Janvier 1919
Quand les révolutionnaires subissent la révolution
par
5 septembre 2009
Il y a 90 ans, en janvier 1919, la révolutionnaire Rosa Luxemburg périssait assassinée tandis que la révolte des travailleurs de Berlin contre le gouvernement social-démocrate était écrasée dans le sang. Triste anniversaire, néanmoins riche d’enseignements. La révolution allemande venait de commencer quelques mois plus tôt. Bien qu’ils ne scellèrent pas définitivement son sort, les combats de janvier, que l’histoire retint sous le nom de « soulèvement spartakiste », constituèrent la première défaite décisive infligée à un processus révolutionnaire qui ne s’acheva qu’en 1923. Comment Rosa Luxemburg et les spartakistes se virent-ils attribuer la responsabilité d’une insurrection qu’ils auraient souhaité empêcher et dont ils subirent de plein fouet les conséquences ? En quoi les évènements de janvier 1919 constituent-ils un contre-exemple des journées de juillet 1917 en Russie [1] ? Les travaux de Pierre Broué et Chris Harman [2] à l’appui, cet article se propose de revenir sur cet épisode d’une révolution allemande dont l’issue détermina tragiquement le cours du vingtième siècle.
Début novembre 1918 : le sentiment anti-guerre n’avait jamais été aussi développé dans la population allemande, nourri par une gauche révolutionnaire dont les capacités d’initiative étaient devenues sans commune mesure avec les maigres forces dont elle disposait (Cf., encadré pages suivantes). Une vague venue de Kiel vint mettre le feu aux poudres. Après des affrontements violents avec les troupes loyalistes, des marins révoltés élirent un conseil de soldats qui, le 5 novembre, constituait la seule autorité sur la ville. La révolution allemande venait de commencer. Le même schéma fut réitéré dans toutes les grandes villes les jours suivants : manifestations et meetings de masse, occupations de bâtiments par des groupes armés, grèves, élections de conseils d’ouvriers et de soldats… La monarchie prussienne qui régnait depuis des siècles s’effondra en quelques jours sans que personne ne cherche vraiment à la défendre.
Alors que les sociaux-démocrates voulaient éviter une révolution à tout prix, celle-ci atteignit Berlin le 9 novembre, où l’appel à la grève générale lancé par la gauche révolutionnaire fut largement suivi dans les usines. Les régiments, que les chefs militaires croyaient sûrs, se désagrégèrent à mesure que les soldats sortaient des casernes pour fraterniser avec la foule qui envahissait les rues. Des centaines de milliers de personnes déferlèrent vers les lieux de pouvoir, emmenées par les révolutionnaires.
S’étant vus offrir le pouvoir par le Reich, qui voulait « prévenir le bouleversement d’en bas par la révolution d’en haut » [3], les dirigeants du SPD proposèrent aux sociaux-démocrates indépendants (USP) de former un « gouvernement révolutionnaire ». Celui-ci fut formé le 10 novembre et appelé à la mode russe « Conseil des commissaires du peuple ». Le même jour se réunissait une assemblée de délégués ouvriers et soldats. Le SPD avait mis en branle son appareil pour y garantir sa domination, en assurant la prédominance des soldats qu’il influençait davantage que les ouvriers. Il fut facile pour le SPD de faire admettre aux délégués, dont la plupart vivaient leur première expérience politique, que le succès de la révolution signifiait seulement l’unité entre les socialistes, et de présenter la gauche révolutionnaire comme des diviseurs. Les dirigeants les plus connus étant unis, la révolution semblait déjà terminée. Un Comité Exécutif berlinois des conseils fut élu, proclamant son droit à contrôler le gouvernement. De fait, il était le seul véritable pouvoir. Mais il était complètement dominé par le SPD, également aux commandes du gouvernement « légal ». L’Allemagne se trouvait dans une incroyable situation de double pouvoir avec un sommet unique, un gouvernement à deux faces : garant du pouvoir bourgeois pour la classe dirigeante, représentant du pouvoir soviétique pour les ouvriers.
La situation ouverte par la création des conseils d’ouvriers et de soldats ouvrit la voie à une polarisation rapide de la société allemande. De fait, les conseils constituaient les seuls pouvoirs dans le pays. Toutefois, non seulement ils reflétaient peu l’état d’esprit rapidement changeant des masses, mais surtout ils n’étaient pas organisés en un système coordonné apte à diriger le pays dans son ensemble. Ils étaient extrêmement hétérogènes : si certains étaient dirigés par des révolutionnaires, la plupart restaient dominés par le SPD, qui manœuvrait habilement en s’appuyant sur la faible conscience politique de la majorité des délégués. Le but des sociaux-démocrates était de parvenir à diriger le mouvement pour détruire son pouvoir. Aussi, s’il était difficile de stabiliser l’état d’esprit des masses, il était en revanche possible de stabiliser les conseils, notamment en s’opposant à chaque tentative de renouveler les délégués par des réélections susceptibles de bénéficier à la gauche.
Rapidement, les conseils perdirent donc leurs positions acquises, à mesure qu’ils transférèrent leurs nouveaux pouvoirs, sous l’influence du SPD, à l’appareil d’Etat. L’Exécutif berlinois transféra sa souveraineté à un congrès national de délégués de toute l’Allemagne à la mi-décembre. Ce dernier vota pour abandonner sa souveraineté à une Assemblée Nationale constituante à élire quatre semaines plus tard. Dès la mi-novembre, quasiment tous les journaux « d’information » contrôlés par la bourgeoisie firent la propagande de la campagne gouvernementale pour l’Assemblée Constituante, discréditant systématiquement les conseils. Les élections pouvaient être utilisées pour détruire le pouvoir révolutionnaire qui les avait organisées.
Le processus révolutionnaire allemand qui avait brisé le pouvoir impérial faisait donc face à deux grandes directions contradictoires : se dirigerait-il vers le pouvoir d’une Assemblée Nationale ou vers celui des conseils, vers une démocratie bourgeoise ou socialiste ? D’un côté, la bourgeoisie allemande s’était retrouvée plus forte que ne l’était la bourgeoisie russe en 1917 : non seulement elle disposait d‘un corps d’officiers résolu à la défendre mais, aussi et surtout, de la détermination de l’appareil du SPD à empêcher la révolution. D’un autre côté, comme l’explique Broué, il manquait « dans les soviets allemands de 1918 l’action concertée d’explication patiente qu’avaient menée en Russie les bolcheviks et qui leur avait permis, entre février et octobre, d’affermir les soviets et leur autorité, et d’y gagner la majorité afin de les entraîner dans la lutte pour le pouvoir » [4].
L’évolution des rapports de force politiques se cristallisa rapidement dans la question des forces armées. A mesure que la radicalisation se développait dans l’armée – marquée par la haine des soldats envers la vieille discipline et leur volonté de retourner dans le civil – le SPD se mit à chercher du soutien dans les sommets de l’appareil militaire.
Début décembre, alors que la presse lança une campagne acharnée contre la gauche, quelques sections de l’armée menées par un groupe d’officiers tentèrent un coup d’état à Berlin. Celui-ci avorta, notamment parce que ceux qui le menèrent n’avaient pas d’objectifs très clairs et que le premier ministre du SPD Ebert hésita à prendre le pouvoir que les putschistes lui proposaient. Les affrontements sanglants furent suivis de meetings et de manifestations énormes organisés par la gauche. Non seulement cela eut pour effet de radicaliser les travailleurs de Berlin mais les soldats engagés dans l’action, notamment la Division de Marine du Peuple, commencèrent à se poser des questions. Les forces dont disposait la gauche révolutionnaire se renforçaient : les manifestations régulières organisées par la Ligue des Soldats Rouges (sous influence spartakiste) attiraient de plus en plus de monde et la force de sécurité contrôlée par Eichhorn, que la révolution de novembre avait installé au poste de chef de la police révolutionnaire, se composait de deux tiers de volontaires et d’un tiers de policiers.
Le SPD chercha à contrer ces forces. Les troupes comme la Division de Marine étant de moins en moins sûres, il constitua son propre Corps de Soldats Républicains à partir de ses sympathisants. Ceux-ci furent engagés dans des affrontements avec les forces révolutionnaires, qui leur étaient présentées comme des hordes de fauteurs de troubles. Pourtant, l’accord du SPD avec le Haut Commandement militaire qui voulait restaurer la vieille discipline honnie apparaissait de plus en plus comme étant incompatible avec la marche vers le socialisme. Aussi, les doutes et l’instabilité commencèrent également à s’emparer des Corps de Soldats Républicains chargés d’appliquer cette politique.
Fin décembre, sentant le vent tourner, le gouvernement en vint à charger un général d’organiser à partir d’officiers privilégiés une force bien payée dont il pourrait escompter un soutien sans faille, les Freikorps (Corps Francs). Dans la foulée, il tenta de disperser la Division de Marine en bloquant la solde des marins. Ceux-ci se rebellèrent et le soutien immédiat que leur apportèrent les Soldats Rouges, les Corps de Soldats Républicains et de très nombreux travailleurs de Berlin mit en échec la tentative du gouvernement de les réprimer. La radicalisation enflamma alors Berlin. L’emprise des sociaux-démocrates sur la ville s’effondrait. Le Comité Exécutif des conseils, pourtant dominé par le SPD, condamna l’attaque contre la Division de Marine. Les ministres Indépendants quittèrent le gouvernement, de peur de perdre leurs soutiens à Berlin. Quant à la population, le sentiment que le gouvernement était paralysé, qu’il était possible de ranimer la flamme du 9 novembre en le remplaçant par un autre se développa largement en son sein.
Le SPD n’avait même pas pu trouver des forces capables d’empêcher que les locaux de son journal Vorwärts soient occupés. Mais à l’extérieur de la ville, le gouvernement rassemblait des forces qu’il s’apprêtait à utiliser : les Freikorps. En face, l’enthousiasme qui s’emparait de Berlin ne suffisait pas à pallier l’extrême désorganisation du mouvement.
Selon Pierre Broué, « C’est par un processus complexe et qui, surtout, n’a rien de linéaire, que s’effectuent pendant les périodes révolutionnaires les changements d’orientation des larges masses, sans cesse accrues de centaines de milliers d’individus qui s’éveillent à la vie politique : leur expérience, qui se concentre parfois en quelques semaines seulement, exige de la part des organisations politiques qui aspirent à les utiliser des réflexes rapides, et surtout une grande clarté dans l’analyse » [5]. Or, faible et fragmentée, la gauche révolutionnaire n’était pas en mesure de répondre aux enjeux de la situation. C’est alors qu’à la fin du mois agité de décembre 1918, les spartakistes se résolurent à quitter l’USP pour créer une organisation révolutionnaire indépendante. Le 30, des délégués venus de tout le pays (83 spartakistes et 29 IKD) se réunirent pour former le Parti Communiste d’Allemagne (KPD).
L’analyse de Rosa Luxemburg
Mais le congrès fut marqué par un contraste saisissant entre l’état d’esprit de la majorité des délégués et les analyses des cadres spartakistes. Pour Rosa Luxemburg, la révolution n’en était qu’à un stade primitif, limitée pour le moment à une lutte politique. Pour qu’elle devienne une révolution socialiste, elle devait se transformer en révolution économique se propageant dans chaque usine, une deuxième phase justement en train de s’amorcer avec la généralisation des grèves. Les révolutionnaires devaient selon elle se battre pour saper pas à pas le pouvoir du gouvernement et de la bourgeoisie, chercher à « conquérir le pouvoir politique non par le haut, mais par le bas », œuvrer pour que « les conseils d’ouvriers et de soldats se sentent appelés à devenir le seul pouvoir dans l’Allemagne entière, et qu’ils apprennent à l’être » [6]. La stratégie que proposait Luxemburg était tournée tout entière vers la conquête progressive par la classe ouvrière de l’hégémonie sur l’ensemble de la société, comme préalable au moment ultime de la prise du pouvoir d’Etat.
Les délégués accueillirent son intervention dans ce sens à la fin du congrès par de chaleureux applaudissements. Pourtant ils ne comprenaient pas le coeur de son analyse. La majorité ne partageait pas sa patience vis-à-vis du processus révolutionnaire, l’idée qu’il fallait gagner la majorité des masses ouvrières d’Allemagne avant d’envisager une prise du pouvoir politique.
Paradoxalement, ils adoptèrent le programme proposé par Luxemburg tout en étant en désaccord avec les conclusions dont il était porteur. En effet, durant le congrès, des désaccords s’étaient cristallisés sur deux questions précises.
La domination du gauchisme
Le premier concernait la participation aux élections. Contrairement à la direction spartakiste, la plupart des délégués s’y montrèrent hostiles. A la suite de Luxemburg, Paul Lévi argumenta : « l’Assemblée nationale va se réunir. Elle se réunira - et vous ne pourrez pas l’empêcher. Pendant des mois elle dominera toute la vie politique allemande. Vous ne pourrez pas empêcher que tous les yeux soient fixés sur elle […] Elle sera dans la conscience des prolétaires allemands, et vous, contre ce fait, vous voulez vous tenir à l’extérieur, travailler de l’extérieur ? » [7]. Accueillant avec ironie les interventions de ce type, la majorité des délégués applaudit au contraire ceux qui, comme Otto Rühle, estimaient qu’il fallait en finir avec les « compromis et l’opportunisme ». Traçant une perspective insurrectionnelle à court terme, il proclama : « Nous avons maintenant d’autres tribunes. La rue est la grandiose tribune que nous avons conquise, et que nous n’abandonnerons pas, même si on nous tire dessus » [8]. La résolution de Levi fut rejetée par 62 voix contre 23, au profit de celle de Rühle : le KPD ne participerait pas aux élections.
La même impatience se manifesta au cours du débat sur la lutte économique. Les délégués acclamèrent Paul Frölich lorsqu’il lança le mot d’ordre « Hors des syndicats ! », appelant à constituer des « unions ouvrières » pour abolir une fois pour toutes la distinction en partis et syndicats. Il fut critiqué par Luxemburg, mais surtout parce qu’il négligeait le rôle des conseils, car elle concédait en même temps que « la liquidation » des syndicats était à l’ordre du jour. Certes, les travailleurs mobilisés des grandes usines de Berlin n’attendaient pas les directions syndicales pour passer à l’action. Mais pour ceux des petites usines, sans grande expérience de lutte, les syndicats étaient plus importants que jamais. Au moment où les spartakistes discutaient de liquider les syndicats, les travailleurs les rejoignaient en masse [9]. Ils constituaient par ailleurs un des principaux canaux par lequel le SPD était en train de raffermir son emprise sur la classe ouvrière. Pourtant, jugé secondaire dans le congrès, le débat fut renvoyé en commission.
Un parti inexpérimenté et isolé
Toutes les discussions du congrès révélèrent l’incapacité des délégués à prendre au sérieux la nécessité de développer une stratégie pour gagner les plus larges couches de travailleurs à la révolution. Pour Rosa Luxemburg, le plus important était que le nouveau Parti Communiste attirait les meilleurs éléments de la jeune génération. Leur manque d’expérience et leur gauchisme n’étant que le revers de leur jeunesse et leur combativité. Mais elle sous-estimait clairement les conséquences de cette inexpérience sur un parti manquant de cadres expérimentés dans une situation aussi instable.
Mais le véritable échec des communistes allemands consistait surtout à ne pas avoir réussi à entraîner dans le nouveau parti le groupe des Délégués Révolutionnaires, qui avaient posé des conditions acceptables mais en décalage total avec le gauchisme qui dominait le congrès. Ce fut lourd de conséquences. Quelques jours plus tard, le Parti Communiste allait se retrouver engagé dans des luttes d’ampleur sans compter dans ses rangs certains des meilleurs et des plus influents dirigeants des usines berlinoises. De leur côté, les Délégués Révolutionnaires allaient rester privés de têtes politiques, restant de fait à la remorque des Indépendants de gauche, dans une situation complexe et changeante.
Comme le note Pierre Broué : « Le parti communiste, à peine né, déjà isolé des masses, s’était condamné à l’impuissance avant d’avoir commencé à agir » [10].
Dès les premiers jours de l’année 1919, l’influence de la gauche révolutionnaire à Berlin grossissait à vue d’œil. Sentant que sa légitimité se réduisait à peau de chagrin, le gouvernement compris que sa seule alternative était de prendre de court la gauche révolutionnaire en cherchant à provoquer un coup d’Etat prématuré qui puisse servir de prétexte à une répression sanglante. La contre-révolution trouva précisément ce qui manquait aux révolutionnaires : une direction claire capable d’analyser le rapport de forces et un instrument pour mettre en œuvre sa politique, une troupe entraînée et disciplinée. Le social-démocrate Gustav Noske, entré au gouvernement pour mettre sur pied les forces de répression qui se massaient aux portes de la ville, les Freikorps, assumait son rôle avec lucidité : « L’un de nous doit faire office de bourreau » [11].
Provocation gouvernementale et réaction de masse
Le 4 janvier, la provocation du gouvernement consista à limoger le très populaire chef de la police révolutionnaire, l’Indépendant de gauche Eichhorn. Son refus de démissionner fut soutenu par toutes les organisations de la gauche berlinoise, lesquelles se réunirent dans la soirée pour décider d’appeler les travailleurs à manifester pacifiquement le lendemain. La réponse des travailleurs dépassa toutes leurs attentes : des centaines de milliers, dont nombre d’ouvriers en armes, défilèrent dans les rues de la ville, certains se lançant même dans des occupations spontanées de bâtiments. Mais les travailleurs, défilant toute la journée en refusant de se disperser, ne voulaient pas en rester là. Entre temps, l’assemblée des organisations de gauche avait élu un « Comité Révolutionnaire » de 52 membres. Devant le succès de la manifestation, celui-ci décida d’appeler à une grève générale le lendemain. La grève fut une réussite, en tout cas au début, donnant lieu à une manifestation énorme et à de nouvelles occupations (imprimeries gouvernementales, gares et autres bâtiments publics…).
Mais l’élan d’enthousiasme déboucha rapidement sur la confusion la plus totale. Pendant que les masses attendaient, le Comité Révolutionnaire restait empêtré dans des discussions interminables, incapable de donner la moindre perspective. En fait, celui-ci avait rapidement affiché sa volonté de prendre le pouvoir. Mais, il était bien trop gros et trop peu clair sur ses objectifs pour coordonner des actions militaires. Les seules initiatives de ce type furent le fait de nombreux groupes de travailleurs, prenant spontanément le contrôle de lieux de pouvoirs et de points stratégiques. D’abord une force, la spontanéité devint alors une faiblesse amenant la démoralisation, en l’absence d’une stratégie cohérente et coordonnée. Mais en réalité, le prétendu Comité Révolutionnaire était paralysé parce qu’il était coupé des masses et n’était pas vraiment représentatif des organisations dont ses membres étaient issus.
L’attitude des partis de gauche
C’était clair pour les spartakistes, dont la position était qu’il fallait éviter une « Commune de Berlin » qui ne tiendrait pas quinze jours. Pour Rosa Luxemburg, le slogan appelant à renverser le gouvernement ne devait être qu’un slogan propagandiste et non une tactique d’action révolutionnaire. S’il fallait lutter contre les mesures du gouvernement et avancer dans l’armement du prolétariat, il ne fallait surtout pas s’engager dans une lutte pour le pouvoir dans la mesure où la majorité des travailleurs allemands n’était pas aussi radicalisée que les travailleurs berlinois les plus combatifs. Mais si Luxemburg et les autres membres de la direction avaient la tête froide et claire, ce n’était pas le cas de Liebknecht, qui prétendait représenter les spartakistes au Comité Révolutionnaire mais agissait seul. Emporté par les évènements, celui-ci pensait qu’un gouvernement des Indépendants de gauche et des Délégués Révolutionnaires était possible. Aussi, alors que les évènements furent désignés comme un « soulèvement spartakiste », la direction spartakiste était opposée au projet de prise de pouvoir. Son tort : ne pas avoir de parti assez puissant et discipliné pour mettre en pratique sa politique.
Les mêmes divisions traversaient les Délégués Révolutionnaires. Des dirigeants comme Müller et Daümig – d’authentiques révolutionnaires qui devaient rejoindre le Parti Communiste en 1920 – étaient clairement opposés à l’action alors que nombre de leurs partisans versaient dans le putschisme.
Quant aux sociaux-démocrates Indépendants, ils étaient divisés sur cette question comme sur toutes les autres. Les dirigeants de gauche comme Ledebour étaient les plus farouches partisans d’une prise de pouvoir. Mais même par des moyens militaires, leur conception du changement social restait réformiste : sentant la pression des masses, ils étaient prêts à les utiliser comme levier pour remplacer un gouvernement par un autre qu’ils dirigeraient, convaincus qu’ils devaient agir pour les travailleurs mais incapables de placer leur confiance dans l’activité autonome de ces derniers. Cette vision, qui avait donné naissance au Comité Révolutionnaire, le plaça rapidement dans une situation contradictoire.
Division du mouvement
En effet, il fut formé sur la base d’une exagération de la combativité des travailleurs et des soldats berlinois. Ceux-ci, excédés que le gouvernement ait rompu « l’unité socialiste », étaient prêts à manifester, faire grève, s’opposer à leurs officiers, mais pas à prendre le pouvoir. En appelant directement à l’offensive plutôt qu’à la défense, le Comité Révolutionnaire permit au gouvernement de transférer la responsabilité du désordre à la gauche, prétendant nécessaire de réagir contre une tentative de coup d’Etat. Nombre de travailleurs et de soldats, pour lesquels ce gouvernement critiquable restait un acquis de la révolution, étaient encore sensibles à ces arguments. La division pénétra le mouvement.
Certains se rangèrent du côté du gouvernement. L’Exécutif berlinois des conseils dénonça les spartakistes, alors qu’il avait condamné une semaine plus tôt l’attaque du gouvernement contre la Division de Marine du Peuple. Des milliers de sympathisants sociaux-démocrates manifestèrent devant les lieux de pouvoir où se retranchaient les révolutionnaires. Même des troupes jugées « peu sûres » comme le Corps des Soldats Républicains combattirent pour le gouvernement. Pour la majorité, la volonté de neutralité se développa. Des forces comme la Division de Marine du peuple, pourtant indispensables à toute action, refusèrent de s’engager dans l’action armée. Les travailleurs des usines Schwartzkopf et AEG se réunirent sous le mot d’ordre : « Prolétaires, unissez-vous, sinon avec vos chefs, du moins par-dessus leur tête ! » [12]. D’autres les rejoignirent dans un meeting de 40000 travailleurs pour appeler à la formation d’un gouvernement des trois « partis ouvriers ». Ce sentiment unitaire, qui voyait le conflit comme un combat fratricide, se développa très largement dans les usines et les casernes. Que les travailleurs ne soient pas encore prêts à reconnaître le rôle contre-révolutionnaire du SPD, les dirigeants spartakistes et certains Délégués Révolutionnaires le savaient, mais pas le Comité Révolutionnaire, incapable de voir qu’au-delà des grèves et manifestations de masse seuls quelques milliers de travailleurs étaient vraiment prêts à se battre.
Agir énergiquement…
A la différence de Pierre Broué, pour qui le lancement de la dynamique insurrectionnelle constituait un point de non retour, Chris Harman estime que « même lorsque la décision de combattre fut prise, tout n’était pas perdu. L’équilibre des forces à Berlin même n’était pas favorable au gouvernement […]. Par une action déterminée, les forces révolutionnaires auraient pu neutraliser les concentrations de troupes gouvernementales dans la ville. Cela aurait mis le gouvernement sur la défensive. Pour conserver leurs positions ministérielles, Ebert et Scheidemann auraient très bien pu, dans ces circonstances, se résoudre à accepter une formule qui les maintint au pouvoir, les travailleurs restant armés (comme après les affrontements du début et de la fin décembre). La gauche révolutionnaire aurait conquis des positions à partir desquelles elle aurait pu avancer avec un soutien ouvrier bien plus important dans un avenir peu éloigné.
Mais le Comité Révolutionnaire ne put fournir aucune coordination. Il permit au gouvernement de garder le contrôle de bâtiments qu’il n’aurait pu défendre une heure face à un assaut déterminé. A partir de ces bâtiments, il put mettre en oeuvre sa contre-attaque dans l’impunité.
Pire encore, le Comité Révolutionnaire accumula les erreurs. Dès qu’il fut clair que le gouvernement n’allait pas s’écrouler immédiatement entre leurs mains, les dirigeants indépendants demandèrent à négocier avec lui – alors qu’ils l’avaient déclaré renversé un jour plus tôt ! » [13].
Or, la négociation avec l’ennemi, en constituant un aveu de faiblesse, accéléra le recul de la mobilisation. Les masses, qui ne sont pas un corps militaire discipliné, ne s’engagent dans une bataille que si elles sont persuadées qu’elles peuvent gagner. S’il devient clair que l’ordre ancien va perdurer, tous les problèmes de la vie quotidienne que l’enthousiasme d’une mobilisation a jeté à l’arrière-plan reprennent le dessus.
Rosa Luxemburg le savait. Pour elle, rien n’était pire que l’indécision. On ne s’arrête pas au beau milieu d’un pont fragile. Elle était contre l’insurrection, mais une fois celle-ci engagée elle pensait qu’il fallait agir de la façon la plus résolue et déterminée qui soit. Le Comité Révolutionnaire en était incapable. Mais les spartakistes, qui avaient déjà été trop petits et trop peu influents pour parvenir à restreindre le mouvement à des objectifs défensifs, n’étaient pas davantage en mesure de lui fournir la direction et l’organisation dont il avait maintenant besoin. Tirant profit de la désorganisation de ses adversaires, c’est donc le gouvernement qui put reprendre l’initiative.
…ou périr
S’apprêtant à faire entrer les Freikorps dans Berlin, Noske avait délégué ses pouvoirs de police au général Von Lüttwitz le 6 janvier. Les négociations avec les Indépendants donnèrent au gouvernement le temps de rassembler ses forces pour briser les révolutionnaires. Bien que supérieures en nombre, il manquait aux troupes insurgées ce dont disposait le gouvernement : un commandement général capable de mener une action résolue. Grâce aux forces constituées dans la ville, les chefs gouvernementaux agirent avec détermination pour reprendre les bâtiments occupés. Mais il était trop dangereux pour les dirigeants du SPD que ces actions dépendent seulement de travailleurs sociaux-démocrates armés. Aussi, le 11 janvier, ils firent marcher les Freikorps sur Berlin. La répression fut sanglante. Il n’y eut pas de quartiers, même de nombreux combattants qui voulaient se rendre furent abattus. Les locaux du Parti Communiste, qui se vit attribuer la responsabilité de l’effusion de sang, furent détruits. Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, qui avaient refusé de quitter Berlin, furent trouvés et sauvagement assassinés.
Malgré cette défaite, de nouveaux combats secouèrent Berlin deux mois plus tard et il faudra attendre près de cinq ans avant que la révolution ne s’essouffle et que le capitalisme ne se stabilise, isolant définitivement la révolution russe. Mais cette victoire constitua une base sur laquelle la bourgeoisie pouvait construire, en lui rendant le monopole de la force armée alors que les 10 000 hommes dont elle disposait dans tous le pays en janvier 1919 n’étaient même pas suffisants pour tenir une ville. De plus, la perte de Rosa Luxemburg priva la révolution d’une dirigeante dont l’expérience et la clarté d’analyse ne furent égalées par aucun de ses successeurs, quels que soient leurs compétences et leur courage.
Quelques faiblesses tactiques
Pierre Broué et Chris Harman divergent dans leur appréciation de la tactique des spartakistes en janvier 1919. Broué voit dans l’attitude de Luxemburg, qui expliquait dans ses articles que lutter contre les attaques du gouvernement était « une question d’honneur », une fuite en avant désespérée dans un combat perdu d’avance. Il se range plus volontiers derrière le point de vue qu’exprimait Karl Radek à cette période. Celui-ci, partant d’une évaluation du rapport de force similaire à Luxemburg – les travailleurs ne peuvent pas prendre le pouvoir – en tirait des conclusions tactiques différentes : le devoir des communistes était d’appeler à battre en retraite, comme l’avaient fait les bolchéviks à Pétrograd en juillet 1917.
Chris Harman, lui, estime plus conséquente l’attitude de Luxemburg, qui « pensait que c’était seulement en restant ferme, pendant que les Indépendants dirigeaient la retraite, que la nécessaire polarisation pouvait se produire dans les masses, les meilleurs éléments se trouvant alors attirés vers le Parti Communiste. Le danger de la formulation de Radek, c’était que, selon elle, les spartakistes devaient courir se mettre à l’abri pendant que les plus combatifs des ouvriers et des soldats continuaient à lutter seuls. Cela n’aurait fait que renforcer les attitudes anti-parti et anarchisantes, plutôt que contribuer à construire le parti » [14]. En ce sens, l’orientation de Luxemburg se rapproche davantage de celle des bolchéviks en 1917 que celle de Radek : ceux-ci purent avoir une audience quand ils appelèrent à battre en retraite parce qu’ils avaient partagé tous les dangers de la lutte avec les ouvriers au cours des journées précédentes, ce que n’avaient pas fait les menchéviks. L’erreur des spartakistes n’est donc pas d’avoir pris part au mouvement : le parti bolchévik n’avait pas non plus réussi à empêcher un mouvement prématuré des travailleurs alors qu’il était pourtant incroyablement plus puissant que les spartakistes. Ces derniers étaient donc encore moins en capacité de pouvoir entraîner les masses dans la retraite. Pour Chris Harman, « la véritable erreur des dirigeants spartakistes fut de ne pas dire de façon suffisamment claire – dans leur journal et dans leurs discours – qu’ils considéraient le mouvement comme ayant des objectifs strictement limités » [15]. Luxemburg adopta un ton très vif et virulent dans ses articles sans transmettre sa véritable analyse. En lançant l’appel à « renverser le gouvernement », qu’elle concevait comme un slogan « propagandiste » seulement destiné à éduquer les masses et non comme une tactique d’action, elle maintint une ambiguïté que nombre de travailleurs inexpérimentés n’étaient pas en mesure de comprendre. C’est là toute la différence avec Lénine en 1917, pour qui il ne fallait surtout pas lancer un slogan à partir du moment où il y avait un risque que les travailleurs ne comprennent pas ce qu’il était possible de réaliser immédiatement : « Le mot d’ordre : « À bas le Gouvernement provisoire ! » n’est pas juste en ce moment car tant qu’au sein du peuple une majorité solide (c’est-à-dire consciente et organisée) ne se sera pas ralliée au prolétariat révolutionnaire, un tel mot d’ordre n’est qu’une phrase en l’air, ou bien conduit objectivement à s’engager dans une voie d’aventures… » [16]. La différence entre Lénine et Luxemburg n’est pas tant le manque d’habileté tactique de celle-ci que la situation dans laquelle elle se trouvait. Comme l’explique Harman, « elle craignait d’être trop dure dans sa critique des actes de groupes de travailleurs radicalisés, parce que c’était à partir de ces groupes qu’elle essayait de construire le parti. Lénine lui, avait déjà construit un parti. Ses militants jouissaient déjà d’un tel respect dans la classe qu’ils pouvaient se permettre une impopularité temporaire parmi les travailleurs nouveaux à la lutte – à condition qu’ils participent aux actions de masse à leurs côtés » [17].
Un vrai problème stratégique
Aussi, les errements tactiques de Luxemburg en décembre 1918 et janvier 1919 prennent leur source dans une erreur bien plus ancienne : avoir sous-estimé l’importance de la construction d’un parti marxiste révolutionnaire indépendant au cours des années précédentes. En Russie, la construction d’un tel parti fut entreprise quatorze ans avant la révolution. Entreprendre sa création au cours même de la révolution comme en Allemagne devait entraîner les révolutionnaires dans une situation d’extrême difficulté, les réduisant au rôle de simples commentateurs des évènements. Avec un puissant parti révolutionnaire, discipliné et implanté dans la classe, le piège tendu aux ouvriers berlinois aurait-il pu être évité ? Un tel parti aurait-il pu fournir une direction capable de coordonner les forces révolutionnaires si un mouvement s’était déclenché malgré lui ? La seule chose qu’il est en tout cas possible d’affirmer c’est que les conditions auraient été autrement plus favorables.
Comme le disait fort bien Rosa Luxemburg, les travailleurs apprennent plus en quelques jours de révolution que pendant des années à lire des livres. C’est ce qui produit inévitablement des situations instables, des changements rapides et des conflits à grande échelle dont l’issue est généralement déterminante. C’est pourquoi une direction révolutionnaire qui aspire à intervenir sur les évènements pour peser positivement sur l’issue d’un processus révolutionnaire ne peut se forger dans le feu de l’action. Elle ne peut être en mesure d’exercer une pleine influence dans les moments décisifs qu’en se construisant au cours des processus qui précèdent nécessairement toute situation révolutionnaire : en forgeant des militants à travers les flux et les reflux de la lutte de classe, des militants ayant assimilé le marxisme et les expériences passées et internationales du mouvement ouvrier en relation avec l’expérience accumulée dans la construction concrète des différentes luttes, en tirant profit des polémiques et des crises pour bâtir une tradition et une discipline commune… Il n’y a pas de recette ni de chemin facile pour cela. Mais l’expérience allemande offre par la négative un exemple de sa nécessité. « Le contraste avec l’insistance de Lénine sur l’indépendance organisationnelle des révolutionnaires à l’égard des « centristes » ne pouvait être plus saisissant, et contribua à préparer le terrain aux difficultés tragiques que Rosa Luxemburg et la Révolution Allemande devaient connaître en janvier 1919 » [18].
Le Parti Social-démocrate allemand (SPD)
Avec son million de membres, ses 4,5 millions d’électeurs, ses 90 journaux et ses centaines de permanents avant la guerre, le SPD était au coeur d’un véritable « Etat dans l’Etat » : syndicats, coopératives, association culturelles, mouvements de jeunesse, de femmes, etc. En 1891, le congrès d’Erfurt avait adopté un programme maximum, fixant l’objectif du socialisme par la révolution, et un programme minimum, établissant une liste de réformes immédiatement applicables. Mais dans la pratique, en l’absence de véritables luttes ouvrières, seul le programme minimum guidait l’activité routinière non révolutionnaire des militants, devenant même leur principal centre d’intérêt. C’était particulièrement le cas pour la couche d’administrateurs permanents en charge des finances, des campagnes électorales ou de l’édition des journaux, qui en vint progressivement à contrôler le parti. Ce sont eux qui entraînèrent le mouvement ouvrier dans la guerre de 1914 et firent du SPD le dernier rempart de la bourgeoisie contre la révolution dès 1918.
Le parti Social-démocrate Indépendant (USP)
Après la révolution russe, de plus en plus de travailleurs allemands furent enthousiasmés par l’idée de révolution. Mais ils n’avaient pas encore suffisamment confiance dans leur propre capacité à la mener. Leurs consciences étaient un mélange d’idées réformistes et révolutionnaires. L’USP, un nouveau parti qui émergea au cours de la guerre, donna une expression à ces attitudes confuses. Sa création fut forcée par la décision de la direction du SPD d’exclure tous ceux qui s’opposaient, même timidement, à sa politique guerrière. En son sein se trouvèrent donc représentées toutes les tendances de la social-démocratie d’avant-guerre : les anciens majoritaires Kautsky et Hilferding, les radicaux « modérés » Haase et Ledebour, les révolutionnaires Luxemburg et Liebknecht, et même le « révisionniste » Bernstein. La position officielle de l’USP se trouvait à mi-chemin entre réforme et révolution, ce que l’on qualifia de « centrisme », appelant par exemple à incorporer les conseils ouvriers dans une nouvelle constitution comme une seconde chambre aux côtés du parlement existant. Si l’objectif des principaux dirigeants du parti dès sa création fut de renouer avec les traditions sociales-démocrates d’avant la guerre, parlant le langage révolutionnaire et agissant de façon réformiste, ce positionnement ambigu permit toutefois d’attirer de nombreux travailleurs radicalisés et de compter dans ses rangs des dirigeants des grèves de 1917 et 1918.
La gauche révolutionnaire
Bien que sa capacité d’initiative se soit considérablement accrue, la gauche révolutionnaire restait extrêmement faible. De plus, elle était divisée en trois groupes distincts.
Dans le SPD, Rosa Luxemburg s’était toujours opposée à l’idée de structurer de manière indépendante l’aile « radicale » de la social-démocratie, à l’extérieur comme à l’intérieur parti, pour éviter qu’elle ne se retrouve marginalisée. Un tel groupe ne pourrait s’organiser selon elle qu’après une explosion massive et spontanée des masses brisant la passivité de l’appareil du parti, lorsqu’existerait enfin la possibilité d’une véritable audience pour les révolutionnaires. Ce refus d’envisager toute forme de structuration les empêcha d’anticiper les différenciations qui amenèrent à la création de l’USP. Devenu un groupe plus formel au cours de la guerre mais encore largement inorganisé, les « spartakistes » (Rosa Luxemburg, Leo Jogisches, Franz Mehring, Clara Zetkin, Karl Liebknecht) continuaient de penser qu’un petit groupe révolutionnaire ne pouvait avoir de contacts et d’influence sur la majorité des travailleurs qu’au sein d’une organisation plus grande. Pour eux, les travailleurs qui commençaient à remettre en question la guerre se dirigeraient vers l’USP et ne feraient probablement pas la différence entre l’opposition timide des dirigeants Indépendants et les positions d’un Liebknecht, alors très populaire. Etablir le contact avec eux signifiait rejoindre l’USP en menant un combat idéologique pour favoriser les clarifications et y devenir majoritaire.
Une autre petite section de la gauche était en désaccord avec cette perspective. Ce groupe (Johann Knief, Paul Frölich), nommé les « Radicaux de gauche » (ensuite les « Communistes Internationaux d’Allemagne », IKD) était davantage en contact, par l’intermédiaire de Karl Radek, avec les bolcheviks russes. Pour eux, il fallait au contraire clarifier les orientations sur le plan organisationnel en se séparant des centristes. Seuls les spartakistes étaient capables selon eux d’impulser la construction d’une organisation révolutionnaire indépendante. Mais ils ne réussirent pas à les convaincre et refusèrent de rejoindre l’USP.
Enfin, il existait un troisième groupe : les Délégués Révolutionnaires. Son noyau était constitué de dirigeants ouvriers et responsables syndicaux, particulièrement influents chez les métallurgistes berlinois. C’était à la fois le groupe qui avait le plus de liens avec la classe ouvrière et celui qui avait le moins de traditions. Il fut progressivement amené à fonctionner en fraction, opérant tant dans l’USP que dans les syndicats. Si son noyau ne comptait qu’une cinquantaine de cadres, il dirigeait un réseau combatif de 120 000 ouvriers. Se définissant comme révolutionnaire, il restait souvent influencé par le vieux député Indépendant George Ledebour.
Au début d’une des périodes de lutte de classe les plus intenses de l’histoire, la gauche révolutionnaire ne comptait pas plus de 3 à 4 000 membres dans toute l’Allemagne. Elle était fragmentée, sans organisation unique. Elle n’avait ni traditions ni discipline commune, était divisée tant sur les questions stratégiques que tactiques, incapable de sélectionner en son sein les dirigeants à la clarté et au sang-froid nécessaires pour développer sa cohésion et organiser son intervention.
[1] Cf. Marie Perin, Juillet 1917. Quand les bolchéviks s’opposent à l’insurrection, Que Faire ? n°9, août-octobre 2008.
[2] Pierre Broué, Révolution en Allemagne, 1917-1923, Ed. de minuit, 1971, et Chris Harman, The lost revolution, Germany 1918 to 1923, Bookmarks, 1997. Dans cet article, toutes les indications de page du livre de Pierre Broué, dont l’édition est depuis longtemps épuisée, correspondent au format numérique disponible sur http://www.marxists.org/francais/broue/works/1971/00/broue_all.htm . De même pour Chris Harman, dont la version française est disponible sur http://quefaire.lautre.net/archive/harmanrevolutionperdue.doc .
[3] Hintze, secrétaire d’Etat du gouvernement allemand, cité dans Pierre Broué, op. cit., p. 58.
[4] Ibid., p. 69.
[5] Ibid., p. 84.
[6] Ibid., p. 94.
[7] Ibid., p. 92.
[8] Ibid., p. 93.
[9] Les effectifs syndicaux augmentèrent de 50 % durant le premier mois de la révolution et triplèrent au cours des 12 mois suivants (près de 6 millions de syndiqués).
[10] Pierre Broué, op. cit., p. 96.
[11] Ibid., p. 101.
[12] Ibid., p. 105.
[13] Chris Harman, op. cit., p. 52.
[14] Ibid., p. 58.
[15] Ibid., p. 59.
[16] Lénine, Résolution adoptée par le Comité Central du parti bolchévik le 22 avril 1917.
[17] Chris Harman, op. cit., p. 60.
[18] Ibid., p. 61.
Site web du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA).
Revue indépendante d’analyse stratégique anticapitaliste.
Actualité politique internationale de la revue Inprecor sous reponsabilité de la Quatrième internationale.
International Socialism, Revue mensuelle théorique du Socialist Worker Party.
Le site web de la LCR Belge contient de nombreux articles de théorie marxiste très intéressants.
Base de données de référence pour les textes marxistes.
Le site de la commission nationale formation du NPA.