Éditorial du numéro 7

Les deux âmes du NPA

par Vanina Giudicelli

27 juin 2011

En quelques mois, le monde a changé. En septembre, grève générale en Espagne et début des grandes grèves contre la réforme des retraites en France. En novembre, révoltes étudiantes massives en Grande-Bretagne et en Italie, grève générale au Portugal. En décembre, grève générale en Grèce et un processus révolutionnaire démarre en Tunisie. En janvier, un dictateur, Ben Ali, tombe et la révolution égyptienne commence. En février, Moubarak tombe à son tour et des millions de personnes se révoltent au Maghreb et au Machrek.

En février toujours, le gouvernement impopulaire irlandais, contraint de convoquer des élections législatives anticipées, se fait dégager et des manifestations historiques avec occupations se déroulent aux États-Unis dans le Wisconsin. En mars, journée de manifestation syndicale jamais vue en Grande-Bretagne. En avril, les Islandais expriment à 60% leur refus de payer la crise lors d’un référendum, tandis que le président burkinabè doit dissoudre le gouvernement sous la pression des révoltes des étudiants et salariés. En mai, c’est au tour des Indignados espagnols et des Aganaktismeni grecs de s’inspirer des peuples arabes en occupant par centaines de milliers les places de leur pays, et à Prague des dizaines de milliers de personnes engagent une bataille contre la réforme des retraites. Des centaines de milliers d’Égyptiens font pendant ce temps leur « deuxième révolution »...

Si le NPA ne veut pas être dépassé, il doit d’abord intégrer cela. Au moment où des millions de personnes montrent la voie, évitons de regarder leur doigt [1]. Non, les difficultés de notre parti ne reposent pas d’abord sur les conditions objectives. La crise ne produit pas mécaniquement une poussée des idées anticapitalistes, mais elle produit des résistances à une échelle de masse, au sein desquelles les idées anticapitalistes peuvent trouver un écho parce que les questions stratégiques y sont débattues quotidiennement. C’est la raison pour laquelle plusieurs articles de cette revue fournissent une analyse de la situation en Égypte, en Grande-Bretagne, en France. Ils mobilisent les grilles d’analyses marxistes pour les confronter aux questions stratégiques posées par la nouvelle situation.

Il faut donc tourner le parti vers l’extérieur. Donner les moyens à tous les militants de plonger dans les mouvements, s’en inspirer, les construire. Donner l’envie d’apprendre des mouvements et des nouveaux militants, plutôt que de s’en méfier. Les blocages durant le mouvement des retraites ou encore les occupations par milliers de places publiques semblent à première vue sans rapport avec le schéma de la grève générale et des occupations d’usine. Pourtant, ils ont bel et bien été un ferment de la confiance des travailleurs en France et, avec une intensité bien plus grande, en Égypte. Ce sont des exemples parmi tant d’autres. L’émergence de nouvelles formes d’organisation de la classe ouvrière du 21è siècle devrait nous pousser à confronter cette nouvelle réalité à nos principes de bases et nos objectifs stratégiques. Nous avions entamé ce travail lors de l’initiative du 11 décembre, nous devrions le poursuivre. C’est avec cette préoccupation qu’un article de cette revue analyse les formes d’organisation issues de l’expérience révolutionnaire de la Commune, dans une situation où les concentrations ouvrières étaient bien loin de celles de la Russie du début du 20è siècle.

Il y a urgence. La profondeur de la crise et le niveau des attaques de la classe dirigeante produisent une polarisation telle que l’extrême-droite peut prétendre elle aussi représenter une alternative à l’ordre établi. Parce que dans ce contexte les ripostes sont fondamentales, notre parti doit formuler des propositions assumées et testées collectivement. Or, actuellement, ce sont plutôt les mobilisations qui nous testent. Il est peu surprenant qu’une partie conséquente de la jeunesse et des secteurs mobilisés fasse preuve de défiance envers les partis politiques lorsque ces organisations ne semblent pas leur offrir d’issue positive à leurs préoccupations. Avec le NPA, nous avons pourtant l’outil politique potentiellement adapté. Nous comprenons que le développement des syndicats et le renforcement des liens entre les équipes combatives est une condition nécessaire à l’organisation des confrontations à venir. Nous voyons dans la solidarité avec les révolutions arabes une source d’inspiration et d’affaiblissement du projet de domination impérialiste. Nous organisons des ripostes aux attaques racistes et fascistes pour empêcher la division et la canalisation de la contestation populaire dans des projets républicains ou nationalistes. Nous comprenons que la crise écologique devient partie intégrante des révoltes actuelles tant elle modifie profondément tous les aspects de nos vies. Nous avons saisi l’enjeu des mobilisations contre les sommets du G8 et du G20 en France comme potentiel de convergence des luttes. Mais le NPA, en tant qu’outil politique collectif, ne l’assume pas. Son potentiel s’arrête là où son utilité pourrait commencer, nous privant d’une stratégie dans les luttes, pour les luttes : dans la direction jusque dans les comités, l’essentiel de ce qui est débattu, soumis au vote, constitutif des différenciations internes repose malheureusement sur d’autres considérants.

En réponse à la crise interne de notre parti, le débat stratégique qui s’est ouvert entre quelques camarades (dont on trouvera les contributions sur le site Europe Solidaire Sans Frontières) semble à quelques exceptions près bien éloigné de ces préoccupations. Ce sont cependant les analyses dominantes dans le NPA. Dominantes non pas au sens d’un commun partagé, mais plutôt de la place qu’occupent leurs conclusions dans le débat interne. L’initiateur de ce débat stratégique, Samy Joshua, écrit ainsi dans sa première contribution : « Le choix [du NPA] se faisait dans une conjoncture favorable (faiblesse momentanée mais importante des forces réformistes, petit succès électoral avec Olivier, et le début, inattendu, de la nouvelle « grande crise »), mais dans une période défavorable quant au rapport de force social, et de recul idéologique profond (or il n’y a pas, à ma connaissance, dans une telle période de recul, d’exemple de réussite d’une recomposition comme nous l’avons entamée). ». Il en tire la conclusion que : « Sur le plan purement politique (sauf donc si un mouvement social d’ampleur national vient changer la donne ou si la crise globale s’aggrave d’une manière systémique), c’est du résultat de 2012 que ça dépend désormais. ». Par des chemins différents, Léon Crémieux et François Sabado concluent leur contribution de la façon suivante : « le parti devra décider en juin prochain de présenter OB à la prochaine élection présidentielle, sur la base d’une plate forme électorale anticapitaliste et d’un parti rassemblé. ».

Or, les révolutions arabes, le mouvement des indignés ou encore celui contre la réforme des retraites ont démontré que nous ferions une erreur en réduisant le champ politique à la question des élections. Les mobilisations en cours mêlent de plus en plus des préoccupations économiques et politiques. Face à des institutions ostensiblement au service d’intérêts privés, à un personnel politique étroitement lié au monde des affaires, combattre la logique des profits et virer le personnel politique, revendiquer des droits sociaux et une démocratie réelle, paraissent actuellement de bon sens à une échelle de masse. Dans ce processus, deux logiques politiques peuvent cohabiter mais sont également mises au test : pousser les potentialités du mouvement de masse, bâtir des outils politiques permettant à la population de reprendre le contrôle, ou chercher des raccourcis, des substituts à ces mouvements, avec des intentions de plus ou moins bonne foi. On l’a vu en Tunisie entre par exemple les forces qui sont entrées au gouvernement et celles qui se sont rassemblées dans le Front du 14 janvier pour poursuivre l’ancrage à la base du processus révolutionnaire. C’est le cas en Égypte entre par exemple la direction des Frères Musulmans qui veut rétablir une stabilité institutionnelle et ses jeunes militants qui veulent s’impliquer dans les mobilisations en cours. Sur la question de la Libye également, entre par exemple ceux qui pensent que l’intervention militaire peut aider les insurgés libyens et ceux qui estiment que la seule force à même de stopper la contre-révolution sont les forces révolutionnaires elles-mêmes. On l’a vu enfin en France durant le mouvement des retraites, entre par exemple les partisans d’un référendum et les acteurs de la généralisation de la grève.

Cette ligne de partage ne délimite pas, a priori, un camp révolutionnaire et un autre réformiste : elle rend possible le rassemblement des partisans d’un anticapitalisme immergé dans les processus par en bas. Les organisations qui gardent ce cap peuvent donc avoir une audience et contribuer au rassemblement des animateurs du mouvement, qu’ils se trouvent dans le mouvement ouvrier traditionnel ou dans la nouvelle génération militante. Elles peuvent contraindre les directions réformistes à s’y adapter, ou leur faire payer le prix de leur désengagement.

C’est avec cette boussole que nous aurions dû aborder la question des prochaines échéances électorales, donc ne pas limiter nos orientations et nos débats à la poursuite - ou non - des discussions avec la direction du Front de Gauche. Le champ politique va bien au-delà, si nous reprenons les choses à la base. C’est la raison pour laquelle nous proposons de mener une campagne ­électorale à l’image des fondements de notre parti : anticapitaliste, tournée vers l’action et rassembleuse. Une contribution de six camarades indique ainsi [2] :

« Décidons que nous ne respecterons pas les figures imposées de la présidentielles . Notre candidat sera la voix des sans-voix :

  • à chacun de nos meetings de campagne l’orateur-trice principal-e sera un-e protagoniste différent-e des combats de la vie réelle. Chacun de ces meetings sera aussi l’occasion d’appeler à une manifestation. Précédons ces meetings par des mobilisations, des actions. Mettons chaque jour le capitalisme en accusation. Donnons la parole aux intérimaires du nucléaire, aux associations de victimes de l’amiante, aux femmes battues, aux jeunes des quartiers, aux salariés en lutte. Dirigeons les projecteurs sur les centres de rétentions, les commissariats où ont été commis des bavures, invitons les prisonniers, leurs familles à dénoncer l’horreur carcérale, les suicides.
  • dans les médias où notre candidat-e sera invité-e, envoyons avec lui un sans-papier, un-e syndicaliste en lutte, etc. Et si cela n’est pas accepté, nous mettrons en accusation le régime présidentiel, la personnalisation et le système médiatique. De cette manière, notre campagne sera l’occasion de populariser les luttes, de donner une tribune à ceux et celles qui se battent contre le système et d’en politiser le contenu.

Elle sera aussi l’occasion de construire en chaque lieu des comités anticapitalistes de campagne chargés de trouver comment relier luttes et campagne, mettre en place des assemblées, des actions... Bref, de relancer le NPA ! ».

Notes

[1D’après le proverbe chinois : «  Lorsque le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt  »

[2«  Pour une campagne : la voix des sans-voix  !  » de Alain Castan, Alain Pojolat, Cédric Bottero, Denis Godard, Vanina Giudicelli (disponible dans le bulletin de débat préparatoire de la Conférence nationale).

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Les deux âmes du NPA - Édito du #7 (PDF - 811.4 ko)

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