Éditorial du numéro 7

Crise, Nouveau parti et perspectives révolutionnaires : Quelle articulation ?

par Cédric Piktoroff

5 octobre 2009

Depuis vingt ans, les économies des pays occidentaux alternent entre booms spéculatifs et paniques financières. Cette instabilité reflète une crise des taux de profits développée dans les pays capitalistes avancés dès la fin des années 60 plus aigue que jamais. La crise de l’accumulation du capital (capacité à investir dans la production qui dépend des taux de profits) n’a pu être contrecarrée que par une augmentation de la productivité des travailleurs plus importante que leurs salaires (soit un taux d’exploitation plus élevé) et un développement du capital financier. Cet équilibre est toutefois difficile à conserver, notamment si les salaires augmentent moins vite que l’inflation. L’absence de solution à ce problème de fond a donc accru l’instabilité du système.

Récemment, une simple crise du marché américain des « subprimes » [1] a provoqué une crise du système bancaire international dont toutes les conséquences ne sont pas encore connues. Comme disait Marx, quand la confiance dans le système financier disparaît, chaque spéculateur agit dans son propre intérêt et se met en quête d’argent sûr, ce qui est souvent néfaste pour le système dans son ensemble.

C’est précisément pour garantir les intérêts généraux du système que fonctionnent les liens entre État et Capital. A l’opposé du discours néolibéral dominant du « laissez faire », l’intervention de l’État dans l’économie est paradoxalement devenue plus forte aujourd’hui qu’il y a trente ans, alors que prédominaient les analyses keynésiennes.

Dans la crise actuelle, le rôle des organes exécutifs que sont les banques centrales de la planète est décisif. Elles sont poussées à injecter des liquidités afin de résorber les crédits irrécouvrables, au risque d’être acculées si la crise s’aggrave à recourir aux États pour obtenir des financements supplémentaires, mettant ainsi encore plus sous pression les budgets de ces derniers. Dans ce cas, le coût institutionnel et politique peut alors s’avérer très élevé, puisque cela ferait davantage reposer la crise sur les revenus des travailleurs, en plus de rendre de plus en plus apparente la vraie nature du pouvoir de classe.

Actuellement, il existe de lourdes menaces de « stagflation » (comme dans les années 70), c’est-à-dire une combinaison d’inflation et de récession (ou du moins de très faible croissance) favorisant une hausse du chômage. Les banques centrales sont coincées : remonter les taux d’intérêts pour lutter contre l’inflation ou au contraire les baisser pour soutenir la croissance entraîne dans tous les cas des conséquences négatives. D’autant que les problèmes s’accumulent : flambée du prix du pétrole (dépassant les 100$ le baril le 2 janvier), durcissement des conditions de crédits dû aux problèmes des banques, menaces sur la consommation à cause de l’inflation, etc. En plus de la perte de confiance dans les marchés financiers, les risques importants pour les profits des entreprises sont de plus en plus palpables. Le cocktail est explosif… La Banque centrale européenne (BCE) est également touchée de plein fouet. Plusieurs grandes banques européennes risquent la faillite. Tout comme la Fed aux Etats-Unis, la BCE vient d’annoncer qu’elle allait réinjecter des liquidités illimitées via des taux d’intérêts bas, contrairement à son discours contre les risques inflationnistes. Or, une forte inflation accélèrerait la baisse du pouvoir d’achat et pourrait entraîner davantage de confrontations sur les salaires…

Les tentatives de résoudre la crise économique risquent donc de se transposer en instabilité politique, à mesure que vont se développer les confrontations entre les différentes fractions des classes dirigeantes internationales sur la manière de la traiter. Comme toutes les crises depuis celle de 1973, les contradictions économiques trouvent une expression explosive en politique. Une des conséquences de la crise actuelle est qu’elle touche davantage les pays développés que les pays dits « émergents » [2], accélérant ainsi la perte d’hégémonie des Etats-Unis. Cela ne peut qu’accélérer l’instabilité internationale et les risques de guerres impérialistes, comme en témoigne le développement des tensions autour de l’Iran.

La réponse sarkozyste

En France, sur fond de crise internationale, la polarisation de la société est en train de s’accélérer. Les premières mesures du gouvernement Sarkozy et les réactions qu’elles ont suscitées en sont en bon indicateur. Au-delà des effets d’annonces de campagne présidentielle sur une prétendue « rupture », les réformes actuelles s’inscrivent dans la continuité des mesures réclamées par la classe dirigeante depuis de nombreuses années.
Toute la politique de Sarkozy est orientée vers la réduction du déficit budgétaire, principale caractéristique de toutes les économies capitalistes occidentales au cours des vingt dernières années et produit de la crise de fond du système. En effet, les taux de croissances étant bien inférieurs aux niveaux qu’ils pouvaient atteindre jusqu’au début des années 70, les revenus de l’État n’augmentent pas assez vite pour subvenir à toutes les dépenses. Ces revenus ont même tendance à baisser dans la mesure où les gouvernements successifs baissent les taxes sur les profits pour compenser le déclin des taux de profit du Capital sur le long terme et réduisent les impôts sur les plus hauts revenus (récemment encore avec le paquet fiscal et le bouclier fiscal). La réforme des systèmes de retraite, de santé, la privatisation des services publics ou l’accroissement de la flexibilité du travail sont autant d’instruments économiques (maintenir les taux de profit à court terme) et politiques (démoraliser les travailleurs) que réclame la classe dirigeante pour compenser ses coupes dans le budget de l’État et faire face à la compétition internationale.

Cela signifie que malgré les efforts de Sarkozy pour mettre en valeur son style et sa méthode – un élément subjectif certes important – une grande partie de sa politique s’impose objectivement à lui. C’est ce qui explique les contradictions inévitables qui en résultent, dont la réduction du nombre de tribunaux pour faire des économies à l’heure où l’accroissement des mesures sécuritaires nécessiterait l’inverse n’est qu’un exemple. C’est ce qui explique également son obligation d’attaquer sur différents fronts en même temps, au risque de regrouper dans la rue des secteurs les plus combatifs de la société (cheminots et salariés du public, étudiants…) jusqu’à certains autres plus périphériques dans les combats de classe (avocats, pêcheurs…).

Une plus grande polarisation

Dans ces nouvelles conditions, la rentrée sociale qui vient d’avoir lieu fut un véritable test des contradictions de la période, accentuant la radicalisation à droite comme à gauche. À droite, la politique de Sarkozy témoigne d’une radicalisation de l’attitude de la classe dirigeante face au processus de grève de masse qui se déploie depuis de nombreuses années. L’évolution de la nature politique du pouvoir sous sa direction est d’ailleurs un élément qu’il est important d’étudier et d’approfondir.

Mais le triomphalisme présidentiel s’est heurté à un puissant mouvement social qui réfute les analyses de ceux qui pronostiquaient une droitisation de la société : 75 % de grévistes à la SNCF le 18 octobre (du jamais vu depuis 1953 !) et 10 jours de grèves un peu plus tard, 700 000 personnes dans la rue le 20 novembre, une grève étudiante capable de bloquer 40 universités pendant deux mois...

Le bras de fer a commencé mais à l’heure actuelle personne ne l’a gagné. Contre Sarkozy, il n’y a encore eu ni victoire, ni défaite majeure pour les travailleurs. L’objectif du gouvernement de briser durablement la combativité des travailleurs et leurs organisations est loin d’être atteint. D’autant que les grèves de l’automne 2007, si elles ont pu entraîner un sentiment d’amertume, ont aussi été l’occasion d’un renforcement des liens et de l’expérience des noyaux militants sur le terrain.

Compte tenu de l’abdication des directions syndicales, comment expliquer la force du mouvement de cet automne ? On ne peut le comprendre que par le fait qu’une direction alternative au sein du mouvement se construit depuis une vingtaine d’années, à travers l’accumulation d’expérience de nombreux secteurs et réseaux militants dans le processus de luttes de masse que la grève de 1995 avait mis sur le devant de la scène. Toutefois, si la mobilisation a souligné l’existence de cette direction alternative et sa capacité à entraîner, au moins jusqu’à un certain point, elle a également témoigné de ses limites. La seule combativité des noyaux militants n’a pas suffit à compenser leur manque de coordination et de perspectives.

Le mouvement vient donc de montrer qu’il existe un lien étroit entre résistance sociale et direction alternative. On ne peut pas penser séparément la résistance large et unitaire d’un côté et le regroupement politique de l’autre. Une des leçons les plus importantes du mouvement est peut-être celle-ci : le regroupement et l’organisation des secteurs combatifs est un élément décisif pour l’impulsion de la résistance la plus large. La paralysie des principales directions réformistes fera de plus en plus dépendre l’unité du mouvement de la classe de la capacité des travailleurs les plus avancés à développer des stratégies pour la construire.

De cela découle l’importance du projet de Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) que développe la LCR actuellement. Cela implique qu’on ne peut pas penser le NPA en simple « débouché politique pour les luttes ». Il s’agit de faire émerger une direction politique des luttes, regroupant les animateurs combatifs du mouvement, leur fournissant un cadre pour élaborer des perspectives stratégiques pour le mouvement dans son ensemble. Les candidats à un tel rassemblement sont potentiellement très nombreux, à condition de ne négliger aucun moyen de pouvoir les toucher.

Le NPA comme front unique

Il semble y avoir un paradoxe entre l’analyse de la crise du capitalisme en ce début 2008 et le rôle que nous assignons au NPA. L’évolution du capitalisme (une crise profonde, des menaces de guerres, des confrontations pour briser le mouvement ouvrier et les résistances…) signifie qu’on ne peut limiter la base de développement d’une direction politique à une perspective de contestation radicale de l’ordre dominant. Les expériences internationales, au Venezuela ou en Bolivie, le débat sur le guévarisme sont les témoins d’un enjeu bien plus profond : mettre un terme à l’exploitation capitaliste nécessite l’élaboration de perspectives révolutionnaires.

Mais le paradoxe réside dans la réalité elle-même. Regrouper les éléments les plus combatifs de la classe dès maintenant implique de considérer les travailleurs les plus avancés tels qu’ils sont, c’est-à-dire comme des individus n’ayant pas totalement rompu avec les conceptions réformistes du changement social. Le processus de construction d’une nouvelle direction politique influente est donc une base indispensable, non seulement pour éviter la paralysie du mouvement, mais aussi parce que c’est dans ce processus que cette direction peut être convaincue de la nécessité d’une stratégie révolutionnaire.
Cela impose aux révolutionnaires, dont la responsabilité est centrale, d’envisager la construction d’une alternative politique sous l’angle du front unique, c’est-à-dire en combinant deux aspects :

- Se relier le plus largement possible aux forces sociales et politiques, organisées et individuelles, susceptibles de s’unir sur la nécessité d’une confrontation sans concession avec la classe dirigeante et avec la logique du capitalisme.
Au sein de cette expérience, montrer en pratique la validité de notre démarche et développer les outils (publications, réunions) pour gagner le plus de monde possible aux idées marxistes révolutionnaires.

- Si la LCR, dans sa forme actuelle, est vouée à se transformer dans le projet de Nouveau parti, il est donc indispensable de développer les modalités et les outils qui lui permettra de continuer, dans de nouvelles conditions, le combat indépendant pour une stratégie révolutionnaire.

Plus de marxisme

Car si le regroupement politique d’une direction de combat sera un pas en avant majeur, elle contribuera par ailleurs au développement de la polarisation de la société. Les questions auxquelles vont être confrontés le mouvement dans son ensemble et sa direction en particulier vont devenir de plus en plus difficiles et exiger une plus grande clarté pour mener à bien une stratégie visant à unifier la classe.

La nécessité pour les révolutionnaires de défendre leur vision stratégique de la transformation sociale ne se résume pas à la défense d’un acquis ou d’une tradition donnée. Elle exige d’abord d’être en mesure de le faire au sein du Nouveau parti. Elle exige aussi d’être en mesure d’élever leur capacité de compréhension, d’analyse et d’élaboration stratégique. En d’autres termes, elle exige non pas moins mais plus de marxisme et de marxistes.

Notes

[1Depuis 2001, des taux d’intérêts bas ont encouragé les banques, les fonds de pension et autres institutions financières américaines à s’engager dans des formes de crédit de plus en plus risquées, dont le marché des «  subprimes  », des prêts hypothécaires destinés aux pauvres. Les banques ont tenté de propager les risques pour les minimiser en inventant des instruments financiers complexes leur permettant de vendre leurs prêts à d’autres spéculateurs. Quand la bulle immobilière a explosé, lorsque de nombreux débiteurs se sont avérés insolvables, l’ensemble du système financier s’est retrouvé contaminé, tandis que des millions d’américains perdaient leur maison.

[2Notamment les «  BRIC  » (Brésil, Russie, Inde et Chine).


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  • npa2009.org

    Site web du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA).

  • contretemps.eu

    Revue indépendante d’analyse stratégique anticapitaliste.

  • inprecor

    Actualité politique internationale de la revue Inprecor sous reponsabilité de la Quatrième internationale.

  • isj.org.uk

    International Socialism, Revue mensuelle théorique du Socialist Worker Party.

  • lcr-lagauche.be

    Le site web de la LCR Belge contient de nombreux articles de théorie marxiste très intéressants.

  • marxists.org

    Base de données de référence pour les textes marxistes.

  • npa-formation.org

    Le site de la commission nationale formation du NPA.


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