Pays basque : Une histoire toujours alternative

par Brice Errandonea

5 septembre 2009

Depuis 200 ans, le monde expérimente un système économique appelé capitalisme. La question se pose souvent de savoir si les principes qui fondent ce système sont légitimes ou non. Mais a-t-elle seulement un sens, tant la notion de légitimité est subjective ? Il est sans doute plus pertinent de se demander si le capitalisme apporte plus ou moins de bien être à la majorité des individus qu’une économie fondée sur d’autres principes. Parmi les anciens systèmes, l’esclavage, le féodalisme et le stalinisme sont bien connus. Mais d’autres, plus locaux, le sont moins, et l’exemple du Pays basque est riche d’enseignements.

Les classes sociales n’ont pas toujours existé. Les sociétés préhistoriques, par exemple, étaient bien trop pauvres pour qu’une minorité puisse se permettre de ne pas travailler. Les importants progrès de l’archéologie au cours des dernières décennies nous ont apporté une nouvelle connaissance de la période néolithique, entre l’invention de l’agriculture et celle de l’écriture. La France était alors habitée, bien avant les Celtes, par deux peuples que l’on commence à bien connaître : les Mégalithiques et les Chasséens, qui parlaient des langues de la famille du Basque.

L’observation des vestiges laissés par ces peuples a permis de déterminer que leurs sociétés sont restées égalitaires jusqu’au milieu du IIIe millénaire av. JC. Leurs cabanes, par exemple, étaient toutes semblables et de mêmes dimensions. Ils vivaient de l’agriculture, l’élevage, la chasse, la pêche et la cueillette. Leurs réserves étaient stockées dans des greniers collectifs. Même s’ils n’écrivaient pas, ces peuples n’avaient rien de primitif. Ils pratiquaient la pêche en haute mer et traversaient la Manche à bord de bateaux en osier : les coracles. Ils étaient attentifs au mouvement des astres et savaient qu’il était lié au cycle des saisons. Les exemples les plus marquants de leur avancée sont les monuments mégalithiques : menhirs, dolmens, cromlechs, et surtout les cairns.

Les cairns étaient des tombes collectives monumentales, édifiées bien avant les grandes pyramides individuelles d’Egypte. Celui de Barnenez, en Bretagne, mesure 72 mètres de façade et 8 mètres de haut. Celui de Newgrange, en Irlande, mesure 80 mètres de diamètre et 13 mètres de haut. Leur enfouissement sous terre vers -2400 témoigne de la volonté des nouveaux princes de faire oublier la société antérieure. Jusque là, pas de classes sociales dans ces sociétés néolithiques. Tous travaillent et tous profitent des richesses produites. Pas de préoccupations militaires non plus : les villages sont construits près des points d’eau avant -2500 et sur des éperons rocheux ensuite. S’il n’est pas question de prendre pour modèle une époque aussi reculée, il est important de comprendre que les classes sociales ne forment qu’une courte parenthèse dans la longue histoire de l’Humanité.

Au Moyen-âge, tandis que le féodalisme est la règle en Europe, les Basques choisissent un autre système : le foralisme. Chaque famille possède une parcelle de terre, l’etxe, transmise à l’aîné(e) à chaque génération, qu’il s’agisse d’un garçon ou d’une fille. Ces héritiers portent le titre d’etxekoionak et gèrent l’exploitation familiale. Les richesses produites leur reviennent. Les cadets ont le choix entre travailler pour leurs aînés, aller chercher une autre terre à cultiver ou épouser un(e) etxekoionak. Afin d’éviter la concentration des propriétés, deux etxekoionaks n’ont pas le droit de se marier. Leurs relations avec les rois et les nobles sont régies par des constitutions : les fors, qui déterminent le partage des pouvoirs.

Les assemblées forales, réservées aux etxekoionaks, administrent les provinces basques et fixent elles-mêmes le montant des impôts consentis à la noblesse, qui n’est jamais très élevé. L’ampleur du pouvoir de ces assemblées est démontrée en 1328, à la mort du roi Charles Ier de Navarre. La couronne est revendiquée par sa nièce Jeanne la Petite, son neveu Edouard d’Angleterre et son cousin Philippe de Valois. C’est l’assemblée forale qui tranche en faveur de Jeanne, laquelle marquera son règne par son combat contre l’antisémitisme (virulent dans la péninsule ibérique en cette époque de Reconquista). Mais le foralisme reste un système de classes : les etxekoionaks détiennent le pouvoir sur leurs cadets. Il est aboli en 1789 au nord des Pyrénées et en 1876 au sud.

En 1936, Franco obtient le soutien des Navarrais en promettant le rétablissement des fors. Mais les trois autres provinces basques se soulèvent contre lui. Le gouvernement républicain espagnol y cède le pouvoir à un gouvernement basque, qui frappe sa propre monnaie, délivre des passeports, assure l’enseignement public et institue des allocations familiales et des assurances sociales.

Il adopte un nouveau système économique : le paritarisme. Les propriétaires ne forment plus que la moitié des conseils d’administration de leurs entreprises. Des représentants élus du personnel forment l’autre moitié. Il s’agit toujours d’un système de classes mais la domination de la minorité sur la majorité n’est plus absolue. Ce système de cogestion n’est pas expérimenté longtemps. Le massacre de la population de Guernica par l’aviation allemande le 26 avril 1937 précipite la chute du petit état basque, dont l’armée improvisée se rend aux Italiens le 27 août.

Depuis 1980 et l’obtention par ces trois mêmes provinces d’un statut d’autonomie, le gouvernement autonome encourage un système de coopératives ouvrières, en coexistence avec le capitalisme. Cette notion s’inspire du modèle des conseils de travailleurs (Commune de Paris en 1871, Soviets en 1905 et 1917, Italie 1919-1920, Allemagne 1918-1923, Cordones chiliens 1970-1973, Choras iraniens en 1979, etc.) et cherche à le concilier avec la légalité capitaliste. Les coopératives sont des entreprises qui appartiennent majoritairement à leurs travailleurs. Chacun dispose d’une voix lors des assemblées générales, quelque soit la part du capital qu’il détient. Les salariés décident ensemble de la stratégie de l’entreprise, du partage des bénéfices et du choix des dirigeants. Ces derniers exercent le pouvoir hiérarchique au quotidien mais sont responsables devant la collectivité.

Les secteurs concernés sont aussi divers que l’industrie, la distribution, l’enseignement, le transport, le crédit, le bâtiment, etc. Dans la province basque du Guipuzcoa, ce système est devenu le modèle dominant. C’est là que siège la MCC (Mondragón Corporación Cooperativa), qui a réalisé en 2003 un chiffre d’affaire de 9,7 milliards d’euros, soit autant que certaines multinationales.

Le principal mérite de ces entreprises est de montrer par l’exemple que toutes les autres pourraient être gérées de cette façon. Encore faut-il pour cela remettre en cause la sacro-sainte notion de propriété privée et prendre le contrôle des entreprises actuellement détenues par les capitalistes. Et la question se pose donc de savoir qui peut changer le système. L’examen du passé nous montre qu’au Pays basque non plus, aucun changement de système n’a pu faire l’économie d’un changement d’Etat. Ailleurs, les partis réformistes qui croyaient pouvoir utiliser l’Etat ont compris depuis longtemps que c’était impossible et ont renoncé à l’idée de changer le système.

Ce sont les travailleurs qui assumeront le pouvoir dans le prochain système. Ils ne seront en mesure de le faire qu’en ayant été eux-mêmes les acteurs de leur émancipation.

Pays Nombre d’entreprises démocratiques Nombre de salariés associés
France 1 600 35 000
État espagnol 34 900 330 800
dont Pays basque 2 150 53 900
Royaume-Uni 1 200  ?
Italie 940 36 600
Danemark 890 15 600
Bulgarie 400 40 000
Total Europe 83 000 1 300 000

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