Le PS est-il toujours un parti réformiste ?

par Cédric Bottero

5 septembre 2009

« Le réformisme n’est pas l’abandon de la transformation sociale, n’est pas le renoncement à la construction d’une société alternative à la société capitaliste, défini comme étant une société socialiste. Le réformisme maintient cette perspective, ne se rallie nullement à un capitalisme tempéré ou à une gestion sociale de l’ordre existant. Ce en quoi il diffère de la perspective révolutionnaire, c’est sur la manière dont il pense possible de parvenir à une société socialiste : le réformisme pense qu’il est possible d’y arriver par la voie de l’accumulation des réformes, par petites touches successives, sans affrontement central violent avec la bourgeoisie et avec son Etat. » Jacques Kergoat, L’histoire du parti socialiste.

Il est clair que si l’on s’en tient à cette seule définition, il ne serait aujourd’hui, et depuis bien longtemps, plus possible de définir le PS comme un parti réformiste. Le point de départ pour définir un parti réformiste est à rechercher au moins autant dans ses liens avec la classe ouvrière que dans son programme ou ses prises de position qui, pour le PS en tout cas, vacillent en fonction des situations, de ’à gauche toute’ à ’à droite toute’.

Retour sur l’histoire

Le PS, créé en 1905 sous le nom de SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière) est donc directement lié au mouvement ouvrier. Le congrès d’unification du 23 avril 1905 approuve un texte qui précise que le Parti socialiste « n’est pas un parti de réforme, mais un parti de lutte de classe et de révolution ». Les premières années sont marquées par le fait que révolutionnaires et réformistes sont au sein d’un même parti, ces derniers étant au départ minoritaires. Mais, dès 1920, le congrès de Tours marque la rupture entre réformistes et révolutionnaires, qui fondent le Parti communiste. La SFIO est désormais un parti ouvertement réformiste.

En 1926, Léon Blum, expliquait la distinction entre la conquête du pouvoir et l’exercice du pouvoir. La conquête du pouvoir, explique Blum, est un acte révolutionnaire : c’est la prise du pouvoir politique comme condition de transformation du régime de la propriété. L’exercice du pouvoir, lui découle de l’acceptation des règles du jeu de la démocratie parlementaire, de l’alternance : il doit alors se situer loyalement dans le cadre des institutions et du régime capitaliste. C’est cette deuxième option que choisit Blum.

Le PS est donc, très tôt, un parti lié aux institutions. Ainsi, au début des années 20, la SFIO a quatre fois moins de membres que le PCF mais quatre fois plus d’élus. En mai 1932, au congrès de Huygens, la SFIO adopte officiellement le principe de la participation ministérielle. D’une façon certes un peu rapide on peut dire que la boucle est bouclée sur les orientations du PS lorsque, le 13 décembre 1991, au congrès de l’Arche de la Défense, les principaux courants du PS adoptent ensemble un texte qui émane principalement de Michel Charzat, et qui se conclut par «  le capitalisme borne désormais notre horizon historique ».

L’histoire du PS est liée, de façon croissante, aux institutions, aux débats parlementaires, électoraux…et marquée aussi par une distanciation de plus en plus nette avec la classe ouvrière, qu’il a trahi un grand nombre de fois. En 1937, par exemple, face à un patronat qui pratique la grève des investissements, Blum fait de nombreuses concessions et, le 13 mai, décrète officiellement la pause des réformes. Le 16 mars 1937, le ministre socialiste de l’Intérieur, Marx Dormoy, refuse d’interdire un meeting fasciste à Clichy et sa police charge la contre-manifestation appelée par le comité local de Front populaire. Bilan : 5 morts et 300 blessés. Fin octobre 1947, une vague de grèves se déclenche. Le ministre socialiste de l’Intérieur, Jules Moch, réprime : 1 228 militants devant les tribunaux. En 1981, avec l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République, c’est l’espoir qui renaît puisque le PS est, à ce moment, très radical et les fameuses 110 propositions remettent en cause le système (nationalisations, augmentations des revenus sociaux et des salaires…), mais quelques mois plus tard c’est le tournant vers l’austérité et l’acceptation de l’économie de marché. Plus récemment, le 6 octobre 1988, c’est Michel Rocard, Premier ministre, qui accueille la manifestation des infirmières avec des canons à eau.

Un parti de gestion du système

« Le parti socialiste […] s’est progressivement vidé de son contenu social, politique, idéologique. Il est devenu une formation représentant les couches privilégiées du salariat, des cadres supérieurs et professions libérales, dirigé, pour l’essentiel, par des hauts fonctionnaires formés à l’ENA, les institutions européennes, ou à la direction de grands groupes industriels et financiers. Sur les 21 dernières années, la gauche a gouverné 15 ans : ses structures dirigeantes se sont calquées sur celles de l’Etat, des groupes de communications » [1] et sont marquées par « un certain décrochage avec les classes populaires et par une intégration croissante de ses appareils dans les sommets de l’Etat et dans les conseils d’administration privés des grandes entreprises industrielles et financières. » [2]

On peut prendre l’exemple de Martine Aubry décrivant Francis Mer (ex-PDG dans le secteur de l’industrie, qui a licencié par dizaines de milliers) comme un patron de gauche, un ami, ou encore celui de Strauss-Kahn qui a crée avec le même Francis Mer et Philippe Herzog (PCF) le « Cercle de l’industrie ». [3]

Dans la même logique, Lionel Jospin déclarait au printemps 1999 : «  Pendant longtemps on a défini le socialisme par l’appropriation collective des moyens de production : cela n’a plus le même sens aujourd’hui. Ainsi, notre politique industrielle a dépassé la question de la nature de la propriété des moyens de production […] ce qui compte, pour moi, en l’occurrence, se sont les fins de la politique industrielle que nous conduisons : l’emploi, la croissance, la puissance économique et industrielle de nos entreprises, la place de la France. Si défendre ces objectifs nécessite d’ouvrir le capital d’une entreprise publique, voire de la privatiser, nous y consentons. » [4]

Face aux dégâts croissants du libéralisme ces dernières années et face à un PS qui a désormais une longue et forte expérience du pouvoir, nous sommes confrontés à ce que l’on peut appeler un réformisme sans réformes ou un réformisme social-libéral. La composition même du PS traduit son orientation. En effet, en 1999, le PS revendiquait 150 000 adhérents dont moins de 5 % d’ouvriers, 11 % d’employés, 20 % d’enseignants du secondaire et d’instituteurs. Seulement 5,63 % des adhérents on moins de 30 ans et l’âge moyen est de 55 ans [5]. De plus, un adhérent sur deux a un mandat électif. Les couches sociales les plus combatives ou les plus centrales (ouvriers, étudiants, profs) sont donc minoritaires au sein du parti et c’est pour cela que l’on parle plus d’adhérents que de militants. En 1970, sont autorisées par le congrès les sections d’entreprises comme structures du PS. En 1976, il y a 214 sections et 493 groupes d’entreprises, mais ne représentent que 5 % des effectifs et sont généralement composés de plus de cadres que d’ouvriers !

Un sondage CSA [6], réalisé en 2000-2001, sur la répartition par catégories socio-professionnelles (CSP) des sympathisants de gauche, nous montre que 8 % des étudiants sont pour le PS et presque deux fois plus, 15 % sont pour l’extrême gauche. Une des franges les plus dynamiques et les plus combatives qui n’est donc que très peu liée au PS.

Le réformisme n’est pas mort

Cependant la classe ouvrière continue à avoir des liens avec le PS, et pas seulement au niveau électoral. Les liens entre la social-démocratie et la classe ouvrière organisée se sont significativement distendus, mais ne sont pas rompus. Tout projet fondé sur l’idée que le réformisme est mort constituerait une grave erreur.

Les partis réformistes ne sont pas des organisations statiques, elles ont la capacité de s’adapter aux nouvelles périodes. Le PS ne subit pas de façon linéaire une perte de sa base ouvrière.

L’histoire nous a montré plusieurs fois que, malgré ses nombreuses trahisons, le PS continue à avoir de l’audience parmi les travailleurs, que ce soit dans des périodes de radicalisation ou dans des situations électorales particulières. Effectivement, alors que le PS fut totalement désavoué par la population lors des présidentielles de 2002, des milliers de personnes le rejoignent juste après le choc du 21 avril, et il revient électoralement en force en 2004. Un autre sondage CSA [7], sur la répartition par CSP des intentions de vote au premier tour des élections régionales de 2004, montre que 42 % des ouvriers étaient prêts à voter pour la gauche réformiste, donc principalement pour le PS. Ceci s’explique notamment par la défaite du mouvement de mai-juin 2003 qui a d’une part complètement désavoué le gouvernement CRS (Chirac, Raffarin, Sarkozy) mais d’autre part a démoralisé les travailleurs sur la capacité de la rue à faire changer les choses. Le vote PS aux régionales de 2004 était une façon de sanctionner directement et le plus sûrement la politique gouvernementale. Ainsi, le décalage entre le niveau des luttes du premier semestre 2004 et les résultats électoraux montre que la majorité des travailleurs a donc choisi ‘la contestation par les urnes’ plutôt que par la rue, avec comme grand gagnant le PS, qui reprit ponctuellement un discours de gauche, le temps d’une élection. Plus anciennement, un an après l’élection en 1981 de François Mitterrand à la présidence de la République, avec ses discours très radicaux, le PS était composé de 213 584 membres, son plus grand effectif depuis 1948.

La social-démocratie nous a aussi montré sa capacité à contrôler les luttes, par les syndicats par exemple. Pour le PS c’est principalement à travers la CFDT, avec qui il entretient des liens étroits depuis longtemps : en 1973, au 36e congrès de la CFDT, 117 délégués (10 %) étaient membres du PS ; au congrès suivant, en 1976, ils sont 336, soit 23 % des délégués. On peut aussi prendre l’exemple de Bernard Thibault qui fut invité et acclamé au dernier congrès du PS, pour comprendre que ce parti a aussi des liens avec la CGT. Sur les universités, ce sont ses militants qui contrôlent actuellement l’Unef, le principal syndicat étudiant. Le PS garde aussi une certaine capacité à fédérer des mouvements populaires, à travers par exemple SOS Racisme ou aujourd’hui Ni putes ni soumises, ou encore la FCPE.

Même si le PS connaît une évolution constante vers la droite, cela ne signifie pas pour autant qu’il se coupera tout seul, automatiquement, de ses liens avec la classe ouvrière. Le réformisme, comme on a pu le voir, a la capacité, par un contrôle des luttes ou par des discours qui peuvent être parfois très radicaux, d’exprimer en partie les aspirations des travailleurs.

Cependant, « il pourrait y avoir un gros changement si les partis de la social-démocratie rompaient leurs liens avec les mouvements de travailleurs et deviennent ouvertement des formations capitalistes » [8], par exemple si les courants de la gauche du PS (nouveau parti socialiste, nouveau monde) se détachaient. Cela légitimerait pour la gauche révolutionnaire le fait de ne plus avoir de démarche unitaire dans les luttes, et de ne plus appeler à battre la droite aux élections.

Une question centrale pour les révolutionnaires

Ce qui est certain, c’est qu’il y a actuellement un espace de plus en plus large entre le PS et les luttes et qu’il y a une responsabilité historique pour les révolutionnaires à construire une nouvelle direction pour le mouvement ouvrier. La tactique du Front unique reste pour cela un outil fondamental qui nous permet, dans l’action et l’expérience commune, aux côtés des travailleurs, de faire la preuve de la pertinence de nos idées et de dénoncer toutes les formes de réformisme ou de bureaucratie. Le réformisme, avec ou sans réformes, maintient dans la tête des travailleurs l’idée qu’ils ne sont pas capables de prendre eux-mêmes le contrôle de la société et que le changement ne peut venir que d’en haut. C’est en cela que le réformisme n’est toujours pas mort et que le combattre est une question centrale pour les révolutionnaires.

Notes

[1Charles Jérémie - Carré rouge n°22- juin 2002

[2D.Bensaïd, F.Duval, L.Crémieux, F.Sabado - bulletin de discussion n°2 - Socialisme par en bas- regroupement des révolutionnaires, parti et mouvement

[3Idem que 1

[5Combattre pour le socialisme n°81- avril 2000

[6Sondage CSA de 26 000 interviews réalisés sur 26 vagues d’enquêtes en 2000 et 2001.

[7Sondage CSA réalisé sur 5913 personnes.

[8Alex Callinicos - bulletin de discussion n°2 de International Socialists - le regroupement et la gauche socialiste aujourd’hui - janvier 2003


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