60 ans de conflit israélo-arabe

Témoignage pour l’histoire

par Manue Mallet

15 septembre 2009

À l’heure où la communauté internationale frappe les Palestiniens en supprimant les aides au parti issu d’un scrutin démocratique, où Israël ne cesse de piétiner les résolutions de l’ONU et continue la politique de colonisation en Cisjordanie et dans le Golan, paraît 60 ans de conflit israélo-arabe , des entretiens croisés entre deux figures institutionnelles : Shimon Peres, ministre travailliste, prix Nobel de la paix, et Boutros Boutros-Gali, ancien Secrétaire Général des Nations Unies.

Ces entretiens basés sur leurs souvenirs, sont aussi, à l’aide des questions du rédacteur, André Versaille, un débat sur l’origine de la colonisation, le rôle des impérialismes successifs, les différents traités et leurs limites, la question du peuple palestiniens, les causes et les conséquences des attentats…

Malgré l’importance donnée à l’histoire de la diplomatie, le livre est d’un grand intérêt par son fond très politique. Les deux protagonistes, l’un sioniste de la première heure (Perez a adhéré au sionisme en Pologne et part comme pionnier en Palestine en 1934), l’autre, tiers-mondiste convaincu (B.Gali fut favorable à Nasser et ministre de Sadate) sont, en toute courtoisie, opposés, parfois de façon militante. Le travail de l’auteur est une analyse sans concessions, un retour sur les grandes dates et le contexte des rapports entre le monde arabe et Israël, et soulève des questions polémiques. Perez se pose comme homme de dialogue (il ose même parler d’un « colonialisme à visage humain » à propos des camps de Gaza et de Cisjordanie !), mais s’appuie sur une rhétorique semblable à celle des colons français en Algérie. Tous les arguments « classiques » sont développés : la supériorité civilisatrice des Israëliens sur les Palestiniens qui préfèrent toucher les allocations que travailler (p.113), la gauche radicale qui remplace une icône anti-impérialiste par une autre dans les années 70 (les Fedayin après les Viet-min), le manque de maturité politique des Arabes, leur galvanisation aisée et leur antisémitisme séculaire… ainsi que le glissement automatique de l’anti-sionisme à l’antisémitisme. Ce travailliste n’est ni gêné par des rapports privilégiés qu’un gouvernement « de gauche » a pu avoir avec un pays ségrégationniste comme l’Afrique du Sud (p.66), ni par le racisme ouvert de la « socialiste » Golda Meir (« le peuple palestinien ? Ça n’existe pas ! Moi je suis une Palestinienne ! »), pas plus que par l’exécution systématique des chefs du FPLP, du FDLP ou de Septembre Noir après les attentats de Munich en 1972 (p.128). On voit le rôle de la guerre des six jours en 67 : les Israëliens, vainqueurs d’une guerre facile, soutenus par la technologie des impérialismes capitalistes (p.101), triple son territoire et se retrouve à « gérer » les Palestiniens occupés. Dès lors, le mythe du « grand Israël », de la «  revanche du petit pays », se met en place, et avec lui, celui d’une légitimité… De plus, la menace que représente Nasser fait pencher définitivement Washington du coté d’Israël. Le livre rappelle le rôle des puissances européennes et américaines, la propagande de l’époque, (les reportages occidentaux montraient le beau soldat de Tsahal blond, devant un paysage paradisiaque, Nasser était baptisé « le nouvel Hitler » et Gainsbourg chantait « je donnerais mon sang pour toi, Israël »). L’impuissance de l’ONU est aussi confirmée : la voix de cet organisme ne se fait pas plus entendre avec la résolution 181 (celle reconnaissant la nécessité d’un Etat palestinien) que trente-cinq ans plus tard lorsqu’elle s’oppose à la guerre en Irak.

Ceci est d’autant plus intéressant que Boutros-Gali fut en fut le secrétaire sénéral pendant les accord d’Oslo. Ce livre révèle un discours contradictitoire chez Boutros-Gali : concernant la question palestinienne, il est très proche d’un militant anti-sioniste de gauche : il définit le sionisme comme une idéologie raciste, colonisatrice, il évite tout jugement « moral » des actes dits terroristes (« le terrorisme c’est l’arme des pauvres » p.126), que ce soit dans les conflits passés (Algérie, Irlande) ou présents (Palestine, Tchétchénie). Il aborde aussi la question du « choc des civilisations » d’un point de vue anthropologique, en critiquant l’européano-centrisme, mais reste malgré son approche tiers-mondiste dans le camp des bourgeoisies dites éclairées.

Boutros-Gali fut ministre des Affaires étrangères de Sadate, qui, tout en maintenant le régime autoritaire et anti-communiste de Nasser fit alliance avec l’occident capitaliste. Certes, Boutros-Gali critique l’erreur stratégique de Sadate qui considérait la gauche comme une menace plus importante pour l’Egypte que l’islamisme radical mais il se félicite du rapprochement entre Le Caire et Washington et ne dit pas un mot du régime antidémocratique de Moubarak. Il avoue l’échec du traité de Camp David, dont il fut un des artisans, dénonce la construction du mur, l’annexion de la Cisjordanie et la tactique du désengagement de Gaza (p.307), mais considère que ce traité, ainsi que celui d’Oslo, auraient pu être une brèche dans le conflit. Sa thèse est celle très politiquement correcte (et très sociale-libérale) du rapprochement nécessaire entre les nations, aidé par le marché et un développement économique de la région . Cette utopie séduisante nie évidemment tout rapport de classe, et rend impossible le combat contre l’impérialisme. Un livre très instructif, qui même s’il n’apporte pas de solutions, montre les limites de la démocratie capitaliste et de ses institutions concernant la justice et la liberté.

60 ans de conflits israélo-arabe, Témoignage pour l’histoire édition Complexe, 2006


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