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2 octobre 2009
La décennie passée a été marquée par le retour de mobilisations de masse après une longue période de léthargie du mouvement ouvrier. Au travers des luttes sociales, de décembre 1995 aux grèves contre le CPE, du mouvement altermondialiste et antiguerre des millions de personnes ont renoué avec l’action collective, souvent radicale, ou en ont fait une première expérience.
Par Nicolas Verdon
Dans un contexte d’offensive libérale à l’échelle internationale concomitante à une dérive droitière des organisations social-démocrates qui encadraient traditionnellement le mouvement ouvrier, ces mouvements ont remis en avant la question politique donnant une responsabilité nouvelle aux mouvements qui s’opposent à ces dérives. Ainsi en France, la gauche antilibérale a contribué de manière essentielle à la victoire contre le TCE. Ce retour de la politique s’est accompagné d’une radicalisation d’une frange conséquente du mouvement. En 2002, l’extrême gauche réalisait un score électoral sans précédent et suite à la victoire du Non, la question d’une alternative antilibérale commença à se poser à une échelle de masse sous la forme d’une recherche de candidature unitaire antilibérale pour les élections de 2007.
Cette situation interpelle la gauche radicale et principalement la LCR qui a pris une place importante dans ces mobilisations et compte, aujourd’hui bien plus qu’auparavant, dans le paysage politique. Ses militants sont non seulement capables de débattre à une échelle bien plus large, mais ils sont également amenés à se confronter à d’autres courants politiques et sont interpellés par le mouvement.
Il paraît donc important de faire un retour sur la façon dont la tradition marxiste aborde la question de son intervention politique au sein des mouvements de masse.
Cette question fut longuement abordée au début des années 20 au sein de la IIIe Internationale et théorisée en termes de Front unique.
Sous l’impulsion de la Révolution russe, des partis communistes s’étaient développés dans de nombreux pays. Ils rompaient avec les partis sociaux-démocrates dont l’orientation réformiste dominante s’était traduite par le ralliement à leurs propres bourgeoisies dans la guerre inter-impérialiste.
Mais malgré leur caractère de masse dans certains pays, comme en France, les partis communistes ne représentaient qu’une minorité de la classe ouvrière, une majorité de celle-ci restant influencée par la tradition réformiste. De surcroît, la vague révolutionnaire s’atténuant, l’objectif d’une crise révolutionnaire immédiate n’était plus à l’ordre du jour.
Au sein de la IIIe Internationale le débat se développait sur la manière d’accroître l’influence des partis communistes. Certains courants y développaient des tendances sectaires qui focalisaient sur la nécessité de dénoncer les dirigeants réformistes comme des traîtres et refusaient par principe tout type d’alliance avec les partis de la IIe internationale. Ce faisant, le risque était grand de se couper de tout lien avec la majorité des travailleurs encore influencés par le réformisme et de ne plus être en mesure de les convaincre de la nécessité d’une orientation révolutionnaire. Les principaux dirigeants de la IIIe Internationale, en particulier Lénine et Trotsky argumentèrent qu’il était au contraire essentiel pour accroître leur influence que les communistes trouvent le moyen de lutter aux côtés de ces travailleurs sur des questions spécifiques qui puissent unir de larges fractions de la classe ouvrière.
En 1922, Trotsky défendait ainsi la politique du front unique :
L’unité de front suppose donc de notre part la décision de faire concerter pratiquement nos actions, dans certaines limites et dans des questions données, avec les organisations réformistes pour autant qu’elles représentent encore aujourd’hui la volonté de fractions importantes du prolétariat en lutte.
Mais nous nous sommes séparés des organisations réformistes ? Oui, parce que nous sommes en désaccord avec elles sur les questions fondamentales du mouvement ouvrier. Et pourtant, nous recherchons un accord avec elles ?
Oui, chaque fois que la masse qui les suit est prête à agir de concert avec la masse qui nous suit, et chaque fois que les réformistes sont plus ou moins forcés à se faire l’instrument de cette action. [1]
La trahison de la social-démocratie avait rendu patente la nécessité de séparer les courants révolutionnaires de la social-démocratie réformiste. Le réformisme s’était développé suite à la période d’expansion du capitalisme à la fin du XIXe siècle qui avait vu la possibilité pour la classe ouvrière d’obtenir des gains substantiels dans le cadre du système capitaliste. Le développement de la routine parlementaire dans de nombreux pays comme la France et l’Allemagne renforçait l’illusion que le cadre pacifique et policé du Parlement devenait un substitut à la lutte de classe. Ce courant réformiste avait des racines solidement ancrées dans la classe ouvrière. Influencée de manière contradictoire par l’expérience des luttes sociales et politiques mais aussi par la pression des idées dominantes, elle adhérait en majorité à la conception réformiste d’une gestion pacifique des antagonismes de classe. En période non révolutionnaire, seule une minorité, de par son expérience de la lutte des classes et l’influence des courants révolutionnaires préexistants pouvait se forger une conscience révolutionnaire. Conserver un même cadre organisationnel pour les courants réformiste et révolutionnaire paralysait inévitablement ce dernier en période de crise. Les Bolcheviks qui avaient théorisé très tôt la nécessité de cette séparation, avaient été en mesure de développer une politique d’opposition indépendante et radicale à la bourgeoisie pendant la guerre. En revanche, les révolutionnaires allemands, autour de Rosa Luxemburg, ne s’étaient convaincus que tardivement de cette nécessité alors que la guerre faisait rage, et que la politique de collaboration de classes de la social-démocratie avait entraîné un recul et une passivité de la classe ouvrière. Alors que la révolution se préparait à l’issue de la guerre, les révolutionnaires allemands ne disposaient que d’un cadre organisationnel numériquement faible et peu expérimenté. Cela devait peser lourdement par la suite sur le développement de la révolution allemande.
Mais s’il était essentiel de se séparer organisationellement des partis réformistes pour pouvoir développer une politique indépendante des bourgeoisies, il était tout aussi nécessaire de se relier d’une manière ou d’une autre à l’ensemble des travailleurs qu’ils influençaient car la transformation révolutionnaire de la société ne pouvait aboutir sans que la majorité de la classe ne soit convaincue de sa nécessité.
Malgré l’impossibilité dans une telle période de rassembler une majorité de la classe ouvrière sur la question de la révolution, il était possible qu’elle s’unisse sur des questions de luttes économiques, de la défense générale des droits des travailleurs. Développer ces cadres de luttes communes au sein desquels pouvaient se côtoyer réformistes et révolutionnaires favorisait la possibilité pour de larges fractions de la classe ouvrière de faire l’expérience de luttes de masse et de créer un rapport de forces favorable. Cela permettait en même temps à ces fractions de tirer un bilan politique des orientations réformistes et révolutionnaires et à ces derniers de convaincre de la justesse de leur politique et de renforcer ainsi le courant révolutionnaire. C’est à cette double nécessité que répondait la politique de front unique.
Théorisée dans une période particulière, la politique du front unique n’a cependant rien de conjoncturelle. Elle est la médiation indispensable qui permet aux révolutionnaires de se lier aux masses dans une époque où la maturité du capitalisme a installé l’hégémonie du réformisme sur le mouvement ouvrier.
Si nous avions pu unir les masses ouvrières autour de notre drapeau ou sur nos mots d’ordre courants, en négligeant les organisations réformistes, partis ou syndicats, ce serait certes, la meilleure des choses. Mais alors la question du front unique ne se poserait même pas dans sa forme. [2]
Ainsi Trotsky reprit et développa la politique du front unique face à la montée du fascisme en Allemagne. Elle est depuis constitutive du mouvement trotskiste, en particulier de la LCR aujourd’hui, dont elle guide la pratique politique.
Mais une telle pratique qui se caractérise par une tension permanente entre séparation et unité, se confronte constamment à deux écueils.
Le premier consiste à se satisfaire d’une posture purement propagandiste ou à rester en dehors de structures unitaires en raison du manque de radicalité des mots d’ordre. Cela revient à vider de son sens le front unique. La revendication sur laquelle peut s’établir le front unique n’a pas pour vocation de radicaliser la classe ouvrière. Elle part au contraire de la situation concrète dans laquelle se trouve la classe, et donc ses organisations, de ce qu’elle est susceptible de faire. Le mot d’ordre revendicatif a pour vocation d’être la base minimale qui permette de l’unir dans l’action. C’est la dynamique et le rapport de force que peut créer la mobilisation ainsi que l’intervention politique des révolutionnaires qui donnent la possibilité que le niveau de conscience s’élève au sein du mouvement. Pendant la lutte contre le CPE, une partie des organisations de jeunesse étaient tentée par un élargissement de la plate-forme revendicative sur la question plus générale de la précarité de la jeunesse. Aussi légitimes que soient ces revendications, elles auraient constitué une base trop large pour permettre de rassembler tout l’arc de force syndical et politique qui contribua aux côtés de la jeunesse à faire reculer le gouvernement.
Cependant cette question de la radicalité renvoie au second écueil qui consiste à s’abstenir de mener, au nom de l’unité, une lutte politique au sein du front unique, et en particulier contre les orientations réformistes. Comme l’expliquait Trotsky, cette lutte est pourtant essentielle.
En concluant des accords avec d’autres organisations nous nous imposons sans doute une certaine discipline d’action. Mais cette discipline ne peut avoir un caractère absolu. Si les réformistes sabotent la lutte, contrecarrent les dispositions des masses, nous nous réservons le droit de soutenir l’action jusqu’à la fin, sans nos demi-alliés temporaires, à titre d’organisation indépendante.
Un renouvellement acharné des luttes entre nous et les réformistes, pourra en résulter. Mais ce ne sera plus une simple répétition des mêmes idées dans un cercle fermé, cela signifiera — si notre tactique est bonne — un élargissement de notre influence dans de nouveaux milieux prolétariens. [3]
Au cours de la mobilisation anti-CPE, le Parti socialiste proposa à toute la gauche de s’unir pour débattre « avec les citoyennes et les citoyens sous forme de rencontres publiques sur l’ensemble des propositions alternatives pour 2007 » [4]. Il est clair qu’une telle orientation avait pour vocation de substituer la politique institutionnelle par en haut à la mobilisation de masse, comme le fit malheureusement avec succès par exemple le PCF en 1968 ! Le PS n’avait certes plus le crédit suffisant ni la force militante pour imposer cette orientation, mais il était cependant indispensable que la gauche révolutionnaire la combatte au sein du mouvement.
Ne pas mener une telle lutte au sein d’un front unique priverait l’ensemble des travailleurs de la possibilité de tirer les meilleurs bilans politiques des mouvements de masse et en particulier sur les orientations proposées par les différentes organisations qui le composent.
Dans la discussion sur le débat stratégique, Sabado revient sur cette question en citant Daniel Bensaid :
Le front unique a toujours un aspect tactique. Les organisations réformistes ne le sont pas par confusion, inconséquence ou manque de volonté. Elles expriment des cristallisations sociales et matérielles. Les directions réformistes peuvent donc être des alliés politiques tactiques pour contribuer à unifier la classe. Mais elles demeurent stratégiquement des ennemis en puissance. Le front unique vise donc à créer les conditions permettant de rompre dans le meilleur rapport de forces possible avec ces directions, au moment de choix décisifs, et d’en détacher les plus larges masses possible. [5]
Mais une telle rupture n’a rien à voir avec une quelconque manoeuvre de récupération. Lorsque les mobilisations de masse se développent, elles se trouvent confrontées à de nouvelles questions, comme l’extension du mouvement ou la répression par l’État. Les réponses et orientations apportées par les différentes composantes du front unique peuvent diverger diamétralement et justifier une rupture de front. Lors du contre sommet de Gênes en 2001 une partie des organisations qui avaient construit la mobilisation unitaire, en particulier Attac, proposa d’annuler la manifestation de clôture face au déchaînement répressif de l’Etat italien, après le meurtre de Carlo Giuliani. Une telle annulation aurait signifié une énorme défaite pour le mouvement altermondialiste et aurait démoralisé une grande partie du mouvement. Cette orientation ne fut heureusement pas suivie. Mais si elle avait triomphé, il aurait été indispensable de rompre alors le front unitaire et de construire avec les forces prêtes à s’y engager une mobilisation qui puisse s’opposer à ce sentiment de défaite.
La politique de front unique nécessite donc de préserver au sein du front unique, l’indépendance politique de l’organisation afin d’y mener une lutte d’influence.
Cette intervention politique au sein du mouvement ne signifie pas une remise en cause de l’autonomie des mouvements. En 1998, des animateurs du mouvement social lançaient un « appel pour l’autonomie du mouvement social » [6]. Cet appel exprimait une défiance vis-à-vis de l’intervention politique au sein des mouvements, en particulier celle de la gauche plurielle au gouvernement, mais plus généralement contre les tentatives de récupération ou de manipulations partisanes du mouvement à l’instar des vieilles méthodes staliniennes.
L’autonomie du mouvement est un des meilleurs garants de sa réussite, dans le sens où la mise en place de structures démocratiques où chacun puisse participer à l’organisation et à l’orientation des luttes, amplifie sa cohésion et sa puissance. Elle permet à ceux qui participent au mouvement d’en être les principaux acteurs et non de simples exécutants. Une des raisons principales de la puissance de la campagne du Non a été de s’appuyer sur un énorme réseau de collectifs, impliquant activement des dizaines de milliers de personnes dans les débats politiques et l’élaboration d’initiatives locales. Mais cette autonomie ne signifie pas que les organisations doivent s’abstenir d’intervenir en tant que telles et prendre position au sein du mouvement, que ce soit par l’intermédiaire de ses représentants, de ses militants ou de ses outils de propagande. Bien au contraire, les différentes orientations qui existent nécessairement, de par la nature même du front unique, doivent pouvoir être débattues démocratiquement et ouvertement au sein du mouvement. Ne pas le faire ouvre la voie à des discussions cachées qui se limitent au sommet et à des méthodes manoeuvrières. La revendication qui émergea au sein des collectifs du NON et qui demandait une représentation des collectifs en tant que tels à la direction du mouvement était en ce sens totalement légitime. L’autonomie doit donc s’entendre comme l’organisation démocratique du front unique et en particulier permettre le débat sur les orientations de ses différentes composantes.
Les luttes récentes contre la guerre ou le CPE confirment que l’approche classique du front unique sur une question spécifique est toujours d’actualité.
Cependant, la résistance de masse qui s’est développée face à l’offensive libérale et à la dérive social-libérale du PS a fait émerger des fronts de lutte assez différents des fronts uniques classiques. Si un mouvement comme Attac pouvait à son lancement être considéré comme centré sur une objectif restreint tel que la taxation des flux financiers, son champ politique s’est rapidement élargi à la critique plus globale de la mondialisation libérale, prenant toutes sortes de positions allant de la dénonciation de la financiarisation de l’économie à la lutte contre les OGM. L’explosion du mouvement altermondialiste à partir de la manifestation de Seattle participait de cette même dynamique. Le mouvement des Forums sociaux a ainsi vu converger et débattre sur des plates-formes politiques très larges de nombreuses organisations du mouvement social aux origines très diverses et des syndicats. Même si les organisations politiques étaient formellement exclues de ces plates-formes, elles n’en étaient pas moins présentes et même parfois très présentes comme le fut Rifondazione Communista lors du Forum social de Florence. En France, cette même dynamique s’est concrétisée dans le puissant front de la gauche antilibérale contre le TCE.
Si ces fronts tranchent avec la base étroite des fronts uniques classiques, l’approche historique des marxistes n’en reste pas moins pertinente. Ni la géométrie, ni le contenu d’un front unique ne sont des données prédéterminées, elles dépendent comme il a été dit précédemment de la situation concrète dans laquelle se trouve la classe. L’élargissement des plates-formes reflète ainsi le développement d’une conscience radicale et critique qui se manifeste aujourd’hui jusque dans les organisations réformistes.
Mais les développements récents de ce mouvement de radicalisation semblent cependant poser plus de difficultés quant à l’approche que doivent adopter les révolutionnaires. La tendance vers une recomposition de la gauche radicale s’est posée à une échelle importante dans de nombreux pays. De nouveaux partis ou des coalitions électorales (SSP en Ecosse, Linkspartei en Allemagne, Respect en Grande Bretagne, intégration du courant de la IVe internationale dans Rifondazione Communista) ont émergé, qui rassemblent de manière plus ou moins lâches des courants révolutionnaires et réformistes en rupture avec les dérives social-libérales. Cette tendance résulte d’un processus de différenciation politique qui s’est opéré au sein de la gauche au travers du mouvement de masse : mobilisation contre l’agenda 2010 en Allemagne, mouvement antiguerre en Grande Bretagne. En France, la tentative avortée d’une candidature unitaire de la gauche antilibérale pour l’élection présidentielle traduit le même processus, suite à la différenciation issue de la campagne du NON.
La difficulté qu’a la gauche révolutionnaire et en particulier la LCR à aborder cette question n’est pas étonnante tant elle semble remettre en cause la séparation entre courants réformistes et révolutionnaires dont l’histoire a pourtant montré la nécessité. Les déboires du courant de la IVe internationale au sein du PT brésilien ainsi que les problèmes auxquels sont confrontés nos camarades italiens depuis le tournant de Rifondazione et son adhésion à la coalition de Prodi montrent sans conteste que ces difficultés ne sont pas simplement « psychologiques » mais bien concrètes.
Il apparaît cependant de plus en plus clairement qu’à notre époque, un tel regroupement est le chemin incontournable vers l’émergence de partis révolutionnaires de masse et qu’en se tenant à l’écart les organisations révolutionnaires risquent de se marginaliser durablement.
L’approche historique du front unique reste aujourd’hui un outil fondamental pour aborder la question du regroupement, car elle permet d’associer la construction de fronts politiques larges englobant des courants d’origines diverses qui drainent la radicalisation sociale et politique à celle d’une organisation politique révolutionnaire qui garde son indépendance afin d’y mener une nécessaire lutte d’orientation. Le cours du développement futur du mouvement de radicalisation posera nécessairement de nouvelles questions comme par exemple celle déjà présente de la participation à un gouvernement. À ces questions les divers courants du regroupement répondront certainement de manières différentes. Les débats politiques et la pression du mouvement y engendreront de nouvelles différenciations et de nouveaux regroupements. C’est de ce processus que pourrait naître dans le futur une conscience révolutionnaire de masse, à condition qu’un courant révolutionnaire structuré y défende des orientations conséquentes.
Vouloir appliquer la politique de front unique à la question du regroupement politique peut paraître inédit. Pourtant cette conception large du front unique n’est pas nouvelle.
La vénération en paroles des Soviets est aussi répandue dans les cercles « de gauche » que l’incompréhension de leur fonction historique. Les Soviets sont définis le plus souvent comme les organes de la lutte pour le pouvoir, les organes du soulèvement et enfin les organes de la dictature [du prolétariat, NdlR]. Ces définitions sont formellement correctes. Mais elles n’épuisent pas la fonction historique des Soviets. Et surtout, elles n’expliquent pas pourquoi ce sont précisément les Soviets qui sont nécessaires dans la lutte pour le pouvoir. La réponse à cette question est la suivante : de même que le syndicat est la forme élémentaire du front unique dans la lutte économique, de même le Soviet est la forme la plus élevée du front unique, quand arrive pour le prolétariat l’époque de la lutte pour le pouvoir.
Le Soviet en lui-même ne possède aucune force miraculeuse. Il n’est que le représentant de classe du prolétariat avec tous ses côtés forts et ses côtés faibles. Mais c’est précisément cela, et seulement cela, qui fait que le Soviet offre la possibilité organisationnelle aux ouvriers des différentes tendances politiques et qui sont à des niveaux différents de développement, d’unir leurs efforts dans la lutte révolutionnaire pour le pouvoir. Dans la situation actuelle pré-révolutionnaire, les ouvriers allemands d’avant-garde doivent avoir une idée très claire de la fonction historique des Soviets en tant qu’organes du front unique. [7]
Il n’est donc pas aberrant que dans la période transitoire de radicalisation sociale que nous connaissons, bien en avance sur la simple lutte syndicale, et encore bien loin d’une période révolutionnaire, la question du regroupement puisse également être abordée sous l’aspect du front unique.
Une telle approche aurait sans doute permis des avancées substantielles dans la voie du regroupement lors du débat récent sur les candidatures unitaires. Ce débat s’est posé à une échelle de masse et à partir des collectifs qui ont mené la campagne pour le NON, interpellant l’ensemble des forces de la gauche antilibérale. Il reflétait une volonté de s’émanciper de la domination du social-libéralisme. Pour autant, il posait un problème politique important que la LCR a clairement identifié, à savoir si l’objectif visait à la formation d’une gauche clairement indépendante du PS qui s’appuie sur le mouvement social ou s’il visait à peser de manière institutionnelle, au travers du Parlement ou d’un gouvernement, sur l’orientation du PS par un jeu d’alliances plus ou moins avouées.
L’ambiguïté du texte d’orientation stratégique [8] issu de la réunion des collectifs du 10 septembre était bien réelle. Et il ne fait pas de doute que l’objectif de la direction du PCF était de s’appuyer sur cette ambiguïté pour défendre à terme, au sein de la dynamique unitaire, une orientation vers ce deuxième objectif. Cependant la réunion de Saint-Ouen du 9-10 décembre 2007 a montré qu’une grande partie du mouvement, y compris de nombreux communistes, n’étaient pas prêts à suivre une telle orientation.
Malheureusement la politique de la direction de la LCR a consisté à vouloir faire de la levée de l’ambiguïté un préalable à la dynamique unitaire Elle ne s’est donc jamais pleinement investie dans sa construction, rompant définitivement le front unitaire à l’issue du 10 septembre, même si nombre de ses militants ont continué dans cette voie.
Or sa participation à la dynamique unitaire tout en défendant de haut en bas sa propre orientation aurait pu permettre que la clarification nécessaire s’opère à l’échelle d’une grande partie du mouvement. Sans aucun doute, une candidature unitaire ne pouvait pas aboutir avec tout l’arc de la gauche antilibérale. Peut-être n’aurait-elle pu aboutir qu’avec une partie des composantes plus claire sur l’attitude vis-à-vis du PS, comme celle qui s’est tournée vers la candidature Bové. Mais même en cas d’échec, une telle orientation aurait permis que la LCR ne soit pas perçue comme un frein à la dynamique unitaire, à l’instar du PCF, mais au contraire comme sa composante la plus conséquente ouvrant la voie à un approfondissement du regroupement.
L’échec de la candidature unitaire ne marque pas la fin de la tendance au regroupement qui est profondément inscrite dans la période actuelle. Le processus de regroupement et de différenciation va continuer en interaction avec le mouvement de masse. Il est important que la LCR continue de s’inspirer de la tradition marxiste du front unique pour aborder cette question et guider son intervention politique.
[1] Trotsky, [Le Front unique et le communisme en France, 1922.
[2] Ibid.
[3] Ibid.
[4] Appel de la gauche, 8 février 2006.
[5] Daniel Bensaïd, Crise et stratégie, 1986.
[6] « Appel pour l’autonomie du mouvement social », Libération, août 1998.
[7] Trotsky, La révolution allemande et la bureaucratie stalinienne, 1932.
[8] Texte ambition et stratégie, collectifs pour une candidature unitaire, 10 septembre 2006.
Site web du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA).
Revue indépendante d’analyse stratégique anticapitaliste.
Actualité politique internationale de la revue Inprecor sous reponsabilité de la Quatrième internationale.
International Socialism, Revue mensuelle théorique du Socialist Worker Party.
Le site web de la LCR Belge contient de nombreux articles de théorie marxiste très intéressants.
Base de données de référence pour les textes marxistes.
Le site de la commission nationale formation du NPA.