Éditorial du numéro 4

par Denis Godard

22 septembre 2009

Dans son article, Stathis Kouvélakis tire un premier bilan de la situation ouverte par la victoire du mouvement contre le CPE. Il y voit la confirmation de « l’entrée dans un cycle ascendant et soutenu de mobilisation ».

Dans un registre un peu différent, Loïc Wacquant prévoit, après l’explosion de la révolte des banlieues de novembre dernier, des « conflits plus durs et plus violents ».

Outre l’effet que ces deux mouvements ont eu sur le développement général de la crise politique, ils ont en commun le fait qu’une nouvelle génération a signé, de manière spectaculaire, son entrée dans le bras de fer entre ceux et celles qui s’opposent au libéralisme et la classe dirigeante.

Dans son article sur juin 1936, Sarah Bénichou explique comment dans le contexte d’une polarisation générale de la société, la réaction populaire contre une offensive fasciste en février 1934 a créé une poussée vers l’unité de la gauche, au niveau syndical et politique. En retour la construction de l’unité (qui progresse plus vite à la base) développe la confiance qui s’exprime dans les luttes. Elle insiste dans ces conditions sur le rôle qu’a pu jouer la victoire électorale dans le développement d’une mouvement massif de grèves et d’occupations. Il y a beaucoup de leçons à en tirer sur la combinaison des luttes politiques et des luttes sociales dans la montée du rapport forces dans la lutte des classes.

Ce qu’elle décrit, c’est le défilement du film de la montée de ce mouvement de radicalisation et de luttes, cette combinaison entre luttes, unité politique et syndicale et élections. Elle ne décrit pas la suite du film. Or l’arrêt de la dynamique du mouvement a commencé à faire tourner le film à l’envers. Et l’arrêt de ce mouvement n’a été possible que parce que dans sa première phase ne s’était pas développé une direction politique alternative aux directions dominantes du PCF et de la SFIO.

Dans des conditions encore plus extrêmes de la polarisation, celles de la révolution espagnole, c’est encore une fois l’incapacité des révolutionnaires à prendre des initiatives, et non le potentiel objectif de la situation qui explique, pour Antonin Béranger, L’échec de la Révolution.

Malgré l’accélération de la crise politique nous ne sommes pas dans de telles conditions. Néanmoins cela doit nous amener à réfléchir sur le rôle que nous devons jouer dans la situation actuelle et sur la stratégie qui doit nous guider.

Depuis un an, la victoire du référendum, l’éruption des banlieues et la victoire contre le CPE ont commencé à changer la donne. Des embryons de regroupement politique sont nés et se sont maintenus malgré le peu de soutien actif des principales organisations impliquées dans la campagne du « Non ». Les jeunes des banlieues sont entrés, de fait, dans l’arène de la confrontation politique. Et la jeunesse scolarisée a fait l’expérience de la lutte et de l’organisation. Un des aspects les plus importants de tout cela pour l’avenir est la jonction qu’ils ont commencé à établir avec les travailleurs.

Ces différents aspects et le fait que cette dynamique s’ancre dans un processus de retour des résistances entamé depuis une dizaine d’années confirme qu’il ne s’agit pas d’un feu de paille. Ce processus va continuer. Mais cela ne signifie pas qu’il peut se développer indéfiniment. Stathis explique, repris, dans leur article par François Calaret, Marc Dormoy et Birgit Hilpert, comment, derrière l’affrontement Ségolène Royal-Nicolas Sarkozy, se joue en fait un glissement à droite de toute la société et une recomposition beaucoup plus profonde.

Un saut qualitatif, qui ne peut se faire qu’en termes d’alternative politique, est nécessaire de la part du mouvement pour pouvoir répondre à cette offensive.

Il est difficile de prévoir les conséquences qu’aura sur la poussée vers l’unité et le regroupement, la proclamation de la candidature d’Olivier Besancenot pour les élections présidentielles.

Ce à quoi nous invite notamment les réflexions sur juin 36 et la révolution espagnole est l’analyse du rôle que doivent jouer des initiatives politiques pour permettre au mouvement de franchir des étapes nécessaires. La lutte de classes ne peut se réduire à une accumulation mécanique d’expériences. Une des lois de la dialectique enseigne qu’à une certain point l’accumulation quantitative se traduit par un changement qualitatif. Le mouvement est en train de créer des opportunités pour franchir des étapes vers la construction d’une alternative. Il y a un moment où le refus par la LCR notamment, de saisir ces opportunités pourrait se traduire par une démoralisation et l’abandon même de l’idée qu’une l’alternative est possible.

Ce qui semble au fond justifier le conservatisme majoritaire de la LCR c’est son refus de poser la question du regroupement dans le cadre d’une stratégie révolutionnaire. D’où la polarisation largement artificielle des débats entre ceux qui voudraient défendre l’identité révolutionnaire et ceux qui voudraient la dissoudre dans une alliance avec des réformistes.
Une des différences essentielles entre les années 30 et aujourd’hui est la structuration du mouvement ouvrier. Dans son article sur le programme de transition Antoine Brand explique que dans les années 30 la question essentielle, au sein d’un mouvement ouvrier largement dominé par les idées de lutte de classe, avec une tradition d’organisation était la question de la direction. D’où par ailleurs l’insistance mise sur le programme. Aujourd’hui il s’agit, dans des conditions nouvelles de combiner la reconstruction de ce mouvement, de ses traditions avec le développement d’une direction révolutionnaire. Le constat que fait Loïc Wacquant sur les banlieues devrait être compris comme l’expression la plus extrême d’un phénomène général : « les institutions de classe, par la classe et pour la classe ont été décimées et n’ont pas été remplacées par d’autres institutions par le groupe et pour le groupe ».

Ce qui nous différencie sans doute de Wacquant et est sans doute partagé par tous les camarades de la LCR, c’est que ces institutions doivent être reconstruites par la classe, la nouvelle classe ouvrière et pour la classe dans le sens le plus large du terme, syndicats, fronts de lutte, comités de lutte contre la répression policière dans les quartiers, associations, structures politiques. C’est dans ce sens que la LCR devrait s’engager résolument pour y développer ses analyses, tester sa politique plutôt que de penser qu’elle pourra un jour devenir une alternative parce qu’elle ne s’est pas mouillée dans tout ce qui a échoué. L’histoire nous enseigne qu’il sera alors trop tard.


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