Anticapitalisme, réformisme et révolution

par Antoine Boulangé

5 septembre 2009

Les manifestations de Seattle en novembre 1999 contre l’OMC (organisation mondiale du commerce) ont été un véritable tournant puisqu’elles ont remis a l’ordre du jour un mot que beaucoup croyaient enterré : anticapitalisme. Moins de 5 ans plus tard, 500 000 personnes ont manifesté à New York contre Bush, contre sa guerre en Irak et sa politique raciste et antisociale…

Les 60 000 manifestants de Seattle ont déclenché une véritable boule de neige d’un mouvement qui n’a cessé de s’amplifier et qui vient encore de démontrer sa vitalité avec le Forum social européen de Londres. Personne n’aurait imaginé un tel mouvement planétaire il y a quelques années. Le mouvement anticapitaliste s’est développé combiné à un incroyable renouveau des luttes sociales. L’année 2003 en France en est une illustration évidente. Il y a eu 30 millions de journées de grèves, soit 5 fois plus que l’année 1995 et 100 000 manifestants contre le G8 en juin 2003, 300 000 au Larzac en août et 100 000 en novembre au FSE de Paris…

Il faut y ajouter le développement du mouvement du mouvement international contre la guerre avec la manifestation mondiale du 15 février 2003 qui a rassemblé environ 20 millions de participants. En effet, c’est le même système qui développe une exploitation impitoyable des travailleurs et colonise la planète pour assurer l’hégémonie des grandes puissances et des multinationales.

Qu’est ce que l’anticapitalisme ?

Alors que tous les mouvements depuis le milieu des années 1970, après l’échec de la vague internationale de 68, étaient limités à des questions spécifiques (syndicales, antifascisme, antiracisme, écologie…), "l’opposition au néolibéralisme tend à unifier différentes luttes particulières, en un défi composite, à quelque chose que les gens commencent à voir comme un système unique. Seattle était important parce que c’était le point culminant de cette tendance, le point où les mouvements divers commencèrent à n’en former qu’un, où de l’addition quantitative a surgi quelque chose de qualitativement nouveau" (Chris Harman - Anticapitalisme théorie et pratique - juin 2000 - publications L’Etincelle).

Une caractéristique importante de ce mouvement est la dynamique de convergence des luttes, en opposition à la tendance à la fragmentation dans les années 1980 jusqu’en 1995. Lutter avec comme base ‘le monde n’est pas une marchandise’ et ‘un autre monde est possible’ constitue une rupture essentielle avec les luttes précédentes. Unifier les différentes luttes sectorielles et s’attaquer au cœur du système, que Marx appelait le ‘fétichisme de la marchandise’ mène à une critique et une lutte globale contre le capitalisme. L’idéologie dominante connaît une crise profonde, le pronostic de l’idéologue américain Francis Fukuyama s’est avéré totalement faux, la ‘fin de l’histoire’ annoncée lors de la chute du mur de Berlin n’a pas eu lieu. Au contraire, les années 1990 ont vu naître un mouvement inédit, une critique globale.

Il se caractérise par une dynamique de lutte de masses, lors des contre manifestations ou les contre sommets, et des liens forts avec les luttes de travailleurs et les grèves, comme en France, en Italie et maintenant aux USA… L’alliance de Seattle avec la classe ouvrière, symbolisée par l’unité des jeunes écologistes, les ‘Turtle kids’ et les syndicalistes des ‘Teamsters’ (camionneurs) n’était pas fortuite mais est bien un des éléments clé de ce mouvement.

Ses racines

Il puise son enracinement dans la durée de la crise du capitalisme : la crise économique profonde et la polarisation politique se combinent avec une crise de direction politique à gauche. Aucune direction politique traditionnelle ne s’est imposée comme un débouché évident pour s’organiser et lutter. Le mouvement ouvrier, aussi bien social-démocrate que stalinien connaît une crise profonde. La seule perspective de la gauche social-démocrate demeure une gestion plus ‘humaine’ du système alors que celui-ci traverse une crise profonde, mondiale. La gauche traditionnelle a perdu l’hégémonie sur les mouvements de contestation, la méfiance vis-à-vis des formes traditionnelles d’organisation a aussi augmenté. Ce sentiment s’était exprimé en France avec le vote du 21 avril 2002 où l’on a vu le vote pour les partis traditionnels encore s’affaiblir, mais avec aussi un fort vote pour la gauche radicale (3 millions de voix pour Arlette Laguiller et Olivier Besancenot).

Cette crise a laissé un espace pour de nouvelles formes de contestation. C’est l’expression d’une confiance qui commence à renaître chez les opprimés et les exploités mais qui porte aussi les stigmates des défaites passées, en particulier une grande méfiance des organisations politiques. La naissance d’ATTAC le reflète bien. De nombreux militants qui ont créé les comités locaux d’ATTAC et rassemblé en 3 ans 30 000 personnes ne voulaient pas au départ avoir à faire aux partis politiques de gauche. Comment croire en Jospin quand en avril 1997 il manifeste à Bruxelles contre la fermeture de l’usine Renault Vilvorde, puis en juin, tout juste élu, accepte le plan de plus de 2000 suppressions d’emplois ?

Il y avait en même temps le sentiment que ATTAC est un mouvement qui fait de la politique. ATTAC a ainsi permis de regrouper des milliers de syndicalistes, d’activistes… pour débattre et agir dans un cadre commun pour ‘un autre monde’. Le mouvement altermondialiste, le mouvement planétaire contre la guerre ont ainsi remis à l’ordre du jour pour des millions de personnes la nécessité d’une perspective globale, offensive, antisystémique, anticapitaliste. Le mouvement s’est élargi, les débats se sont approfondis, comme l’ont montré les derniers Forums sociaux à Mumbai et Londres.

Un mouvement inédit

Le développement du mouvement pose les questions d’une manière nouvelle, différente du passé. La rupture avec les décennies précédentes est que c’est le succès même du mouvement qui le pousse à aller plus loin, rechercher des perspectives plus radicales. Des dizaines de millions de personnes ont repris espoir, ce n’est plus le fatalisme et la résignation qui dominent, comme le résume bien l’ambitieux slogan ‘Un autre monde est possible’. Aujourd’hui, en France, la majorité des politiques prétend le partager, même Chirac veut faire croire qu’il est pour le ‘commerce équitable’, pour la paix…

Ce succès du mouvement implique d’aller plus loin pour clarifier les stratégies. En effet, si tous nous voulons aller vers un autre monde, comment y arriver ? Les institutions sont-elles un outil ou un obstacle ? Par exemple, la CES (confédération européenne des syndicats) a soutenu le dernier forum social européen, en même temps, elle appelle à soutenir la constitution européenne, elle soutient la perspective d’une Europe forte économiquement et militairement. Le développement du mouvement est une dynamique qui pour l’instant n’est pas contradictoire avec le fait que les débats stratégiques ne soient pas tranchés sur comment radicalement changer le système. Les formes d’organisations du mouvement lui-même ne sont pas ‘classiques’. Le mouvement est très hétérogène, le sentiment anticapitaliste est largement répandu mais les noyaux organisateurs du mouvement sont souvent beaucoup plus petits, il y a de nombreux canaux d’organisation, très dispersés, des réseaux, souvent en dehors des partis ou syndicats de gauche.

Cette dynamique renverse complètement la manière de poser les débats. Vouloir changer le monde n’est plus abstrait. Arrêter la guerre en Irak pose le même type de question. Alors que l’Irak résiste, que le Moyen-orient peut s’embraser, que la colère commence à monter dans l’armée américaine… faut-il il soutenir la lutte armée des irakiens ou soutenir Chirac à l’ONU, fallait-il voter Kerry et soutenir le ‘Tout sauf Bush’ ? Pour tenter de répondre à toutes ces questions, le débat idéologique et politique s’est intensifié.

Un mouvement en évolution

En 5 ans, ce mouvement a été soumis à des tests importants, et s’est profondément transformé. Il est d’une part confronté à une répression grandissante. Les peines de prison pour José Bové ou la répression des faucheurs d’OGM sont des avertissements. Les mobilisations de masses altermondialistes poussent à la confrontation avec le système et celui-ci y répond avec ses moyens : la violence d’Etat. Gênes et l’assassinat de Carlo Giuliani l’ont montré.

Le 20 juillet 2001 fut un test crucial pour le mouvement et il fut surmonté grâce à l’intervention de dirigeants d’organisations de masse. Cet assassinat voulait nous empêcher de manifester. Au contraire, le dirigeant de Rifondazione Comunista, Fausto Bertinotti et Vittorio Agnoletto, porte-parole du Forum social de Gênes, refusèrent ce chantage et appelèrent les travailleurs italiens à venir en masse à Gênes manifester le lendemain. Grâce aux syndicats, des trains, des bus furent affrétés dans la nuit et le lendemain 300 000 personnes manifestaient et délégitimaient la réunion du G8.

Par son développement, le mouvement anticapitaliste se retrouvait confronté à une question politique clé : quelle attitude adopter vis-à-vis de l’Etat ? Céder au chantage de la répression et renoncer aux manifestations ? La réussite de la manifestation du lendemain n’était pas mécanique, programmée d’avance. La direction d’ATTAC-France a argumenté dans le sens de ne pas manifester. Susan George a ainsi écrit que les mobilisations de Gênes étaient une défaite, qu’elle était au bord du désespoir et que manifester était devenu inutile (Charlie Hebdo - 25/07/2001). En réalité, les manifestations de Gênes, malgré l’assassinat de Carlo Giuliani et la répression, ont été une victoire pour le mouvement. Cela mettait directement en évidence, pour des centaines de milliers d’activistes, que l’Etat n’était pas neutre, qu’il se servait des forces de répression pour protéger le système. Grâce à l’intervention de forces politiques organisées, le mouvement global franchit le test de Gênes. Gênes fut suivi rapidement par un nouveau choc : le 11 septembre 2001. Au sein du mouvement, on vit alors les premières divisions.

Anticapitalisme et antiguerre

La guerre sans limite de Bush a été une étape importante du mouvement anticapitaliste. Peu après le 11 septembre 2001, des membres de la classe dirigeante américaine déclaraient : "le mouvement de Seattle et de Porto Alegre est mort". Une grande partie des organisateurs d’une manifestation prévue de longue date à Washington contre le FMI le 30 septembre 2001 se retirèrent au prétexte que dans cette nouvelle situation, face à la menace terroriste, il ne fallait pas provoquer et déstabiliser le gouvernement. Seules 10 000 personnes manifestèrent à Washington ce jour là contre la guerre en Afghanistan.

La réponse du mouvement italien fut extraordinaire : dès octobre 2001, 400 000 personnes manifestaient de Pérouse à Assise, à l’appel conjoint des chrétiens pacifistes et de Rifondazione Comunista. Il y eut une forte imbrication entre le mouvement anticapitaliste et le mouvement antiguerre, mobilisés contre ce que les Italiens intitulèrent ‘la guerre globale’. Le Forum social européen de Florence (novembre 2002) le révéla au monde : un million de personnes manifestèrent contre la guerre en Irak qui devenait imminente, à l’appel de la CGIL (principal syndicat italien), les Disobbidienti et Rifondazione Comunista. Le mouvement italien rassemble des millions de personnes : 3 millions le 15 février 2003 à Rome, 2 millions le 4 juin 2004 lors de la venue de Bush à Rome… En mars 2003, des dizaines de milliers d’activistes, des Disobbidienti s’unirent avec les syndicalistes pour bloquer les convois militaires… Le 15 février fut possible internationalement grâce à la préexistence du mouvement anticapitaliste et donna naissance au plus grand mouvement antiguerre de toute l’histoire. A Londres, le mouvement rassembla 2 millions de personnes dans la rue, alors que les précédentes mobilisations anticapitalistes n’avaient mobilisé qu’une petite minorité. Le mouvement global s’amplifia par le mouvement antiguerre.

Débats stratégiques

Cela ne se fit pas spontanément. Les principaux dirigeants d’ATTAC s’y opposèrent. Bernard Cassen critiqua très violemment le FSE, dénonçant la main-mise des radicaux : "nous avons découvert que toutes les affiches pour la marche ne parlaient que de la guerre sans faire allusion à l’Europe. Je ne peux pas dire que j’aie été entièrement surpris. Mais si le Forum s’était tenu en France, cela ne se serait pas passé ainsi. La guerre aurait été à l’ordre du jour mais n’aurait pas été une obsession". Cassen justifiait sa position en refusant de relier "néo-libéralisme" et impérialisme : "Que la guerre éclate ou non, les B52 et les Forces spéciales ne changeront rien à la pauvreté ou à la faim au Brésil ou en Argentine" (références sur www.alencontre.org). En fait il ne saisissait pas la dynamique réelle du mouvement qui se radicalisait et s’élargissait simultanément.

En effet, le mouvement ne se limitait plus à un antilibéralisme modéré mais commencait à développer une perspective plus clairement anticapitaliste et anti-impérialiste. Comme le soulignait Rahul Patel, un des représentant des syndicats britannique au FSE, membre de Respect-the unity coalition : "On comprend que le néolibéralisme marche main dans la main avec la guerre. C’est ce message qui a été adressé durement à Blair" (Rouge octobre 2004). Ce débat s’est encore approfondi lors du FSE de Londres. Depuis la guerre en Irak, les dirigeants d’ATTAC soutiennent l’idée "d’Europe puissance", qui pourrait affaiblir l’hégémonie américaine. Pratiquement, ATTAC a refusé de participer à la manifestation contre la venue de Bush à Paris le 5 juin, qui a rassemblé 30 000 personnes. La rapidité et la fluidité de l’évolution de ce mouvement à l’échelle internationale est surprenante. Mais des organisations nées de ce mouvement peuvent aussi reculer, comme le montre l’évolution d’ATTAC France qui depuis des mois a quasiment déserté la rue. Comme l’écrit Chris Harman dans son dernier article "Anticapitalisme, 5 ans après Seattle : spontanéité, stratégie et politique" : «  la croissance très importante du mouvement a soulevé des nouveaux problèmes, et fait résurger de très vieux arguments sur la stratégie » ( International Socialist n° 104 - octobre 2004).

Antilibéralisme ou anticapitalisme ?

« Ce faisant, ce [mouvement] commence aussi à poser d’importantes questions, dont doivent débattre ceux qui ont joué un rôle si important dans la construction du nouveau mouvement. Ces questions concernent les alternatives qui doivent être proposées, les forces qui peuvent leur permettre de triompher, les tactiques de mobilisation nécessaires et, sous-tendant ces interrogations, la relation du néolibéralisme et de la mondialisation au système dans son ensemble » (C. Harman).

La question de l’antilibéralisme est importante. L’idée dominante dans ATTAC et dans de larges franges du mouvement social et syndical en France est que la mondialisation mène à la disparition des Etats. Cette critique s’appuie sur la casse depuis plus de 20 ans de l’Etat social. Cette analyse ignore une grande partie de la réalité : si l’Etat se retire de certains secteurs, c’est pour se redéployer dans d’autres : Etat pénal, Etat militaire et aussi économique (ex : renationalisation partielle d’Alstom, guerre Europe-USA sur la banane, l’acier, l’aéronautique, l’agriculture…).

Cela rejoint les analyses des socialistes allemands du début du 20e siècle Bernstein et Kautsky qui cautionnèrent l’entrée en guerre de l’Allemagne en 1914. Cette analyse mène ATTAC a soutenir l’idée qu’un monde multipolaire est préférable à un monde unipolaire dominé par les USA. Ainsi Nikonoff et Cassen, dirigeants d’ATTAC, ont soutenu Chirac contre Bush et défendu l’idée qu’il faut soutenir l’euro contre le dollar. Cela ne mène qu’à défendre un nationalisme français ou européen et à capituler contre la logique qui vise à construire une Europe puissance contre les USA. Cela rejoint l’idée réformiste selon laquelle l’Etat est un instrument au dessus des classes sociales et qui pourrait être utilisé dans le sens de nos intérêts. Soutenir l’idée que l’Europe ou l’ONU pourraient être des alternatives à l’hégémonie US amène ATTAC à renoncer à construire le mouvement antiguerre en France.

Le développement des luttes démontre que l’on doit développer de nouvelles organisations, massives pour construire une stratégie globale pour répondre aux confrontations majeures qu’il s’agit de mener contre la classe dirigeante. L’analyse de Sophie Béroud à propos de l’échec du mouvement de grève de mai-juin 2003 est éclairante : « Un mouvement social sans organisation de masse pour propager largement ses revendications et ses arguments, pour intervenir dans le débat public, pour rendre explicite les intérêts communs des différentes sections des travailleurs en cols-blancs, s’est trouvé lui-même incapable d’affronter la stratégie de division de ses adversaires ».

Quelle stratégie pour le mouvement ?

Un des acquis majeur du mouvement anticapitaliste est d’avoir commencé à construire une contestation à une échelle de masse. Mais ce mouvement est confronté à des test cruciaux et les révolutionnaires doivent se battre en son sein pour qu’il prenne des orientations conséquentes. C’est un espoir et un formidable défi pour les révolutionnaires. Il est la clé pour reconstruire une nouvelle gauche mais pour cela il faut résoudre plusieurs questions clé. Le mouvement est loin d’avoir épuisé sa dynamique, comme le montre les derniers événements du mouvement : Mumbai, New York et le FSE. La multiplication des tests et des tournants montre que les révolutionnaires peuvent clairement jouer un rôle positif dans l’évolution de celui-ci. Leur influence peut contester celle des idées réformistes, qui sont toujours fortes dans le mouvement.
La première tâche des révolutionnaires est d’enraciner, de développer ce mouvement à une échelle de masse et surtout de développer les liens et l’implication de la classe ouvrière.

« Les travailleurs ont un pouvoir de remettre en cause le système que les manifestations de rue n’ont pas. Ils sont concentrés dans les lieux de travail et des zones urbaines sur une base permanente. Et c’est leur travail qui produit la valeur et la plus-value qui nourrissent la marche du système. S’ils n’exercent pas ce pouvoir, c’est par manque de confiance et de conscience de leur force. Les militants anticapitalistes sérieux doivent passer des simples manifestations contre le système à la recherche des moyens de mettre en œuvre cette puissance. Comme le disait la révolutionnaire germano-polonaise Rosa Luxemburg en janvier 1919, juste avant d’être assassinée : ‘C’est là où les chaînes du capitalismes sont forgées qu’elles doivent être brisées’ » (Chris Harman).

Anticapitalisme et antiimpérialisme

La période que nous traversons est totalement inédite. L’histoire s’accélère, on assiste à des soulèvements révolutionnaires en Asie, en Amérique latine. De plus, même si le mouvement a connu des échecs comme le déclenchement de la guerre en Irak ou le mouvement de grève de mai-juin 2003 sur les retraites, il n’a pas jusqu’à présent connu de défaites comparables à celles des années 1980. Il continue à se développer mais il y a aussi un combat politique sur l’analyse et les tâches pour le mouvement.

Le mouvement ne peut plus progresser en gardant ses bases initiales, simplement antilibérales. Comme le souligne Walden Bello : « La globalisation et le libéralisme sont en crise. Nous faisons face à une violente compétition intercapitaliste et nous allons vers une période ‘mercantile’, protectionniste et militariste… On est au point crucial du mouvement global de résistance… Le rôle des partis progressistes est de trouver comment, tous ensemble, unir le désespoir du tiers monde et la colère au Nord, pour être capable de créer une véritable alternative politique qui permette, malgré la diversité, d’aller dans la même direction afin de miner le capitalisme global et l’impérialisme » (Rouge septembre 2004). En fait, loin d’avoir affaibli ou détourné le mouvement, la mobilisation antiguerre lui a donné un souffle nouveau, l’a élargi géographiquement et quantitativement. Prétendre, comme l’a fait Nikonoff au FSE, que le mouvement antiguerre est une ‘diversion’ des questions sociales amène à ne plus construire les luttes contre la guerre. Soutenir la dynamique vers une Europe puissance, revient, comme l’explique Claude Serfati, à soutenir “l’alterimpérialisme européen” (impérialisme et militarisme : actualité du XXIe siècle).

Nouveaux partis

Walden Bello souligne une question posée de plus en plus par le mouvement : il faut une alternative politique organisée. Les révolutionnaires, trop petits, trop isolés, ne peuvent être directement, à une échelle de masse, cette alternative. Ils peuvent et doivent par contre jouer un rôle important pour commencer à rassembler politiquement, bien au-delà de leurs propres forces, tous ceux qui veulent aller plus loin, construire une nouvelle force anticapitaliste, regroupant en France des dizaines de milliers d’activistes. On constate tous les jours que les différentes luttes sont liées, qu’il faut les faire converger, c’est pour cela qu’il faut une alternative politique globale. La méfiance initiale vis à vis des partis politiques n’empêche pas les partis réformistes d’intervenir et d’orienter le mouvement afin de le canaliser vers des stratégies d’intégration aux structures du système. La vraie question est plutôt de consciemment débattre et construire une force politique nouvelle, alternative qui permette de contester réellement le réformisme. En France, la responsabilité en incombe à la LCR ; en Angleterre, avec Respect, les révolutionnaires ont commencé à rassembler bien plus largement que leur seul milieu : des syndicalistes, des associations musulmanes, des activistes altermondialistes et antiguerre.

Une force anticapitaliste de masse se construira en commençant à rassembler les différents mouvement de lutte. Dans tous les mouvements il y a des activistes convaincus de la nécessité d’une perspective globale, voulant contester la voie réformiste, partielle. Le programme ne pourra pas être définitif. C’est en luttant collectivement que nous serons confrontés aux débats sur quelle société à la place du capitalisme, quelle force peut la changer, faut-il prendre le pouvoir. Les débats que pourront mener les quelques milliers de révolutionnaires se feront sur la base de tests communs, de luttes.

Le mouvement a besoin d’une direction politique claire « Dans les moments cruciaux de tournants historiques, la direction politique peut devenir un facteur aussi décisif que l’est celui du commandant en chef aux moments critiques de la guerre » (Léon Trotsky). Dans les confrontations à venir, les révolutionnaires pourront, s’ils s’en donnent les moyens, lutter avec des dizaines de milliers de personnes. Nous devrons défendre une orientation pratique globale de confrontation avec le système et de l’Etat. Mais cela sera aussi une opportunité pour les révolutionnaires. Le mouvement est aussi un formidable éducateur pour toute une nouvelle génération de militants, avec qui les révolutionnaires doivent engager un dialogue constructif. Ainsi les révolutionnaires peuvent contribuer à faire émerger une direction politique de combat pour le mouvement altermondialiste et antiguerre.


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