La Commune de Paris

Une révolution par les urnes ?

par Ross Harold

29 octobre 2011

Dans cet article il ne s’agira pas de revenir sur le déroulement des événements de la Commune mais de se concentrer sur deux questions particulières. Etant donné que la Commune de Paris n’était pas seulement un événement mais aussi une institution issue directement du suffrage universel est-ce que ce ne serait pas un argument pour soutenir la thèse de la « Révolution par les urnes » chère à Jean-Luc Mélenchon avec ses références aux processus au Venezuela ou au référendum ?

Deuxièmement, sur la question de la démocratie « directe » et des organes de pouvoir ou de contrepouvoir, nous avons souvent en tête les conseils ouvriers qui ont surgi lors des révolutions du début du 20e siècle (Russie, Allemagne, Hongrie, Italie, Espagne ou plus tard au Chili, en Iran, etc.) mais quelle forme le pouvoir des travailleurs prenait-il lors de la Commune ? Et du coup, en quoi le retour sur cette question est-il utile pour le débat aujourd’hui sur les formes que ce pouvoir pourrait prendre à l’avenir (conseils d’entreprise, comités de grève, coordinations, AGs ou conseils de quartier, etc.) ?

Révolution par les urnes ?

Revenons donc sur les deux élections marquantes de février et de mars de cette année 1871 et à l’énorme évolution des consciences dans l’espace de 7 semaines. Après la défaite de l’armée de Napoléon III face à la Prusse le 4 septembre 1870, le Second Empire s’effondre, le peuple parisien se soulève et les députés modérés de Paris proclament la République et mettent en place un gouvernement « de défense ». Ce gouvernement continue à mener la guerre, alors que Paris, assiégée, connait la famine, mais il finit par capituler le 28 janvier. Afin que cette capitulation soit validée par un gouvernement légitime la Prusse exige de nouvelles élections en France.

Le 8 février une nouvelle assemblée nationale est élue. Sur 750 députés, 450 sont des monarchistes (sans compter les bonapartistes). La seule exception est Paris où sur 43 députés 33 sont des républicains plus ou moins radicaux et quatre des révolutionnaires. Le 26 mars les Parisiens élisent la Commune de Paris.

On a souvent parlé de ses décrets mais, pour mémoire, citons-en quelques uns des plus frappants :

  • l’armée permanente est supprimée. Paris aura « une milice nationale qui défend les citoyens contre le pouvoir au lieu d’un armée permanente qui défend le pouvoir contre les citoyens ».
  • les expulsions de locataires sont interdites et les dettes depuis octobre annulées
  • les élus sont responsables et révocables à tout moment
  • les élus et fonctionnaires (du plus haut au plus bas de l’échelle) sont payés le même salaire qu’un ouvrier
  • toutes les Eglises sont dissoutes et expropriées dans la mesure où elles constituent des corps possédants et les prêtres sont renvoyés « à la calme retraite de la vie privée »
  • les magistrats et les juges sont élus, responsables et révocables
  • les établissements d’instruction sont ouverts à tout le peuple et gratuits
  • le travail de nuit des boulangers est interdit

Ce changement entre les deux élections s’explique-t-il par un simple débat d’idées, par la force d’une belle campagne électorale ? Bien évidemment que non. Mais comment expliquer alors la transformation d’un Paris républicain en un Paris rouge et révolutionnaire ? D’abord, une partie importante de la population des quartiers riches de Paris, soit fuit la capitale pour rejoindre la réaction à Versailles, soit s’abstient. Si les quartiers populaires votent massivement pour la Commune (le 20e à 76 %) la moyenne est à peine 50 % car dans certains quartiers bourgeois à peine 25 % des inscrits se déplacent. Mais la raison principale se trouve dans l’incroyable intensification de la lutte des classes entre les deux élections.

Thiers attaque

Au lendemain du 8 février le gouvernement Thiers lance une attaque des plus brutales contre le peuple parisien qui, à son tour, résiste avec des formes d’organisation et de représentation très particulières. Avant d’examiner ces formes rappelons-nous quelques éléments de l’offensive du gouvernement.

  • Le 15 février, sous prétexte que la guerre est terminée, l’Assemblée décide d’arrêter la solde des 180 000 gardes nationaux. Pas de solde et pas de travail de remplacement signifie la précipitation dans la misère de dizaines de milliers de familles.
  • Le 6 mars, le général bonapartiste Vinoy, devient gouverneur militaire de Paris et suspend six journaux révolutionnaires et ferme les clubs.
  • Le 10 mars l’Assemblée supprime le moratoire sur les loyers et les effets de commerce. Le résultat de cette provocation calculée est un chômage dans toutes les branches industrielles, 40.000 commerçants en faillite et 300.000 locataires menacés d’expulsion.

Adolphe Thiers est à la tête d’un véritable gouvernement de classe aux ordres des riches mais pour assurer leur victoire définitive ils ont besoin de désarmer le peuple parisien comme le confirme très clairement Thiers dans sa déposition plus tard à l’enquête parlementaire sur la Commune : « Les gens d’affaires allaient répétant partout : vous ne ferez jamais d’opérations financières si vous n’en finissez pas avec ces scélérats et si vous ne leur enlevez pas les canons. Il faut en finir, et alors on pourra traiter d’affaires. » S’ils ne ripostent pas, la victoire de l’ordre est immédiate, dans le cas contraire tout est prêt pour les mater, pour « en finir ».

Le 18 mars il manque l’incident qui doit créer l’état de conflit – la reprise des canons déplacés sur les hauteurs de Montmartre et de Belleville.

Le 18 mars Thiers tente le coup mais grâce à la résistance et la fraternisation entre les soldats et le peuple de Montmartre, le plan échoue.

« Depuis le 18 mars, Paris est mené par des inconnus, ce qui n’est pas bon mais par des ignorants, ce qui est pire »
Victor Hugo, dans une lettre

La résistance à cette offensive ne surgit pas de nulle part car depuis des mois ça bouillonne dans tous les quartiers populaires de Paris – l’installation du gouvernement Thiers à Versailles plutôt qu’à Paris à partir du 10 mars est d’ailleurs le signe de la crainte qu’il ressentait. Ceci nous permet d’aborder la deuxième question posée au début puisque la résistance se développe à travers plusieurs types d’organisation, au niveau local – les clubs populaires et les comités de vigilance dans les quartiers et au niveau parisien - le comité des vingt arrondissements et surtout la Garde nationale et son Comité central élu par les différents bataillons parisiens.

Clubs populaires

Comme bien d’autres aspects de la Commune (comme le nom même et la reprise du calendrier révolutionnaire) les clubs trouvent leur inspiration dans ceux de la Révolution de 1789.

Les clubs se réunissaient le soir et souvent dans des églises, les seuls endroits assez grand pour tenir tout le monde. Occupées par le clergé dans la journée ces églises se transformaient le soir. Le compte rendu d’une de leurs réunions, paru dans le Journal officiel , nous donne une idée de cette démocratie directe.

« (à) L’Église St Nicolas-des-Champs, chaque soir (...) le spectacle est saisissant. Citoyennes et citoyens, les premiers le chapeau sur la tête et le cigare aux lèvres, les secondes s’appuyant sur les piliers, achevant leur repas du soir, sont entassés dans un épais désordre.

De la chaire, au lieu du prêtre en surplis blanc, (…),un homme est debout qui, la main sur la garde de son sabre, le képi au front, l’écharpe rouge autour des reins, adresse à la multitude un sermon d’un genre nouveau. (…)

On entre, on sort, on circule, on s’attroupe. Le rire du gamin de Paris interrompt les discussions politiques. Approchez-vous des groupes, écoutez. Tout un peuple s’entretient de choses graves : pour la première fois, on entend les ouvriers échanger leurs appréciations sur des problèmes qu’avaient abordés, jusqu’ici, les seuls philosophes. De surveillants, nulle trace : aucun agent de police n’obstrue la rue et ne gêne les passants. La sécurité est parfaite. »

Ce sont les mêmes scènes qu’on retrouvera dans les descriptions de toutes les grandes révolutions du 20e siècle comme celles de la Révolution russe par John Reed ou de l’Espagne par George Orwell. C’est l’image même de ce « festival des opprimés » : les débats, la libération de la parole, la prise de confiance et de conscience qui caractérisent une révolution.

Comités de vigilance

Dans le numéro spécial de TEAN revue (N°19), on nous rappelle la nature de ces véritables embryons de représentation du mouvement populaire en citant les revendications du comité du 18e arrondissement présidé par Louise Michel :

  • la réquisition des logements vides et des ressources abandonnées
  • la fermeture des lieux d’enfermement féminins (maisons closes ou établissements religieux)
  • le recensement des indigents, etc.

Ce sont des exigences qu’ils adressent au maire mais qui surgissent d’en bas, du peuple lui-même. Ceci n’est d’ailleurs pas sans rappeler la destruction publique des deux guillotines le 6 avril par un peuple qui prend les devants face à ses dirigeants qui ne se décideront pas à abolir la peine de mort.

Comité des vingt arrondissements

Il est fondé le 5 septembre 1870 pour poursuivre le combat des comités de vigilance de quartier qui élisent quatre de ses membres au comité parisien. Comme l’explique Jean Bron, dans son Histoire du mouvement ouvrier français : « Les échecs militaires et l’armistice l’ont affaibli et relégué au second plan, mais, depuis le 15 mars, ces hommes rompus à l’action immédiate, plus près de l’insurrection que de la loi, reprennent leur activité politique et militante ; leur connaissance intime des besoins des quartiers et des hommes du peuple leur est précieuse : ils assument leurs revendications devant les instance supérieures, établissent un programme, proposent des candidats aux élections (…) ».

Comité central de la Garde nationale

La Garde nationale est ouverte à tous le 11 août 1870 après les premières défaites militaires et regroupe 180 000 hommes armés. Le 3 mars les bataillons se groupent en une Fédération, d’où le nom de « fédérés » et elle est dirigée par un Comité central, de plus en plus démocratique. Le 15 mars le Comité central est définitivement mis en place après de longues discussions sur les statuts par des délégués réunis en assemblée.

Animés souvent d’un esprit révolutionnaire dans les quartiers populaires les gardes élisent leurs chefs, discutent politique dans les clubs de quartiers, participent aux manifestations populaires et surtout gèrent les affaires quotidiennes.

Après des mois d’agitation cela débouche le 26 mars sur l’élection de la Commune de Paris, organisée sous l’égide du Comité central de la Garde nationale qui proclame : « Cherchez des hommes aux convictions sincères, des hommes du Peuple, résolus, actifs, ayant un sens droit et une honnêteté reconnue. Portez vos préférences sur ceux qui ne brigueront pas vos suffrages ; le véritable mérite est modeste, et c’est aux électeurs à connaître leurs hommes, et non à ceux-ci de se présenter ».

Ce seront effectivement, pour la plupart, des inconnus qui siégeront à la Commune tout comme les élus du comité central de la Garde nationale. Inconnus sur la scène nationale mais certainement pas inconnus de leurs électeurs. Voici comment Jules Vallès, un des membres de la Commune, fera parler un des personnages de son roman l’Insurgé :

« On me dit leurs noms, je ne les ai pas encore entendus. Ce sont les délégués des bataillons, populaires seulement dans leurs quartiers. Ils ont eu leurs succès d’hommes de parole et d’hommes d’action dans les assemblées, souvent tumultueuses, d’où est sortie l’organisation fédérale. » À voir aussi la description de Jacques Rougerie : « Des inconnus, des « obscurs », comme ses membres aiment se nommer ». Comment ne pas penser à notre idée du parti des « anonymes », des « sans-voix ».

Quel contraste avec le mépris de Victor Hugo qui, dans une lettre qui condamne la destruction de la colonne du Vendôme, écrit : « Depuis le 18 mars,
Paris est mené par des inconnus, ce qui n’est pas bon, mais par des ignorants, ce qui est pire »( !).

Les hommes du peuple

Les résultats des élections à la Commune confirment les attentes du Comité central. Sur les 81 élus, il y a 33 « manuels » (ouvriers et artisans), 11 employés de commerce ou d’administration, 12 journalistes, 4 instituteurs, 4 hommes de loi, 5 médecins et 5 petits patrons (!) dont Eugène Pottier, le parolier de l’Internationale, patron d’une entreprise de dessin sur étoffes. 19 sont des anciens de la Garde nationale et beaucoup sont des anciens du Comité des 20 arrondissements. Seulement 17 font partie de l’Internationale mais parmi eux des personnalités fortes comme Varlin, Frankel et Malon. Parmi les 17 la majorité est plus proche des idées de Proudhon, quelques uns de Blanqui et une minorité de Marx.

La Commune est donc très populaire, par sa composition mais aussi par son accueil. Le 28 mars elle est proclamée devant une foule de 100.000 personnes. Et quel contraste avec les élus parisiens du passé, à l’image du jeune Clemenceau, maire du 18e qui avec ses compères n’a fait que chercher un compromis avec Thiers, compromis dont Thiers n’avait rien à faire, son but étant clairement d’écraser et non pas de négocier avec le peuple parisien. L’affrontement entre les Versaillais et les Communards n’était pas une simple joute électorale avec un bulletin dans l’urne et que le meilleur gagne. Dès le début il s’agissait d’une guerre sans pitié de la part des bourgeois et la fin sanglante avec les dizaines de milliers de morts, les exécutions sommaires et les milliers d’emprisonnés et déportés n’a fait que le confirmer.

Et les femmes

Enfin, il serait impossible de parler de la place du suffrage universel dans la Commune sans parler du rôle des femmes. Il ne faut pas oublier en effet que le suffrage n’était pas si universel que cela, puisqu’elles n’avaient pas le droit de vote ! Cela montre d’ailleurs que les idées, même chez les révolutionnaires, ne changent pas du jour au lendemain dans tous les domaines. Et pourtant l’impact des femmes était immense, que ce soit dans les clubs (y compris de femmes), dans les comités, lors de la fraternisation avec les soldats de Thiers le 18 mars et jusqu’à sur les barricades, fusil à l’épaule. De nombreuse femmes ont marqué l’histoire de la Commune comme Nathalie Le Mel, relieuse et membre de l’Internationale, Elisabeth Dmitrieff, jeune Russe de 25 ans et bien sûr Louise Michel, sans compter les milliers d’anonymes qui se sont battues jusqu’à la dernière minute.

Révolution

Les neuf semaines de la Commune sont une confirmation vivante de la justesse des deux « boussoles » de Marx : que « l’émancipation des travailleurs doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes » et que cela ne peut se faire que par une révolution ; cette révolution étant nécessaire non seulement pour briser la résistance de la classe dominante avant d’être écrasée par elle mais aussi parce que c’est seulement dans la révolution que les travailleurs peuvent se débarrasser la tête de toute la « merde » du passé et développer de nouvelles idées, une nouvelle vision du monde et des relations entre les gens. C’est cette longue période d’affrontements, de grèves, de manifs, d’AGs et de débats qui permet le nécessaire décrassage et apprentissage, la prise de confiance et de conscience. C’est aussi pendant cette période que les travailleurs créent leurs propres organes de contre-pouvoir et de pouvoir.

Tout comme les clubs et les comités de vigilance de la Commune, d’autres organes du pouvoir des travailleurs surgiront pendant les différentes révolutions du 20e siècle et notamment les conseils ouvriers.

Classe ouvrière

Pourtant, pendant la Commune, pas de conseils ouvriers. Pourquoi ? À première vue cela peut sembler étrange. En 1871 le poids des ouvriers est bien différent de ce qu’il était en 1789 ou le « peuple parisien » était plutôt composé d’artisans et d’une toute petite minorité d’ouvriers. En 1860 déjà sur une population de 2 million d’habitants Paris comptait certes 102 000 patrons bien que 62 000 d’entre eux travaillaient seul ou avec un seul ouvrier) et 27 000 sous-entrepreneurs-façonniers mais surtout 460 000 ouvriers dont la plupart étaient qualifiés et dont 95% savaient lire et écrire.

On arrive à l’étonnant constat que pendant la Commune de Paris il ne semble pas y avoir eu de grèves, du moins d’importance significative

Au cours du 18e siècle les grèves explosent partout mais malgré cela ce ne sera qu’en 1864 que le droit de grève et en 1884 que les syndicats seront légalement reconnus. Si on ajoute à cela le nombre peu élevé d’entreprises avec des grosses concentrations d’ouvriers plus le fait qu’un certain nombre de patrons ont fui à Versailles on arrive à l’étonnant constat que pendant la Commune de Paris il ne semble pas y avoir eu de grèves, du moins d’importance significative. Dans les études les plus connues (Marx, Lissagaray, Talès ou Rougerie) à aucun moment il n’est fait mention de grèves et encore moins de conseils spécifiquement ouvriers. Pourtant à peine 50 ans plus tard en Russie, en Allemagne, en Hongrie et en Italie, la grève et les conseils seront au cœur des soulèvements.

Jamais la même

Nous avons l’habitude de dire que chaque révolution est différente de la précédente avec ni le même déroulement, ni les mêmes formes d’organisation et pourtant il y a des constantes et en particulier l’émergence d’organes de pouvoir démocratique et direct « d’en bas ». En Russie, les conseils (ou soviets) surgissent dans les usines mais en pleine période de guerre émergent aussi des soviets de soldats et dans la révolution à la campagne contre les restes du féodalisme, des soviets de paysans. Plus tard, les cordons au Chili en 1970 ne seront pas la même chose, en Pologne en 1980 les sections de Solidarnosc ressembleront à quelque chose entre un syndicat et un conseil ouvrier et aujourd’hui en Tunisie et en Egypte les organes de contre-pouvoir semblent être encore autre chose.

Qu’en sera-t-il lors des grands mouvements de demain en France ? Difficile à dire car depuis 68, de grands mouvements de type « révolutionnaire » il n’y en a pas eu. Les coordinations de 1995 ou les AGs de ville l’année dernière soulèvent quelques débats mais vu notre incapacité de gagner, de fausses conclusions peuvent aussi être tirées. Par exemple, même si le « blocage » peut être une arme utile, en aucun cas il ne peut être un substitut à la grève et en particulier à la grève générale, seule arme capable de bloquer le pays, de faire plier le gouvernement et de poser éventuellement la question du pouvoir. En même temps, l’évolution de la structuration des entreprises et des lieux d’habitation peuvent nous amener à réfléchir. Aujourd’hui par exemple le nombre de sites « industriels » avec de grosses concentrations de travailleurs est plus réduit. Seuls 160 sites en France ont plus de 2000 salariés dont beaucoup sont des hôpitaux. D’autre part, les gens habitent de plus en plus loin de leur lieu de travail, en particulier dans les grandes conurbations comme Paris et banlieue. Les scènes, encore courantes dans les années 1960 et 1970, d’ouvriers quittant l’usine à midi en vélo ou à pied pour un pause-déjeuner de deux heures ne sont plus d’actualité. Tout cela signifie-t-il qu’en période de grève (en particulier des transports) les organes de débat et de contre-pouvoir se créeront autant ou davantage sur le lieu d’habitation ? Sans doute faudra-t-il attendre des mouvements de très grande ampleur pour que les travailleurs en grève, par leur pratique, nous fournissent la réponse.

Vous avez dit démocratie ?

Difficile de conclure sans parler de la prétendue opposition entre la méthode soi-disant « démocratique » de la « révolution par les urnes » et la voie soi-disant « dictatoriale » du type de révolution que nous envisageons. Inutile de dire que le droit de vote est un acquis précieux, arraché de haute lutte par nos ancêtres et non seulement nous y tenons mais on se bat (contrairement à certains) pour qu’il soit étendu à toutes les élections et à tout le monde qui vit et travaille en France, donc y compris aux immigrés. Mais bien qu’elle soit un acquis, cette démocratie parlementaire est extrêmement limitée. La plupart du temps elle signifie le dépôt d’un bulletin dans l’urne tous les 4 ou 5 ans pour décider lequel des grands partis va passer son temps à faire le contraire de ce qu’il a promis. La démocratie que nous voulons ne s’arrêtera pas le lendemain des élections, ni devant les portes des entreprises, ni en ce qui concerne la vie de tous les jours dans les quartiers ou les villes. Et c’est justement lors des grands mouvements révolutionnaires que la masse des travailleurs commence à expérimenter cette démocratie dans tous les domaines de la vie.

C’est anecdotique mais révélateur que dans l’exposition (par ailleurs très intéressante) sur la Commune organisée cette année à l’Hôtel de Ville de Paris il y a quelques oublis. Parmi les décrets que l’expo présente comme « anticipant sur l’avenir » il y a l’abolition de l’armée de conscription et son remplacement par une garde nationale. Par contre il n’y a aucune référence au fait qu’il n’était nullement question d’une armée de métier aux ordres d’une hiérarchie de généraux mais une milice dont les chefs étaient élus et révocables. Ne figure pas non plus un des décrets les plus significatifs de la Commune, que non seulement les fonctionnaires mais aussi les élus soient révocables et payés au salaire d’un ouvrier. Pas sûr que Delanoë et consorts soient d’accord !

Boussole

Enfin, ce débat n’est évidemment pas nouveau et au fond c’est la distinction entre réforme et révolution. Au début du siècle Karl Kautsky, dirigeant du grand SPD allemand et considéré à une époque comme le « pape » du marxisme, ainsi que d’autres théoriciens de la 2e Internationale, prônaient un socialisme par en haut. De manière quasi déterministe ils estimaient qu’à mesure que la classe ouvrière se développait, sa majorité « sociale » se traduirait automatiquement en majorité « politique » par l’envoi au parlement de députés sociaux-démocrates qui, par une série de réformes, transformeraient la société par en haut.

Du côté de la 3e Internationale les révolutionnaires défendaient le socialisme par en bas – une accumulation des forces à travers la lutte des classes, la grève et la révolution comme seule solution et en même temps mille fois plus démocratique.

Dans une polémique avec Lénine, Kautsky citait la Commune de Paris et son élection au suffrage universel comme exemple de la voie « démocratique » à l’opposé de la « voie dictatoriale » des Bolcheviks. Pourtant à regarder de près la Commune, il est clair qu’elle est profondément ancrée dans la tradition du socialisme par en bas et de l’auto-émancipation.

Personne ne prétendrait que cette distinction règle automatiquement tous les débats de stratégie et de tactique dans la France ou dans le monde de 2011, entre nous ou avec d’autres forces comme le Front de Gauche, que ce soit sur la participation aux élections locales et nationales, sur les alliances avec tel ou tel parti, sur tel ou tel programme, sur notre présence dans les institutions, sur les attentes différentes d’il y a 100 ans, sur les référendums, etc. Des débats existent également sur le système d’élections et de représentation après une révolution. Faudra-t-il une assemblée élue à partir des conseils d’entreprise et de quartier, une assemblée sociale ? Une assemblée/parlement élue au suffrage universel ? Les deux ? Et dans ce cas avec quel équilibre et à quel moment du processus ? Ce sont des débats qui, exprès, n’ont pas été tranchés lors du congrès de fondation du NPA mais il faudrait continuer à les avoir. Développer la plus grande clarté de vue sur le meilleur de notre tradition, de la Commune ainsi que des révolutions du 20e (et 21e ?) siècle nous aidera à garder la boussole nécessaire non seulement pour construire le parti dont nous avons besoin mais aussi pour mieux aborder les débats de stratégie et de tactique auxquels nous serons confrontés dans les mois et les années à venir.


Pour aller plus loin :

  • Le numéro spécial de TEAN la Revue, n°19, mars 2011.
  • Karl Marx, La Guerre civile en France, 1871, La Commune de Paris, Éditions Sociales.
  • C.Talès, La Commune de 1871, Spartacus.
  • Prosper-Olivier Lissagaray, Histoire de la Commune de Paris, La Découverte.
  • Jacques Rougerie, Paris insurgé, La Commune de 1871, Découvertes Gallimard.
  • DVD, La Presse de la Commune de 1871, www.association-radar.org.

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