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2 novembre 2009
Que doit-on faire des histoires que nous racontent les classes dirigeantes et qui sont si grossières que personne ne les croit vraiment ?
Le 9 juin 2006, sept civils sont tués par une explosion sur une plage de Gaza. Les images de la seule survivante, Huda Ghalia, 10 ans, hurlant au milieu des cadavres de sa famille, étaient tellement insupportables qu’Israël est allé jusqu’à murmurer de vagues excuses. Mais très provisoirement. Presque immédiatement, le ministre de la défense Amir Peretz a annoncé une « offensive propagandiste » pour prouver que les obus israéliens n’étaient pas en cause.
L’armée déclara alors que les témoins se trompaient ou mentaient, que les ordinateurs des hôpitaux étaient en panne ou falsifiés, les déclarations des équipes soignantes fallacieuses ou calomnieuses, les études du cratère, des éclats et des blessures par un ancien analyste de terrain du Pentagone, Marc Galasco, l’œuvre d’un incompétent. Les apologistes d’Israël ont concédé que l’armée avait peut-être tiré six obus sur la plage et autour, et qu’un de ces obus manquerait à l’appel. Mais par une étrange coïncidence, au moment même où cet obus est porté disparu, la famille Ghalia marche sur une mine – une seule mine sur une grande plage – que le Hamas, rompant de façon délirante avec toute son histoire militaire, avait déposée.
Comment, se demanda le monde dans une rage incrédule, peuvent-ils s’imaginer que ce scénario aberrant est de nature à nous convaincre ? La réponse, évidemment, est qu’ils ne le croient pas.
Il existe diverses formes de mensonges. Celui-ci est d’un type de plus en plus répandu dans la politique moderne : le mensonge qu’on n’est pas censé croire.
Ce genre de contre-vérité grossière est au cœur même de la guerre en Irak. Les affirmations des responsables américains et britanniques sur le danger imminent représenté par les armes de destruction massive (ADM) détenues par les Irakiens étaient un méli-mélo de fausses informations, d’insinuations et d’âneries qui n’étaient pas seulement incroyables : elles n’étaient pas destinées à être crues.
Pour l’élite, ceci n’est pas sujet à controverse. L’agence privée de renseignement géopolitique Stratfor, dont les clients sont le big business et les gouvernements, explique calmement :
La clé de la compréhension de la situation, c’est que Bush voulait faire un chantage aux Saoudiens, utiliser l’Irak comme base militaire et terrifier les musulmans. C’est cela qu’il voulait faire, mais il ne voulait pas l’admettre ouvertement. Il a donc fourni des justifications non plausibles, partant du principe qu’une victoire rapide élimine les questions embarrassantes. Clinton s’était retiré du Kosovo sans expliquer pourquoi on n’avait trouvé aucun signe de génocide, parce que la guerre avait été vite terminée et que tout le monde en avait assez. Bush s’est figuré qu’il pouvait faire la même chose en Irak.
Mais si ces mensonges ne sont pas destinés à convaincre, à quoi servent-ils ?
D’abord, à planifier une politique. Bush, par exemple, ne s’attendait pas sérieusement à ce que les gens sensés croient qu’il existe réellement un « axe du mal ». En fait, il annonçait ses intentions – expliquant quels sont les termes, les priorités et les cibles principales de l’impérialisme US.
Ensuite, pour brouiller les pistes. Les bobards politiques sont toujours, les uns après les autres, dévoilés par l’analyse des faits. De nombreuses recherches sérieuses ont fait voler en éclats le conte de fées israélien sur l’affaire de Gaza, mais elles sont en elles mêmes une preuve qu’Israël a réussi à mettre en place son agenda. Elles répondent à la question « Est-ce qu’Israël a tué les Ghalia ? » alors que la vraie question aurait du être : « Que faisons-nous en ce qui concerne le meurtre des Ghalia par Israël ? ».
Bien sûr, alors que le but fondamental de ces mensonges n’est pas d’être convaincants, ça n’empêche pas certains de les croire. Et, comme l’a fait remarquer Noam Chomsky, les gouvernements font la « supposition raisonnable » que les « intellectuels publics » seront les plus crédules en matière de propagande. Par exemple, la déclaration tonitruante de David Aaronovitch en 2003 sur les légendaires Armes de Destruction Massive (ADM) : « si finalement on ne trouve rien, en tant que partisan de la guerre, je ne croirai jamais plus ce que nous racontera notre gouvernement, ou même celui des États-Unis ».
La « révélation » du mensonge officiel n’a pas amené Aaronovitch à faire amende honorable, mais c’est peut-être tant mieux. Dans certains cas, la seule chose qui soit plus répugnante qu’un refus de s’excuser est le fait même qu’on s’excuse. Lorsque les ADM ont obstinément refusé de se générer spontanément, les libéraux étaient théâtralement abasourdis d’avoir été leurrés. Ceci a culminé dans le mea culpa du New York Times pour avoir docilement recyclé des bobards officiels. Pour les millions d’entre nous qui n’ont pas gobé ce qu’on n’a jamais vraiment voulu leur faire gober, ces pleurs et ces grincements de dents étaient risibles.
On prétend souvent, à tort, que Lénine décrivait les libéraux prosoviétiques comme des « idiots utiles ». Aussi sévère qu’il soit pour nos dirigeants, il est difficile de trouver un terme plus approprié à ceux qui non seulement obéissent aux instructions, mais qui, plus royalistes que le roi, insistent héroïquement pour être trompés. Il y a un point à partir duquel la crédulité devient de la complicité.
Et de la complicité avec les projets les plus ignobles. Parce que parfois, les mensonges les plus éhontés sont utilisés délibérément pour nous intimider. Ce n’est pas une stratégie sans risques, et seuls les dirigeants les plus brutaux et les plus confiants en eux mêmes se la permettent. Dans ce cas, plus les mensonges sont évidents, meilleur c’est, parce que c’est précisément leur caractère peu plausible qui en fait des matraques de classe. C’est en proclamant que deux et deux font cinq, ou trois, ou tout ce qu’il veut, que Big Brother fait montre d’un pouvoir absolu sur Winston Smith dans le roman de George Orwell 1984.
Une logique similaire d’oppression par l’absurdité imprègne le bobard de l’État israélien sur la plage de Gaza. Ce mensonge, ostensiblement énorme, ne se lit pas comme une démarche d’évasion mais comme une affirmation délibérée et cruelle, non seulement d’un pouvoir de vie et de mort, mais, tout au moins dans la bande de Gaza, d’un pouvoir sur la vérité elle-même.
Traduit de l’anglais par JM Guerlin.
Site web du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA).
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