, la formidable séquence de mobilisation que nous avons connu s’est, in fine, soldée qu’on le veuille ou non, que ça nous plaise ou non, par un échec. La contre-réforme est passée, et le pouvoir n’a pas vacillé. C’est exactement ce qu’attendaient de lui le MEDEF et les grands groupes d’assurances, pressés de se lancer, la loi votée, dans le formidable marché que représentera le démantèlement de la protection sociale et de notre système de santé. Certes la côte de Sarkozy est en baisse, son fusible Woerth a sauté et il est probable qu’il paie la note en 2012 par une défaite à l’élection présidentielle. Mais l’essentiel, la loi instaurant la fin de l’âge légal de départ en retraite à 60 ans est passée. Plus encore, ceux qui pensaient en avoir terminé avec la litanie des mauvais coups et prédisaient une pause dans les « réformes » jusqu’à la présidentielle paient aujourd’hui au prix fort leurs illusions. Après s’être attaqué aux retraites avec succès, il n’y a aucune raison pour le pouvoir à ne pas continuer la démolition des acquis sociaux issus du programme du Conseil National de la Résistance.
Cette défaite, même si elle s’est accompagnée d’avancées considérables, telles la conscience d’appartenir à la même classe sociale, ou la compréhension du rôle déterminant de l’action interprofessionnelle, est celle du légalisme et du réformisme qui pèsent encore très lourdement sur la classe ouvrière. Celle de l’absence pendant vingt ans de réelles batailles contre les restructurations, la précarisation, et la casse des services sociaux.

Qu’aurait pu être un vrai basculement ?

On peut toujours se rassurer en mettant en avant les quelques exemples de luttes ­radicales menées pendant la mobilisation, et qui sont à mettre au crédit des acquis de la lutte, celles-ci furent marginales. Les « blocages » ponctuels de certains sites n’ont pas remplacé la généralisation indispensable du mouvement gréviste qui n’a pas eu lieu. Les directions syndicales n’ont jamais été débordées par le développement de coordinations à la base. Celles-ci n’ont vu le jour dans aucune profession, dans aucun secteur public ou privé.

Ces insuffisances notoires ne pouvaient être compensées par le nombre élevé des manifestants. Il y eu bien trois fois plus de manifestants que contre le plan Juppé (souvenez-vous du million du Juppéton), qui se sont heurtés à une attitude très ferme du gouvernement, Fillon allant même jusqu’à défier la rue, en affirmant qu’il ne reviendrait pas sur sa décision de faire voter la loi au parlement, dusse-t-il y avoir cinq millions de manifestants ! C’est à ce moment du conflit qu’une force politique pesant dans la classe ouvrière a cruellement manqué au mouvement. Tout était alors possible et la pitoyable proposition de référendum faite par Mélenchon ne rencontrait aucun écho. Le bras de fer engagé avec le gouvernement ne pouvait alors se résoudre que par la gréve générale et la chute de celui-ci comme conséquence logique. Oui, la question du pouvoir aurait été posée et ne pouvait que déboucher sur un affrontement généralisé avec l’appareil répressif de l’État. Ce débat essentiel n’a pas eu lieu au sein des « avant gardes de lutte » Les obstacles du réformisme et du légalisme de la classe ouvrière ne pourront être levés qu’à plusieurs conditions : que les militants anticapitalistes soient plus présents et plus nombreux sur les sites les plus avancés du mouvement antagoniste, que les formes d’auto-organisation redeviennent les pôles naturels d’expression des grévistes...

Le NPA dans le mouvement :

Compte tenu de la réalité du NPA, sa jeunesse et sa trop faible implantation dans la classe ouvrière on peut dire, sans vouloir se faire plaisir, que son rôle a été très positif. Dès le mois de juillet nous avons été en mesure de sortir des affiches du parti (Dehors Sarkozy et dehors Woerth) qui étaient en phase avec le mouvement social. Des faux billets de banque avec la photo de Sarkozy ont été diffusés pendant tout le mouvement en rencontrant un grand succès. Pour autant, nous n’avons pas encore été capables de dépasser le stade de l’accompagnement sympathique et de proposer des alternatives aux impasses réformistes qui soient crédibles. Si notre conférence nationale de décembre a été un réel succès, il faut bien en voir les limites. L’ambiance était certes chaleureuse mais 800 participants ne font pas le printemps. Il faut pourtant persévérer dans cette voie là, car il n’y aura pas de raccourci dans la construction d’un parti anticapitaliste de masse tourné vers l’action.

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