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12 novembre 2010
Interview d’Alex Callinicos par la revue Razón y Revolución
Penses-tu que l’idée de Lénine selon laquelle l’impérialisme est le stade suprême du capitalisme est correcte ? Penses-tu qu’il y a un changement qualitatif dans la dynamique du capital du fait de l’invention des États impérialistes, comme Lénine l’écrit ?
Le titre original de Lénine est l’impérialisme, l’étape la plus récente du capitalisme, ce qui qui a des implications assez différentes du titre familier qui vint plus tard.
Je pense que lui et les autres grands marxistes de la fin du 19e et du début du 20e siècle - avaient raison d’avoir identifié un changement qualitatif dans le capitalisme au cours de leur époque.
La façon dont je résumerais ceci à partir du point de vue du début du 21e siècle, c’est que l’impérialisme est le moment où la concurrence économique entre les capitaux et les rivalités géopolitiques entre les États s’entrecroisent pour former, comme David Harvey l’a souligné à juste titre, une unité contradictoire et instable [1]. C’est une idée que je développe longuement dans mon livre récent Imperialism and Global Political Economy (2009).
La théorie léniniste de l’impérialisme dit que les activités extra-économiques des puissances mondiales sont la cause de l’absence de développement de bourgeoisies locales dans les pays dépendants. Crois-tu que cet accent mis sur les relations politiques est une bonne explication du sous-développement ou pourrait-on expliquer cette trajectoire avec la loi de la valeur et la compétition mondiale ?
Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne lecture de Lénine. En critiquant la théorie de Kautsky de l’ultra-impérialisme, il souligne l’importance du développement inégal - et pas simplement qu’il existe des inégalités économiques entre les États et les régions, mais que celles-ci sont inhérentes au capitalisme et que la distribution des inégalités change constamment, ce qui rend impossibles des alliances stables entre les puissances dominantes.
« Il y a un demi-siècle l’Allemagne était une misérable insignifiance », écrit-il - mais à son époque c’était l’une des principales puissances impérialistes [2]. Ceci implique que d’autres puissances nouvelles pouvaient apparaître dans l’avenir du fait du caractère inégal du processus global d’accumulation du capital.
Lénine n’est certainement pas un théoricien de la dépendance, et, même s’il fait des erreurs (notamment la théorie de l’aristocratie ouvrière), je pense qu’il serait d’accord pour dire que les relations entre les États et les régions sont régies par la « loi de la valeur et la compétition mondiale ».
La crise actuelle pourrait-elle conduire à une nouvelle guerre entre les puissances impérialistes, comme la première et la deuxième guerre mondiale ?
J’en doute à court terme, parce que les rivaux potentiels des États-Unis sont trop faibles (Russie), trop divisés (Union Européenne), trop soumis (Japon), ou trop prudents (Chine) pour se confronter à eux, et qu’aucun d’entre eux n’est dans une situation si grave qu’il ait à envisager une telle confrontation.
Mais les tensions entre les États-Unis et la Chine sont importantes - dans l’immédiat sur le commerce et les taux de change - et sont susceptibles de croître dans les prochaines décennies.
La possibilité d’une confrontation sérieuse entre eux dans l’avenir est réelle.
La dette extérieure est l’un des éléments pris en compte pour définir les pays dépendants en comparaison avec les pays impérialistes.
Néanmoins, ces dernières décennies, les États-Unis sont devenus l’un des pays les plus endettés.
Qu’est-ce que ce phénomène signifie pour notre compréhension de l’impérialisme ?
C’est une question très controversée.
Certains universitaires radicaux, par exemple feu Giovanni Arrighi, défendent l’idée que la dette extérieure des Etats-Unis est un symptôme du déclin de l’impérialisme américain, une réplique de ce qui s’est passé pour la Grande-Bretagne pendant l’entre-deux-guerres.
Mais, dans un livre récent, Subprime Nation, Herman Schwartz écrit que depuis le début des années 1990 un circuit de flux financiers s’est développé dans lequel une série de pays - pas seulement les États d’Asie orientale, mais aussi l’Europe continentale et les émirats pétroliers - achètent des titres public et privés américains, ce qui permet à des sociétés américaines de faire des investissements directs à l’étranger beaucoup plus rentables.
Selon Schwartz, ce circuit, qui passe par le système de financement immobilier américain, a permis aux États-Unis de maintenir un taux de croissance plus élevé que les autres Etats capitalistes avancés et, partant, de reproduire sa position hégémonique.
l’analyse de Schwartz est étayée par beaucoup de preuves statistiques détaillées.
Je pense qu’il sous-estime néanmoins l’instabilité d’une situation dans laquelle les États-Unis sont de plus en plus dépendants des emprunts contractés auprès de la Chine, qui est non seulement le rival potentiel le plus important pour l’hégémonie américaine, mais qui est encore un des pays les plus pauvres dans le monde.
Dans le passé, la puissance impérialiste dominante finançait des Etats capitalistes plus faibles - cela a été la relation entre la Grande-Bretagne et les États-Unis au 19e siècle ou entre les États-Unis et l’Europe occidentale et le Japon dans les années 1940.
Mais maintenant, une puissance capitaliste en essor contribue au financement de la puissance hégémonique.
Néanmoins, l’une des caractéristiques les plus intéressantes de l’analyse de Schwartz, c’est que l’état actuel des flux fonctionne dans l’intérêt des classes dirigeantes des Etats créanciers.
Ainsi en Chine, il affirme que « les enfants de l’élite du parti, qui se sont constitués en une nouvelle élite économique, ont un intérêt dans le modèle à bas salaires, avec de fortes exportations qui est entretenu par le flux de capitaux vers les États-Unis » [3]. Ou encore, les banques et les fonds de pension de ce que Schwartz appelle les « riches refoulés » - Japon, Allemagne, le reste de l’Europe continentale - ont besoin de pouvoir acheter une partie des grandes quantités de titres qui sont générés par le système financier américain et que leurs propres systèmes de réglementation plus stricte sont incapables de fournir.
Mais la situation est extrêmement contradictoire.
Tout comme dans les années 1930, le conflit entre les Etats créanciers et débiteurs est un facteur de plus en plus important dans la crise économique mondiale actuelle.
Ce n’est pas seulement vrai en ce qui concerne la relation entre la Chine et les États-Unis. Une dimension essentielle de la crise de la zone euro est le conflit entre l’Allemagne et les économies périphériques du sud de l’Europe qui ont fortement emprunté auprès des banques allemandes et françaises - essentiellement dans le but d’importer de l’Allemagne.
Considérez-vous l’idée du capitalisme monopoliste adéquate pour définir l’étape actuelle de l’accumulation du capital ?
Quelle est la place de la loi de la valeur et de la concurrence internationale dans cette explication ?
Non, je ne trouve pas le concept du capitalisme monopoliste particulièrement utile.
Si on la prend littéralement elle implique que, dans certains secteurs, une entreprise est dominante.
Mais c’est empiriquement faux.
Même à l’apogée de l’ère du « capitalisme organisé » au milieu du 20e siècle, quand une entreprise pouvait dominer un secteur national particulier, généralement avec le soutien de l’Etat, ces sociétés étaient soumises à un certain niveau de concurrence de la part de leurs rivaux locaux ou étrangers.
Mais les dernières décennies ont vu ces types d’accords privilégiés détruits ou au moins sérieusement sapés.
Même des entreprises très grandes et possédant une base solide ont fait l’objet de fortes pressions de la concurrence étrangère - cf. le déclin de General Motors et l’essor de Toyota sur les marchés automobiles américains et mondiaux.
La loi de la valeur s’impose de par la concurrence entre « de nombreux capitaux ».
Puisque le concept du capital monopoliste signifie la fin de la concurrence - pas seulement dans un secteur (ce que Marx traite comme une redistribution de plus-value depuis entreprises non-monopolistiques vers les monopoles), mais dans toute une économie - il signifie également la fin de la loi de la valeur.
En ce sens, Baran et Sweezy ont été entièrement conséquents en rompant avec la théorie marxiste de la valeur dans leur livre Le capitalisme monopoliste.
Mais la prémisse de leur argument est fausse : le capital monopoliste n’existe pas dans toute l’économie.
Ce que nous avons dans de nombreux cas c’est une concurrence oligopolistique.
Guglielmo Carchedi, qui a une bonne analyse de la façon d’intégrer cette forme de concurrence dans la théorie de la valeur, résume bien la situation :
Des monopoles (au sens strict) existent, mais la réalité contemporaine est dominée par des oligopoles, par de grandes unités de capitaux technologiquement avancées, qui ont gagné une part importante du marché en raison de l’application à grande échelle de technologies de pointe.
C’est l’application de ces techniques de pointe sur une grande échelle (rendue possible par l’ampleur des capitaux investis), qui a pour résultat une position supérieure dans le marché et la concurrence pour ces capitaux.
Les oligopoles ne suppriment pas la concurrence, mais (...) sont impliqués dans des formes nouvelles et anciennes de concurrence entre eux tout en étant en mesure de restreindre la concurrence des capitaux plus petits et plus faibles [4].
La théorie de l’impérialisme suppose la prédominance des monopoles, ce qui implique la négation de la concurrence, et, au bout du compte, de la loi de la valeur.
Ainsi, certains auteurs soutiennent que les gains capitalistes s’arrêteront de dépendre de l’extraction de plus-value et que l’augmentation de la plus-value ne sera plus une préoccupation pour le capital.
Es-tu d’accord avec ce point de vue ?
Si oui, quelles en seraient les conséquences pour la lutte des classes ?
Comme je l’ai déjà précisé, je ne suis pas d’accord avec cette perspective.
Il est vrai que Lénine appelle l’impérialisme « le stade monopoliste du capitalisme ».
Mais, étant donné qu’il le conçoit également comme entraîné par la compétition entre les grands Etats capitalistes, sa théorie semble inconsistante.
Les tensions sont manifestes dans des passages comme celui-ci : « les monopoles n’éliminent pas la libre concurrence dont ils sont issus ; ils existent au-dessus et à côté d’elle, engendrant ainsi des contradictions, des frictions, des conflits particulièrement aigus et violents » [5] Je pense que la substance d’une grande partie de l’analyse de Lénine est plus en cohérence avec l’idée de la concurrence oligopolistique.
Boukharine, plus rigoureux comme théoricien économique (mais aussi moins souple, ce que Lénine a noté quand il lui a reproché de manquer de dialectique), voit les conséquences de l’idée du capitalisme monopoliste.
Pour lui, l’impérialisme culmine dans le capitalisme d’Etat, où les tendances à la crise économique (qu’il identifie à des disproportions entre la consommation et la production et entre les différentes branches de production) peuvent être éliminées grâce à des contrôles politiques.
Il pense que l’irrationalité du capitalisme persiste cependant sous la forme de la concurrence politico-militaire.
A la veille de l’effondrement de Wall Street de 1929, cette analyse a conduit Boukharine à rejeter la possibilité d’une crise économique majeure.
Comme je le souligne dans mon livre, l’une des principales faiblesses de la théorie marxiste classique de l’impérialisme, c’est son manque d’intégration avec une bonne compréhension des théories marxistes de la valeur et des crises.
Tout comme certains auteurs considèrent que les bourgeoisies des nations du centre et des pays dépendants sont différentes, ils pensent aussi qu’il existe des différences entre les classes ouvrières dans ces deux catégories de pays.
Quelle est ton opinion ?
Il est clair qu’il existe des différences entre les classes capitalistes et entre les classes ouvrières qui découlent de leur position relative dans la hiérarchie mondiale de la richesse et du pouvoir.
Mais si vous faites référence à des théories telles que la conception léniniste de l’aristocratie ouvrière ou l’idée de l’échange inégal, qui implique que les travailleurs du Nord participent à l’exploitation des travailleurs du Sud, je n’adhère pas à ces théories.
Elles manquent de bases solides dans la théorie marxiste de la valeur et sont empiriquement douteuses.
La théorie de l’aristocratie ouvrière est contredite par le fait que, dans toute l’Europe, ce sont des ouvriers métallurgistes bien payés et bien organisés qui ont pris la tête de la révolte ouvrière contre la première guerre mondiale et se sont ralliés à l’Internationale Communiste.
La bureaucratie syndicale - la couche spéciale de permanents qui servent de médiateurs entre le travail et le capital - est un phénomène socio-politique important, mais ce n’est pas la même chose que l’aristocratie ouvrière de Lénine, composée de travailleurs qualifiés vivant de profits coloniaux.
C’est Rosa Luxemburg qui a été la pionnière de l’analyse marxiste de la bureaucratie syndicale, et non Lénine.
Les théoriciens de l’échange inégal n’arrivent pas à expliquer pourquoi les principaux flux de capitaux ne vont pas du Nord vers le Sud, ce qui devrait être le corollaire de l’idée que les bas salaires dans les pays du Sud sont la principale source de plus-value globale.
Entre 1992 et 2006, les pays développés ont reçu plus des deux tiers des flux d’investissements directs à l’étranger (IDE).
Généralement, ce sont les États-Unis et la Grande-Bretagne qui sont les principaux pays d’accueil d’IDE, pas la Chine ou l’Inde.
Ces statistiques sont faussées par les OPA et les fusions à Wall Street et dans la City de Londres, mais elles reflètent aussi une réalité plus profonde.
En théorie marxiste de la valeur le degré d’exploitation est déterminé non seulement par le niveau des salaires réels, mais aussi de façon cruciale par la productivité du travail.
Les niveaux de productivité sont beaucoup plus élevés dans les pays capitalistes avancés, et donc il reste rentable pour les entreprises de continuer à y investir.
Bien entendu, les travailleurs du Sud ont un niveau de vie beaucoup plus bas que les travailleurs du Nord.
Ils n’ont pas les États-providence développés d’Europe occidentale et ils coexistent avec des formations souvent très complexes de sous-prolétaires et de petits commerçants que la sociologie dominante a tendance à classer dans le « secteur informel ».
Ce sont des réalités sociales et politiques très importantes qui sont toujours des différences importantes entre le Nord et du Sud.
Mais ces différences ne signifient pas que les travailleurs du Nord exploitent leurs frères et sœurs du Sud.
Comment définir une relation coloniale et/ou semi-coloniale ? Quelle est la différence entre les empires des XVIIe et XVIIIe siècles et leurs colonies par rapport à ceux entre États-nations au XXe siècle ?
Le mieux est sans doute de comprendre par « relation coloniale » une relation de subordination politique directe - par exemple, celle entre la Grande-Bretagne et l’Inde entre les années 1750 et les années 1940.
Lénine définit les semi-colonies comme « formes variées de pays dépendants qui, nominalement, jouissent de l’indépendance politique, mais qui, en réalité, sont pris dans les filets d’une dépendance financière et diplomatique » [6]. Des exemples sont proposés : l’« empire informel » britannique en Chine et en Amérique latine avant 1914.
Mais il faut être prudent car, comme Lénine le souligne, la simple possession de la souveraineté étatique tend à donner à la classe dominante de la « semi-colonie » plus de marge de manœuvre que si ils étaient sujets coloniaux de l’autre État .
Nous pouvons voir cela, par exemple, avec l’Argentine dans les années 1930 et 1940, qui essayait d’utiliser la rivalité inter-impérialiste entre la Grande-Bretagne et l’Allemagne pour obtenir plus d’indépendance.
La forme État n’est pas purement formelle : cela fait une différence.
Comprendre cela est important car il y a maintenant un certain nombre d’Etats capitalistes dans la dite « semi-périphérie » - la Chine, l’Inde, la Corée du Sud, le Brésil, l’Afrique du Sud - qu’il serait ridicule de qualifier de « semi-colonies », parce qu’ils ont utilisé leur souveraineté et les possibilités offertes par le système interétatique pour devenir des centres relativement indépendante d’accumulation du capital.
Si on prend votre question dans un sens plus large, elle est trop vaste pour y répondre dans l’espace disponible.
Permettez-moi plutôt de noter une différence significative entre les impérialismes britannique et américain.
Comme Perry Anderson l’a fait remarquer, une caractéristique distinctive du capitalisme britannique, c’est qu’il s’est développé en concurrence avec des entités précapitalistes - empires tributaires en Orient et monarchies absolues en Europe.
En Inde, la Grande-Bretagne a hérité les mécanismes d’extraction de l’Empire moghol (bien que l’Inde a été de plus en plus intégrée dans des circuits spécifiquement capitalistes).
Même à l’apogée de l’hégémonie britannique au milieu du 19e siècle, vous trouverez lord Palmerston gérant les relations avec de grands empires territoriaux comme l’Autriche, la Prusse et la Russie.
C’est la montée de rivaux capitalistes à la fin du 19e siècle - les États-Unis et l’Allemagne - qui entraîne le déclin de l’impérialisme britannique.
En revanche, les États-Unis ont émergé pour remplacer la Grande-Bretagne en tant que puissance hégémonique précisément dans ce contexte de rivalité entre Etats capitalistes.
Un élément clé de la domination de Washington est sa capacité à institutionnaliser la coopération entre les Etats capitalistes avancés sous sa direction.
Telle est la signification de la création d’institutions durant la seconde moitié des années 1940 - les institutions de Bretton Woods, l’OTAN, l’ONU etc. Ce que les administrations américaines successives ont tenté de faire depuis la fin de la guerre froide c’est à la fois de maintenir et d’étendre (par exemple l’expansion de l’OTAN et de l’Union européenne) ce système de coopération institutionnalisée mais dominée par les Etats-Unis.
Une caractéristique intéressante de la situation actuelle est l’effet potentiellement déstabilisateur des dites « économies de marché émergentes » - Chine, Inde, Brésil, Afrique du Sud, Turquie etc. - qui ont été soit à l’extérieur soit en marge de ces structures.
Le remplacement effectif du G8 par le G20 comme principal forum économique inter-États - commencé par George W. Bush, mais poussé beaucoup plus loin par Obama - peut être considéré comme une tentative de la part de Washington d’intégrer complètement ces Etats dans l’espace capitaliste dirigée par les États-Unis par l’extension de ce système de coopération institutionnalisée.
J’ai entendu Robert Wade affirmer que le G20 permet aux États-Unis de jouer les BRICs contre l’UE, mais ces deux interprétations sont parfaitement cohérentes entre elles.
Comment doit-on interpréter l’installation de bases en Amérique latine, au Moyen-Orient, mais aussi en Europe ?
Depuis l’analyse de pionnier de William Appleman Williams dans The Tragedy of American Diplomacy (1959), on a fréquemment vu les États-Unis comme un « impérialisme non-territorial ».
Autrement dit, plutôt que d’annexer officiellement des colonies le capitalisme américain a cherché à créer un marché mondial ouvert qu’il pouvait dominer en raison de sa puissance économique relative.
Je pense que cette interprétation est globalement correcte - en particulier parce que les Etats-Unis essayaient de dominer un monde d’États capitalistes.
La stratégie alternative a été tentée par l’Allemagne sous Hitler - la construction d’un empire continental par la conquête armée. Même si cela n’avait pas échoué à cause de la défaite militaire, il n’aurait probablement pas pu durer indéfiniment : l’état SS n’aurait pas pu gérer la plupart des sociétés capitalistes avancées de cette époque uniquement par la répression et la terreur.
Donc, la stratégie américaine de domination non-territoriale s’est avérée plus rentable (en grande partie parce que le capitalisme américain a été beaucoup plus fort que n’importe lequel de ses concurrents).
Mais ce que les américains ont découvert, d’abord pendant la Seconde Guerre mondiale, puis à nouveau pendant la Guerre froide, était que cette stratégie nécessitait la projection de la puissance militaire sur une très grande échelle.
En 1939-41 et immédiatement après 1945, les États-Unis ont espéré que la Grande-Bretagne pourrait porter le principal fardeau militaire en Europe.
Mais la Grande-Bretagne était trop faible pour cela, et les États-Unis ont dû déployer leurs propres forces, d’abord pour vaincre l’Allemagne, puis, en particulier après le déclenchement de la guerre de Corée, pour contenir l’URSS. Cela a nécessité le développement d’un réseau mondial de bases aériennes et navales - un processus qui a commencé au cours de la Seconde Guerre mondiale : Roosevelt et ses chefs de cabinet ont poussé pour prendre possession de nombreuses îles du Pacifique dans cet objectif.
D’une certaine manière c’est un prolongement de ce que la Grande-Bretagne a fait au 18e et 19e siècles - l’acquisition d’une série de bases qui permettaient à la Royal Navy - son principal mode de projection de puissance - d’opérer au niveau mondial.
Il est intéressant de souligner cet élément de continuité historique parce que le Pentagone préfère encore compter sur la puissance navale et aérienne plutôt que sur des troupes au sol.
Les États-Unis possèdent l’armée la plus puissante du monde, mais elle compte peu de succès à son actif.
La seule guerre terrestre majeure qu’elle a remporté depuis 1945 était celle contre l’Irak en 1990-1, quand elle avait à peu près le monde entier à ses côtés.
La Corée a été un match nul, le Vietnam a été une défaite, l’Irak un quasi-échec, dont l’issue est encore incertaine, et les choses n’ont pas l’air d’aller très bien en Afghanistan.
Quel devrait être le rôle politique des révolutionnaires dans les pays affectés par des invasions militaires (Irak, Afghanistan) ? L’intervention est-elle purement « étrangère » ?
Pour répondre d’abord à votre deuxième question, l’intervention n’est souvent pas exclusivement étrangère.
En Irak et en Afghanistan il y a eu un élément substantiel de guerre civile.
En effet, en Irak, une fois que la résistance s’est développés les États-Unis n’ont pu tenir qu’en manipulant les tensions entre sunnites et chiites, avec un coût humain terrible.
Mais la réalité dominante est celle de l’occupation étrangère.
En principe, le rôle des marxistes révolutionnaires dans de telles situations devrait être de lier la résistance à l’occupation à la lutte des classes, en essayant d’ouvrir une perspective de libération sociale ainsi que nationale.
L’expérience des mouvements de résistance dans l’Europe sous occupation nazie illustre les possibilités, ainsi que les problèmes potentiels, de cette orientation.
Malheureusement, en Irak et en Afghanistan, nous sommes confrontés à des situations où la gauche laïque, historiquement forte dans les deux sociétés, s’est discréditée - dans une certaine mesure en raison de son association avec des puissances impérialistes (l’URSS dans le cas de l’Afghanistan, les États-Unis dans le cas de la fraction du Parti Communiste Irakien qui a soutenu l’invasion de 2003).
Le résultat est que la lutte contre l’occupation est dominé par des forces politiques islamistes.
Cela n’affecte pas nos tâches à l’extérieur de l’Irak et de l’Afghanistan : le mouvement anti-guerre doit se concentrer sur la campagne pour mettre fin aux occupations, et les révolutionnaires devraient accueillir avec joie la défaite des États-Unis et leurs alliés par la résistance qui est islamiste de façon prédominante.
Les tâches des révolutionnaires à l’intérieur ces pays est, hélas, très difficile : établir, dans des conditions extrêmement défavorables généralement, les bases d’une nouvelle gauche, véritablement anti-capitaliste et anti-impérialiste.
Alex Callinicos, 28 Juin 2010
[1] David Harvey, Le nouvel impérialisme, (Les Prairies Ordinaires, 2010).
[2] Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme. Traduction revue avec le texte russe.
[3] H.M. Schwartz, Subprime Nation : American Capital, Global Capital, and the Housing Bubble (Ithaca, 2009), p. 168.
[4] G. Carchedi, Frontiers of Political Economy (London, 1991), p. 232.
[5] Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme.
Site web du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA).
Revue indépendante d’analyse stratégique anticapitaliste.
Actualité politique internationale de la revue Inprecor sous reponsabilité de la Quatrième internationale.
International Socialism, Revue mensuelle théorique du Socialist Worker Party.
Le site web de la LCR Belge contient de nombreux articles de théorie marxiste très intéressants.
Base de données de référence pour les textes marxistes.
Le site de la commission nationale formation du NPA.