6 septembre 2009
L’article ci-après est un extrait légèrement résumé d’un texte plus général, la Contribution d’Avanti ! pour engager une discussion avec les camarades de SPEB. Réagissant aux trois premiers articles du numéro zéro de Que Faire ?, celle-ci aborde également les questions de la situation internationale et du rapport de forces entre les classes, de « l’actualité de la révolution », du réformisme et du « mouvement anticapitaliste ». Elle est disponible à la rubrique textes du site http://avanti-lcr.org. Nous remercions vivement le courant SPEB de son invitation à nous exprimer dans sa nouvelle revue, à laquelle nous adressons tous nos vœux de succès.
Nous avons avec les camarades de SPEB un accord très important sur la nécessité de lutter effectivement, ici et maintenant, pour construire une nouvel le force anticapitaliste ; et non de se contenter de rappeler rituellement un tel but, ce qui, de plus, tend dangereuse-ment à transformer une médiation tac-tique vers un parti révolutionnaire de masse en un objectif stratégique « en soi ». Sur la base de cet accord général, une discussion plus précise peut s’engager. Dans leur article Construire une force anticapitaliste, Cédric Piktoroff et Ambre Bragard estiment qu’« une force anticapitaliste aurait pour effet de cristalliser ce processus dans lequel sont impliquées différentes conceptions politiques ». Logiquement avec la conception (défendue par ailleurs dans leur article et dans celui d’Antoine Boulangé) selon laquelle le mouvement large antilibéral serait spontanément anticapitaliste, ils défendent la conception « d’un parti du mouvement » : une formation où « pourront se côtoyer révolutionnaires, militants réformistes rompant avec les partis traditionnels, syndicalistes de base et bureaucrates, intellectuels de gauche, militants des luttes spécifiques et associatives (féministes, faucheurs d’OGM, anti-guerre, antiracistes, organisations musulmanes, etc.) et un très large nombre de gens inorganisés faute de structure adaptée : jeunes, issus de l’immigration, homosexuels ».
Mais voulons-nous réellement nous unir dans un nouveau parti, entres autres, à des « bureaucrates » ? Est-ce souhaitable et serait-ce viable ? Il nous semble en effet que ce parti ne pourrait se constituer qu’en intégrant dès le départ, comme un élément essentiel, les aspirations à la démocratie, à l’autonomie, à l’horizontalité qui s’expriment clairement dans le mouvement social. S’il existe en son sein de fortes réticences envers l’idée même de parti, c’est entre autres raisons parce que de nombreux militants ont connu de ce point de vue de mauvaises expériences, y compris avec l’extrême gauche, et que cela pèse fortement dans la mémoire collective (ce qui affecte aussi les nouvelles générations).
Les camarades Cédric et Ambre donnent quatre exemples internationaux d’une nouvelle force politique : « Respect en Angleterre, le SSP en Ecosse, Rifondazione Comunista ou le nouveau parti en Allemagne » (il y manque l’exemple de parti anticapitalis te le plus récent et le plus dynamique : le PSOL du Brésil). Ces formations représentent des réalités extrêmement diverses, nées de processus constituants également très divers. Les conditions politiques spécifiques à chaque pays (configuration des forces politiques, traditions politiques et culturelles, influence et orientation politique des marxistes des révolutionnaires, etc.) font que toutes les nouvelles constructions de ce type qui surgiront dans d’autres pays seront également différentes ; semblables entre elles pour partie, mais en même temps différentes.
En France comme partout, il faut un projet spécifique, répondant notamment à la question : à qui nous adressons-nous en priorité, avec qui voulons-nous travailler prioritairement dans ce sens ? Contrairement à ce qui à pu se passer en Italie, une scission de gauche substantielle et progressiste dans le PCF (où les opposants « de gauche » sont presque tous des stalino-nostalgiques) est inenvisageable, et ne parlons pas du PS où les travailleurs et les jeunes sont l’exception (contrairement au SPD allemand où il en reste encore un nombre substantiel). Contrairement à l’Angleterre et à l’Ecosse, nous n’avons pas de tradition d’affiliation et d’intervention politiques des syndicats (maudite Charte d’Amiens !). Contrairement aux travailleurs écossais, les travailleurs français n’ont pas besoin de s’émanciper de la couronne d’Angleterre. Et caetera.
Ce qui existe notamment en France, outre une très ancienne tradition d’extrême gauche (le trotskysme fait partie de l’histoire politique de notre pays depuis les années 1930), c’est une couche large de militants radicaux, qui a une certaine stabilité quoique naturellement elle se renouvelle en permanence. nos « partenaires privilégies » pour une nouvelle force politique anticapitaliste sont fondamentalement (mais pas uniquement) ces militants. Ce sont les « animateurs des luttes » en général, et plus particulièrement toute une série d’équipes syndicales radicales CGT, Solidaires et FSU, avec lesquelles nous avons milité au coude à coude en mai-juin 2003 dans l’objectif de la grève générale, que nous avons ensuite retrouvées dans le mouve ment des collectifs de défense de la Sécu, et que nous retrouvons encore dans les collectifs pour le Non de gauche. Imaginer les convaincre en les invitant à côtoyer des bureaucrates nous parait utopique - en plus de non nécessaire.
Que nous retrouvions certains bureau crates dans un futur parti anticapitaliste large est une forte probabilité. Mais tout autre chose serait de le considérer comme l’un de nos objectifs. à l’inverse, une condition pour avancer nous semble être d’affirmer et de lutter pour que le nouveau parti à construire soit « sans patrons ni bureaucrates ».
Les bases politiques de la nouvelle force que nous projetons ne nous sont pas non plus indifférentes. Une chose sera le résultat final du processus, qui ne dépendra pas que de nous. D’autres forces organisées, notamment (semi) réformistes et (semi) bureaucratiques, interviendront et d’ailleurs elles le font déjà (voir, entre autres, l’initiative à l’automne dernier de « l’Alternative Citoyenne »). Mais nous, nous luttons pour quoi - ici et maintenant ?
« Une nouvelle force politique constituerait objectivement une structure à mi-chemin entre les liens possibles avec les institutions et le mouvement », écrivent encore les camarades. Ils semblent ici se référer à l’expérience du Parti de la refondation communiste (PRC) en Italie, qui à « un pied dans le mouvement et l’autre pied dans les institutions » - non seulement pour les utiliser au servi ce de la lutte, mais aussi en perpétuant une politique de collaboration de classe. Ce numéro zéro de Que Faire ? met d’ailleurs en exergue, dans sa présentation, une citation de Fausto Bertinotti extraite de la revue de la IVe Internationale, Inprecor.
Or justement, l’expérience concrète actuelle montre bien les limites politiques de ce type de parti (moyennement) « anticapitaliste ». Nous nous référons ici à ce qu’lnprecor, plus récemment que dans le numéro cité par Que Faire ?, à appelé « le tournant de Bertinotti ». C’est-a-dire l’orientation de sa fraction réformiste et bureaucratique post-stalinienne consistant à participer à un futur gouvernement social-libéral en cas de victoire de Prodi et de la coalition de l’Olivier dans les élections du printemps 2006. Ce tournant à d’ailleurs eu pour résultat de rejeter dans l’opposition interne nos camarades organisés dans l’Association Bandiera Rossa.
L’exemple allemand de l’Alternative électorale pour l’emploi et la justice sociale (WAsG), qui s’est donnée l’ob jectif d’avancer vers la constitution d’un nouveau parti, représente encore autre chose. L’article de Manuel Kellner dans le numéro d’Inprecor de janvier-février 2005 montre clairement qu’il ne s’agit pas d’un regroupement anticapitaliste, mais d’une formation ou des anticapitalistes et des révolutionnaires cohabitent, en minorité, avec des courants antilibéraux keynésiens non anticapitalistes (et souvent bureaucratiques). Citons-en juste deux extraits : « Nous avons plaidé (et nous continuons à le faire) pour une pluralité des opinions et des courants dans le nouveau parti et surtout contre la marginalisation ou l’exclusion des élé-ments anticapitalistes (...) Vu le profil politique actuel si modéré de la WAsG, on peut se demander pourquoi des forces de la gauche anticapitaliste y militent... »
Compte tenu de la spécificité du mouvement ouvrier allemand et, dans ce cadre, de la faiblesse historique des organisations marxistes révolutionnaires, soit tout le contraire de la situation en France, en Grande-Bretagne ou au Brésil, cette expérience peut avoir ou acquérir un caractère progressiste et il est donc juste d’y participer. Il reste qu’il serait très dangereux de se faire des illusions en mélangeant tout sous le vocable - dans ce cas clairement inadéquat - « anticapitaliste ». Et plus dangereux encore d’en faire un « modèle », entre autres quant à la participation de bureaucrates.
Qui dirige et sur quelle ligne n’est pas indifférent. Il vaut mieux une situation de type écossais, anglais ou brésilien, dans laquelle les marxistes révolu tionnaires aient la capacité de préserver l’indépendance de classe du nouveau parti large. Mais qu’advienne l’un ou l’autre - surtout dans notre pays compte tenu de la place politique de la LCR - n’est pas une fatalité ; c’est aussi le résultat d’une orientation, d’un combat politique ; cela se prépare, dès à présent.
Qui dit parti dit programme, donc délimitations programmatiques, et dans ce cadre projet de société, de gouvernement, de pouvoir. Si la nouvelle force n’avait pas cette caractéristique, ce ne serait pas un parti ou mouvement politique, mais un front ou mouvement pour la lutte, et/ou une coalition électorale aux objectifs limites. Nous sommes d’accord avec Cédric et Ambre quant au fait que « si elle veut pouvoir rassembler largement, une tel le force impliquerait nécessairement de laisser ouverte la question de réforme ou révolution ». A tout le moins, le nouveau parti ne pourra pas avoir un programme « révolutionnaire complet » à l’instar de celui des organisations trotskystes. Sinon, il lui serait impossible de rassembler des milliers et dizaines de milliers de travailleurs et de jeunes voulant combattre le capitalisme mais conservant à divers niveaux des illusions réformistes. Il reste qu’il devra avoir des délimitations programmatiques et politiques. Or aucun article de cette première édition de Que Faire ? n’en parle.
Sans préjudice d’autres définitions essentielles (notamment l’indispensable « triptyque » internationaliste - féministe - écologiste, ainsi qu’un caractère profondément démocratique), trois points nous semblent incontournables.
1) Ce nouveau parti ou mouvement politique devra se réclamer du socialisme, c’est-à-dire l’objectif d’une société débarrassée du pouvoir oppressif du Capital, de l’exploitation de l’homme par l’homme, fondée sur l’appropriation collective des grands moyens de produc tion, d’échange et de distribution, sur la socialisation du Travail et des fruits du Travail.
Sans cette délimitation programmatique, le nouveau parti n’aurait pas de cohérence et son avenir immédiat serait grandement incertain - à supposer même qu’un tel hybride ait, dans notre pays où existe une forte tradition trotskyste, un caractère minimalement progressiste. Pour être réellement « anticapitaliste » et pas seulement « antilibéral », il faut disposer d’un projet même général, d’une boussole indiquant à grands traits le type de société que l’on veut instaurer après avoir renversé le capitalisme. Quant à une formation qui ne prétendrait pas aboutir au renversement du capitalisme (tout autre de chose était de laisser ouverte la question des moyens pour y parvenir), elle ne serait évidemment pas « anticapitaliste » et n’en mériterait pas le nom (comme dans l’exemple donné précédemment de la WAsG allemande).
En prenant un exemple actuel, nous ne pourrions pas construire un nouveau parti en commun avec des personnes ou courants qui, dans le cadre de la cam pagne unitaire pour un Non de gauche au référendum sur le traité constitutionnel, défendent une Union européenne capitaliste et impérialiste réformée, réorientée dans un sens « antilibéral ».
Après avoir signalé à juste titre que la délimitation « réforme ou révolution » doit rester ouverte, Cédric Piktoroff et Ambre Bragard signalent cependant : « Il est donc crucial que les révolutionnaires se lient à des milliers d’autres personnes dans une expérience de construction commune afin d’être en mesure de dégager et tenter de gagner les arguments dont à besoin le mouve ment pour continuer d’avancer. De cette manière la perspective du socialisme clairement revendiquée par ces militants pourra trouver un écho au sein de couches toujours plus larges de travailleurs auprès desquels la théorie marxiste pourra apparaître comme la mieux adaptée au besoin d’alternative. »
Mais être révolutionnaire n’est pas équivalent à être pour le socialisme. On peut être pour le socialisme par la voie de la révolution ou par celle de la réfor me. Et être révolutionnaire ou pour le socialisme ne signifie pas non plus soutenir nécessairement « la théorie marxiste ». Les anarchistes - notamment – sont des socialistes non marxistes. Un grand nombre d’entre eux sont des révolutionnaires. Être révolutionnaire, c’est principalement comprendre que pour que les travailleurs s’emparent du pouvoir ils doivent détruire l’État bourgeois, que celui-ci n’est pas réformable - et agir en conséquence. Il y a des marxistes réformistes, des socialistes et/ou des révolutionnaires non marxistes... Un nouveau parti comprendra dans ses rangs de très nombreux travailleurs qui ne seront (du moins au départ, à nous ensuite de les convaincre) ni marxistes ni révolutionnaires. Notre tendance au sein de ce parti sera quant à elle marxiste, socialiste et révolutionnaire.
2) Une seconde délimitation essentielle devra être l’accord quant au fait que l’intervention du nouveau parti soit centrée sur la lutte de classe, que sa priorité soit l’organisation et les luttes des travailleurs et des secteurs opprimés, non la présence dans les institutions, que l’utilisation du parlement bourgeois (et d’autres assemblées électives dans le système institutionnel bourgeois) soit clairement subordonnée aux besoins des luttes et de l’organisation de celles et ceux que nous représentons.
3) L’indépendance de classe est logiquement un autre élément fondamental. Elle implique notamment l’impossibilité de participer à un gouvernement bour geois quel qu’il soit (contrairement au triste exemple de la DS brésilienne) et le fait qu’à l’inverse, le nouveau parti anti-capitaliste lutte pour un gouvernement des travailleurs, de rupture avec la bourgeoisie, s’attaquant au pouvoir et à la logique du Capital.
Site web du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA).
Revue indépendante d’analyse stratégique anticapitaliste.
Actualité politique internationale de la revue Inprecor sous reponsabilité de la Quatrième internationale.
International Socialism, Revue mensuelle théorique du Socialist Worker Party.
Le site web de la LCR Belge contient de nombreux articles de théorie marxiste très intéressants.
Base de données de référence pour les textes marxistes.
Le site de la commission nationale formation du NPA.