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18 novembre 2011
L’oppression peut se définir très généralement comme un mauvais traitement systématique d’un groupe social avec le soutien plus ou moins tacite des structures de la société. Elle implique une certaine violence, souvent psychologique, mais qui peut aussi apparaître sous des formes plus physiques, et qui marque un abus d’autorité de la part d’un des groupes sur un autre.
Pour qu’il y ait « oppression », il faut qu’un ensemble d’individus soit séparé, discriminé, du reste de la société. C’est un système binaire avec, d’un côté les opprimés, et de l’autre les oppresseurs, ces derniers utilisant différents moyens, plus ou moins explicites, pour maintenir leur autorité. Un des moyens les plus utiles est l’idéologie car elle s’inscrit en profondeur dans les mentalités, souvent sous forme de préjugés, et « naturalise », « normalise » les comportements. Cette idéologie peut s’appuyer sur une institutionnalisation de l’oppression, c’est à dire sur une traduction dans la loi de ces pratiques discriminantes, comme envers les homosexuel-les, par exemple, qui ne peuvent pas se marier et adopter, ou envers les immigrés qui n’ont pas le droit de vote.
Le renforcement de l’oppression est indispensable au système capitaliste car cela permet l’accroissement de la rentabilité du travail en augmentant la compétitivité, et cela sert aussi à diviser les individus car chaque opprimé voit l’autre comme son ennemi, comme celui qui lui « vole » une part du faible pouvoir qui peut lui rester.
Selon Marx, il s’agit avant tout d’une oppression économique du profit, du capital, sur l’ensemble de la vie sociale. C’est-à-dire que la société se divise avant tout en deux groupes, d’un côté les capitalistes qui possèdent l’argent et les moyens de production, de l’autre les prolétaires qui doivent vendre leur force de travail pour survivre.
Cette opposition entre prolétaires et capitalistes, séparés par le fait d’être maître, ou non, du capital, est la base de l’oppression que subissent les prolétaires qui se retrouvent alors soumis au bon vouloir des possédants. Comme l’écrivait Marx dans le Manifeste, « Toutes les sociétés antérieures, nous l’avons vu, ont reposé sur l’antagonisme de classes oppressives et de classes opprimées. ».
L’oppression des prolétaires trouve une grande partie de sa force dans la division des travailleurs et dans leur mise en concurrence qui empêche toute forme d’alliance entre eux.
D’après Marx, il manque à la classe ouvrière une conscience d’elle-même et de son potentiel pouvoir qu’elle peut trouver dans son unification. C’est dans cet objectif que doit se construire la lutte des classes, pour permettre aux travailleurs de prendre conscience de leur situation, de la penser, de la réfléchir, et de faire leurs armes pour combattre cette oppression qui ne doit plus, alors, apparaître comme une fatalité.
Cependant, si l’unification des travailleurs peut s’expliquer par le désir d’obtenir de meilleures conditions de travail, qu’est-ce qui pourrait mener les opprimés à s’unir ? Les positions sociales issues de la division entre prolétaires et capitalistes sont beaucoup plus claires que celles qui résultent de l’oppression. Ainsi, un individu opprimé dans telle catégorie ne le sera pas forcément dans une autre, et il aura alors la possibilité d’alterner entre son statut d’opprimé et celui d’oppresseur, entre le dominé et le dominant. À travers l’histoire, par exemple lors des luttes féministes du 19e siècle aux États‑Unis, on a vu que des personnes opprimées dans une catégorie, à savoir les femmes, pouvaient très bien devenir oppresseurs dans une autre, envers les femmes noires, et que subir l’oppression ne garantissait en rien le fait de ne pas la faire subir à autrui.
Comment la notion d’oppression peut-elle alors être comprise à la lumière de la théorie marxiste ? Bien que cette « catégorisation » ne soit pas exhaustive, il semble intéressant d’étudier dans les grandes lignes les oppressions suivantes que sont le racisme, l’handiphobie, le sexisme, et l’homophobie dans leurs rapports au système capitaliste et à la production.
Le racisme est une idéologie qui suppose la division de l’espèce humaine en plusieurs catégories, en plusieurs races dont certaines seraient supérieures à d’autres. Le statut inférieur de certaines races justifierait donc leur oppression, elle la naturaliserait pour mettre en avant la « normalité » d’une telle situation. Si certains individus sont inférieurs à d’autres selon des critères physiques, naturels, endogènes, il apparaît normal que les plus forts, aussi bien physiquement qu’intellectuellement, oppriment socialement les plus faibles.
De la naturalisation de cette distinction de races qui s’appuie sur des critères physiques internes aux personnes, en découlent des habilités qui deviennent les apanages de telle ou telle race. Les peuples sont alors hiérarchisés selon leurs capacités, capacités qui leurs sont attribuées naturellement en fonction de la race à laquelle ils appartiennent. Ce système de pensée servira de base à l’oppression et à l’exploitation de certaines populations, notamment à des fins capitalistes pour augmenter toujours d’avantage le profit de ces peuples dominants.
« Usant de la torture, de l’extermination, et d’autres formes de terreur à une échelle de masse, allant même jusqu’à la mise en esclavage ouverte des populations natives d’Afrique, l’expansion du capitalisme européen s’est exprimée par une colonisation brutale de l’Amérique latine et de certaines parties de l’Asie et de l’Afrique, les précipitant sur le marché mondial. » [1]
Il apparaît comme évident que la colonisation a été un élément clé pour le développement du système capitaliste qui a trouvé dans ses colonies nouvellement acquises une ressource de main d’œuvre presque inépuisable pour produire toujours davantage de richesses.
Ces arguments naturalistes sont essentiels pour déculpabiliser et démoraliser les dominants qui n‘apparaissent pas, alors, comme des monstres assujettissant des êtres-humains puisque les dominés ne sont, preuves physiques à l’appui, pas vraiment humains. La naturalisation des caractéristiques physiques va même jusqu’à justifier la normalité du statut des esclaves puisqu’ils seraient les seuls à avoir une complexion assez robuste pour supporter de tels travaux. Une véritable « médecine » des esclaves va naître, notamment pour étudier les maux dont ils souffrent en lien avec leur condition, et elle « va jouer un rôle déterminant dans l’élaboration et l’imposition du discours raciste » [2]. C’est également cette médecine qui va servir à pathologiser tout sentiment de rébellion chez les esclaves, et ces derniers tentant de s’échapper seront systématiquement considérés comme fous.
La colonisation va laisser des traces très profondes au sein de la société qui vont provoquer des bouleversements sociaux, idéologiques, et politiques. Ainsi, lors de leur appel en janvier 2005, Les Indigènes de la République ont décrit la situation comme telle : « Discriminés à l’embauche, au logement, à la santé, à l’école et aux loisirs, les personnes issues des colonies, anciennes ou actuelles, et de l’immigration postcoloniale sont les premières victimes de l’exclusion sociale et de la précarisation. » [3]
L’indigène est la figure qui s’oppose au blanc, elle est celle qui menace l’identité de la nation, remet en cause la notion même « d’être français », et provoque donc une peur irraisonnée chez celui qui s’estime être le premier arrivé, et donc le plus légitime à jouir des biens et des richesses du pays. Le racisme s’accroît donc, logiquement, en période de crise, quand ces mêmes biens et richesses viennent à manquer pour l’ensemble de la population, et que l’indigène apparaît comme une bouche de plus à nourrir, voir un « voleur ».
Opposer les indigènes aux autres membres de la société est une vieille tactique de division pour séparer les forces en présence qui, unies, pourraient renverser l’oppression et faire perdre le pouvoir aux dominants. « Comme aux heures glorieuses de la colonisation, on tente d’opposer les Berbères aux Arabes, les Juifs aux « Arabo-musulmans » et aux Noirs. Les jeunes « issus de l’immigration » sont ainsi accusés d’être le vecteur d’un nouvel antisémitisme. Sous le vocable jamais défini d’« intégrisme », les populations d’origine africaine, maghrébine ou musulmane sont désormais identifiées comme la Cinquième colonne d’une nouvelle barbarie qui menacerait l’Occident et ses « valeurs ». » [4]
Ces valeurs méritent pourtant d’être interrogées car sans retour critique, elles ne font que se cristalliser, n’étant, au mieux, plus en accord avec leur temps, et servant, au pire, de paravent à une idéologie dominante. « Il faut en finir avec les institutions qui ramènent les populations issues de la colonisation à un statut de sous-humanité. » [5]
La notion de « sous-humanité » est importante pour comprendre l’oppression car elle marque la séparation d’un groupe d’individus du reste de la société. Groupe qui est considéré plus ou moins explicitement comme inférieur, souvent avec l’accord tacite des institutions, ce qui provoque un sentiment profond et cruel d’injustice et une forte dévalorisation de ces individus qui sont alors traités différemment.
Le handicap est un terme très vague qui regroupe beaucoup de personnes différentes, et il a, dans l’imaginaire populaire, une connotation très négative. Selon l’OMS, il est défini comme « un terme générique, couvrant des déficiences, des limitations d’activités, et des restrictions de participation. Le handicap est un phénomène complexe, reflétant une interaction entre les caractéristiques du corps d’une personne et les caractéristiques de la société dans laquelle il ou elle vit ».
L’intégration des personnes handicapées dans la société a connu un sévère frein lors de la révolution industrielle avec l’accélération des rythmes et le développement des machines demandant des habilités particulières. Les personnes jugées plus faibles, vulnérables, dépendantes, sont alors isolées dans des maisons de correction, des asiles, des prisons ou des écoles spécialisées, permettant ainsi de soulager la sphère domestique dont les membres peuvent se tourner vers un travail plus productif.
La fin du 19e siècle voit s’accroître les théories eugénistes, qui trouveront leur apogée lors de la seconde guerre mondiale, et qui préconisent un nouveau concept, celui de la « normalité » par l’élimination des défaillances. Plus de 275 000 personnes handicapées furent tuées dans le programme nazi de mise à mort « Aktion T-4 ».
Cependant, l’économie de guerre permit aux personnes handicapées de retrouver une place dans la production puisqu’il fallait un moyen pour remplacer les soldats morts ou blessés. Une politique d’expansion des ateliers protégés fut alors menée, permettant une exploitation de ces travailleurs qui étaient payés en dessous du salaire minimal.
Le boom économique de l’après-guerre permit d’ouvrir un espace à de nouvelles revendications pour les personnes handicapées, et la lutte pour les droits civils des Noirs servit de modèle à des pionniers du mouvement qui voulaient sortir des institutions dites « spécialisées », se battre contre la « médicalisation » de leur statut, et contre ce mouvement caritatif suscité par leur condition.
Sortir des institutions est, bien sûr, la base de leur intégration, mais cela nécessite que la société soit capable de remettre en cause son propre système de normes. « [Si le handicap] est vu comme une tragédie personnelle, les personnes handicapées seront traitées comme s’ils étaient un peu les victimes d’événements ou de circonstances tragiques... Si le handicap est défini comme oppression sociale, on verra alors les personnes handicapées comme les victimes collectives d’une société qui ne sait pas ou qui ne se soucie pas... » [6]
Apparaît là une idée clé, qui va être développée dans les années à venir, celle que c’est la société qui rend les gens « handicapés ». Le handicap n’apparaît donc plus seulement comme un facteur naturel, endogène qui, de la même façon que cela a justifié la situation des victimes du racisme, justifierait celle des personnes handicapées. Si un fait apparaît comme « naturel », intrinsèque à la personne, la société se dédouane alors de toute responsabilité. C’est la faute du biologique et non du social ! Or, le handicap apparaît, à son tour, de plus en plus comme une construction sociale oppressive, oppression dont l’existence est bien due à des choix politiques.
Certains activistes verront même la société « valide » comme le problème, comme étant la source de tout handicap. Se « séparer » de cette société pour construire une autre société où le handicap ne serait plus était le but d’activistes séparatistes voyant tous les gens valides comme des oppresseurs. Cela a mené à des situations extrêmes comme de savoir qui était « vraiment handicapé », ou a conduit à des comportements discriminants envers les Noirs, les femmes, et les gays puisque, eux, faisaient partie de cette société « valide ».
Selon Roddy Slorach, « La difficulté cruciale, cependant, était que le mouvement des handicapés a grandi en Grande-Bretagne (et ailleurs) pendant et après une période de défaites pour la classe ouvrière, quand d’autres mouvements d’opprimés étaient déjà passés dans le déclin... Peu d’activistes ont vu une quelconque preuve que la classe ouvrière pouvait avec succès unir les luttes des opprimés ayant un intérêt partagé dans un changement plus fondamental. » [7]
Pourtant, la lutte des classe prend aussi tout son sens au sein de la population handicapée puisque un ouvrier, bien que son espérance de vie soit déjà plus courte de 7 ans, va vivre en moyenne 17 ans de moins avec un handicap. De plus, comme pour les autres oppressions, un handicapé riche pourra en compenser les effets en payant des biens et des services.
Le corps handicapé, plus lent, voire difforme, est perçu comme improductif en lui-même et ne peut que rendre malade le système capitaliste qu’il ralentit. Il est le faible, le malade, tout comme l’a été, et l’est parfois encore, le corps féminin. Le corps handicapé est au corps valide ce que le corps féminin est au corps masculin.
Elsa Dorlin affirme que le corps féminin est jugé faible, maladif, malsain, en opposition au corps masculin fort, en bonne santé, sain, et c’est cette pathologisation qui justifie la domination de l’un sur l’autre. C’est la médecine qui, dès l’âge classique, fournit la définition dominante et normative de la différence sexuelle. Les traités sur les maladies des femmes sont très nombreux, et participent à cette « médicalisation du corps féminin » pensé comme davantage sujet aux dérèglements hormonaux, plus affaibli par leur appareil reproducteur qui les condamne aux règles, grossesses, et autres...
Cette « médicalisation » des corps fait apparaitre le sexe comme une marque biologique qui signale et stigmatise le « différent » qui déroge à la norme idéale, « l’autre », cet « autre » ayant alors les traits du féminin.
À la lumière des études de genre, il semble important de s’interroger sur la notion de « genre », et ainsi de mieux comprendre les rapports établis dans la société entre hommes et femmes, et de voir la façon dont le statut des femmes est instrumentalisé dans le système capitaliste. Le genre est un système hiérarchisant de catégories de sexe impliquant des normes et structuré par la domination masculine.
Cependant, pour que l’oppression des femmes perdure dans le système capitaliste, il est important qu’un lien perdure « naturellement » entre « femme » et valeurs dites « féminines », en opposition à des valeurs dites « masculines » qui sont attribuées à « l’homme ». Cela permet une détermination des rôles assignés à l’un et l’autre sexe qui justifierait « naturellement » les caractéristiques, les habilités des hommes et des femmes, ces dernières étant affublées des traits les plus vils. Ces représentations sociales, cristallisées, diffusées par ces rôles générateurs de préjugés, créent un tableau de valeurs qui signe la prédominance du principe masculin sur celui de féminin.
Pour Françoise Héritier, les deux pivots de l’inégalité des sexes sont le contrôle social de la fécondité des femmes, et la division du travail entre les sexes qui veut que les femmes soient gardées hors de la sphère productive. Le contrôle du corps des femmes a toujours été un enjeu de pouvoir car elles sont celles qui « engendrent » les futurs citoyens et assurent le renouvellement de la société en produisant les individus dont le travail pourra ensuite être exploité.
La société capitaliste, basée sur la propriété privée, met en avant le rôle fondamental de la famille à laquelle la femme doit se vouer corps et âme, la rendant ainsi économiquement dépendante de son mari. La femme a un statut social de second ordre et n’existe qu’en tant qu’épouse et mère.
L’institution familiale repose donc sur, et renforce, une division sexuelle et sociale du travail où les femmes sont soumises au joug domestique et à la dépendance économique.
Le travail domestique effectué gratuitement par les femmes est un élément nécessaire de la reproduction de la force de travail vendue aux capitalistes. Si elles ne le faisaient pas, il faudrait élever les salaires afin que les familles puissent acheter ce qui est alors produit gratuitement en leur sein. Cela impliquerait une réduction de la masse globale des profits, modifiant l’équilibre entre profits et salaires en faveur du prolétariat. C’est avant tout le capitalisme qui profite donc de ce travail des femmes.
Les femmes sont une armée de réserve qui offre sa force de travail à bas prix, mais en plus, ce maintien de leur statut dans la précarité permet aux capitalistes de précariser l’ensemble des travailleurs. L’armée de réserve qu’elles représentent fait pression sur le salaire des travailleurs en général qui, du coup, se voient obligés d’accepter des salaires plus bas sous peine d’être remplacés.
Cette entrée des femmes sur le marché du travail bouleverse le modèle patriarcal de la famille tel qu’il se présente dans le système capitaliste, pourtant ce dernier s’efforce de maintenir ce modèle car il est une clé à sa survivance. Il lui permet de perpétuer l’institutionnalisation des inégalités sociales et économiques en transférant à la famille la charge sociale de l’entretien économique des exploités. Chaque famille est alors responsable des siens, ce qui maintient la division et empêche toute unification des opprimés.
La famille reproduit en son sein « des rapports autoritaires et hiérarchiques, répressifs et conservateurs de la société capitaliste. Ce sont des valeurs nécessaires pour le maintien de la division en classe : possessivité, agressivité, compétitivité, repli sur soi (sexualité normée, discipline, normes sociales dominantes...) » [8].
Comme nous l’avons décrit brièvement dans le cadre de l’oppression des femmes, le modèle de la famille est un outil essentiel du système capitaliste. Il se sert de ce schéma pour normer la sexualité, pour que cette dernière serve de « repère » à la pathologisation ou non des individus, et qu’il puisse ainsi imposer sa répression et son contrôle.
Cette norme qu’est l’hétéronormativité, est intégrée comme « naturelle » pour la plupart des individus, mais elle n’est en fait que le résultat d’une mise en condition d’un système capitaliste dominant qui se sert de cette norme pour asservir, exploiter et oppresser.
Si l’on s’en réfère aux travaux de Monique Wittig, l’hétérosexualité est un système politique qui fonctionne sur la binarité des classes de sexes, et qui lie à chacune de ces classes des attributs de genre, puis des rôles sociaux et une orientation sexuelle qui en découlent. Le système hétérosexuel, outil du capitalisme, conditionne les rapports entre les individus dans la sphère privée et la sphère publique, deux notions qui fonctionnent aussi sur le mode binaire puisque le privé est attribué au féminin ainsi que ce qui en découle comme la famille, l’intimité, la sexualité procréative... et le public au masculin, avec ce qui touche au travail, à la sociabilité, et à la sexualité non procréative.
L’hétérosexualité a donc tracé un chemin pour tout individu, à savoir celui d’avoir une vie sexuelle génitale avec un partenaire du sexe opposé dans le but de procréer pour donner une future main d’œuvre à la société, et ce dans le cadre d’une vie maritale où la monogamie est vécue comme une injonction de l’institution juridique qui garde ainsi le contrôle sur la sexualité.
Sortir de ces règles c’est donc refuser le conditionnement de la pensée, c’est ne pas suivre le mode de vie imposé, et s’opposer à la hiérarchisation des êtres-humains selon qu’ils correspondent, ou non, aux normes. C’est prôner d’autres formes de sexualité, comme celles non génitale, non procréative ou non hétérosexuelle par exemple.
Dans le mouvement Queer, se sont ainsi regroupés des individus gays, lesbiennes, transsexuels, bisexuels, ou tout simplement tous ceux qui ne se reconnaissaient pas dans l’hétérosexisme. Ce mot « Queer », qui veut dire en anglais « étrange », « bizarre », était, pourtant, à la base une insulte envers ces mêmes gays, lesbiennes, transsexuels... qui récupérèrent le mot et en retournèrent le stigmate.
Ils se battirent d’abord pour l’arrêt de la psychiatrisation de l’homosexualité, de la bisexualité et de la transsexualité, sortant ainsi l’homosexualité de la catégorie des maladies mentales perverses. Cependant, avoir une sexualité jugée comme « déviante » par l’ensemble de la société resta, et est encore parfois, source de honte, même si l’identité homosexuel-le, bisexuel-le, transsexuel-le, s’affirme de plus en plus aujourd’hui et laisse donc place à une certaine fierté.
Dans Trouble dans le genre, Judith Butler reprend toutes ces catégories en expliquant qu’il est impossible de cartographier la sexualité car les genres sont sans cesse en mouvement. Elle développe l’idée que « l’hétérosexualité obligatoire et le phallogocentrisme sont compris comme des régimes de discours/pouvoir », c’est-à-dire que le fait d’avoir du désir pour le sexe opposé, et la place supérieur du genre masculin, sont, en fait, construits dans la parole au travers d’un discours dominant.
Cette réification des identités de genre est pourtant imposée inconsciemment par le capitalisme qui s’oppose à toutes perturbations ou désorganisations de son système, et qui ne veut pas prendre le moindre risque de perdre le contrôle sur ceux qu’il opprime. Le système capitaliste ne supporte pas le « trouble », ni « trouble à l’ordre public », ni « trouble dans le genre » !
Pour conclure, nous pourrions reprendre une phrase de John Mullen qui dit que « L’oppression est rendue nécessaire car elle sert la dictature du profit ». Si, comme le dit Marx, les idées dominantes dans la société sont celles de la classe dominante, il est facile de comprendre comment sont instrumentalisés les préjugés, notamment au sein même des opprimés afin de mieux les diviser. Ainsi, l’image idéale d’une unité des travailleurs se voit souvent brisée par une catégorisation de ces mêmes travailleurs en races, handicaps, sexes, sexualités... qui produit une circulation de l’oppression dans ces différentes catégories dont les individus s’oppriment les uns les autres, ce au profit des capitalistes. L’oppression sert à reléguer au second plan le clivage social en mettant en avant des séparations qui permettent de briser l’unité de la lutte.
Si les travailleurs ont une arme redoutable contre l’exploitation au travers de la grève, les opprimés, eux, ne peuvent se défaire, même momentanément, de ce qui fait leur oppression. Pourtant, c’est souvent dans les moments de grève, où s’installe une plus grande solidarité entre tous les travailleurs, que l’oppression recule. Cela s’explique par le fait que ces moments de grève permettent aux travailleurs de reprendre le contrôle de leur existence, ce qui diminue la nécessité qu’ils ont de trouver des boucs émissaires pour justifier leurs mauvaises conditions de vie.
[1] Elsa Dorlin, La Matrice de la race, Généalogie sexuelle et coloniale de la nation, Éditions La Découverte, Paris 2006.
[2] Idem.
[3] « Appel des indigènes de la République », disponible en ligne : http://lmsi.net/Nous-sommes-les-indigenes-de-la
[4] Idem.
[5] Idem.
[6] Randy Slorach, « Marxism and disability », paru dans International Socialism, n°129, traduction française disponible sur le site de la revue : http:// quefaire.lautre.net/archives/article/marxisme-et- handicap.
[7] Idem.
[8] « La révolution socialiste et la lutte de libération des femmes », Résolution de la IVe Internationale, 1979.
Site web du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA).
Revue indépendante d’analyse stratégique anticapitaliste.
Actualité politique internationale de la revue Inprecor sous reponsabilité de la Quatrième internationale.
International Socialism, Revue mensuelle théorique du Socialist Worker Party.
Le site web de la LCR Belge contient de nombreux articles de théorie marxiste très intéressants.
Base de données de référence pour les textes marxistes.
Le site de la commission nationale formation du NPA.