Les Arabes et les Juifs peuvent-ils vivre ensemble ?

par John Rose

30 septembre 2014

La question semble absurde à la lumière de l’affreux massacre de civils palestiniens perpétré par Israël au cours des derniers mois. L’histoire de l’Etat d’Israël depuis sa fondation, de même que le projet colonial sioniste sponsorisé par les Britanniques au début du 20ème siècle, n’est-elle pas essentiellement celle de l’expropriation forcée du peuple palestinien de sa terre – ce que l’historien israélien Ilan Pappe a appelé « le nettoyage ethnique de la Palestine » ?

La réponse, bien sûr, est un « oui » sans équivoque. Mais considérons attentivement la question posée au début de cet article. Elle ne dit pas : « le sionisme » ou « les sionistes ». C’est de là qu’il faut partir. Les Juifs ne sont pas obligatoirement sionistes. Avant la Deuxième Guerre mondiale, la majorité d’entre eux ne l’étaient pas – et cela vaut pour les Juifs européens aussi bien que pour ceux du Moyen-Orient.

Les Juifs européens peuvent être fiers de leur contribution à la culture européenne et mondiale. Qu’il suffise de nommer Spinoza, Marx, Einstein, Freud, ou d’étudier la contribution des Juifs à l’art, la médecine, la science et l’éducation - pour ne pas parler de leur rôle dans le mouvement ouvrier, le syndicalisme et le socialisme révolutionnaire.

Dans la Russie pré-révolutionnaire, là où les sionistes ont développé leur projet de conquête de la Palestine, ils étaient minoritaires. Il est exact que les Juifs étaient victimes d’odieux pogroms, suscités par les tsars de Russie, déterminés à sauver leur empire aux abois. Mais c’était le Bund Socialiste Juif, et non les sionistes, qui avait la majorité parmi les travailleurs juifs.

Le Bund était résolument opposé au sionisme, l’identifiant comme un piège colonialiste. Ils attaquaient également les sionistes qui collaboraient avec leurs bourreaux en admettant qu’il y avait « trop de Juifs » dans l’empire russe.

Le Bund répétait avec insistance que la seule voie de l’émancipation des Juifs passait par l’alliance avec les non-Juifs dans le mouvement révolutionnaire montant. Lorsque les bolcheviks prirent le pouvoir, même le dirigeant sioniste Ben Gourion fut forcé d’admettre que Lénine et les bolcheviks avaient combattu sans compromis l’antisémitisme.

En d’autres termes, en Europe aussi bien qu’au Moyen-Orient, il y a une histoire juive très différente de la version sioniste, et elle prend comme point de départ la coopération avec les non-Juifs.

Cette tradition doit aussi être redécouverte parmi les colons européens qui se proclament sionistes dans la terre de Palestine. C’est une tradition qui, par définition, ne peut tolérer le racisme institutionnel et l’élitisme violent qui sont à la base de l’Etat sioniste.

C’est la raison pour laquelle la solution « à deux Etats » a toujours été impossible. Même ceux des dirigeants sionistes qui étaient plus ou moins prêts à accepter un Etat palestinien tronqué ont toujours refusé de reconnaître le droit au retour des réfugiés de 1948 – une demande clé pour tout accord de paix viable. Ce qui signifie qu’un Etat juif élitiste, sous une forme ou sous une autre, devait être préservé.

De toutes façons, les gouvernements israéliens ont manifesté les uns après les autres leur manque total d’intérêt pour toute forme d’Etat palestinien. Israël refuse même de discuter du partage de Jérusalem.

L’apartheid

Les sionistes insistent sur le point que Jérusalem doit être la capitale juive d’un Etat juif. Mais même en Cisjordanie l’occupation israélienne dure depuis si longtemps et a accaparé tellement de terres qu’un Etat palestinien ressemblerait davantage à une réserve d’indigènes américains qu’à quoi que ce soit d’autre.

Même le secrétaire d’Etat américain John Kerry, autorisant la mise à l’essai d’une solution à deux Etats, avertissait que sans un minimum de concessions cela deviendrait un Etat d’ « apartheid ». Il présenta ensuite des excuses, lamentablement. Mais l’appellation est restée pour nous rappeler la lutte de la majorité noire en Afrique du Sud contre le régime d’apartheid.

Cette lutte a finalement eu pour issue un gouvernement de la majorité noire. Tôt ou tard l’Autorité palestinienne, qui a quelques pouvoirs symboliques, devra reconnaître que la solution des deux Etats est morte. Si elle ne le fait pas, elle sera balayée par une nouvelle génération d’activistes palestiniens qui exigeront des droits égaux dans un Etat palestinien unique.

Cette vision peut être fondée sur la revendication du droit de vote pour tous, qui comporte tous les Israéliens, les Palestiniens de la bande de Gaza, la Cisjordanie dans les frontières d’avant 1948 et les millions de réfugiés dispersés au Moyen-Orient et ailleurs.

En d’autres termes, les droits démocratiques élémentaires pour lesquels les Juifs d’Europe se sont battus si courageusement et qu’ils ont ont protégés avec tant d’enthousiasme pourraient finalement arriver en Palestine – remettant à l’honneur une tradition juive européenne de coopération avec les non-Juifs que le sionisme a tout fait pour détruire.

« Nous devons alimenter l’étincelle d’espoir du passé »

Ces mots ont été écrits par Walter Benjamin, le grand philosophe marxiste qui s’est tragiquement suicidé au début de la Deuxième Guerre mondiale. Ils ont inspiré Amiel Alcalay, un écrivain Juif Arabe qui a écrit ce qui est probablement le meilleur livre sur la liquidation par les sionistes de l’identité judéo-arabe : After Jews and Arabs : Remaking Levantine Culture (Après les Juifs et les Arabes, le retour de la culture levantine).

Il voit l’étincelle d’espoir dans la redécouverte de cette identité pour éclairer un avenir différent, où les Arabes et les Juifs seraient des citoyens égaux. C’est une vision très différente de celle d’un Moyen-Orient s’enfonçant de plus en plus dans la barbarie. La culture levantine était dominante au Moyen-Orient avant que les Britanniques ne s’emparent de la Palestine en 1917 et commencent à la transformer en une colonie juive destinée à servir les intérêts de leur empire.

Cette culture était bien plus tolérante envers les trois grandes religions du Moyen-Orient, le judaisme, le christianisme et l’islam, que ce que nous voyons aujourd’hui. Les impérialismes anglais et français ont manipulé ces religions, privilégiant cyniquement le judaisme et le christianisme pour consolider leur pouvoir et poser les bases du chaos et du carnage auquel nous assistons aujourd’hui.

Alcalay confirme l’idée que la plupart des Juifs des pays arabes, et d’autres pays musulmans comme l’Iran et la Turquie, ont été des participants consentants à la destruction de leur propre passé. Il mobilise la minuscule minorité, dégoûtée par le racisme sioniste, qui a résisté à cette pression pour raconter une histoire différente.

Prenons par exemple Eliyahou Eliachar, qui est très critique sur sa patrie. Il dit qu’elle a trahi l’unité profonde qui était celle de la région. « La terre d’Israël est une petite portion d’une région dans laquelle habitent beaucoup de gens, dont la plupart ont une foi et un fort désir d’être unifiés. Notre terre n’a jamais été une unité géographique limitée ; elle était et reste au carrefour de l’Occident et de l’Orient, entre l’Egypte, l’Assyrie et la Babylone du passé. »

Les documents de Guéniza – vieux de près de 1.000 ans et découverts dans les ruines d’une synagogue du Caire - confirment « une longue et glorieuse période de symbiose judéo-arabe ».

Le même thème apparaît dans Ya’aqob Yehoshua’s Childhood in Old Jerusalem, qui décrit la ville avant l’arrivée des Anglais : « Tout le monde appréciait les œuvres des poètes arabes... et il y avait des réunions poétiques et musicales dans les cafés arabes, à l’époque où le public s’asseyait sur des tabourets en fumant le narguileh... Les cafés de la Vieille Ville et de la Porte de Damas servaient de centres de culture et de divertissement aussi bien pour les Arabes que pour les Juifs. »

Les Juifs des pays arabes qui ont été « convertis » au sionisme ont aussi fait face au racisme des colons européens. L’un d’entre eux, le poète Sami Chalom Tchétrit, a rédigé une élégie titrée « Prisonniers de Sion ».

Une courageuse minorité

A l’occasion, on peut voir un Juif israélien d’origine européenne dire la vérité. Lova Eliav a écrit : « Nous leur avons dérobé un trésor inestimable, qu’ils avaient apporté avec eux – l’arabe... Nous avons fait de l’arabe et de la culture arabe quelque chose de haïssable et de méprisable. »

Cette courageuse minorité peut-elle soutenir la lutte de libération de la Palestine ? Certains se cantonnent dans leur identité d’artistes, craignant de s’engager ouvertement dans une démarche politique sans compromis. D’autres, comme le romancier israélien Shimon Ballas, ont abandonné toute prudence : « Je n’ai jamais renié mes origines arabes ou la langue arabe. L’identité arabe a toujours fait partie de moi. » Il s’identifie complètement avec les Palestiniens.

Ballas a un camarade inattendu en Grande-Bretagne, ayant les mêmes opinions même si son origine est complètement différente. Il s’agit de Sir Gerald Kaufman, le député juif le plus ancien du Labour Party. Kaufman, autrefois sioniste ardent et religieux pratiquant, a été tellement déçu par Israël qu’il a changé de camp.

Non seulement il soutient aujourd’hui les combattants du Hamas à Gaza, mais lors de l’attaque israélienne de 2009, il comparait la résistance palestinienne à celle des Juifs du ghetto de Varsovie contre les nazis. C’est quelque chose : un Juif européen soutenant la résistance organisée par des islamistes au terrorisme sioniste. C’est là, véritablement, une étincelle d’espoir dans le présent.

Voir en ligne : Can Arab and Jews live together ?

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