L’affaire de la disparition de Lénine

par Gareth Jenkins, Kevin Corr

31 octobre 2014

Qu’est-ce que les révolutionnaires de l’époque moderne pourraient bien apprendre de Lénine ? Le capitalisme est enlisé dans sa crise la plus profonde et la plus longue depuis les années 1930, créant une colère qui par endroits déborde en résistance de masse et même en révolutions. Le stalinisme étant mort et enterré, et les partis réformistes traditionnels ne proposant pas grand-chose d’autre qu’une austérité moins injuste, la révolution par en bas semble une idée dont le temps est enfin revenu. Pourtant la classe ouvrière paraît « lente » à remplir le rôle que lui confie le marxisme classique. Elle a peut-être même « accepté » le néolibéralisme. Beaucoup d’activistes ne croient pas que les classes sociales ou les partis politiques définissent les mouvements anti-systémiques. L’idée d’une révolution de la classe ouvrière conduite par un parti politique pour détruire l’Etat semble la propriété surannée de groupes hors sujet incapables de se libérer du ghetto de l’extrême-gauche.

Ce sentiment pèse sur la gauche révolutionnaire. Pour certains, le problème réside dans le type de parti auquel ils croyaient. Peut-être est-il faux d’insister sur une distinction rigide entre « révolutionnaire » et « réformiste ». Peut-être un « mélange » des deux peut-il reconstruire une gauche radicale capable de remplir le vide entre un réformisme parlementaire en déclin et une gauche « léniniste » qui n’arrive pas à grandir. Il semble que c’est ce qui est à l’œuvre derrière des initiatives pour créer de larges partis de gauche qui ont le genre d’attrait, par exemple, de Syriza (la coalition de la gauche radicale) en Grèce et du Front de Gauche en France. Il serait donc nécessaire d’opérer un rapprochement et une ré-évaluation de ce que la gauche révolutionnaire appelle le « réformisme de gauche ».

Voilà donc le contexte dans lequel il y a lieu de prendre au sérieux le débat intellectuel initié par le remarquable penseur marxiste canadien Lars Lih. Lih a montré qu’il n’y a rien, dans le véritable Lénine, qui puisse justifier l’idéologie du « léninisme » fabriquée après la mort de Lénine pour justifier le pouvoir montant de la bureaucratie soviétique. Mais sa défense de Lénine l’a conduit à interpréter Lénine comme n’ayant apporté aucune contribution fondamentale au marxisme – du moins rien qui aille au delà du marxisme de la IIe Internationale (l’internationale qui unifiait tous les partis social-démocrates1 avant la Première Guerre mondiale) tel qu’il s’incarnait dans son penseur le plus représentatif, Karl Kautsky.

Ce qui a commencé comme une discussion sur le véritable sens de la brochure écrite par Lénine en 1902 et intitulée Que faire ? est devenu un débat bien plus large sur la question de savoir s’il est possible de déduire de ses idées et de sa pratique une théorie distincte de l’organisation révolutionnaire – si, en d’autres termes, il est possible de sauver un authentique léninisme de sa caricature stalinienne. Lih en vient à considérer que, contrairement aux apparences, Lénine n’a jamais fondamentalement brisé avec le marxisme de Kautsky. Cette thèse, si elle est vraie, remettrait fondamentalement en question la vision de la gauche révolutionnaire d’un Lénine renouvelant une tradition marxiste que le plus grand théoricien de la IIe Internationale avait vidée de son contenu révolutionnaire.

Le présent article polémique contre la « kautskysation » de Lénine. Lénine peut très bien avoir pensé qu’il mettait en pratique le marxisme qu’il avait reçu de Kautsky. Les bolcheviks peuvent très bien, au départ, s’être vus comme des membres de la famille social-démocrate (même si le tsarisme faisait d’eux des cousins un peu particuliers). Pourtant ils furent le seul parti social-démocrate significatif à ne pas sombrer dans le chauvinisme de la Première Guerre mondiale et le seul à diriger une révolution victorieuse. Nous prétendons que l’explication réside dans le fait que, même s’ils ont partagé (formellement) le même marxisme que Kautsky, ce n’était pas le cas dans la pratique. Cette différence dans la pratique résultait du renouvellement théorique d’un marxisme que Kautsky avait transformé en lettre morte. Ce renouvellement est précisément le léninisme que nous entendons défendre. Évaluer sa validité selon ce que Lénine a fait, au-delà de ce que son vocabulaire semble parfois indiquer, nous paraît tout-à-fait correct – même si nous pensons que Lih ne serait pas d’accord.

Lénine redécouvert

Dans son Lenin Rediscovered : What is to be Done ? in Context, Lih affirme de façon assez convaincante que de mauvaises traductions et des fausses interprétations2 de Que faire ? ont produit une image déformée du parti que Lénine souhaitait créer. Selon cette « interprétation scolaire » datant de la Guerre froide3, Lénine « avait peur du développement « spontané » du mouvement ouvrier », exigeait que le mouvement « soit « dévié » de son cours naturel » et qu’il « soit dirigé « de l’extérieur » par... des intellectuels révolutionnaires bourgeois »4 organisés dans un parti « hyper-centralisé » et « voué à la conspiration ».5 Ainsi Que faire ? fut « une profonde innovation théorique et organisationnelle, la charte du bolchevisme, et la source première du stalinisme ».6 Au contraire, dit Lih, Que faire ? reflétait la pensée socialiste européenne dominante de la période. Lénine, « avocat passionné de la liberté politique »,7 croyait que les travailleurs « répondraient... avec acceptation et enthousiasme »8 au message de la « bonne nouvelle » socialiste et que le mouvement ouvrier russe, comme son homologue européen, jouerait le même rôle dans l’émancipation de la société.

Lih démystifie les formulations les plus en faveur dans l’interprétation scolaire – l’affirmation de Lénine selon laquelle « la conscience politique de classe ne peut être apportée à l’ouvrier que de l’extérieur ».9 Lih prouve de façon décisive que lorsque Lénine parle de la « spontanéité » et de la nécessité de la « détourner »10 (pour utiliser les traductions existantes), nous ne devrions pas penser que cela signifie qu’il fallait que les travailleurs soient contraints par les intellectuels socialistes à prendre le chemin de la révolution contre leur penchant naturel. Nous devons plutôt comprendre que cela veut dire que le mouvement ouvrier était capable de plus que de lutter pour ses intérêts immédiats, qu’il pouvait devenir conscient de son pouvoir de transformer la société. Lénine réécrivait le Programme d’Erfurt de Kautsky (le programme de 1891 du Parti Social-démocrate Allemand) qui disait que la tâche de la social-démocratie était de « rendre cette lutte de la classe ouvrière consciente et unitaire et lui montrer son but nécessaire ».11

Lénine lui-même écrivait en 1899 dans son Projet de programme pour notre parti : « Nous ne craignons nullement de dire que nous voulons imiter le Programme d’Erfurt » ;12 et « alors qu’on entend si souvent adresser des critique opportunistes et équivoques à ce programme, nous estimons de notre devoir de nous prononcer ouvertement en sa faveur ».13 En d’autres termes, Lénine faisait appel à Kautsky pour donner une autorité à sa propre bataille contre la version russe, « économiste », du révisionnisme : l’idéologie qui « restreint systématiquement le mouvement ouvrier à la défense de ses intérêts sectoriels ».14


La réfutation détaillée, sous la plume de Lih, de l’interprétation scolaire a été largement, à bon droit, appréciée dans la gauche révolutionnaire.15 Cela dit, la cible de Lih n’était pas seulement l’interprétation scolaire. Dans son collimateur se trouvait aussi ce qu’il a appelé l’ « interprétation militante »16 de ce qu’il voyait comme son attitude négative envers Kautsky. Pour l’interprétation militante, il y a une difficulté intrinsèque dans la phrase que Lénine a empruntée à Kautsky (sur la relation entre « spontanéité » et « conscience »), indépendamment de la question de savoir si elle a été utilisée de façon erronée dans l’interprétation scolaire. Il y a le danger d’unilatéralité qui vient de la compréhension de la théorie socialiste comme une chose qui s’est formée indépendamment de la pratique des travailleurs (et qui a été ensuite introduite dans le mouvement ouvrier). Comme dit John Molyneux, la vérité de la théorie socialiste « doit être reliée intimement à, influencée par et basée sur l’activité de la classe ouvrière ».17 Ce qui est problématique dans la formulation de Kautsky (qui sépare la conscience de la spontanéité) c’est qu’elle risque d’impliquer une vision élitiste du rapport du parti à la classe.


Pour l’interprétation militante, ce caractère unilatéral a pu être de peu d’importance tant que l’accent était mis sur l’orientation contre la mise à la remorque de la spontanéité (le thème de Que faire ?). Mais cela a véritablement pris de l’importance lorsque la révolution s’est approchée, en 1905. Le contexte était alors très différent. A la suite de la défaite militaire russe par le Japon, la crise sociale et politique avait elle-même un effet profondément révolutionnaire sur les travailleurs. Dès lors la spontanéité du mouvement montant devait être apportée au parti : les éléments les plus résolus du parti avaient besoin de se mettre « à l’école » des travailleurs plutôt que l’inverse, que suggérait la formulation de Kautsky. Les structures du parti qui avaient été nécessaires pour résister aux concessions à l’économisme étaient devenues un handicap. C’est ce qui était au cœur du débat du Congrès d’avril 1905 entre Lénine et les « comitards », que Lénine perdit alors. Revenant sur la question en novembre de la même année, Lénine affirma très clairement que le « cas où des gens qui ne sont pas so­cial-démocrates adhéreraient en masse au parti » ne signifierait pas que « le parti se résorberait dans la masse » (ce qui avait été son argument contre les économistes dans Que faire ?). Le renouveau d’une intelligentsia ouvrière militante dans le parti serait le résultat bien plus probable de cette vague, plus orientée idéologiquement, de lutte de classe spontanée. Maintenant, insistait-il, « que le prolétariat héroïque à démontré par des actes sa volonté de lutte... dans un esprit purement social-démocrate [c’est-à-dire révolutionnaire]... Instinctivement, spontanément, la classe ouvrière est social-démocrate ».18

L’interprétation militante est carrément condamnée par Lih. Les « auteurs activistes », dit-il, « parlent comme s’ils connaissaient les convictions de Lénine mieux que Lénine lui-même » ; il écarte l’idée d’une « torsion du bâton » par Lénine comme étant « le stratagème favori de la tradition militante pour se débarrasser des anomalies ». Il critique Molyneux pour sa supposition que Lénine « était resté complètement inconscient du fait qu’il divergeait de façon fondamentale avec Kautsky », malgré sa grande familiarité avec ses écrits. « Je ne sais pas », ajoute-t-il ironiquement, « si nous sommes censés expliquer cela par la duplicité de Kautsky, l’incapacité de Lénine à comprendre ce qu’il lisait, où l’inconscience de Lénine de ses propres convictions ».19 Cela « finit par présenter Lénine comme un dirigeant plutôt incompétent et incohérent », et Cliff est pareillement critiqué pour avoir brossé un portrait peu séduisant de Lénine comme « tordeur de bâton » excessif.20


Cependant la « torsion du bâton » — ou pour utiliser la formulation de Draper, « l’exagération par tous les moyens de l’aspect du problème qui pointe dans la direction où il est nécessaire de se diriger »21 – permet à un parti révolutionnaire sérieux d’intervenir lorsque les circonstances changent. Faute par lui de le faire, le principe révolutionnaire reste stérile – comme l’a démontré la « constance » de Kautsky.


En particulier, Lih rejette l’assertion de Tony Cliff selon laquelle Lénine dut persuader ses partisans d’abandonner les positions de 1903 comme étant « totalement fausse ».22 Ce que montrent les documents, selon Lih, n’est pas une opposition de principe à la proposition de Lénine de recruter des ouvriers pour les comités du parti, mais seulement un désaccord sur son caractère pratique (les comitards la critiquaient « parce qu’elle se bornait à affirmer un but axiomatique (le recrutement d’ouvriers) sans en montrer les voies et moyens », pour utiliser le langage de Lih).23


Mais en ce qui concerne la manière dont Cliff s’appuie sur une source particulière,24 est-elle aussi fautive que Lih le proclame ? Au congrès Lénine se plaignait, si l’on en croit les Œuvres, que « l’inertie de leurs membres [de nos comités] doit être vaincue » — une déclaration qui suscita des applaudissements et des protestations. Lénine poursuivit en précisant que « la tâche d’introduire des ouvriers dans les comités n’est pas uniquement pédagogique, elle est aussi politique ».25 L’accent mis par Lénine sur l’importance politique du recrutement d’ouvriers dans les comités suggère que l’opposition des comitards allait plus loin que les simples questions pratiques.


En plus, il y a les mémoires de Nadejda Kroupskaïa, femme de Lénine et par ailleurs membre important du parti bolchevik, qui était présente au congrès. Elle écrit que Lénine avait dit, après la conclusion du débat : « Je ne pouvais pas rester tranquillement assis en entendant dire qu’il n’y a pas d’ouvriers capables d’être membres des comités. La question traîne en longueur ; le parti souffre d’un mal, c’est évident. Les ouvriers doivent entrer dans les comités ».26


« Tordre le bâton », donc, comme métaphore ne devant pas être prise trop littéralement,27 rend compte des changements dans la pratique de Lénine – en particulier ici. Lénine lui-même avertissait, dans son propre commentaire lors de la réédition de Que faire ? en 1907, qu’il ne fallait pas traiter la brochure en dehors de son « contexte historique » d’une étape révolue du développement du parti. Ses « idées faus­ses et exagérées qui y étaient développées au sujet de l’or­ganisation des révolutionnaires professionnels » pouvaient être critiquées, mais cela passait à côté du fait qu’elles ne s’appliquaient plus au présent.28


Noter ces renversements, comme ici entre la période de Que faire ? et celle de 1905, n’est pas dépeindre Lénine de façon négative – comme un dirigeant incompétent ou incohérent qui, comme le prétend Lih, ne savait pas ce qu’il pensait. C’est bien plutôt montrer que Lénine tordait le bâton, lorsque les circonstances l’exigeaient, pour s’assurer que des formes d’organisation particulières n’empêchaient pas la croissance du parti lorsque les conditions changeaient. Cette flexibilité ne devrait pas être confondue avec la manœuvre. Là où Lénine était inflexible, c’était dans sa détermination obstinée à construire un parti capable de renverser le capitalisme. Le rapport entre la tactique et les principes était un processus dialectique de préservation des gains tout en surmontant l’unilatéralité.


Lénine était-il kautskyste ?


Depuis Lenin Rediscovered, Lih a poussé l’idée d’une influence de Kautsky sur Lénine au point de remettre en cause ce qui semble une chose évidente : la rupture déclarée de Lénine avec le « renégat » Kautsky après 1914. Pourtant, dit Lih, « Lénine ressentait que c’était Kautsky, et non lui-même, qui avait changé. Il ne voyait pas de raison d’abandonner la vision qu’il partageait avec Kautsky à l’époque où, à ses yeux, les événements l’avaient complètement justifiée ».29 Contrairement aux apparences, les écrits de Lénine postérieurs à 1914 ont une « dette énorme » envers le « scénario d’interaction révolutionnaire global » (sur la question nationale, l’impérialisme, et la révolution sociale et politique) de Kautsky.30 Lih en voit la preuve dans les louanges adressées par Lénine en 1915 au livre de Kautsky de 1909 Le chemin vers le pouvoir.


Ce n’était pas Lénine, par conséquent, qui brisa avec le kautskysme, mais Kautsky. Comme dit Lih : « La vision politique et la stratégie de Lénine à partir de 1914 provenait d’une définition de la situation qu’il avait prise sans rien y changer aux écrits de « Kautsky quand il était marxiste » ».31 En vérité, « l’absence délibérée d’originalité agressive »32 est la description que donne Lih du rapport général de Lénine à Kautsky, un portrait de Lénine qui demeure étrangement figé dans son kautskysme.


Cette vision de Lénine, qui trouve un écho dans la biographie de Lénine due à la plume de Lih,33 semble être devenue un fait établi pour une partie de la gauche, si l’on doit prendre au sérieux la critique du livre écrite par militant socialiste nord-américain Charlie Post. Post dit que Lih a raison de défendre l’idée, entre autres choses, que « Lénine était resté un marxiste « kautskyen » relativement conséquent jusqu’en 1921 », qu’il n’avait « jamais développé une « théorie du parti » originale – il s’était contenté d’adapter le modèle du SPD aux « conditions russes » », que sa stratégie dans la révolution russe n’était pas « unique » mais avait déjà été définie par Kautsky en 1906, et qu’avec l’échec des révolutions européennes d’après-guerre, l’échec de la paysannerie à se diviser entre koulaks et paysans pauvres, et l’échec de l’Etat des Soviets à se conformer aux attentes de Lénine dans L’Etat et la révolution, Lénine fut contraint de « reconsidérer « le manuel à la Kautsky » ».34


Post concède de bonne grâce : « En même temps qu’il y a peu de chose, dans les théories de Lénine, à l’exception de L’Etat et la révolution et La maladie infantile du communisme, qui soit vraiment original et d’une valeur durable, la pratique des bolcheviks au cours de l’année 1917 reste pertinente ».35 Comment une exception d’une telle dimension puisse ne pas invalider la proposition principale et son rapport avec 1917 est un mystère.


La notion de « non-originalité délibérée » souligne la compréhension révisionniste qu’a Lih de la signification des Thèses d’avril de 1917. Dans l’interprétation militante, les Thèses marquent une rupture nette entre le « vieux bolchevisme » et un réarmement du parti qui devait rendre possible la Révolution d’Octobre. C’était une « torsion du bâton » qui dut affronter une résistance encore plus grande que celle des comitards en 1905.


Lih rejette tout ceci, prétendant que la « narration historique la plus célèbre », dans laquelle Lénine « arrive » en avril, les bolcheviks sont « déroutés par sa nouvelle vision », il « leur fait face » et puis, après un mois de débat, « tout le monde s’embarque dans la nouvelle ligne » est tout simplement fausse. Toutes incompréhensions mutuelles et questions de chronologie mises à part, il y avait un accord général sur le message de base, qui était de « protéger la révolution, répondre à la crise nationale, mettre en œuvre le programme de base de la révolution ».36 Les Thèses d’avril ne sont même pas aussi originales qu’on le prétend. Lénine était influencé par la lecture d’un article récent de Kautsky, que Lih appelle « un précis concis de vieille stratégie bolchevique ». Les échos verbaux « ajoutent assez de poids au fort dossier circonstanciel pour voir l’article de Kautsky comme le catalyste des grandes innovations de Lénine dans sa perspective idéologique ».37 (En d’autres termes, le kautskysme était sous-jacent dans tout ce qui était vraiment nouveau). De façon plus accablante, il est faux de penser que Lénine remporta le débat sur les Thèses d’avril contre les vieux bolcheviks. Bien au contraire, conclut Lih, « le vieux bolchevisme triompha en 1917 », une chose que Lénine « fut près de reconnaître explicitement » après les événements.38 La seule conclusion à tirer de tout cela est que, de la même manière que le conflit de Lénine avec les comitards en 1905 avait fait rage à propos des éléments pratiques de la représentation ouvrière, l’affrontement entre Lénine et les « vieux bolcheviks » en 1917 fut d’ordre pragmatique, et avait trait à la meilleure façon de mettre en œuvre la révolution kautskyste.


Ceci comporte des implications très profondes pour notre compréhension de la Révolution d’Octobre elle-même. Lih prétend que le message évoqué dans le précédent paragraphe (sur la protection de la révolution) « pourrait être résumé comme Vsya vlast’ sovyetam Tout le pouvoir aux soviets ») » mais qu’il trouvait la phrase Vsya vlast’ narodou Tout le pouvoir au peuple ») plus souvent dans les brochures du Parti bolchevik39. De plus, Lih affirme que « dans les mois menant à la révolution, le socialisme était minimisé » (même si après Octobre la démarche dans sa direction était « dominante ». Les bolcheviks devaient « minimiser le socialisme » avant la révolution parce que « s’ils avaient pensé qu’une révolution socialiste attirerait [le peuple], alors ils y auraient appelé. Ils devaient savoir qu’elle n’attirerait pas. » Les bolcheviks voulaient peut-être que la révolution conduise au socialisme, mais ils sont nécessairement resté prudents et pro-paysans. Ce qu’a réalisé ce « parti radical urbain » a été la création d’une « grande armée paysanne » qui « devait gagner la guerre civile ». C’était la réalisation du « scénario bolchevik original ».40


Lih prétend que la gauche, malgré sa familiarité avec l’idée que 1917 a été une révolution ouvrière-paysanne, a tort de « choisir de mettre l’accent sur la discontinuité en 1917 » ; « ils sont accrochés... à la juxtaposition entre la révolution démocratique et la révolution socialiste. A mon avis il y a certainement un changement, mais la discontinuité a été exagérée ».41 Si Lih a raison, alors la prise du pouvoir par le Soviet ne peut véritablement être appelée une révolution socialiste dans le sens des travailleurs prenant le pouvoir pour rompre avec le capitalisme et commencer à construire un ordre socialiste. La seule conclusion que nous pouvons tirer de ceci est qu’Octobre fut une révolution populaire-démocratique – une meilleure, même si elle n’était pas qualitativement différente, version de Février – mais qui ne fut pas et ne pouvait être une mise en question du capitalisme si ce n’est de façon partielle.


Ainsi, si Lénine a toujours été, au fond de lui, kautskyste, alors la Révolution d’Octobre elle-même a été la réalisation du scénario vieux bolchevik (kautskyste) de 1905. Mais si cela est vrai, pourquoi le kautskysme de Lénine aurait-il cru bon de créer un parti capable de renverser l’Etat ? Etait-ce simplement un facteur subjectif, Lénine restant fidèle à son kautskysme alors que Kautsky lui tournait le dos ?


Pour répondre à cela, nous devons nous pencher sur la question de savoir si le mot « démocratie » signifiait la même chose pour Lénine et pour Kautsky. Ce qui est en jeu ici est la nature de l’Etat sous le capitalisme, le rôle de la politique électorale, et la signification de la forme soviétique du pouvoir. Comme nous espérons le démontrer, quel que fut leur engagement commun envers la liberté politique en tant que but de la révolution, une divergence beaucoup plus profonde explique pourquoi Lénine a été capable de construire un parti qui pouvait apporter un changement révolutionnaire, alors que Kautsky, non seulement ne le pouvait pas, mais a fini du mauvais côté.


Le chemin vers le pouvoir de Kautsky


Lénine admirait certainement le Kautsky du Chemin vers le pouvoir et d’avant. Mais cela prouve-t-il que Kautsky doit être considéré comme un marxiste révolutionnaire avant 1914, même s’il cesse de l’être ensuite ? Certains ont prétendu qu’il n’avait jamais été, même au début, révolutionnaire dans le sens où Lénine l’était. Massimo Salvadori, par exemple, affirme que « vers la fin du 19e siècle » Kautsky avait une vision de l’Etat et de la démocratie « qui devait inévitablement entrer en conflit avec la théorie des soviets et la pratique gouvernementale des bolcheviks ». Kautsky « avait toujours considéré la dictature du prolétariat comme un régime qui, même s’il représente le pouvoir du seul prolétariat, serait établi par des élections libres [et] serait basé sur l’utilisation du parlement dans des buts socialistes ».42


Pourtant, dans ses écrits, Kautsky insistait sur le fait que c’était seulement par une révolution prolétarienne que le capitalisme pouvait être détruit et le socialisme introduit.43 Comment cet engagement envers le marxisme révolutionnaire pouvait-il se concilier avec un engagement aussi souvent répété envers la « soi-disant méthode pacifique de lutte des classes, qui se limite aux moyens non-militaires, le parlementarisme, les grèves, les manifestations, la presse et les moyens de pression similaires » ?44 La justification de cette nouvelle méthode de lutte (« du moins dans les pays possédant des institutions quelque peu démocratiques »45) était que, même si la révolution était toujours le but, sa forme insurrectionnelle, caractéristique de la période des révolutions bourgeoises, ne convenait plus.


Il y a ici une tension évidente entre la fin et les moyens : les méthodes pacifiques de lutte semblent être l’antithèse des méthodes révolutionnaires. Kautsky tendait à éluder la tension en la raffinant. La « méthode de lutte démocratique-prolétarienne »46 n’était pas un substitut à la lutte de classe nécessaire pour le socialisme, de même que « la démocratie ne peut pas éliminer les antagonismes de classe de la société capitaliste ».47 D’autre part, le parlementarisme représentait la seule façon de rassembler les forces – dans les circonstances existantes – jusqu’au jour où viendrait l’heure du renversement révolutionnaire du capitalisme (on pourrait dire qu’il s’agissait là d’une version brute, mécanique de la position d’Engels48).


Mais Kautsky offrait aussi une justification de la méthode de lutte pacifique qui ouvrait la porte à l’idée que la révolution pouvait être réalisée pacifiquement. Dans le chapitre 5, section 9 de son commentaire de 1892 du Programme d’Erfurt, il écrivait que « quand le prolétariat, en temps que classe consciente, prend part aux luttes parle­mentaires, dans les élections et dans l’assemblée elle-même, le parlementarisme commence à changer de nature. Il cesse dès lors d’être un simple moyen de domi­nation de la bourgeoisie. ».49 C’était là une formule ambigüe, permettant une interprétation aussi bien révolutionnaire que réformiste. D’une part, elle impliquait qu’à partir du moment où la classe ouvrière recherchait ses suffrages, le parlementarisme cessait d’être un terrain réservé à la bourgeoisie – une position compatible avec l’accent mis sur les limites du parlementarisme (l’incapacité de la démocratie bourgeoise d’éliminer les antagonismes de classe). D’un autre côté, elle pouvait aussi signifier que le parlementarisme, sous la pression de la classe ouvrière, pouvait perdre complètement son caractère de classe bourgeois. Si c’était le cas, la perspective de voir le prolétariat établir son pouvoir à travers le parlement (en lui donnant un caractère de classe différent) était encore une possibilité. La formulation de Kautsky, en d’autres termes, autorisait un arrangement avec le réformisme.


Cela nous dit quelque chose sur la nature du marxisme de Kautsky. Même si sa réputation en tant que marxiste reposait sur une décennie de lutte théorique contre le révisionnisme dans le parti allemand, son marxisme ne proposait pratiquement rien d’autre à la classe ouvrière que la foi en une méthode pacifique de lutte. Un jour, la bataille décisive entre la bourgeoisie et le prolétariat viendrait, mais sur ce que les travailleurs devaient faire en attendant, Kautsky n’avait pas grand-chose de concret à dire. Cela signifiait (en l’absence d’une théorie révolutionnaire comme guide pour l’action) que le terrain parlementaire sur lequel il opérait était le même que celui de ses adversaires révisionnistes. Leur parlementarisme n’avait nul besoin de la révolution comme but justifiant leur pratique. Mais pas davantage celui de Kautsky, dans la mesure où le but révolutionnaire était sans cesse remis au jour où le moment serait bon (ce qu’il n’était jamais). Kautsky était plein d’audace dans ses appels à une opposition irréconciliable à l’ordre existant dans une ère nouvelle de révolutions,50 mais timoré lorsque la réalité l’exigeait. Comme dit Gary Steenson, son opposition à l’aile droite du parti donnait « à son travail un parfum radical que démentait parfois la modération de sa véritable position ».51 Dick Geary exprime quelque chose de semblable lorsqu’il dit que « même si ce n’était sans doute pas intentionnel, Kautsky lui aussi était « révisionniste » »52 – si par « révisionniste » nous voulons dire que la défense du marxisme par Kautsky ne parvenait pas à préserver son contenu révolutionnaire.


Il y avait donc une ambigüité profonde sur ce que le parlementarisme attendait de la « démocratie ». N’était-ce rien d’autre que le meilleur terrain sur lequel les socialistes pouvaient combattre – sans s’attendre à ce que le socialisme advienne au moyen du parlement ? Ou est-ce que les succès électoraux signifiaient que c’était possible ? L’affaire douloureuse qu’était la révolution pouvait être complètement évacuée par une « révolution » paisible au moyen du parlement. La montée quasi constante de la social-démocratie allemande jusqu’à devenir le plus important parti du Reichstag en 1912 semblait une preuve suffisante que la « démocratie » rendait le socialisme (en termes généraux) irrésistible. Aussi longtemps que le capitalisme demeurait relativement « pacifique » et que le parlement restait l’arène où il était possible de défier l’hégémonie politique bourgeoise (en termes de voix obtenues et de députés élus), le test de savoir si oui ou non le parlementarisme apportait un pouvoir réel à la classe ouvrière pouvait être évité.


Mais l’intensification de la crise de l’impérialisme balaya tout cela. En théorie, Kautsky comprenait que la révolution était plus nécessaire que jamais si on voulait éviter que la société ne sombre dans la guerre et la barbarie. Mais il était incapable de rompre avec le parlementarisme dont il s’était fait si longtemps le champion (« en échouant à tordre le bâton », pourrait-on dire) et qui avait été le fondement de la social-démocratie allemande. Les profondes ambigüités de son marxisme devinrent claires – du moins pour la gauche de la social-démocratie allemande, qui avait l’avantage de pouvoir observer Kautsky de plus près que Lénine.


L’exception russe


Une des raisons pour lesquelles Lénine admirait tant Kautsky (avant 1914) était la réaction qui avait été la sienne à la Révolution Russe de 1905.


Cela n’est pas sans rapport avec le fait que, pour Kautsky, la Russie était une exception à la règle des « méthodes pacifiques ». Les « anciennes » méthodes de lutte révolutionnaire pouvaient y être utilisées précisément parce que, en l’absence d’institutions démocratiques dignes de ce nom, les méthodes pacifiques de lutte y étaient à l’évidence impossibles. La démocratie (et même la démocratie bourgeoise) ne pouvait triompher que comme résultat d’une révolution – elle ne pouvait être un mode d’accès ou un substitut à la révolution. Cette « exception » permettait à Kautsky de penser, provisoirement, au delà de son attachement habituel au parlementarisme. Elle le porta en 1905 à soutenir Lénine et les bolcheviks et à s’opposer aux mencheviks. En 1917, c’est l’inverse qui fut vrai : la « démocratie » excluait la possibilité du socialisme par le moyen des soviets.53


Le désaccord entre socialistes (du moins entre bolcheviks et mencheviks dans la période de 1905) ne portait pas sur la nature de la révolution à venir : étant donné le caractère retardataire de la Russie, la conviction commune des socialistes était qu’elle ne pouvait être que bourgeoise, inaugurant le libre développement du capitalisme et donc celui d’une classe ouvrière capable de mettre en œuvre une future révolution socialiste.54 Là où les bolcheviks et les mencheviks étaient en désaccord, c’était sur la question de savoir comment, en pratique, le tsarisme devait être renversé. Autrefois, Plékhanov, le fondateur du marxisme russe, avait affirmé que la bourgeoisie russe était trop lâche pour mener à bien sa propre révolution, et que donc les tâches culturelles et politiques de la direction « tomberaient entre les mains du prolétariat »55 qui était, malgré sa petitesse, la classe la plus révolutionnaire de la société. La logique de cette position était que les socialistes devaient s’efforcer de préserver l’indépendance politique de la classe ouvrière.


Pourtant les mencheviks (et Plékhanov lui-même) reniaient désormais cette logique. Au lieu de cela, ils recherchaient une alliance avec la bourgeoisie libérale, alliance dans laquelle la classe ouvrière devait jouer un rôle politiquement subalterne. Elle devait alimenter l’audace des libéraux mais non les effrayer avec des revendications anticapitalistes excessives. Les bolcheviks rejetaient cette stratégie à la fois comme dangereuse (les libéraux préfèreraient toujours le compromis) et liquidatrice (les intérêts de classe du prolétariat seraient sacrifiés). Les bolcheviks recherchaient, au contraire, des alliés dans la paysannerie opprimée.


Chercher des alliés dans une classe « retardataire », plus facilement monarchiste que libérale, faisait paraître la position bolchevique comme non orthodoxe d’un point de vue marxiste. Pourtant Kautsky, lorsque Plékhanov fit appel à lui comme à une autorité marxiste, déçut les attentes des mencheviks et se rangea sans équivoque du côté des bolcheviks.56 Lénine était ravi. Dans sa « Préface à la traduction russe de la brochure de K. Kautsky : Les forces motrices et les perspectives de la Révolution Russe », il écrivit : « Une révolution bourgeoise, menée à bien par le prolétariat et la paysannerie malgré l’inconstance de la bourgeoisie – ce principe fondamental de la tactique bolchevique est totalement validé par Kautsky ».57


Ce n’était pas seulement la question des forces sociales qui amenait Kautsky à se distancier du parlementarisme. La grève énorme qui avait balayé la Russie (et la Pologne, une des parties les plus industrialisées de l’empire russe) poussa Kautsky à une révision positive de ses vues sur l’insurrection armée. Etant donné que la grève de masse avait miné la discipline de l’armée et que l’Etat ne pouvait plus s’appuyer sur ses forces armées pour contrôler la classe ouvrière, il ne pouvait plus affirmer que « l’insurrection armée... ne jouera plus un rôle décisif dans la révolution future »58 – une façon un peu tortueuse de dire qu’elle le pourrait.


Le fait que Kautsky fût prêt à cautionner (quoique prudemment) la grève de masse comme arme politique le mettait dans une situation de collision potentielle avec les dirigeants syndicaux et parlementaires réformistes du parti allemand, pour lesquels une telle stratégie risquait de provoquer l’ennemi de classe et de faire perdre les gains réalisés par le parlementarisme. C’était l’apogée de son marxisme révolutionnaire.


Mais son audace était conditionnée par l’ « exception » russe – par la différence avec les pays « démocratiques », dans lesquels le parlementarisme était la norme. Ainsi, si Kautsky était prêt à concéder que la grève de masse politique était, en théorie, généralisable au delà des frontières de la Russie, en pratique il battit assez rapidement en retraite sur cette idée. Lorsque la gauche allemande, et Rosa Luxemburg en particulier, commença en 1910 à agiter pour que le parti adopte la grève politique de masse comme une exigence qui pousserait le mouvement en avant, elle se heurta à l’opposition de Kautsky, qui prétendit que les conditions n’étaient pas bonnes en Allemagne. Mais la façon dont il formula son argument suggérait que ce dont il s’agissait était plus qu’une question tactique :

Plus la constitution d’un pays est démocratique, moins il existe de conditions pour une grève de masse, et moins cette grève devient nécessaire pour les masses, et donc moins souvent elles sont en faveur. Quand le prolétariat possède des droits électoraux suffisants, on ne peut s’attendre à une grève de masse que comme mesure défensive – comme un moyen de protéger le droit de vote, ou un parlement dans lequel il y a par exemple une forte représentation social-démocrate, contre un gouvernement qui refuse d’obéir à la volonté des représentants du peuple.59

En d’autres termes, la croissance de la « démocratie » faisait de la grève de masse une stratégie politique périmée – au mieux, elle ne pouvait être que l’appoint de l’action parlementaire. Luxemburg avait peut-être tort tactiquement quant à l’usage de la grève de masse en Allemagne en 1910 (sur ce point Lénine était d’accord avec Kautsky), mais elle repérait, contrairement à Lénine à l’époque, le vice fondamental de l’exclusivisme parlementaire de Kautsky.60


La démocratie et l’Etat


L’ « exception » russe ne permettait à Kautsky qu’une déviation temporaire de son parlementarisme habituel. Elle signifiait aussi qu’il n’avait pas à faire face à la question de l’Etat. Parce que si la Révolution Russe était « démocratique » alors l’Etat qui en sortirait le serait aussi : le maximum pour lequel devaient lutter la classe ouvrière et ses alliés paysans était la démocratie parlementaire.


Pourtant la gauche allemande d’avant-guerre, dans le débat sur la grève de masse, commençait à remettre tout cela en question. Anton Pannekoek, par exemple, disait que « la lutte du prolétariat n’est pas simplement une lutte contre la bourgeoisie pour le pouvoir d’Etat, mais une lutte contre le pouvoir de l’Etat ».61 Cette distinction clarifiait une chose que le parlementarisme esquivait : nommément, que l’Etat bourgeois, aussi démocratique fût-il, ne peut être capturé (par le contrôle du parlement) et chargé d’un contenu de classe différent. Ce que la Russie de 1905 inaugura, et que 1917 renouvela à une échelle incomparablement plus grande, était le soviet.


Kautsky ne parvint pas à saisir sa signification politique. C’était compréhensible en 1905 – pratiquement aucun socialiste acceptant la nature bourgeoise de la révolution n’y parvint. Lénine, cependant, le voyait comme « dictature démocratique » embryonnaire potentielle des ouvriers et des paysans. Il disait que « le Soviet doit se proclamer au plus tôt gouvernement révolutionnaire provisoire de l’ensemble de la Russie ou bien (ce qui revient au même, mais sous une forme différente), il doit créer un gouvernement révolutionnaire provisoire. ».62 En d’autres termes, il pouvait être une forme nouvelle de pouvoir d’Etat, incarnant le pouvoir des exploités et des opprimés sur la société.


Quelle était, cependant, sa relation avec le but de la révolution en Russie ? Pour les mencheviks, le soviet était, au mieux, un instrument pouvant contribuer à mettre le pouvoir dans les mains de la bourgeoisie – certainement pas une nouvelle forme de pouvoir politique, étant donné que le but de la révolution était l’établissement d’une démocratie parlementaire. La position de Lénine était par conséquent supérieure à celle des mencheviks. Mais elle comportait une faiblesse. La « dictature démocratique » du pouvoir soviétique pouvait être la seule façon d’arracher le pouvoir au tsarisme, mais elle ne pouvait être autre chose qu’une forme étatique épisodique, étant donné que la révolution était censée se restreindre à ses limites bourgeoises. La « dictature démocratique » aurait à céder la place à une assemblée constituante et à l’introduction d’une démocratie parlementaire.


C’était cette ambigüité (sur la primauté ou non de la forme soviétique du pouvoir) qui était au cœur du conflit entre les « vieux bolcheviks » et Lénine en 1917. Les « vieux bolcheviks », fidèles au scénario de 1905 de la « dictature démocratique », accordaient un soutien critique au gouvernement provisoire pour autant qu’il maintenait les acquis de la révolution, et qu’il était soutenu par le soviet. L’argument de Lénine était que ce scénario avait été rendu obsolète par le cours réel des événements. Le danger était que les soviets « cède de son plein gré le pouvoir à la bourgeoisie, se transforme de son plein gré en appendice de celle-ci. ».63 La nouvelle tâche à laquelle étaient confrontés les bolcheviks, par conséquent, était de renverser ce processus de transmission du pouvoir – en amenant les masses à se rendre compte « que les Soviets des députés ouvriers sont la seule forme possible de gouvernement révolutionnaire », « expliquer patiemment, systématiquement, opiniâtrement » et ainsi préparer la voie, non d’une république parlementaire (« un pas en arrière ») mais d’une république soviétique.64


Il est clair que Lénine avait raison. Cela n’empêche pas Lih de proclamer que le « vieux bolchevisme » a été le véritable vainqueur en 1917, et que le « vieux bolchevisme » était kautskyen. Pourtant que serait-il advenu de la révolution si Lénine n’avait pas rompu avec le « vieux bolchevisme » ? La question clé était le pouvoir des soviets. Lih prétend que les vieux bolcheviks étaient aussi favorables que Lénine à la prise du pouvoir par les soviets. Mais ceci est sujet à controverse. La logique de la position des vieux bolcheviks (de demi-soutien au gouvernement provisoire au motif que la révolution n’avait pas encore achevé sa phase bourgeoise-démocratique) était de différer la prise du pouvoir par les soviets, mettant ainsi la révolution en péril. C’était une adaptation à l’argumentation menchevique sur les « étapes » : d’abord la révolution bourgeoise, ensuite la révolution socialiste (une idée qui s’avéra fatale dans la Révolution Chinoise de 1925-1927).


Cela nous parle aussi de la compréhension qu’avait Kautsky du pouvoir d’Etat en 1917. Il retombait dans sa logique « exceptionnaliste » : une force non parlementaire était convoquée pour mener à bien une révolution, mais uniquement dans la mesure où elle garantissait l’émergence du parlementarisme. La démocratie parlementaire bourgeoise, en réalité, était meilleure que jamais pour Kautsky. Ce n’était pas seulement la forme de démocratie qui convenait le mieux à l’organisation des socialistes sous le capitalisme. Elle devint, pour Kautsky, la forme la plus élevée de démocratie, la seule à travers laquelle le socialisme pouvait être réalisé. Il n’y avait pas de voie vers le socialisme en dehors de la voie « démocratique » (des majorités parlementaires). Le soviet, par conséquent, lorsqu’il en vint à réaliser son potentiel en 1917, était une institution que Kautsky devait rejeter comme étant moins que démocratique – ce pourquoi il critiqua les bolcheviks en 1918 pour avoir dispersé l’assemblée constituante et n’avoir pas permis à un gouvernement élu de prendre la place du pouvoir soviétique, une critique qu’il tentait de présenter comme l’orthodoxie marxiste.65 C’est également la raison pour laquelle, au cours de la Révolution Allemande, de 1918 à 1919, Kautsky « consentait à accepter les conseils [ouvriers] comme des corps révolutionnaires, et donc temporaires, mais en politique il pensait que leur utilité était strictement limitée à la période de transition entre l’ancien Reich et la nouvelle république ».66


La réponse de Rosa Luxemburg à l’accusation de Kautsky selon laquelle les bolcheviks étaient contre la « démocratie » parce que les soviets ne fonctionnaient pas sur la base du suffrage universel était la bonne :

Le parti de Lénine fut le seul à comprendre les devoirs qui incombent à un parti réellement révolutionnaire. Son mot d’ordre - « Tout le pouvoir entre les mains du prolétariat et de la paysannerie » - a garanti le progrès de la révolution.
Ce faisant, les bolcheviks ont résolu la célèbre question de la « majorité du peuple », ce cauchemar qui oppresse depuis toujours les sociaux-démocrates allemands. Elevés dans le culte du crétinisme parlementaire, ceux-ci transposent simplement sur la révolution les recettes éprouvées, bonnes pour le jardin d’enfants parlementaire : pour faire quoi que ce soit, il faut commencer par avoir la majorité. Même chose donc s’agissant de la révolution : conquérons d’abord une « majorité ». Or la dialectique réelle des révolutions inverse cette sagesse, bonne pour les taupes du parlement. Le chemin ne conduit pas de la majorité à la tactique révolutionnaire, il mène à la majorité par la tactique révolutionnaire.67

L’insistance de Lénine à affirmer que les soviets, et non la république parlementaire, constituaient le chemin de la démocratie n’était pas, on le voit, seulement un aspect de sa rupture ancienne avec Kautsky. C’était aussi, quoi qu’en dise Lih, une rupture totale avec le kautskysme.


Déjà, dans L’Etat et la révolution Lénine démontrait à quel point le marxisme de Kautsky justifiait la vision réformiste de l’Etat :


« Théoriquement », on ne conteste ni que l’Etat soit un organisme de domination de classe, ni que les contradictions de classe soit inconciliables. Mais on perd de vue ou on estompe le fait suivant : si l’Etat est né du fait que les contradictions de classe sont inconciliables... il est clair que l’affranchissement de la classe opprimée est impossible, non seulement sans une révolution violente, mais aussi sans la suppression de l’appareil d’Etat qui a été créé par la classe dominante.68

Lénine appelle cela la « déviation constante [de Kautsky] vers l’opportunisme, précisément dans la question de l’Etat ».69 En conséquence, « ce qui distingue foncièrement le marxisme de l’opportunisme dans la question des tâches de la révolution prolétarienne se trouve escamoté par Kautsky ! »70 Lénine situe cette « déviation » (constante, rappelons-le), non pas comme une chose qui serait d’apparition récente, mais qui émergeait dès 1899, c’est-à-dire à une époque où, à en croire Lih, Kautsky « était encore marxiste » aux yeux de Lénine.


Le marxisme de Kautsky pouvait paraître impressionnant – tant qu’il ne subissait pas le test de la pratique. La Cinquième lettre de loin de Lénine (du début de 1917) se réfère à l’article de Kautsky dont Lih prétend qu’il l’a influencé. Lénine cite Kautsky : « Deux choses... sont extrêmement urgentes au prolétariat : la démocratie et le socialisme. » Lénine ajoute : « Cette thèse absolument incontestable, Kautsky la présente malheureusement sous une forme si générale qu’en fait, elle n’apporte et n’élucide rien du tout ».71


Le parti léniniste


Les déficiences politiques de Kautsky se reflètent dans son modèle du parti. Le SPD allemand, selon sa formule célèbre, était « un parti révolutionnaire, mais pas un parti qui fait la révolution ».72 La vérité générale contenue dans cette déclaration (que les révolutions ne peuvent être produites à volonté mais sont déterminées par les conditions historiques) se transformait dans la pratique, comme l’a dit Pannekoek, en une « théorie d’attente sans action.., de radicalisme passif ».73 La classe ouvrière avait d’elle même fort peu à faire hormis faire confiance au parlementarisme pour construire un parti révolutionnaire qui prendrait le pouvoir à son compte (Chris Harman a noté que Kautsky semblait avoir « semble avoir été particulièrement effrayé par ce que pourraient faire les travailleurs sans le parti, ainsi que par le danger de « révolution prématurée » qu’il y associait »).74


Un engagement théorique envers la révolution en général, et une résistance au révisionnisme en particulier, n’entraînaient pas une forme d’organisation correspondante. Si tout ce qui était véritablement important était la mesure de succès remportée par la stratégie parlementaire du parti, alors la priorité était l’unité dans le sens de largeur plutôt que de cohésion idéologique. Et finalement cela n’avait pas d’importance, puisque les lois de l’histoire garantissaient la victoire du socialisme.


Comparons cela avec la pratique très différente de Lénine dans la construction du parti. Lors de la conférence de 1903 du Parti Social-démocrate Russe, il critiqua un opposant qui « confond dans le parti les éléments organisés et inorganisés.., les éléments avancés et ceux qui sont incorrigiblement arriérés »75, produisant ainsi une confusion dangereuse. Au contraire, disait Lénine,


plus fortes seront nos organisations du parti englobant de véritables social-démocrates, moins il y aura d’hésitation et d’instabilité à l’intérieur du parti, et plus large, plus variée, plus riche et plus féconde sera l’influence du parti sur les éléments de la masse ouvrière qui l’environnent et sont dirigés par lui. Il n’est pas permis en effet de confondre le parti, avant-garde de la classe ouvrière, avec toute la classe.76


Cette distinction était à la base de la divergence entre lui et Martov sur les règles d’adhésion. L’important était que le parti, loin de refléter l’inévitable inégalité de la conscience de la classe à l’intérieur du parti, organise seulement sa section la plus révolutionnaire – pour mieux intervenir dans le mouvement ouvrier plus large. Lénine, selon les termes qu’utilisa Paul Frölich beaucoup plus tard, « voulait un parti fermement et étroitement organisé qui, en tant qu’avant-garde de la classe, serait étroitement connecté avec elle, mais qui en même temps en serait clairement distinct ».77


L’organisation était donc, pour Lénine, l’expression de la politique et non quelque chose de secondaire. Mais prendre l’organisation au sérieux (le besoin permanent d’assurer une clarté idéologique pour mieux intervenir) signifiait aussi que toute forme particulière d’organisation du parti n’était bonne qu’aussi longtemps qu’elle rendait l’intervention de l’avant-garde plus efficace. D’où les revirements (les torsions du bâton) dont nous avons déjà dit qu’ils étaient essentiels pour la compréhension de Lénine. Ce qu’il faut souligner ici, c’est qu’il est faux de supposer que la torsion du bâton était simplement une réponse pragmatique aux circonstances (une espèce de « montage en cours de route » du parti). Si c’était le cas, ceux qui présentent Lénine comme dénué de principes auraient raison – alors que le principe à l’œuvre derrière chaque torsion du bâton était d’améliorer la capacité du parti à conduire la classe ouvrière à la révolution. Pour la même raison, il faut éviter de faire un tri arbitraire dans les œuvres de Lénine.


Prenons, par exemple, « centralisme démocratique ». En extrayant ce terme de son contexte, on peut créer tous les léninismes qu’on veut. Tandis que des portions de Que faire ? ont été parfois utilisées pour faire le portrait d’un Lénine ultra-centraliste, quasi stalinien, d’autres passages sont cités pour montrer un Lénine ultra-démocrate. Ceux qui insistent sur le centralisme comme la condition dialectique d’une réelle démocratie de parti peuvent se voir répliquer par Lénine que le Comité central « n’a absolument pas le droit d’exiger d’une organisation du parti d’accepter sa résolution » et qu’ « aucune discipline n’exige d’un membre du parti de souscrire aveuglément à tous les projets de résolution composés par le Comité central ».78


Si nous replaçons cette déclaration dans son contexte, la préoccupation de Lénine ne concernait pas un quelconque droit démocratique général de désobéir au Comité central, mais le besoin spécifique de préserver la politique révolutionnaire dans des conditions où, les mencheviks étant devenus majoritaires à la suite de la conférence unificatrice de Stockholm de 1906, ils utilisaient leur contrôle du Comité central pour imposer le soutien à un ministère cadet de droite nommé par le tsar. Anatole Lounatcharsky raconte que Lénine lui avait dit avant la conférence : « Si nous avons la majorité au Comité central, nous exigerons la discipline la plus stricte. Nous insisterons pour que les mencheviks se soumettent à l’unité du parti. » Dans l’éventualité où les mencheviks obtiendraient la majorité, Lénine répliquait : « Nous ne permettrons pas à l’idée d’unité de nous mettre la corde au cou et nous ne laisserons en aucun cas les mencheviks nous mener par la corde ».79 Lénine était déterminé à préserver la tradition révolutionnaire en préservant l’ « autonomie » organisationnelle des bolcheviks dans un parti dominé à cette période par une direction liquidatrice.


C’étaient là les « années troubles », comme dit Paul Le Blanc, et ce n’est qu’en comprenant ce que Lénine faisait dans cette période que nous « serons capables de comprendre les principes organisateurs révolutionnaires qui sont vitaux pour notre époque ».80 La défaite de la Révolution de 1905 avait entraîné Lénine dans une bataille sur deux fronts alors que la social-démocratie russe volait en éclats sous la pression de la réaction tsariste et de la retraite de la classe ouvrière. Les mencheviks voulaient un parti purement légal, sans engagement révolutionnaire. Les gauchistes voulaient un parti totalement clandestin qui tournât le dos aux rares opportunités de travail légal ouvertes aux révolutionnaires (comme les élections, par exemple). Le résultat de la lutte de Lénine contre les deux tendances – et contre ceux qui voulaient concilier les différentes fractions au nom de l’unité du parti (Trotsky était dans cette affaire le grand coupable) – fut que Lénine parvint à reconstituer la social-démocratie russe comme le type de parti dont il avait parlé en 1903, dont la cohésion idéologique lui permettrait d’intervenir efficacement. A la Conférence de Prague de 1912 le parti renaissait effectivement comme purement bolchevik.


Lih rejette l’idée que tout ceci représente l’émergence d’un « parti d’un type nouveau », le décrivant comme une « version simplifiée d’un mot d’ordre de l’ère stalinienne » qui « est devenue un produit de base des manuels occidentaux ».81 La position formelle de Lénine et de ses camarades consistait peut-être à dire qu’il ne s’agissait pas d’un type de parti différent, et que son caractère pratiquement entièrement bolchevik reflétait l’auto-exclusion des mencheviks. Pourtant quelque chose avait fondamentalement changé. Le rapport de Lénine à la IIe Internationale, en 1914, était clair sur ce que signifiait désormais l’unité dans ce « Parti bolchevik ». Des positions jusque là tolérées étaient considérées comme « méritant d’être condamnées » ou « incompatibles avec l’appartenance au parti »82 – ce qui n’équivalait pas à dire que les minorités n’avaient pas le droit d’exprimer leurs désaccords devant tout le parti.


Paul Le Blanc pense que cela reflétait les anciennes opinions de Lénine (de 1904-1905), lorsqu’il était en faveur d’ « une scission organisationnelle sans compromis avec les mencheviks ».83 Il avait révisé cette vision dans l’espoir que la vague de la révolution pousserait ceux-ci vers les bolcheviks. Le fait que le contraire s’était produit, et qu’une âpre lutte de fractions entre liquidateurs et conciliateurs ait dû être menée convainquit Lénine, qui « revint vers la perspective de la scission, dont il pensait qu’elle était nécessaire à la future efficacité d’une avant-garde authentiquement révolutionnaire ».84 De sorte que Le Blanc a sûrement raison de conclure que cette perspective de scission constituait une « manœuvre d’éloignement de l’exemple classique de la social-démocratie allemande », dans laquelle révolutionnaires et réformistes coexistaient.85 Et donc un parti d’un nouveau type, sinon dans dans son appellation du moins dans sa réalité, avait été créé.


Le résumé par Le Blanc des positions des mencheviks, de Kautsky et des bolcheviks de Lénine nous semble pour l’essentiel correct :


Avec les mencheviks, basés sur une adhésion dogmatique à la notion que la Russie ne pouvait connaître qu’une transformation démocratique-capitaliste (qu’une révolution socialiste de la classe ouvrière n’était pas à l’agenda avant de nombreuses années), ils se trouvèrent engagés dans une alliance travailleurs-capitalistes, qui naturellement exerçait des pressions les forçant à des compromis sur les éléments de lutte de classe du marxisme.


En ce qui concerne Kautsky, il devint clair dès 1910 qu’il serait marginalisé dans un mouvement social-démocrate allemand de plus en plus bureaucratique-conservateur, à moins qu’il ne dilue, subtilement mais de façon croissante, son engagement éloquent et apparemment sans équivoque envers le marxisme révolutionnaire. Lorsqu’en 1914 le Parti Social-démocrate Allemand soutint la politique de guerre impérialiste du gouvernement du Kaiser, et en 1917 face à la révolution bolchevique, Kautsky fut irrémédiablement compromis.


Ce qui est distinctif dans les bolcheviks de Lénine est qu’ils ne transigèrent pas, qu’ils suivirent obstinément jusqu’à la fin les implications d’une orientation marxiste révolutionnaire – telle qu’elle s’exprimait dans Que faire ?, L’Etat et la révolution et tant d’autres écrits de Lénine.86


Le Lénine militant


L’interprétation militante a toujours cherché à défendre Lénine contre l’image, soit du démiurge de l’imaginaire stalinien, soit du démon des combattants de la Guerre froide occidentale. Ce faisant, elle a aussi cherché à montrer que la pratique de Lénine, comprise critiquement et créativement, peut être théorisée au delà de son contexte immédiat. En vérité, sans le léninisme et sans un parti léniniste, aucune révolution ne peut espérer renverser le capitalisme et apporter le socialisme.


La kautskysation de Lénine par Lih conteste tout cela – et nie en même temps que la Révolution d’Octobre soit le produit du léninisme. Lih ne va peut-être pas aussi loin que le verdict négatif de Kautsky sur les bolcheviks87 – selon lequel le régime des soviets était un déni de « démocratie », et donc nécessairement une dictature sur le prolétariat (et le reste de la société) plutôt que de lui. Malgré tout, on trouve de façon implicite, dans cette kautskysation, l’idée que le « léninisme » est au mieux un produit de l’imagination militante ou, au pire, une déviation du marxisme.


Si donc nous devons rejeter l’approche léniniste et considérer la Révolution d’Octobre sous un prisme kautskyen, ce qui en ressort est sa nature « exceptionnelle », sa divergence du genre de révolution nécessaire dans l’Europe bourgeoise-démocratique avancée. Le bolchevisme semble limité, confiné à l’explication des raisons spécifiques pour lesquelles Lénine et ses camarades ont réussi en 1917. Plus largement, toutefois, l’objet de cette kautskysation est de nier la possibilité d’extraire de l’expérience de Lénine et des bolcheviks une théorie utilisable comme guide pour l’action dans le renversement du capitalisme en général. Toute tentative dans ce sens, nous avertit-on, signifie approuver le « léninisme » comme produit d’une Internationale communiste dégénérée.

Du coup, il ne nous reste qu’un choix impossible : le « vrai » Lénine, le Lénine kautskyen ou un Lénine fabriqué, le Lénine crypto-stalinien.


Pourtant il existe une masse de preuves, dans la pensée et la pratique de Lénine, établissant que lorsqu’il a rompu avec Kautsky en 1914 il était déterminé à renouveler le marxisme en tant que pratique vivante. L’indice réside dans la façon dont Lénine a commencé à repenser le type d’internationale qui devenait nécessaire après l’effondrement de la IIe Internationale en 1914. Ce renouvellement impliquait aussi une vision très différente du genre de partis qui devaient constituer une nouvelle internationale.


A la fin de 1914, Lénine fit clairement savoir qu’il était opposé à un replâtrage de la vieille internationale. Mettre autour d’une même table les dirigeants qui s’étaient alignés sur leurs classes dirigeantes respectives n’aboutirait à rien. Cela ne soignerait pas les tares profondes d’une internationale qui s’était tellement adaptée aux conditions « pacifiques » qu’elle s’est écroulée lorsque la descente dans la guerre du capitalisme a fait de l’appel de Kautsky à la révolution à l’époque de l’impérialisme une nécessité pratique urgente. Un type d’internationale qualitativement différent était nécessaire – une internationale qui exigerait « une rupture totale avec les chauvins et les défenseurs du social-chauvinisme »88 (parmi lesquels il rangeait à l’évidence Kautsky), et qui ne tolérerait pas l’unité avec eux. Écrivant au début de 1915, il invectivait le genre d’ « unité » qui avait caractérisé les partis kautskystes constituant la IIe Internationale :


Le parti socialiste type de l’époque de la IIe Internationale était un parti tolérant en son sein l’opportunisme, qui s’était de plus en plus accumulé au cours des dizaines d’années de la période « pacifique », mais sans montrer son visage, en s’adaptant aux ouvriers révolutionnaires, en leur empruntant la terminologie marxiste, en évitant avec soin de se démarquer nettement sur le plan des principes. Ce type de parti socialiste a vécu.89


Il renforçait le point concernant l’actualité du bolchevisme lorsqu’il écrivait en 1918 dans La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky : « Le bolchevisme a créé les fondements idéologiques et tactiques d’une IIIe Internationale, vraiment prolétarienne et communiste, et qui tient compte à la fois des conquêtes de l’époque de paix [celle de la IIe Internationale], et de l’expérience de l’époque déjà commencée des révolutions ».90


Le modèle bolchevique ne se limitait pas à la création d’un parti dédié au pouvoir des soviets. Il concernait aussi l’utilisation « des gains de l’époque de tranquillité » d’une façon révolutionnaire et non opportuniste – le sujet de La maladie infantile du communisme – le gauchisme. Les célèbres 21 conditions d’adhésion à l’Internationale (qui sont aussi de 1920) n’étaient pas seulement une tentative de s’assurer que les partis social-démocrates, pour lesquels le Comintern était devenu « populaire », ne pourraient y adhérer que s’ils rompaient avec leur aile réformiste. Elles impliquaient également une façon d’opérer radicalement différente dans les conditions de la démocratie bourgeoise – qui nécessitait une application créative et critique du bolchevisme.


La question de savoir comment créer des partis communistes combinant principes inflexibles et souplesse tactique était aussi au cœur des commentaires de Lénine sur la résolution du Comintern de 1921 (qu’il avait contribué à rédiger) concernant la manière dont des partis bolcheviks devaient s’organiser et fonctionner. C’était un « texte excellent », devait dire Lénine dans son dernier discours devant l’Internationale communiste en 1922. Mais « elle est trop russe » et donc « tout à fait incompréhensible pour les étrangers ; ils ne peuvent pas se contenter de l’accrocher dans un coin, comme une icône, et de l’adorer ».


On présente parfois ce discours comme une preuve que Lénine rejetait la résolution comme une tentative erronée de généraliser le bolchevisme à des pays auxquels il ne s’appliquait pas (et, peut-être, ne le pouvait pas). Lénine a mis l’accent sur ses défauts : son caractère incompréhensible, le fait que « tout ce qui est dit dans la résolution est resté lettre morte. Or, à moins de comprendre cela, nous ne pourrons aller de l’avant ». Malgré tout il insistait : « Il faut appliquer cette résolution » et les étrangers « doivent assimiler une bonne tranche de l’expérience russe. Comment cela se passera, je l’ignore... Nous autres, Russes, devons aussi rechercher les moyens d’expliquer aux étrangers les principes de cette résolution. Sinon, ils seront absolument incapables de la mettre en œuvre ».91 Lénine mettait l’accent sur l’importance vitale qu’il y avait à faire comprendre aux étrangers, malgré ses difficultés, cette résolution « inintelligible ».


La nécessité, pour les partis du Comintern, d’absorber l’expérience du bolchevisme et de l’appliquer sur le plan de l’organisation ne devrait d’aucune manière être confondue avec le type de régime intérieur que selon Zinoviev (et plus tard Staline) ces partis devaient absolument adopter. La « bolchevisation » fut un produit non pas du « bolchevisme » mais de la dégénérescence du Comintern à la suite de la défaite de la Révolution Allemande en octobre 1923. Le Comintern cessa d’être un instrument de l’internationalisme révolutionnaire pour se transformer en outil de la politique étrangère russe. Hélas, les pires craintes de Lénine étaient réalisées. Le « bolchevisme » devint un rituel de décisions prises bureaucratiquement d’en haut pour être aveuglément exécutées.


Conclusion


En quoi cette discussion a-t-elle un intérêt aujourd’hui ? La kautskysation de Lénine a été proposée comme preuve de l’inexistence d’un prétendu parti révolutionnaire « léniniste ». La cible essentielle est Tony Cliff, et en particulier sa relation, dans les volumes 1 et 2 de sa biographie politique de Lénine*, de la façon dont Lénine a construit le parti et l’a préparé à Octobre 1917.


La critique va plus loin que dire que Cliff a tort dans un aspect ou un autre, ou qu’il a exagéré ou négligé certaines parties de la vie politique de Lénine. Elle prétend, en fait, que la pratique des organisations qui ont adopté le modèle « léniniste » est condamnée à l’inefficacité parce que le modèle avancé par Cliff doit bien plus à l’interprétation de Zinoviev-Staline du « bolchevisme » qu’à quoi que ce soit d’autre.


D’une certaine façon, cela nous ramène au vieux mensonge selon lequel Lénine a mené à Staline, et que les léninistes sont tous des staliniens (ne serait-ce que des staliniens de salon). Mais pour une gauche qui a perdu toute la confiance qu’elle a pu avoir dans l’idée qu’un parti révolutionnaire enraciné dans la classe ouvrière est quelque chose de possible, un Lénine kautskyste peut être concevable. D’une part, comme opposé à un réformisme discrédité qui ne parle même plus d’une alternative au capitalisme, il préserve un engagement envers les buts et les revendications socialistes ; de l’autre, il voit cet engagement comme incorporé dans la création d’un parti qui, tout en soutenant l’action de masse et en y recherchant une base, considère le parlementarisme comme la seule voie par laquelle le changement peut arriver. Et on en arrive à peindre le réformisme de gauche en rouge.


Y a-t-il à cela un précédent historique ? En fait, il y a le projet eurocommuniste des années 1970, qui comportait plus que la déstalinisation. Il impliquait comme mutation théorique une répudiation du modèle soviétique de pouvoir comme n’étant plus adapté ou praticable dans les pays « démocratiques ». Le socialisme n’avait rien à voir avec le « renversement de l’Etat » mais avec l’utilisation du parlementarisme pour créer une force de masse qui mettrait un terme à l’utilisation de l’Etat pour bloquer toute avancée sociale. John H. Kautsky a proclamé de façon persuasive que la vision de son grand-père sur le rapport entre la « démocratie » et le « socialisme » a joué un rôle clé à l’époque dans l’étayage intellectuel de l’eurocommunisme.92


Un descendant de l’eurocommunisme, Syriza, connaît à l’heure présente des succès électoraux non négligeables. Ceux qui adoptent le modèle embrassant réforme et révolution tiennent ce parti en haute estime et le considèrent comme le modèle à suivre. Mais la voie eurocommuniste au socialisme s’est avérée incapable d’apporter les plus modestes réformes – et dans une situation où la crise du capitalisme s’approfondit, un réformisme de gauche revu et corrigé ne fera pas mieux. C’est peut-être difficile, mais la tâche de construire des partis léninistes enracinés dans les luttes des travailleurs reste le seul moyen d’en finir avec le capitalisme. Dans sa tentative par ailleurs louable de détacher le véritable Lénine de l’idéologie du « léninisme », Lih a perdu de vue la conception interventionniste, hautement sophistiquée, de la pratique politique qui a été la contribution fondamentale de Lénine au marxisme.


(traduit de l’anglais par JM Guerlin)

Copyright International Socialism, N°144, octobre 2014

1Les partis de la IIe Internationale (1889-1914) étaient partisans, en principe, du renversement révolutionnaire du capitalisme. Ce n’est que plus tard que le mot social-démocrate a pris son sens moderne de réformiste.

2VoirLars Lih, Lenin Rediscovered : What Is to Be Done ? in Context (Haymarket, 2006), pp. 613-658, en particulier pour une discussion de la « spontanéité » et d’autres termes importants dans Que faire ?

3Lars Lih, Lenin Rediscovered : What Is to Be Done ? in Context (Haymarket, 2006), p. 13, pour la première mention.

4Ibidem, p. 15.

5Ibidem, p. 17.

6Ibidem, p. 18.

7Ibidem, p. 8.

8Ibidem, p. 6.

9Lenin, Que faire ?, 1902. Lénine dit la même chose plusieurs fois dans Que faire ?, y compris en citant Kautsky.

10Lenin, Que faire ?, 1902. Lih affirme de façon convaincante que « divert » (détourner) est une autre des mauvaises traductions induisant en erreur (Voir Lars Lih, Lenin Rediscovered : What Is to Be Done ? in Context (Haymarket, 2006), pp. 628-631). (Note de Sylvestre Jaffard : « détourner » est le terme utilisé dans la traduction française standard de Que faire  ? - le terme russe est совлечь.)

12Lénine, Œuvres, vol. 4, Editions sociales, Moscou 1959, p. 241.

13 Ibid.

14Lars Lih, Lenin Rediscovered : What Is to Be Done ? in Context (Haymarket, 2006), p. 594. Cette idéologie est, comme l’indique Lih, la véritable signification de tred-iounionizm (тред-юнионизм) pour Lénine (la traduction standard, qui peut égarer est « trade-unionisme »).

15Voir par exemple l’accueil généralement favorable accordé à Lenin Rediscovered dans le symposium publié par Paul Blackledge in Historical Materialism, volume 18, 3e édition, 2010. Voir aussi la critique de Blackledge, « What Was Done », de Lenin Rediscovered dans cette revue (Blackledge, 2006a). Il faut noter que la contribution de Chris Harman au symposium consistait à dire qu’en présentant Lénine comme « erfurtien », Lih tord lui-même le bâton trop loin pour prouver l’orthodoxie de Lénine (Chris Harman, « Lenin Rediscovered ? », Historical Materialism, Volume 18, Issue 3, 2010).

16 Lars Lih, Lenin Rediscovered : What Is to Be Done ? in Context (Haymarket, 2006), p. 18. Lih se réfère essentiellement, ici et ailleurs, à la tradition trotskyste, à Tony Cliff, John Molyneux et Chris Harman, de la tradition d’International Socialism, et à Paul Le Blanc et Ernest Mandel, de la tradition de la IVe Internationale. Il se réfère également à la lecture libertaire de Lénine qui est celle de Marcel Liebman. Curieusement, il ne dit rien de l’analyse de Que faire ? par Hal Draper (voir Hal Draper, 1990, « The Myth of Lenin’s ‘Concept of the Party’ », 1990).

17John Molyneux, Marxism and the Party (Bookmarks, 1986),, p. 49.

18Lénine, La réorganisaton du parti, Œuvres, vol.10, p. 24. Lénine expliqua que la clarté des principes révolutionnaires et de la discipline d’organisation que le parti avait créés au cours de nombreuses années était la raison pour laquelle la peur d’un afflux de travailleurs était déplacée.(« Ne vous bâtissez pas de terreurs imaginaires, camarades ! », ibid - NdT).

19Lars Lih, Lenin Rediscovered : What Is to Be Done ? in Context (Haymarket, 2006), p. 25.

20Ibidem, pp. 25-27.

21Hal Draper, « The Myth of Lenin’s ‘Revolutionary Defeatism », New International, 1953.

22Lars Lih, Lenin Rediscovered : What Is to Be Done ? in Context (Haymarket, 2006), p. 540. Voir Tony Cliff, Lenin, Volume 1, Building the Party, 1893-1914 (Bookmarks, 1975),, pp. 168-183. Voir aussi Lih, “Lenin Disputed”, Historical Materialism, Volume 18, Issue 3, pp. 147-157 où Lih critique ceux qui partagent la version de Cliff, à savoir Harman and Molyneux.

23Lars Lih, « Lenin Disputed », Historical Materialism, Volume 18, Numéro 3, 2010, p. 152.

24Lih conteste l’honnêteté de Solomon Schwartz, bolchevik à l’époque de la conférence de 1905 et qui devint menchevik peu après, et accuse également Cliff de plagiat.

25Lénine, Œuvres, vol.8, p.411 (souligné par nous).

26Nadejda Kroupskaïa, Воспоминания о Владимире Ильиче Ленине (Souvenirs de Vladimir Illitch Lénine, Politizdat, 1989) p. 85, et Lénine, Œuvres, op cit, vol.8, p.414.

27Lih tente longuement de prouver que cette métaphore est inapplicable à Lénine (Lars Lih, Lenin Rediscovered : What Is to Be Done ? in Context (Haymarket, 2006), p. 26).

29Lars Lih, « Lenin and Kautsky : the Final Chapter » International Socialist Review (mai-juin 2008, sur internet).

30Lars Lih, « Lenin, Kautsky and ‘the New Era of Revolutions », Weekly Worker (22 décembre 2012).

31Ibidem.

32Voir Lars Lih, « Lenin, Kautsky and 1914 », Weekly Worker (10 septembre 2009), et Lars Lih, « Lenin’s Aggressive Unoriginality », Socialist Studies, volume 5, number 2 (automne 2009),.

33Lars Lih, Lenin (Reaktion, 2011).

34Charlie Post, « Lenin Reconsidered », International Viewpoint (3 novembre 2011).

35Ibidem.

36Lars Lih, « April Theses : Before and After April 1917 », Weekly Worker (22 novembre 2012), .

37Lars Lih, « Prospects of the Russian Revolution (1917) by Lars Lih and Karl Kautsky », Weekly Worker (supplément) (15 janvier 2010).

38Lars Lih, « The Ironic Triumph of Old Bolshevism : The Debates of April 1917 in Context », Russian History, volume 38, 2011, p. 201.

39Lars Lih, « April Theses : Before and After April 1917 », Weekly Worker (22 novembre 2012), .

40Ibidem.

41Ibidem.

42Massimo Salvadori, Karl Kautsky and the Socialist Revolution 1880-1938 (Verso, 1990), p. 12.

43Nous paraphrasons une section importante de La voie vers le pouvoir, qui est elle-même extraite d’un article publié 16 ans auparavant (voir Kautsky, 2007, pp. 41-42).

44Kautsky, Der Weg zur Macht, 1909.

45Ibidem.

46Ibidem.

47Ibidem.

48Friedrich Engels, Introduction à Les luttes de classes en France, 1848-1850 de Karl Marx, 1895.

50Voir le dernier chapitre, « Une nouvelle époque de révolutions », in Der Weg zur Marcht, 1909.

51Gary Steenson, Karl Kautsky, 1854-1938 : Marxism in the Classical Years (University of Pittsburgh Press, 1991), p. 102.

52Dick Geary, Karl Kautsky (Manchester University Press, 1987), p. 14. Il faut noter que ni Geary ni Salvadori ne tirent des conclusions « léninistes » du « révisionnisme » de Kautsky.

53Voir, par exemple, La dictature du prolétariat (Kautsky, 1918).

54L’exception parmi les socialistes était Léon Trotsky. Presque seul, Trotsky voyait que si la classe ouvrière conduisait la révolution, elle ne pouvait faire autrement que transcender les limites d’une révolution bourgeoise. Mais une discussion détaillée de sa théorie de la révolution permanente, qui s’est trouvée confirmée en 1917, dépasse de loin le cadre du présent article.

55Cité in Tony Cliff, « Plekhanov : The Father of Russian Marxism », Socialist Review (January 1957),.

56Voir Paul Blackledge, « Karl Kautsky and Marxist Historiography », Science and Society, volume 70, numéro (Juillet 2006), pp. 354-356, pour une discussion sur l’intervention de Kautsky dans le débat sur 1905.

57Lenin, Предисловие брошюры К. Каутского Движущие силы и перспективы русской революции, 1906.

58Cité in Massimo Salvadori, Karl Kautsky and the Socialist Revolution 1880-1938 (Verso, 1990), p. 107.

59« Zwischen Baden und Luxemburg », 1910. Kautsky pensait à son utilisation en Belgique pour étendre le droit de vote.

60Cité in Perry Anderson, « The Antinomies of Antonio Gramsci », New Left Review, 1/100 (novembre-décembre 1976).

61Cité in Dick Geary, Karl Kautsky (Manchester University Press, 1987), p. 77.

62Lénine, Nos tâches et le soviet des députés ouvriers, 1905. Ceci n’était pas un commentaire en passant – il amplifie et répète cette idée sur plusieurs pages. Il poursuit par sa défense du soviet comme organisation large et non-partidaire (à l’inverse de certains bolcheviks qui lui étaient hostiles précisément parce qu’il n’était pas subordonné au parti).

63Lénine, Lettres sur la tactique, 1917.

65Voir, par exemple, sa préface de 1920 au Chemin vers le pouvoir (The Road to Power (Center for Socialist History, 2007), pp. li-lxvix).

66Gary Steenson, Karl Kautsky, 1854-1938 : Marxism in the Classical Years (University of Pittsburgh Press, 1991), p. 216.

67Rosa Luxemburg, Textes, Paris, Messidor/Editions sociales 1982, pp.211-212.

69Ibid.Lih prétend que, malgré l’impression que laisse L’Etat et la révolution, il n’y avait pas de divergence essentielle entre Kautsky et Lénine sur ce que signifiait réellement briser l’Etat – voir Lars Lih, « The Book that Didn’t Bark », Weekly Worker (27 avril 2011), .

71Lénine, Lettres de loin, 1917.

72Kautsky, Der Weg zur Macht, 1909.

73Cité in Dick Geary, Karl Kautsky (Manchester University Press, 1987), p. 71.

74Chris Harman, Parti et Classe, 1969.

76Ibidem.

77Cité in John Molyneux, Marxism and the Party (Bookmarks, 1986), p. 53 (souligné par nous).

78Lenin, Пусть решают рабочие (Que les travailleurs décident), 1906.

79Cité in Tony Cliff , Lenin, Volume 1, Building the Party, 1893-1914 (Bookmarks, 1975), pp. 277-278.

80Paul Le Blanc, Lenin and the Revolutionary Party (Humanities Press, 1993), p. 133.

81Lars Lih, « How a Founding Document Was Found, or 100 years of Lenin’s What Is To Be Done ? Part III : ‘Party of a New Type,’ 1931-77 », Kasama Project (26 juin 2010),. Voir aussi une discussion plus développée in Lars Lih, « The Non-Geometric Elwood », Canadian Slavonic Papers (Revue Canadienne des Slavistes), volume 54, numéros 1-2 (mars-juin 2012).

82Lénine, Доклад ЦК РСДРП и инструктивные указания делегации цк на брюссельском совещании

(Rapport du CC du POSDR et instructions à la délégation du CC à la conférence de Bruxelles), 1914.

83Paul Le Blanc, Lenin and the Revolutionary Party (Humanities Press, 1993), p. 167.

84Ibidem, p. 168.

85Ibidem, p. 168.

86Paul Le Blanc, « Lenin and Us : Into the Past, Back to the Future », Links : International Journal of Socialist Renewal (14 juin 2011).

87Salvadori donne une version utile de l’évolution des opinions de Kautsky d’une hostilité relative à une hostilité absolue (voir Massimo Salvadori, Karl Kautsky and the Socialist Revolution 1880-1938 (Verso, 1990), pp. 251-277).

88Lenin, Мертвый шовинизм и живой социализм (Chauvinisme mort et socialisme vivant), 1914.

89Lénine, Œuvres, vol. 21, p. 107.

90Lénine, Œuvres, vol.28, p 303.

91Lénine, Œuvres,vol.33, pp. 442-444.

*Le volume 1 (La construction du parti) est traduit en français mais non publié en librairie. Le volume 2 (Tout le pouvoir aux soviets) est en cours de traduction. (NdT)

92John H Kautsky, Karl Kautsky : Marxism, Revolution and Democracy (New Brunswick, 1994), pp. 161-204

Voir en ligne : The case of the dissapearing Lenin

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