À propos de l’expérience anglaise de « Respect »

par John Rees

15 septembre 2009

John Rees est secrétaire national de la coalition Respect et membre dirigeant du SWP.

Cela ne fait qu’un peu plus d’un an que nous avons créé RESPECT, mais il me semble qu’on a réussi à accumuler un nombre d’événements incroyable pendant cette courte période d’existence. Il nous arrive d’être tellement pris par nos activités qu’on n’est même pas au courant de tout ce qui passe au niveau de RESPECT. Il m’arrive assez souvent d’apprendre seulement dans les journaux du lendemain ce que George Galloway et son attaché de presse, Ron McKay ont fait la veille […]

Ce que j’essaie de dire est simplement que l’année à venir promet d’être aussi animée que la précédente, ce qui n’est pas peu dire.

J’aimerais expliquer en quelques mots pourquoi nous avons fondé RESPECT et le but que nous assignons à cette formation. Elle est issue du mouvement anti-guerre. Les événements tragiques de cette semaine [1] montrent clairement, à moi et sans doute à des milliers d’autres, que cette tâche est loin d’être accomplie. Ils montrent que les conséquences sanglantes de l’invasion de l’Afghanistan et de celle qui a suivi en Irak se multiplient encore et qu’elles ne cesseront qu’avec la fin des occupations. Par conséquent, RESPECT aura un boulot considérable tant que nous n’aurons pas résolu cette question-là.

Dans les journaux du week-end dernier, j’ai lu le compte rendu des instructions que Tony Blair a données à notre nouvel ambassadeur. Ces instructions étaient communiquées par un porte-parole du gouvernement, un gars qui s’appelle Jonathan Powel. Voici les termes exacts dans lesquels ce Powel communique les instructions de Blair au nouvel ambassadeur américain : “Fourre-toi au cul de la Maison Blanche et reste là”. C’est cela, la politique étrangère britannique dans sa forme la plus nue. Je ne sais pas comment vous aviez compris jusqu’à maintenant l’expression ‘relations particulières’, mais pour moi en tout cas, elle prend désormais un sens bien différent.

Voilà pourquoi nous en sommes là, voilà pourquoi les Londoniens en sont là et voilà pourquoi la ville de Londres a perdu 50 habitants depuis le début de la semaine. Aussi longtemps que nous n’avons pas forcé le gouvernement à quitter l’Irak et tant que nous n’avons pas provoqué un changement de politique de façon à ne surtout pas “nous fourrer au cul de la Maison blanche et y rester”, cette tragédie continuera, tout comme celle de Fallouja et celle de Kaboul. C’est la raison pour laquelle nous sommes toujours là et que nous y resterons pour encore un certain temps.

Mais RESPECT est fondé sur un autre aspect, plus profond. D’ailleurs, on pourrait en dire autant du mouvement anti-guerre. Aujourd’hui, un immense abîme sépare la grande majorité des gens ordinaires de ce pays de toute sa classe politique. Cet abîme apparaît le plus clairement au sujet de la guerre, mais il n’existe pas moins dans une série d’autres domaines.

Selon les sondages, la plupart des habitants de ce pays, 80 %, s’opposent aux privatisations, mais aucun parti politique établi ni, en fait, aucune personnalité politique en dehors des partis n’en fait une priorité.

60 % des Britanniques pensent que les syndicats sont trop faibles plutôt que trop forts, mais aucun homme politique établi n’en tient compte sérieusement.

La majorité des gens en Grande Bretagne s’oppose à la gestion privée des retraites, mais aucun homme politique établi ne la condamne dans son programme.

Les gens ne veulent pas voir le système de bourses universitaires remplacé par un système de prêts d’étudiants. C’est pourtant vers cela que souhaitent aller tous les grands partis.
Cette rupture entre la masse des gens et leurs représentants politiques est très, très profonde. C’est pour cela qu’aux dernières élections législatives, ce gouvernement a été réélu pour un troisième mandat avec un nombre de voix extrêmement faible. Depuis la deuxième guerre mondiale, un seul gouvernement a gagné avec moins de voix ; c’était le deuxième gouvernement Blair issu des élections précédentes. Ainsi, le gouvernement actuel ne repose que sur 36 % des votants, ce qui correspond à la base électorale la plus étroite depuis la Seconde Guerre mondiale. Parmi ceux qui étaient en âge de voter, seuls 22 % ont cautionné ce gouvernement.

Cela montre la crise de la démocratie représentative : les partis traditionnels, et en particulier le Labour, ne représentent plus les intérêts, les opinions et les aspirations de la classe ouvrière sur les questions les plus importantes que les gens ont à affronter dans leurs vies. C’est pour cela qu’il y a une crise du système et c’est aussi ce fait fondamental qui explique l’existence de RESPECT.

Enfin, toute cette exaspération, cette rupture entre les travailleurs et l’élite politique s’expliquent par la différence entre ce que veulent les gens et ce que disent les hommes politiques.

Depuis 20 ans maintenant, les travailleurs de ce pays ont subi une politique purement monétaire et néo-libérale. Ils ont souffert des attaques contre les syndicats autant que des attaques contre le modèle social. En effet, beaucoup de gens pensaient que ce modèle social, instauré dans les années 50-60, devait éradiquer la misère et la pauvreté subies pendant la période entre deux guerres.

J’imagine mal ce qui pourrait plus affecter la conscience de la classe ouvrière d’un pays capitaliste avancé que de constater que la politique qui avait promis d’améliorer les conditions d’existence à venir, détériore de fait ces mêmes conditions d’existence, au point de rendre la vie pire qu’avant. RESPECT représente ces gens qui aujourd’hui sont privés de représentation politique et qui de ce fait sont exclus de leur propre société ; c’est-à-dire de la société pour laquelle ils produisent des richesses. C’est en cela que RESPECT ne sera jamais un projet politique comme les autres. Nous ne serons jamais un parti politique ordinaire, et nous ne serons jamais considérés comme un parti politique ordinaire par les tenants de la politique institutionnelle.

Car nous ne le sommes pas. RESPECT a émergé du mouvement de masse, et compte continuer à en faire partie. Notre organisation compte se servir des forces qu’elle a afin de reconstruire de nouveaux mouvements de masse qui aideront à rétablir la confiance au syndicalisme. Nous savons que nous ne pouvons renverser ce système - et c’est pour cela que nous devrons nous fixer cela comme priorité - à moins que nous ne soyons investis dans la plus sérieuse et la plus profonde bataille contre les riches et les puissants qui soutiennent le système actuellement.

Cela pourrait arriver vite. Si nous travaillons bien, si nous nous battons comme il faut, je crois qu’il nous sera possible d’avoir des élus aux quatre coins du pays à l’issue des prochaines législatives en mai prochain. Bien que nous n’en ayons aucune garantie, si nous gagnions la majorité dans la circonscription de Tower Hamlet à Londres, ce serait un défi lancé au pouvoir de ce pays, comme cela l’a été entre Liverpool et l’autorité centrale de la grande assemblée de Londres lorsque Ken Livingstone a combattu le gouvernement en refusant de faire le sale boulot que Tony Blair voulait lui faire faire.

Ce serait un réel défi et si nous nous maintenons, nous tiendrons la promesse que RESPECT défend les travailleurs. Nous devons alors être partie prenante d’un mouvement plus large issu des syndicats, des communautés musulmanes, issu des luttes contre la privatisation des logements sociaux et des luttes de tous ceux qui se sont levés dans une opposition commune à la guerre.

Voilà ce que nous comptons faire, c’est cela notre projet. Et c’est maintenant à vous de nous juger : si vous aviez des doutes, ou si vous étiez inquiets à notre égard, vous devriez maintenant nous juger sur nos résultats, qui sont modestes mais néanmoins excellents. Pendant les tournées électorales à Benthal green, les gens nous disaient « Qu’est-ce que cela changera si nous élisons un seul député RESPECT ? »

Cela fera une différence par rapport au Sénat [2]. Je suis fier comme vous ici de ce que nous ayons réussi à faire élire un député qui a montré aux milieux dirigeants ce qu’il leur a montré.

Cela a rendu George Galloway extrêmement populaire. Quiconque a comme moi traversé le pays avec lui sait qu’il ne peut faire deux mètres dans la rue sans qu’une foule ne se rassemble autour de lui et que les gens viennent le féliciter.

Je suis aussi fier de ce qu’il a fait au Sénat que de ce qui s’est passé ces derniers jours : vous êtes calomnié et jugé comme traître à cause de votre opposition à la guerre, puis vous passez au statut de héros grâce à ce que vous avez fait au Sénat. Vous vous levez et vous dites sans hésiter une chose qui ne peut être acceptée à la Chambre des Communes ou à la télévision. Vous risquez tout et vous dites sans hésiter que ce sont ceux qui ont bombardé l’Irak qui sont responsables des morts ici. Ceux qui ont envahi et dévasté l’Irak, ceux qui n’ont jamais versé de larmes pour les morts de Fallouja, ceux-là mêmes sont responsables de la mort des Londoniens ces derniers jours.

Nous avons fait tout cela, mais il nous reste encore beaucoup à faire : nous en avons tous ras le bol de passer notre temps militant à assister à la dégradation des conditions de vie des travailleurs autour de nous. Le fossé qui sépare les riches et les pauvres est aujourd’hui plus large qu’à l’époque de Thatcher. A cause de la pauvreté et la surpopulation des foyers dans l’est londonien, on voit réapparaître la tuberculose et le rachitisme, des maladies que nous croyions éradiquées depuis le travail des services nationaux de santé de l’après-guerre.

C’est pour contrer cela que nous existons. Si le New Labour pensait que nous en avions fini avec eux, il se tromperait amèrement. Car ceci n’est que le début.

Notes

[1Il s’agit des attentats de Londres, début juillet.

[2Il s’agit du Sénat américain.


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