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24 septembre 2009
Depuis Seattle en 1999, et la croissance explosive du mouvement anticapitaliste, nous tous dans le mouvement socialiste international avons navigué des mers inconnues. La seule chose sur laquelle nous sommes presque tous d’accord c’est que la gauche doit développer de nouvelles formes d’organisation qui à la fois reflètent et dialoguent avec ce tournant radical nouveau et qui s’amplifie. Après le 11 septembre 2001 l’explosion de manifestations contre la guerre a ouvert de nouvelles directions, de nouvelles possibilités. Pour la gauche révolutionnaire, le potentiel était énorme pourvu que nous soyons dirigés avant tout par la volonté de devenir des socialistes à l’intérieur du mouvement, de travailler avec un spectre de forces plus large que ce à quoi nous nous étions peut-être habitués pendant les deux décennies précédentes. Tel était le défi que nous devions relever.
En Écosse le Scottish Socialist Party a fourni une possibilité de réponse à ce défi. Fondé en 1998, avec des camarades de la tendance Militant jouant un rôle central, il s’était engagé sur un projet d’unité de gauche qui s’exprimait dans un parti qui pourrait agir de manière concertée et unie tout en acceptant que le débat politique était la sève de toute organisation socialiste. Dans cet esprit, le Socialist Workers Party en Écosse a été invité à rejoindre le SSP en tant que plate-forme – une occasion que nous avons saisie avec l’accord très majoritaire de nos membres.
Les choses semblaient très prometteuses, et le succès électoral du parti en 2003 a confirmé qu’il y avait une base de soutien très large pour un parti socialiste anti-guerre avec des principes. Par conséquent, il est profondément regrettable qu’à peine trois ans après cette avancée électorale majeure le Scottish Socialist Party ait atteint un point de crise insoluble. Le projet, cependant, reste aussi urgent et prometteur qu’il l’était quand nous avons rejoint le SSP il y a cinq ans. La crise du New Labour qui s’aggrave, la révulsion devant la guerre en Irak et en Afghanistan et l’attaque sur le Liban, la privatisation agressive des services publics confirment la nécessité objective d’un parti socialiste, ouvert, démocratique, de masse. A présent, ce ne sera pas le SSP ; mais notre espoir est que la nouvelle formation que nous avons aidé à fonder, sous le nom provisoire de Solidarity, et qui inclut Tommy Sheridan, qui est peut-être l’individu clé à la gauche du paysage politique écossais, la majorité des anciens membres du SSP, et d’autres éléments dans le mouvement social plus large, attirera vers lui le plus large spectre d’anticapitalistes.
Ce qui suit est un récit de la crise et de l’écroulement du SSP. Son objectif n’est pas de gagner une quelconque compétition morale abstraite, mais de montrer que les événements qui ont mené à la crise, quoi qu’étant apparemment de nature personnelle, étaient en fait profondément politiques. Ils démontrent que ce qui est apparu au cours des derniers mois était une ligne de fracture dans un modèle spécifique d’organisation socialiste. L’objectif de ce récit est par conséquent d’identifier cette faiblesse pour qu’elle serve d’avertissement et de leçon pour le prochain chapitre.
La cause immédiate de l’écroulement du SSP a été la conséquence d’une décision par celui qui est peut-être son dirigeant le plus connu, Tommy Sheridan, de poursuivre en justice le journal News of the World, propriété du groupe News International de Rupert Murdoch, pour un article qui concernait sa vie privée. Pour les socialistes, les questions de morale privée ne nous intéressent pas ; les relations sexuelles consensuelles ne concernent que ceux qui s’y adonnent. Nous jugeons nos camarades à leur conduite politique, pas à leur vie personnelle. Les News of the World est un journal qui publie des récits scandaleux sur des comportements sexuels – mais aussi, chose plus importante, c’est un ennemi constant du mouvement ouvrier, qui utilise ses pages et celles des journaux qui lui sont affiliés pour attaquer les militants syndicaux, les socialistes, et tous ceux qui combattent l’oppression, la leur ou celle des autres, de manière systématique. Ceci est notoire, même parmi ceux qui achètent le journal pour son contenu voyeuriste. Et c’est pourquoi la victoire de Sheridan, quand un jury a condamné le journal à la majorité, a été largement célébrée par les travailleurs en Écosse et au-delà.
Ce qui a causé la crise interne dans le SSP, cependant, a été le fait étonnant qu’un certain nombre de membres du Comité Exécutif [1] du SSP sont venus témoigner en faveur des News of the World. Leur présence au tribunal n’était pas le simple résultat d’une obligation légale, comme ils le prétendent : c’était la conséquence d’une série d’actions et de décisions prises au cours des mois précédents qui n’étaient pas seulement mauvaises en elles-mêmes, mais qui révélaient un malaise bien plus profond dans le parti. Quand les premiers articles ont paru, Sheridan a demandé à l’exécutif lors d’une réunion longue et difficile de reconnaître son droit de poursuivre à titre individuel le journal pour diffamation ; au lieu de quoi il fut pressé de démissionner. Des minutes extrêmement précises de cette réunion ont été conservées, sans que d’autres membres du comité (parmi lesquels je me trouvais) soient informés de leur contenu – et ces minutes devinrent par la suite l’élément substantiel de la défense des News of the World. Dans les jours qui suivirent plusieurs membres du comité exécutif distancièrent le parti d’envers Sheridan de façon très publique, et des rumeurs et des suggestions le concernant furent l’objet de fuites vers la presse.
La position de la plate-forme Socialist Worker à ce moment était connue et répétée bien des fois – nous soutenions le droit de Sheridan de poursuivre le journal et avons condamné la campagne qui montait contre lui. En effet, il nous semblait très clair depuis le début qu’il y avait une campagne coordonnée et consistante pour éloigner Sheridan de sa position de dirigeant dans le SSP. L’extraordinaire dureté des attaques continues envers lui et tous ceux qui le soutenaient de l’intérieur du SSP après la conclusion du procès a choqué même les militants possédant une longue expérience – et a assuré l’écroulement du SSP dans sa forme ancienne.
Ce qui compte, bien sûr, ce ne sont pas des récits empiriques – même si la réaction du Comité Exécutif du SSP immédiatement après le procès a été de produire un document de 12 pages consistant entièrement en des vitupérations personnelles et des accusations envers Sheridan. Son effet fut de convaincre la majorité des militants du parti qu’ils ne pouvaient plus travailler dans un parti dirigé par des gens capables de produire un tel document.
La question qui va se poser, c’est « Pourquoi cela est-il arrivé ? »
Mon opinion est que la crise du SSP trouve son origine dans la question centrale de la relation entre les socialistes et le mouvement. Notre évaluation optimiste originelle du SSP, et notre décision de le rejoindre, reflétait son intention déclarée de construire un parti socialiste large, ouvert, de masse. L’autorité et la reconnaissance qui avaient été gagnées par Tommy Sheridan durant la campagne contre la Poll Tax puis son action comme seul député du SSP au parlement écossais contribuèrent de façon décisive à cette évaluation. Et la confirmation la plus éclatante du potentiel du SSP vint avec les élections parlementaires écossaises de mai 2003, où le parti obtint 6 % du vote national, un total de 130 000 voix, et put envoyer six députés aux parlement.
Ce fut un moment historique – et c’était une victoire, d’après nous, qui venait directement de la perception dans l’opinion publique du rôle dirigeant du parti dans le mouvement anti-guerre : le 15 février de cette année-là, une manifestation à Glasgow avait rassemblé 100 000 personnes. Le fait que ce nombre soit si proche du nombre de voix obtenu lors des élections n’est pas une coïncidence.
Les conflits à l’intérieur du parti, même s’ils n’étaient pas alors déclarés, commencèrent au moment même de ce succès. Le grand nombres de voix pour le SSP suggérait qu’il y avait une possibilité réelle de leur « ouvrir les portes du parti », de poser les fondations d’une véritable organisation de masse. Et pourtant il était clair même à ce moment qu’il existait une résistance à cette rencontre avec le mouvement large, et une insistance persistante sur les campagnes dirigées et contrôlées par le SSP. Des débats substantiels avaient déjà eu lieu entre la plate-forme Socialist Worker et la majorité du comité exécutif à propos du mouvement anti-guerre. Nous défendions l’idée que nous devrions tenter de répliquer les meilleures expériences de la campagne Stop the War et construire un mouvement anti-guerre large en alliance avec des organisations musulmanes, la majorité de la direction a rejeté cette orientation et a insisté au contraire sur une alliance avec des éléments staliniens très rétrogrades dans une bureaucratie nouvellement créée qui a bloqué de façon consistante toute activité à la base à partir de ce moment.
Cette crainte des forces plus larges qui sont entrées sur la scène de l’histoire après Seattle reflète une attitude sectaire qui allait caractériser la relation entre le SSP et tous les mouvements sociaux. Curieusement, les résultats électoraux n’ont pas mené, comme nous le défendions, à une relation plus ouverte et plus dynamique avec le mouvement large, mais à son contraire – un accent excessif mis sur l’activité parlementaire aux dépens du militantisme à la base. Les parlements peuvent être des plate-forme utiles pour la propagande dans la construction d’une organisation socialiste – comme l’a montré Tommy Sheridan si clairement quand il était le seul député entre 1999 et 2003. Avec six députés le parti a eu droit à un certain nombre d’assistants à plein temps, et l’engagement à ce que les députés remettent la moitié de leurs indemnités parlementaires au parti a augmenté les ressources du parti. Mais il a aussi renforcé le caractère bureaucratique du parti, et concentré son attention sur un rôle parlementaire qui ne pouvait être que limité et bridé.
Dans les discours, bien sûr, le dévouement du parti envers la classe ouvrière et la pureté de son caractère socialiste étaient réaffirmés sans fin. Mais c’était là une représentation fausse de la réalité si l’intention était d’indiquer une concentration sur des questions ayant trait au mouvement syndical, par exemple, ou un engagement à construire la résistance dans les quartiers populaires sur des questions comme la santé ou le logement. Le travail syndical se limitait en réalité à la recherche de bons rapports avec des dirigeants syndicaux en vue de l’affiliation de leurs syndicats [2]. La plate-forme Socialist Worker a toujours défendu l’idée que nous devrions former des liens avec et parmi la base ; cette idée a été reçu avec scepticisme de façon répétée parce qu’elle menaçait une relation de sympathie avec des dirigeants syndicaux souvent affirmée mais rarement visible. Quand le parti a agi sur les questions syndicales, c’était toujours au dernier moment, de façon généralement symbolique, et souvent sectaire dans le ton de ses interventions.
Une conséquence de ce que nous considérons comme une occasion perdue a été que le nombre de membres du parti a décliné, tout comme les ventes du journal du parti. Le journal lui-même était faible et tourné vers l’intérieur et très consciemment contrôlé par la faction de la majorité du comité exécutif. De temps en temps des articles étaient publiés qui provenaient d’autre positions dans le parti, mais ils étaient peu nombreux et ne reflétaient pas une véritable ouverture du journal au débat – encore moins une quelconque tentative de lui faire réfléchir le mouvement large qui avaient amené six camarades au parlement. L’atmosphère interne devint de plus en plus fractionnelle et les critiques de Sheridan d’un point de vue soi-disant féministe devinrent de plus en plus dures durant les réunions exécutives.
Mais c’est la rencontre du G8 à Gleneagles en Ecosse en juillet 2005 qui allait mettre à l’épreuve les deux perspectives qui étaient en conflit aigu mais non déclaré au sein du SSP. En janvier 2005, à la réunion exécutive ordinaire, les membres de la plate-forme Socialist Worker ont demandé un débat sur nos préparations pour le G8. A cette réunion et à toutes celles qui suivirent la direction du SSP refusa de traiter de la question. Les personnes qui allaient participer à la manifestation Make Poverty History, disait-on, était des représentants de la gauche bien-pensante des classes moyennes ; les travailleurs ne s’intéressaient pas à ce genre de questions, pas plus qu’ils ne s’intéressaient à la guerre en Irak. Les travailleurs ne s’intéressaient qu’à des questions économiques touchant à leur quotidien.
Pendant ce temps les membres de la plate-forme Socialist Worker dans le SSP en collaboration avec un large éventail de groupes et d’organisations ont pris l’initiative de créer un comité de préparation de la manifestation de Gleneagles le premier jour du G8, et l’organisation d’une contre-conférence à Edimbourg le dimanche précédent. Les réunions étaient régulières, avec une participation importante, enthousiaste et d’un caractère large. Une députée, Frances Curran, fut assignée pour faire la liaison avec ce groupe organisateur, avec un membre de la plate-forme qui avait était profondément impliqué depuis le début. Le rôle de la direction du SSP dans cette activité fut désastreux : régulièrement ses interventions étaient simplement conçues pour bloquer ou gâcher ce qui était une initiative large et démocratique, tout en ne proposant aucun soutien pratique ou politique réel aux organisateurs. En refusant de contribuer au Sommet des Alternatives, au-delà d’accepter l’occasion de parler à ses tribunes, ces camarades sont restés sur la vieille formule usée que cela n’intéressait pas les travailleurs et l’abstention continua. Le vendredi avant la manifestation quatre des six députés s’adonnèrent à un spectacle absurde et inutile au parlement pour dissimuler leur inefficacité et leur distance d’avec le mouvement. Le coût en fût 30 000 £ [3] en amendes et autres dépenses, ainsi que la désapprobation générale du public.
Comme nous l’espérions, la manifestation Make Poverty History a été énorme (environ 300 000 personnes) et aussi variée, diverse et dynamique que le sont toujours les manifestations de ce type. La préoccupation principale du SSP, cependant, n’était pas de savoir quelle était la meilleur manière pour les membres du parti de se connecter à ce nouveau mouvement mais plutôt de savoir comment nous pouvions nous différencier des autres manifestants. Ainsi les membres du SSP portaient des t-shirts rouges (et non blancs comme tous les autres manifestants) et formaient un cortège serré, fermé, plutôt que de participer dans toute la manifestation dans les délégations de syndicalistes, d’étudiants, de manifestants anticapitalistes etc.
Le Sommet des Alternatives de dimanche rencontra un succès extraordinaire, avec plus de 5 000 participants pour un événement vivant, ouvert, et stimulant, plein d’idées politiques et de débat. Il était triste, par conséquent, de voir la direction du SSP rester au-dehors de la salle principale tout le long de la journée à recueillir des signatures pour une pétition de défense des députés qui avaient été expulsés du parlement. De manière particulièrement significative, Frances Curran dans son intervention au cours du meeting de fin fit des efforts considérables pour mettre l’accent sur les différences entre le SSP et le mouvement, et la distance qui sépare le SSP des figures internationales majeures avec qui elle partageait la tribune, parmi lesquels Trevor Ngwane d’Afrique du Sud, Susan George, Caroline Lucas et George Galloway.
Plusieurs membres du comité exécutif se sont plaint amèrement à la réunion suivante de la conduite du SSP à ce grand événement, l’un des soutiens du groupe dirigeant a publié une évaluation franche et dévastatrice de l’intervention du parti dans le numéro suivant de Frontline, le magazine de la plate-forme ISM, celle de la direction du SSP [4]. En tant que parti, le SSP a refusé délibérément et explicitement d’engager le dialogue avec le mouvement, même si la plate-forme Socialist Worker avec d’autres membres de la base du SSP, ainsi que beaucoup d’autres en-dehors du parti, ont travaillé sans relâche pendant des mois pour construire l’événement.
La conclusion aurait pu bien sûr être tirée que cela avait été une erreur politique et que des leçons pouvaient en être tirées. Au lieu de cela il a été avancé dès le lendemain que c’était un événement « mis en scène » d’une manière ou d’une autre par le SWP. La question qui n’a pas été traitée est le paradoxe que, à un moment d’intense débat politique parmi un nombre croissant de travailleurs, non seulement le SSP s’est abstenu en tant qu’organisation, mais le nombre de ses militants continuait à décliner, tout comme les ventes de son journal, dans une atmosphère extraordinairement favorable.
Deux mois après ces événements grandioses, le coordonnateur politique du parti, Alan McCombes, a présenté un texte au comité exécutif qui défendait l’idée que l’audience principale du parti ne se trouvait pas parmi ceux qui avaient été aliénés par le New Labour ou ceux qui étaient engagés dans les mouvements anti-guerre ou anticapitaliste mais plutôt parmi les pauvres et les exclus dans les HLM :
Le plus grand réservoir potentiel de soutien pour le SSP ne se trouve pas parmi les électeurs travaillistes, du SNP, des libéraux-démocrates ou même des Verts, mais dans les 50 pour cent de la population qui ne votent pas. Plus d’un million de personnes ne s’est pas déplacé pour les élections écossaises de 2003 ou pour les élections législatives de 2005.
Naturellement les pauvres et les exclus doivent faire partie de l’audience potentielle du SSP et il est correct qu’un parti socialiste essaie d’encourager leur entrée dans la vie politique, tout en reconnaissant les difficultés que cela comporte. L’erreur de McCombes, cependant, est d’imaginer que les exclus peuvent être la composante principale ou dirigeante de notre base sociale (c’est là, en même temps que sa suggestion que l’organisation du parti soit basée dans l’avenir sur une série de groupes d’intérêt ou de « réseaux » plutôt que des sections à base géographique, une des raison pour lesquelles son texte n’a pas été soutenu par le comité exécutif).
Si une grande partie de la direction ne semblait pas être affectée par les événements de Gleneagles, on ne peut pas en dire autant des membres du SSP. La conférence nationale du SSP en mars de cette année (2006) a été notable pour son atmosphère changée. Autour des questions de la guerre, du racisme et du changement climatique, les délégués ont rejetés avec consistance les motions sectaires qui défendaient l’idée d’une approche solitaire, en faveur d’un travail en collaboration avec d’autres militants. Quand la députée Rosie Kane est intervenue par exemple dans un débat sur les questions écologiques (il faut rappeler qu’elle est l’une des porte-paroles principales du parti sur l’environnement) en représentant le comité exécutif, elle a rejeté spécifiquement la motion proposant que le parti s’implique dans le front large de la Campaigne Against Climate Change, en défendant au contraire que « nous n’avons besoin de personne d’autre – nous pouvons le faire tout seuls ». Sa position a été rejetée clairement par les délégués.
Les délégations à la conférence incluaient un certain nombre de nouveaux militants qui étaient venus au SSP via le travail autour du G8 et des activités anti-guerre – ces mêmes activités qui avaient été rejetées de façon répétées comme non pertinentes et marginales par la direction de l’organisation. C’était largement par le contact avec des membres de la plate-forme Socialist Worker qu’ils avaient rejoint le SSP ; ils étaient plutôt jeunes et non-sectaires. Mais ils voyaient leur état d’esprit peu reflété dans le journal du parti ou aux réunions de sections. En fait ils avaient rejoint un parti en déclin, contrôlé par une couche bureaucratique qui voyait la croissance par le mouvement comme une « dilution ».
L’esprit de la conférence n’a eu aucun impact sur le comité exécutif. La réalité était que le soutien pour le SSP dans le pays déclinait – une série d’élections partielles locales et parlementaires en 2006 avaient montré la minceur de ce soutien à présent, avec des descentes dans certains cas au-dessous des 2% des voix. Le processus de préparation pour les élections écossaises de mai 2007 aurait déjà dû commencer, la sélection des candidats aurait dû être entamée, des campagnes locales auraient dû être démarrées. Au lieu de cela, la direction du parti est restée complètement absorbée par la question de l’action en diffamation de Tommy Sheridan, et a intensifié son activité fractionelle, en continuant à défendre les arguments qui avaient émergé pour la première fois deux ans auparavant. Sheridan avait été élu président du parti par la conférence. Mais la direction du parti n’était pas prête à accepter la volonté expresse du parti. Au lieu de cela, elle contre-attaqua, en lançant une nouvelle campagne de rumeurs dans l’intention d’obliger Sheridan à abandonner son action en justice, et en lui retirant de fait le soutien politique du parti à un moment critique.
Il y a un motif récurrent clair dans le comportement de la direction du SSP au cours des trois dernières années, dont les racines se trouvent plus loin dans l’histoire du SSP. Devant l’épreuve des faits, à chaque occasion les personnes qui contrôlaient le parti ont démontré que l’intention déclarée d’avancer vers un nouveau genre de formation politique ouverte, de masse, ne valait guère plus que le papier sur lequel elle était écrite. Les militants, dont le nombre déclinait au fil des jours, ne contrôlaient pas et ne comprenaient pas ce qui se passait au sommet. La méthode dominante restait sectaire envers la classe et bureaucratique envers les militants. Loin de s’engager dans le mouvement en Écosse et d’en gagner la direction, le SSP est resté en retrait du mouvement, a refusé d’oeuvrer pour en gagner la direction, et l’a le plus souvent condamné pour ses limites politiques.
Sheridan lui-même était membre de la plate-forme ISM ; ceux qui se sont retournés contre lui étaient presque tous de proches alliés politique jusqu’à très récemment. Ils se sont à présent retournés contre lui pour des raisons qui sont beaucoup plus profondément politiques que personnelles. Sheridan partage les racines politiques de la direction du SSP, mais il a eu une influence majeure pour attirer le soutien de la classe pour le parti grâce à son passé de militantisme constant sur les questions de la guerre, des demandeurs d’asile et de l’anticapitalisme. En 2003 son nom figurait sur le bulletin de vote à côté du logo du parti. Le projet pour lequel les gens ont voté était inévitablement associé dans l’opinion publique avec Tommy Sheridan. C’est pourquoi la majorité des militants du parti représentés à un conseil national du parti en juin ont donné leur soutien entier à Sheridan et rejeté les arguments tirés par les cheveux présentés par la majorité du comité exécutif pour justifier ce qui était vu comme une trahison publique d’un dirigeant socialiste et du projet qu’il représentait.
Un argument présenté par la direction était que la question principale était la question de genre et non la question de classe. Sheridan lui-même a suggéré que le conflit prenait place entre ce qu’il caractérise comme « la politique de genre » et « la politique de classe ». Ce n’est pas nécessairement une caractérisation que nous accepterions, en particulier parce que nous concevons la lutte contre l’exploitation de classe et pour la libération des femmes comme intimement liées. Néanmoins, la domination d’idées féministes dans une section du parti l’a amenée à voir la question centrale comme étant le comportement personnel de Sheridan plutôt que les attaques de News International contre un dirigeant socialiste.
Le SWP a pu clarifier sa compréhension de la véritable tradition marxiste sur la libération des femmes via un combat fractionnel long et parfois âpre au début des années 1980 autour de la question de l’organisation « autonome » des femmes. Par contraste, ce type de débat n’a pas eu lieu au sein de Militant, qui était en fait bien connu dans la gauche des années 1970 et 1980 pour ses dénonciations du mouvement pour la libération des femmes comme « petit-bourgeois ». C’est peut-être une conséquence de cette expérience qui a amené des dirigeants du SSP qui sont d’anciens militants ou sympathisants de Militant de faire un « virage à 180° » pour accepter de manière acritique beaucoup d’idées féministes. Ce type de positions peut mener par exemple à l’article de la députée Carolyn Leckie (qui ne vient pas de Militant) dans le Sunday Herald ou elle écrit que le SSP a pris le conflit des travailleurs de la petite enfance moins au sérieux que d’autres conflits parce qu’il impliquait des femmes. C’était une calomnie scandaleuse envers les nombreux camarades du SSP, hommes et femmes, qui sont allés soutenir les piquets de grève de façon quotidienne et particulièrement inexact en ce qu’une importante base de soutien pour Sheridan vient des travailleuses et travailleurs de la petite enfance qui ont rejoint le parti grâce à son soutien pour leur grève !
Pour la majorité des militants il était clair que le procès n’aurait jamais eu lieu si certains membres du comité exécutif n’avaient pas essayé d’utiliser l’affaire pour éloigner Sheridan de son rôle dirigeant. Les raisons étaient toujours politiques – à la racine, un conflit entre deux visions différentes du parti. Tommy Sheridan n’a pas défendu un engagement plus large dans le mouvement devant ses collègues, et jusqu’à relativement récemment il n’a pas critiqué ouvertement le sectarisme qui s’intensifie au sein du parti. Pourtant pour un nombre substantiel de militants du parti, et beaucoup d’autres en-dehors du parti, du fait de son activité constante et de son association publique avec la campagne contre la guerre, à plusieurs niveaux il s’est mis à représenter le genre de parti large, militant, que le SSP aurait dû devenir. La décision de membres du parti à une réunion de délégués subséquente fut qu’une conférence nationale du SSP devrait être tenue dès que possible après la fin du procès. Des motions proposées à cette réunion disaient très clairement que l’objectif de cette conférence serait de remplacer la direction sortante par une nouvelle. Dans la plate-forme Socialist Worker nous avons commencé à nous préparer activement à ce qui aurait pu être une occasion importante de changer la direction du parti.
Dans les semaines qui suivirent, cependant, il devint évident pour nous tous que ceux qui contrôlaient le SSP n’allaient jamais permettre que ce changement ait lieu. La campagne de dénigrement a été conduite dans la presse et les médias ; elle était si vile qu’un certain nombre de commentateurs ordinairement sans sympathie pour lui commencèrent à le soutenir. Des militants du parti opposés à la direction actuelle ont reçu des notes anonymes dans leur courrier de parti, tandis que d’autres étaient attaqués physiquement durant des réunions de section. C’était là une indication claire que la faction sectaire qui contrôlait toujours le parti préférait le détruire que de relâcher leur contrôle.
Il y avait encore une majorité claire de membres du SSP engagés sur le projet qui nous avait rassemblés il y a cinq ans ; notre loyauté était envers ce projet, et pas envers un parti qui ne proposait à présent qu’un modèle sectaire isolé des mouvements et claquemuré dans l’abstraction, un parti qui continuait ses calomnies envers Tommy Sheridan durant toute la période où le Liban était en trait d’être détruit par les armes israéliennes. Ce n’était pas là un débat mineur, mais une différence d’orientation fondamentale.
Nous espérons que les forces qui sont décidées à construire une alternative socialiste de masse au New Labour, une formation anticapitaliste ouverte à tous ceux et à toutes celles qui s’opposent au capital mondial et à la guerre, peuvent à présent travailler ensemble pour constuire la nouvelle organisation Solidarity. C’était la base de la décision des membres de la plate-forme Socialist Worker de jeter nos forces et notre dévouement dans cette nouvelle organisation :
La plate-forme Socialist Worker reconnaît avec tristesse que le SSP n’est plus le parti de masse large et ouvert de la gauche que nous nous étions engagés à construire quand nous l’avons rejoint il y a cinq ans. Tandis que la guerre impérialiste s’intensifie et s’étend au Liban, et que le niveau de colère populaire et d’opposition grandit, le SSP s’est montré incapable de répondre à cette colère ou de lui donner une quelconque direction.
Le potentiel pour la construction d’une organisation large et inclusive de la gauche Ecossaise est aussi vaste que jamais. C’est le devoir des socialistes de répondre à ce potentiel et de le développer. Nous approuvons l’initiative appelant à une réunion publique ouverte de la gauche écossaise le 3 septembre à Glasgow pour lancer Solidarity et nous contriburons activement à sa construction, dans la conviction qu’elle peut représenter la première étape dans la construction d’une nouvelle formation politique qui pourra répondre aux besoins des nombreux socialistes et militants d’Ecosse, une plate-forme de lancement pour une nouvelle gauche écossaise qui sera ouverte, démocratique, internationaliste et engagée dans la construction d’un monde nouveau et meilleur.
Ceci est une traduction de l’article paru dans la revue théorique trimestrielle du Socialist Workers Party britannique, International Socialism, numéro 112, Automne 2006. Le texte original est consultable sur Internet : http://www.isj.org.uk/index.php4?id=247&issue=112 (NdT)
[1] La grande majorité du CE ont été membres de la tendance Militant. Trois membres étaient membres de la plate-forme Socialist Worker, parmi lesquels moi-même. La seule membre de notre plate-forme présente à la réunion de novembre 2004 a voté pour la décision appelant Sheridan à démissioner, mais elle a immédiatement reconnu publiquement qu’elle avait eu tort.
[2] La plupart des syndicats britanniques sont affiliés au parti travailliste, qui est historiquement leur émanation. Depuis quelques années, quelques syndicats se sont désaffiliés du parti travailliste et se sont affiliés à des partis à sa gauche comme le SSP. (NdT)
[3] Environ 45 000 €. (NdT)
[4] Il s’agit vraisemblablement de l’article de Donnie Nicolson, The SSP and the anti-capitalist movement dans Frontline première série, numéro 18, consultable sur Internet : http://www.redflag.org.uk/frontline/18/18donnie.html (NdT)
Site web du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA).
Revue indépendante d’analyse stratégique anticapitaliste.
Actualité politique internationale de la revue Inprecor sous reponsabilité de la Quatrième internationale.
International Socialism, Revue mensuelle théorique du Socialist Worker Party.
Le site web de la LCR Belge contient de nombreux articles de théorie marxiste très intéressants.
Base de données de référence pour les textes marxistes.
Le site de la commission nationale formation du NPA.